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Full text of "Histoire de la poésie française au 16e siècle. t. 1-"

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CLÉMENT  MAROT   ET  SON   ÉCOLE 


BIBLIOTHÈQUE  LITTÉRAIRE  DE  LA  RENAISSANCE 

dirigée  par  Pierre  de  Xoi.hac.  de  TAcadémie  française. 


PREMIÈRE  SÉRIE,  petit  in-8. 
T.  I.  H.  CocHix.  La  Chronologie  du  Canzoniere  de  Pétrarque.  ]h9S.       6  fr. 
T.  II-III.  L.  Thuasne.  R.  Gaguini  Epistolae  et  orationes,  texte  publié  sur  les 

éditions  originales  de  1498.  1904 37  fr.  50 

T.  IV.  H.  CocHiN.   Le  îrère  de  Pétrarque  et  le  livre  «  Du  repos  des  religieux  ». 

1904 6  fr. 

T.  V.  M.  Thuasxe.  Études  sur  Rabelais  (Sources  monastiques  du  roman  de 

Rabelais.  —  Rabelais  et  Erasme.  —  Rabelais  et  Folengo.  —  Rabelais  et  Colon- 

na.  — Mélanges).  1904 15  fr. 

T.  VI.  M.  M.  Capelli.  Pétrarque.  Le  traité  «  De  sui  ipsius  et  multorum  ignorari- 
tia''.1906 9  fr. 

T.  VII.  J.  DE  Zaxgroniz.  Montaigne,  Amyot  et  Saliat.  Étude  sur  les  sources  des 
Essais  de  Montaigne.  1906 9  fr. 

T.  VIII.  R.  Sturel.  Amyot  traducteur  des  Vies  parallèles  de  Plutarque.  1909. 

Avec  4  fac-similés 18  fr. 

T.  IX.  P.  ViLLEY.  Les  Sources  italiennes  de  la  «  Defîense  et  illustration  de  la 

langue  îrançoise  »  de  Joachim  Du  Bellay.  190S 7  fr.  50 

T.  X.  Mario  Schiff.  La  îille  d" alliance  de  Montaigne,  Marie  de  Gournay.  1910. 

Avec  un  portrait 7  fr.  50 

T.  XI.  H.  LoxGNON.  Essai  sur  P.  de  Ronsard.  Avec  un  portrait.  1912.     12  fr. 
T.  XII.  H.  Hauvette.  Études  sur  la  Divine  Comédie,  la  composition  du  poème 

et  son  rayonnement.  1922 10  fr. 

DEUXIÈME  SÉRIE,  gr.  in-8  raisin. 

T.  I-II.  P.  DE  XoLHAC.  Pétrarque  et  Ihumanisme.  Xouvelle  édition  revue  et  con- 
sidérablement augmentée,  avec  un  portrait  inédit  de  Pétrarque  et  des  fac- 
similés  de  ses  manuscrits.  2  vol.  et  planches.  (Épuisé). 

T.  III.  P.  CouRTEAULT.  Gcoffroy  de  Malvyn,  magistrat  et  humaniste  bordelais 
(1545-1617),  étude  biographique  et  littéraire,  suivie  de  harangues,  poésies  et 
lettresinédites.  1907 11  fr.  25 

T.  IV.  H.  Guy.  Histoire  de  la  poésie  française  au  XVF  siècle.  T.  I.  LÉcoIe  des 
rhétoriqueurs.  1910 15  fr. 

T.  V.  L.  Zanta.  La  Renaissance  du  stoïcisme  au  XVP  siècle.  1914.     18  fr. 
T.  VI.  H.  BussoN.    Charles  dEspinay,  Évêque  de  Dol,  et  son  œuvre  poétique 

(1531  ?-1591).1923 15  fr. 

T.  VII.  H.  Franchet.  Le  Poète  et  son  œuvre,  d"après  Ronsard.  1923.     30  fr. 
T.VIII.H.Franchet.  LePhilosopheParîaict  et  le  Temple  de  vertu.  1923. 10  fr. 

T.  IX.  P.  DE  XoLHAC.  Un  poète  rhénan,  ami  de  la  Pléiade  :  Paul  Melissus. 
1923 12  fr. 

T.  X.  Maurice  MiGxox.  Études  sur  le  théâtre  français  et  italien  de  la  Renais- 
sance.  1923 12  fr. 

T.  XI.  P.  ViLLEY.  Les  Grands  écrivains  du  XVF  siècle.  Évolution  des  œuvres 
et  invention  des  formes  littéraires.  Tome  I.  Marot  et  Rabelais.  1923.     25  fr. 


BIBLIOTHÈQUE    LITTÉRAIRE 

DE 

LA    RENAISSANCE 


NOUVELLE  SÉRIE 
ÏOME  XII 


HISTOIRE  DE  LA  POÉSIE  FRANÇAISE 
AU   XVL  SIÈCLE 


TOME    II 

CLÉMENT  MAROT  ET  SON   ÉCOLE 

PAR 

HENRY   GUY 

RECTEUR    D2    L'ACADÉMIE    DE    GRENOBLE 


PARIS 

LIBRAIRIE    HONORÉ    CHAMPION,    ÉDITEUR 

LIBRAIRE    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    L'HISTOJRE    DE   FRANCE 

5,  Quai  Malaquais,  5 
1926 


LIVRE  QUATRIEME 


Principaux  caractères  de  la  Renaissance. 
Le  roi   François  l^^  —  La   cour  ;  les  Mécènes, 


I 

PRINCIPAUX  CARACTÈRES   DE   LA   RENAISSANCE 

1-3.  Position  et  division  du  sujet.  —  4.  Pourquoi  le  moyen  âge 
s'est  désinte'ressé  de  plusieurs  problèmes  essentiels.  —  Pre- 
mier    CARACTÈRE      DE      LA     RENAISSANCE,      LA     CURIOSITÉ     : 

5.  Les  textes  sacrés  sont  traduits  en  langue  vulgaire  ;  le  retour 
à  l'antiquité.  —  6.  L'étude  du  droit  et  celle  de  la  méde- 
cine sont  renouvelées.  —  7.  Les  découvertes  géographiques.  — 
8.  L'astronomie.  —  Second  caractère  de  la  renais- 
sance, LE  GOUT  DE  LA  JOIE  :  9.  Que  ce  goiH  n'a  pu  fleurir 
au  moyen  âge.  —  10-11.  Mais  il  apparaît  clairement  dans 
r architecture  du  XVI^'  siècle.  ■ —  12-13.  L'  «  invention  »  de 
la  nature  consolatrice  et  maternelle.  —  14.  La  joie  éclate  dans 
maintes  œuvres  de  ce  temps.  —  15-16.  Troisième  caractère 

DE      LA      RENAISSANCE     :     ELLE     ASPIRE     A     LA     LIBERTÉ.      — 

17.  «  Le  seizième  siècle  est  un  héros.  »  —  18.  Lutte  émouvante  de 
l'avenir  et  du  passé.  —  19.  Les  deux  partis  s'efforcent  d'entraîner 
le  roi. 

1.  La  période  qui  s'étend  de  1515  à  1550  est,  dans  l'histoire 
des  hommes,  un  moment  sacré,  si  riche  en  œuvres,  si  sympathi- 
que par  le  courage  et  par  les  sublimes  aspirations  des  ouvriers, 
qu'on  se  sent,  lorsqu'il  s'agit  de  peindre  cette  époque,  comme 
accablé  par  l'ampleur  du  sujet.  C'est  toute  une  genèse  à  décrire, 
l'enfantement  d'un  monde  nouveau  —  le  nôtre  —  qui  vient  au 
jour  parmi  des  luttes  terribles,  et  s'élève  sur  les  ruines  d'un  som- 
bre passé,  presque  barbare.  Le  regrette  qui  voudra  !  On  peut, 
à  la  vérité,  accorder  une  vive  sympathie  et  même  de  l'admi- 
ration à  certaines  formes  d'art  du  moyen  âge,  rendre  justice  à 
l'enthousiasme  et  à  la  candeur  de  sa  foi,  s'attendrir  au  spectacle 
de  sa  patience  et  de  sa  résignation,  mais  on  doit  aimer  la  Re- 
naissance comme  étant  une  ère  libératrice,  qui  nous  a  donné 
des  espérances  jusqu'alors  inconnues,  des  raisons  d'agir  et  de 
vivre  que  nos  pères  soupçonnaient  à  peine.  Et  quand  je  dis  la 
Renaissance,  je  veux  parler  aussi  de  la  Réforme.  Ces  deux  ter- 


8  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

mes,  au  fond,  désignent  des  faits  qui  procèdent  d'une  origine 
unique,  et  ne  sauraient  être  séparés.  La  Réforme  n'est  qu'un 
des  aspects  (mais  essentiel)  de  l'évolution  des  esprits  au  XVI^ 
siècle,  et  si  elle  intéresse  au  plus  haut  point  les  historiens  de  la 
littérature,  ce  n'est  pas  tant  parce  qu'elle  a  constitué  une  nou- 
velle Église  chrétienne  que  pour  avoir  préparé,  sans  l'avoir  ni 
désiré  ni  prévu,  l'autonomie  de  la  conscience. 

2.  Et  ainsi  Réforme  et  Renaissance  nous  apparaissent  comme 
des  «  phénomènes  »  connexes  que  les  mêmes  causes  ont  dû  pro- 
duire. Ces  causes,  quelles  sont-elles  ?  On  a  très  souvent  énuméré 
celles  qu'on  peut  appeler  extérieures,  et  qui  se  laissent  facile- 
ment saisir.  Oui  ne  comprend,  par  exemple,  que  l'invention  et 
le  progrès  de  l'imprimerie  ont  favorisé  les  grands  changements 
dont  nous  parlons,  et  comment  nier  l'influence  que  les  guerres 
d'Italie  ont  eue  sur  eux  ?  Il  est  évident  que  les  Français  auraient 
langui  plus  longtemps  dans  une  ignorance  à  la  fois  résignée  et 
dogmatique  s'ils  n'avaient  été  conduits,  par  l'ambition  de  leurs 
rois,  vers  cette  terre  où  les  ruines  d'un  sublime  passé  offraient 
des  enseignements  tant  à  l'artiste  qu'au  penseur,  et  où  venaient 
d'affluer,  après  la  prise  de  Constantinople,  les  trésors  de  la  Grèce 
antique.  Oui,  ce  furent  là  d'heureuses  conjonctures  :  mais  elles 
ne  suffisent  pas  à  expliquer  pourquoi,  renonçant  à  des  tradi- 
tions séculaires,  nos  aïeux  ont  osé  accomplir,  dans  le  domaine 
spirituel,  une  audacieuse  révolution.  Le  vrai  motif,  la  raison 
profonde  de  cette  crise  est,  peut-être,  des  plus  simples  :  le 
remède  est  sorti  de  l'excès  du  mal  ;  on  s'est  enfin  débattu  parce 
que,  décidément,  on  étouffait  ;  l'âme  a  voulu  renaître,  revivre, 
parce  que,  au  déclin  du  moyen  âge,  elle  se  sentait  à  l'agonie  ; 
l'épaisseur  de  l'ombre  suscita  le  besoin  de  la  lumière,  et,  bref, 
un  nouveau  monde  se  trouva  créé  en  vertu  de  ce  dynamisme 
ou  de  cet  instinct  qui  poussent  les  individus  et  les  peuples  à 
craindre  de  mourir,  à  vouloii  être. 

3.  Si  maintenant  on  demande  quels  furent  les  caractères  domi- 
nants de  cette  époque  où  l'humanité,  comme  Lazare,  se  réveilla, 
on  peut  répondre,  ce  semble,  qu'ils  se  réduisent,  en  somme,  à 
trois  :  la  curiosité  ou  la  soif  de  connaître  et  de  comprendre  ; 
le  goût  de  la  joie  ;  l'amour  —  timide  encore  —  de  la  liberté. 

4.  Que  le  mo^^en  âge  n'ait  pas  été  curieux,  il  n'y  a  pas  lieu 
de  s'en  étonner.  Ayant  la  foi,  il  croyait  n'avoir  rien  à  appren- 
dre. La  vie,  la  mort  étaient  sans  énigmes,  et  la  religion  impo- 
sait, pour  chaque  problème,  une  solution  catégorique.  Alors  de 
quoi  donc  s'inquiéter  ?  Tranquille  sur  l'essentiel  (l'existence  de 
Dieu,  le  règne  du  Père,  la  réalité  d'un  paradis  et  d'un  enfer),  on 
dédaignait  ce  petit  tas  de  boue  où  nous  sommes,  cette  vallée  de 


CLEMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE 


larmes,  cette  piison.  A  quoi  bon  s'intéresser  à  la  terre,  puisqu'on 
possédait  d'avance,  pourvu  qu'on  se  montrât  docile,  l'immensité 
entière  du  ciel  ?  Toutes  les  énergies  étaient  tendues  vers  l'au- 
delà  et  vers  le  futur.  La  vraie  vie  commençait  après  la  vie,  et 
cette  hantise  métaphysique  rendait  également  méprisables  la 
nature  condamnée  à  périr,  le  corps  de  l'homme,  chair  de  péché, 
et  les  sciences  qui  s'occupent  de  ces  pauvres  choses  transitoires. 
5.  Au  contraire,  les  hommes  de  la  Renaissance  jettent  de 
perçants  regards  autour  d'eux,  et  aspirent  au  fruit  défendu. 
Ils  portent  d'abord  la  main  sur  l'arche,  et  prétendent  voir, 
inaugurant  ainsi  une  guerre  inexpiable,  le  fond  et  la  valeur  de 
ces  mystères  qu'on  avait  acceptés  jusqu'alors  avec  révérence 
et  tremblement.  L'usage  que  l'Église  faisait  du  latin  était  l'un 
des  nuages  qui  dérobaient  aux  yeux  ce  Sinaï  :  mais  les  nova- 
teurs déchirent  le  voile  ;  ils  ramènent  au  grand  jour  des  langues 
vulgaires  les  dogmes,  les  textes  sacrés,  et  la  foi  va  devenir  par 
là  un  objet  de  discussion.  Rien  n'arrêtera  plus  des  gens  capa- 
bles d'un  tel  coup  d'audace,  et  leur  curiosité  s'étendra  à  la  fois 
dans  tous  les  sens.  Ce  qui,  d'abord,  les  fascine,  c'est  l'antiquité. 
Ils  la  devinent  belle,  la  savent  si  riche  !  En  vain  ils  cherche- 
raient, dans  l'héritage  qu'ils  tiennent  de  leurs  pères,  les  réserves 
de  sagesse,  les  trésors  d'expérience,  les  méthodes  dont  ils  ont 
besoin.  Ils  sentent  qu'il  leur  faut,  pour  construire  au  monde  un 
noble  avenir,  le  secours  du  plus  lointain  passé,  et  que  ce  qui 
leur  manque  ne  se  trouve  que  dans  les  ouvrages  des  anciens. 
Voilà  pourquoi  ils  ont  le  culte  de  la  Grèce  et  de  Rome.  Ils  atten- 
dent d'elles  le  salut.  Les  textes  et  les  statues  antiques  remon- 
tent en  foule  à  la  lumière,  et  sont  reçus  comme  une  révélation 
d'en  haut,  une  «  bonne  nouvelle  »  inespérée.  Au  demeurant, 
cet  enthousiasme  est  presque  toujours  lucide.  Les  érudits  du 
XVI^  siècle  concilient  l'admiration  avec  le  désir  de  bien  juger, 
et  ces  hommes  si  fervents  furent  les  fondateurs  de  la  critique. 
Pour  mieux  entendre  les  enseignements  des  vieux  livies,  ils  ont 
poussé  fort  loin  l'étude  des  langues.  L'hébreu,  suspect  au  moyen 
âge,  a  été  connu  de  plusieurs  d'entre  eux,  et,  quoique  le  grec 
passât  pour  hérétique,  ils  s'y  adonnaient  avec  passion.  Quant  au 
latin,  —  à  ce  même  latin  qu'ils  refusaient  à  l'Église  —  ils  rê- 
vaient de  le  refaire  vivant,  d'en  vulgariser  l'usage,  de  le  par- 
ler et  de  l'écrire  si  bien  qu'il  reléguât  au  second  plan  le  fran- 
çais. Un  tel  dessein  n'avait  aucune  chance  d'aboutir,  mais  si 
les  humanistes  ne  l'avaient  pas  formé,  peut-être  n'auraient-ils 
pas  édifié  ces  monuments  que  l'on  admire  aujourd'hui  :  les 
Commentaires  d'Etienne  Dolet  et  le  Thésaurus  de  Robert  Es- 
tienne,  qui  est  de  1535. 


10  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

6.  Et  que  de  choses  encore  sollicitent,  vers  cette  date,  la 
curiosité  de  nos  aïeux  !  Leur  programme  est  celui  de  Gargan- 
tua, tracé  par  le  génie  pour  des  géants.  Ils  veulent  devenir  «  un 
abysme  de  science  »  [P.,  II,  8],  tout  rajeunir  ou  tout  créer  d'un 
seul  coup,  léguer  à  leurs  descendants  une  encyclopédie  complète 
et  remaniée.  Ils  se  livrent  au  labeur  avec  une  furie  dionysiaque, 
une  sorte  d'ivresse  sacrée.  Tantôt  poètes,  tantôt  prophètes,  ils 
inventent  ou  devinent,  et  indiquent,  en  chaque  matière,  ce  qui 
sera  la  loi  de  l'avenir.  L'étude  du  droit,  où  le  moyen  âge  ne 
voyait  qu'un  formalisme  épineux  et  qu'une  scolastique  laïque, 
incline,  grâce  à  eux,  du  côté  de  la  philosophie  et  de  l'histoire. 
Le  grand  Alciat  s'applique  moins  à  ergoter  sur  les  lois  qu'à  en 
montrer  l'origine,  et  ses  rivaux  ou  ses  disciples  —  Arnoul  du 
Ferrier,  André  Tiraqueau  et  plusieurs  autres  —  préparent  la 
voie  à  Cujas...  La  médecine,  pendant  ce  temps,  progresse,  évo- 
lue aussi.  L'anatomie,  malgré  bien  des  résistances,  force  la  porte 
des  vieilles  écoles,  et  le  corps  humain,  dont  on  ne  connaissait 
que  les  dehors,  va  perdre  une  partie  de  son  mystère.  Sans  par- 
ler ni  d'André  Vésale  ni  de  notre  Fernel,  signalons,  en  passant, 
un  fait  que  l'on  peut  considérer  comme  le  tout  premier  germe 
de  la  médecine  moderne  :  à  l'époque  où  François  Rabelais  exer- 
çait les  fonctions  de  médecin  à  l'hôpital  de  Lyon,  il  disséqua, 
devant  une  assistance  nombreuse,  le  cadavre  d'un  supplicié,  et 
expliqua  à  ses  auditeurs  «  fabricam  corporis  »,  la  structure  des 
membres,  des  organes.  Cette  initiative  ne  demeura  pas  ina- 
perçue et  fut,  par  Dolet.  célébrée  en  vers  latins. 

7.  Pendant  que  la  Renaissance  travaillait  ainsi  à  la  décou- 
verte de  l'homme  ph3'sique,  ce  microcosme,  elle  marchait  à  la 
conquête  du  vaste  monde,  et  parcourait  enfin  notre  univers  en 
entier.  En  septembre  1519,  Magellan  quitte  San  Lucar  ;  il  tou- 
che aux  Canaries,  au  Brésil,  atteint  la  Terre  de  Feu,  et  rencon- 
trant (27  novembre  1520)  les  eaux  du  Pacifique,  il  s'y  engage 
hardiment,  cingle  droit  jusqu'aux  Philippines.  Là,  il  meurt  (27 
a\Til  152 1)  ;  mais  l'un  de  ses  lieutenants,  Sébastien  del  Cano, 
continue  à  aller  de  l'avant,  double  le  cap  de  Bonne-Espérance, 
et,  ayant  accompli  le  tour  du  monde,  rentre,  le  6  septembre 
1522,  à  San  Lucar.  Le  vaisseau  qu'il  montait  s'appelait  Victo- 
ria. Victoire,  en  effet,  très  belle,  et  pour  plus  d'une  raison.  Ce 
n'étaient  pas  seulement  des  pays  ignorés  et  de  nouveaux  aspects 
de  la  nature  que  les  explorateurs  et  les  Conquistadores  faisaient 
connaître  :  ils  révélaient  encore  des  sociétés  qu'on  ne  soupçon- 
nait point,  des  mœurs  qu'on  n'avait  jamais  prévues,  des  reli- 
gions insolites,  des  peuples  qui  ne  savaient  pas  que  Jésus-Christ 
fût  mort  pour  eux.  La  création,  dès  lors,  apparaissait  plus  riche, 


CLEMENT    MAROT    ET    SON    ECOLE  11 

plus  complexe  qu'on  ne  l'avait  cru  ;  la  foi  et  la  sagesse  qu'on 
s'imaginait  universelles  prenaient  le  caractère  d'une  opinion  que 
bien  des  hommes  ne  partageaient  point,  et  il  fallait  bien  admet- 
tre qu'il  existait  ici-bas  diverses  manières  d'être  raisonnable 
et  pieux.  Ample  sujet  de  méditation  ;  grande  leçon  de  modestie 
et,  avec  le  temps,  de  tolérance.  Lisez,  chez  Montaigne  [I,  30], 
l'admirable  chapitre  Des  Cannibales. 

8.  Restait  à  pénétrer  les  effrayants  mystères  du  ciel...  Cela, 
faute  d'avoir  les  instruments  nécessaires,  la  Renaissance  ne  le 
pouvait,  et  l'honneur  de  fonder  l'astronomie  fut  cédé  par  elle 
à  l'âge  suivant.  Mais  si  elle  n'a  presque  rien  fait  pour  constituer 
cette  science  sublime,  elle  a,  du  moins,  senti  ce  qu'il  y  avait 
lieu  de  faire,  et  deviné  que  le  succès  futur  serait  dû  à  l'obser- 
vation directe,  à  la  méthode  expérimentale.  C'est  là,  sans  doute, 
ce  que  veut  nous  signifier  Rabelais  lorsqu'il  nous  raconte  [G., 
I,  23]  que  Ponocratès  conduisait,  «  en  pleine  nuict  »,  son  élève 
«  au  lieu  de  leur  logis  le  plus  descouvert  »,  et  que,  là,  ils  obser- 
vaient «  les  figures,  situations,  aspects,  oppositions  et  conjunc- 
tions  des  astres  ».  Maître  et  disciple  terminent  de  la  sorte  une 
journée  de  prodigieux  labeur,  symbole  de  ce  que  fut,  en  ce 
temps  —  de  l'aube  au  soir,  c'est-à-dire  de  la  naissance  à  la 
mort  —  la  vie  des  lettrés  ou  des  savants.  Par  ce  qui  précède 
on  aura  vu  que  leur  curiosité  avait  été  vraiment  universelle, 
et  qu'elle  s'était  portée  à  la  fois  sur  le  passé  et  l'avenir,  sur 
l'homme  entier,  corps  et  âme,  sur  les  lois  divines  et  humaines, 
sur  les  mondes  mal  connus,  le  nôtre  d'abord,  puis  ceux  du  ciel. 

9.  Quant  à  ce  goût  de  la  joie  que  j'ai  signalé  ci-dessus  comme 
l'un  des  caractères  de  la  Renaissance,  il  semble  qu'il  ait  tiré 
son  origine  du  désir  ou  du  besoin  de  réagir  contre  la  tristesse 
du  moyen  âge.  Cette  tristesse  n'est  que  trop  réelle,  et  il  suffira, 
pour  la  bien  sentir,  de  s'adresser  au  grand  Michelet.  Quoique, 
de  nos  jours,  on  se  plaise  à  dénigrer  son  histoire,  elle  reste  admi- 
rable en  bien  des  parties,  et  nul  n'écrira  de  plus  belles  pages 
que  celles  où  il  a  montré  les  terreurs,  les  douleurs,  l'accable- 
ment du  pauvre  Jacques.  Comment  ne  mènerait-il  pas  une  exis- 
tence tremblante  et  consternée  ?  Les  impôts,  la  corvée  l'écra- 
sent ;  le  roi,  le  seigneur  et  le  prêtre  lui  crient  :  «  Il  faut  payer  !  »  ; 
les  guerres  ne  cessent  point,  et  il  redoute,  lorsque  les  gens  d'ar- 
mes courent  la  campagne,  tout  autant  l'ami  que  l'ennemi  ;  il 
n'a  que  des  devoirs  et  point  de  droits  ;  non  content  de  l'exploi- 
ter, on  le  méprise,  et  chaque  mouvement  de  la  machine  politi- 
que lui  cause  une  souffrance,  aigrit  ses  plaies.  Voilà,  pensez- 
vous,  des  maux  cruels.  Oui,  mais  ce  ne  sont  ni  les  seuls,  ni  les 
pires.  Ajoutez  les  troubles  d'une  âme  pleine  de  craintes  mysti- 


12  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

ques,  et  que  hante  l'idée  de  l'enfer.  D'ailleurs,  même  avant  la 
mort,  on  risque  de  tomber  entre  les  griffes  du  diable.  Il  cir- 
cule, invisible,  parmi  les  vivants  ;  il  gâte  et  rend  suspect  tout 
ce  qui  pourrait  être  des  consolations  :  les  plaisirs  du  lit  et  de 
la  table,  la  beauté  des  femmes,  l'innocence  de  l'enfant,  la  lu- 
mière du  jour,  les  douces  nuits  étoilées...  Vraiment,  c'est  trop, 
et  l'on  comprend  qu'une  heme  soit  enfin  venue  où  le  peuple, 
nouvel  Enée,  a  tiré  son  épée  contre  les  spectres.  Ce  retour  à 
une  autre  (et  meilleure)  conception  de  la  vie  était  fatal  :  la  seule 
chose  étonnante,  c'est  qu'il  ait  pu  tarder  si  longtemps. 

10.  Si  maintenant  on  demande  quelles  sont,  au  XVI^  siècle, 
les  preuves  de  cette  joie  dont  je  parle,  on  a,  semble-t-il,  le  droit 
de  répondre  que  c'est  dans  l'architecture  qu'elle  se  manifeste 
de  la  façon  la  plus  expressive.  L'architecture  civile,  au  moyen 
âge,  offre  un  caractère  défensif  ;  elle  révèle  les  transes  de  ceux 
qui  font  bâtir,  se  tient  en  garde  contre  le  dehors,  et  tend  à  assu- 
rer un  abri,  des  «  fermetés  >;  à  des  gens  que  tout  menace,  et  dont 
le  sort  est  précaire.  Que  souhaiter,  tandis  que  les  routiers,  les 
mauvais  garçons  désolent  sans  cesse  le  plat  pays,  et  rôdent,  les 
dents  longues,  autour  des  villes,  sinon  une  salle  bien  close,  une 
maison  aux  fortes  murailles,  peu  de  fenêtres,  une  porte  étroite 
à  clous  de  fer,  des  rues  étranglées  que  barre  une  chaîne,  et,  enve- 
loppant ces  rues,  la  ceinture  de  tours,  les  douves  de  la  cité  ? 
Autant,  certes,  vaudrait  une  prison  :  mais  que  faire  ?  C'est  seu- 
lement sous  ces  bonnes  voûtes  noires  et  derrière  ces  remparts 
qu'on  a,  comme  l'escargot  dans  sa  coquille,  des  chances  de 
salut,  une  impression  de  sécurité. 

11.  Il  s'en  fallait,  au  XVI^  siècle,  que  la  tranquillité  publi- 
que fût  établie,  et  qu'on  pût  négliger  les  précautions  d'autre- 
fois. Cependant,  sous  l'influence  italienne,  la  maison  française 
perdit  peu  à  peu  sa  mine  de  donjon,  et  cessa  de  paraître  cons- 
truite en  vue  d'un  siège.  Repliée  sur  elle-même,  hostile  et  dé- 
fiante naguère,  elle  se  tourna  enfin  vers  l'extérieur,  s'ouvrit  à 
l'air  et  à  la  lumière,  et  regarda  avec  sympathie  le  paysage.  Les 
larges  fenêtres,  les  périst^^es,  la  loggia,  le  portique  proclamaient 
que  le  maître  du  lieu  avait  changé  comme  sa  demeure,  qu'il 
souhaitait  une  vie  moins  claustrale,  des  mœurs  plus  accueil- 
lantes, plus  enjouées.  Et  c'est  ce  que  signifiait  aussi  la  vogue 
d'un  art  nouveau,  l'art  des  jardins.  L'architecte  concevait  en- 
semble le  jardin  et  l'édifice  ;  sa  pensée  ne  les  séparait  point  ; 
il  les  créait  l'un  pour  l'autre  selon  des  affinités  très  délicates, 
et  l'harmonie  produite  était  due  à  la  collaboration  de  l'homme 
et  de  la  nature.  La  maison  et  son  cadre  se  prêtaient  mutuel- 
lement leur  beauté  :  les  formes  des  arbres,  les  eaux  courantes. 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  13 

la  ligne  —  au  loin  —  de  l'horizon  travaillaient  à  l'impression 
totale  aussi  bien  que  les  toits  d'ardoise,  les  pierres  ouvrées. 

12.  Est-ce  le  goût  de  la  joie  qui  amena  la  Renaissance  à 
découvrir  la  nature  ou  cette  découverte  qui  lui  donna  ce  goût  ? 
Question  insoluble  et,  peut-être,  oiseuse.  Bornons-nous  à  dire 
que,  manifestement,  nos  aïeux  ne  parvinrent  pas  d'eux-mêmes 
ni  sans  aide  à  comprendre  que,  du  monde  extérieur,  émanait 
assez  de  joie  pour  que  chaque  destinée  humaine  en  fût,  suivant 
les  cas,  exaltée  ou  consolée.  Mais  un  moyen  si  simple  d'être 
heureux  eût  fait,  si  elle  l'avait  connu,  horreur  à  l'âme  chré- 
tienne ;  elle  y  aurait  vu  un  piège  subtil  de  l'Ennemi,  et  eût 
laissé  aux  matérialistes  le  damnable  privilège  de  transformer  en 
plaisirs  le  jeu  et  les  aspects  des  choses  terrestres.  Ce  ne  fut  donc 
pas  le  moyen  âge,  mais  la  sagesse  antique  ressuscitée  qui  ensei- 
gna au  XVI^  siècle  à  quel  point  le  décor  de  l'univers  pouvait 
ou  conseiller  l'allégresse  ou  inviter,  du  moins,  à  la  patience. 
Cette  vérité,  seule  base  morale  du  panthéisme,  la  poésie  grec- 
que et  latine  l'avait  exprimée  tantôt  par  des  mythes  riches  de 
sens,  tantôt  en  tableaux  qui  dépeignaient  à  la  fois  la  grâce  et 
la  bonté  de  la  nature.  Les  Bucoliques  surtout,  puis,  dès  que 
Henri  Estienne  les  eût  tirées  de  l'oubli,  les  odelettes  d'Ana- 
créon  révélèrent  une  source  de  joies  non  point  cachées  ni  pro- 
blématiques, mais  à  la  portée  de  nos  mains  comme  les  autres 
présents  de  Cybèle.  Les  chevriers  des  vieilles  idylles  semblaient, 
du  fond  des  temps,  engager  l'homme  nouveau  à  se  contenter, 
pour  être  heureux,  de  cueillir  l'heure  qui  passe  et  de  ne  recher- 
cher que  les  biens  réels  :  l'ombre  délicieuse  des  saules,  la  chan- 
son du  ruisseau  contre  sa  rive,  l'aimable  magie  de  la  lumière 
et  le  sourire  de  Galatée.  La  mort  même,  à  ces  conditions,  pou- 
vait être  acceptée  avec  douceur  :  on  revenait,  pour  de  prochaines 
métamorphoses,  au  sein  fécond  de  la  terre,  et  l'on  quittait  la 
vie  en  la  bénissant  lorsqu'on  l'avait  passée  en  Arcadie. 

13.  Tels  furent  les  sentiments  qu'empruntèrent  aux  anciens 
les  artistes  de  la  Renaissance.  Considérant,  eux  aussi,  la  nature 
comme  créant  sans  cesse  de  la  joie,  ils  ne  lui  ont  demandé  que 
cela,  et  ne  l'ont  guère  chérie  qu'à  ce  titre.  Par  suite,  il  manque 
encore  à  cet  amour,  déjà  romantique  à  certains  égards,  un  élé- 
ment qu'il  devra  aux  disciples  de  Rousseau.  Les  paysages  su- 
blimes, dont  l'étendue  accable  nos  âmes  ou  qui  suscitent  des 
idées  émouvantes,  déplaisent  à  l'homme  du  XVI^  siècle  ;  il  ne 
les  décrit  pas,  il  s'en  écarte,  il  les  estime  inhumains,  et  leur 
reproche  précisément  ce  qui,  aujourd'hui,  nous  séduit  en  eux  : 
leur  solitude  insociable  et  les  rêves  troublants  qu'éveille  leur 
mélancolie.  Je  ne  vois,  à  cette  époque,  aucune  peinture  de  la 


14  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

grande  montagne  ni  de  la  mer.  Jamais  les  poètes  ne  furent  plus 
nomades  qu'alors,  mais  les  contrées  les  plus  chères  au  touriste 
d'à  présent,  ils  les  ont  parcourues  sans  lever  les  yeux  et  en  si- 
lence. Marot  n'observa  que  deux  choses  en  passant  les  Alpes, 
c'est  qu'elles  sont  grandes  (c'est-à-dire  pénibles  à  franchir)  et 
froides  [G.  III,  305].  Qu'elles  fussent  belles,  il  ne  s'en  est  pas 
aperçu.  Ce  qu'il  lui  fallait,  à  lui  et  à  ses  contemporains,  c'étaient, 
limitée  par  un  amphithéâtre  de  molles  collines,  une  plaine  très 
plantureuse,  un  fleuve  riant  et  pacifique,  des  près,  des  vignes 
et,  pour  s'y  asseoir  à  l'ombre,  un  bocage.  Embrassé  d'un  coup 
d'œil,  tout  cela  charmait  l'esprit,  donnait  l'impression  d'une  vie 
facile,  abondante,  attestait  des  dieux  amis  et  une  nature  ma- 
ternelle, engageait  enfin  à  cette  joie  à  laquelle  on  aspirait. 

14.  De  fait,  elle  éclate  dans  maintes  œuvres.  Marot,  qui  a 
tant  souffert,  se  livre  peu  souvent  à  ses  douleurs  ;  s'il  verse  une 
larme,  il  l'essuie  à  l'instant,  puis,  honteux  de  sa  faiblesse,  nous 
montre  un  visage  rasséréné,  et  nous  force,  en  jouant  l'insou- 
ciance et  en  prodiguant  les  traits  d'esprit,  à  oublier  son  chagrin. 
Bien  d'autres  —  Dolet,  par  exemple  —  se  conduisent  ainsi. 
Leurs  maux,  cependant,  étaient  réels  et,  parfois,  terribles  :  mais 
ils  ne  les  pleuraient  pas  en  public,  les  contaient  d'un  ton  badin, 
et  les  exposaient  avec  une  pudeur  que  nos  poètes  récents  n'ont 
pas  gardée  en  exposant  des  peines  imaginaires.  Marguerite  de 
Navarre,  à  qui  ne  furent  épargnées  ni  les  épreuves  ni  les  amer- 
tumes, nev cesse  de  vanter  les  graves  joies  qu'elle  demande  soit 
à  la  science,  soit  à  la  certitude  d'avoir  trouvé  Dieu,  soit  à  l'at- 
tente d'un  meilleur  avenir.  Mais  c'est  Rabelais  surtout  qui  dédie 
à  la  nouvelle  espérance  et  à  la  vaillante  gaieté  du  sage  un  monu- 
ment énorme,  triomphal.  Son  livre,  d'un  bout  à  l'autte,  n'est 
que  le  symbole  de  sa  foi  en  la  bonté  de  la  vie  ;  les  voyages  de 
ses  héros  nous  mènent,  à  leur  suite,  vers  les  Iles  Fortunées  ; 
il  soutient  que  la  joie  est  une  preuve  de  santé  morale,  et  que  le 
monde  sera  guéri  par  l'exercice  des  belles  passions  et  si,  jusqu'à 
l'ivresse,  il  vide  la  coupe  des  vérités.  Victime  de  la  tempérance, 
plein  d'humeurs  noires,  il  s'abêtit,  il  décline  ;  le  deuil,  depuis 
plus  de  mille  ans,  le  «  mine  et  consomme  »  ;  faute  d'aimer  à 
vivre,  il  se  meurt,  et  rien  ne  peut  le  sauver  s'il  n'arrive  pas  à 
comprendre  que  «  le  propre  de  l'homme  »,  c'est  le  rire. 

15.  Rire,  c'est,  avant  tout,  une  manière  de  s'affranchir,  car 
ils  font  «  acte  de  maître  »  (Renan)  ceux  qui  rient  avec  ironie. 
Il  y  a,  entre  la  joie  et  la  liberté,  un  étroit  rapport  que  le  XVI ^ 
siècle  saisit  fort  bien.  La  gaieté  épique  de  frère  Jean  des  Entom- 
meures  aboutit  logiquement  à  la  fondation  de  cette  Thélème,  où 
chacun  se  conduit  «  non  par  lois,  statuts  ou  règles  »,  mais  selon 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  15 

la  devise  :  Fay  ce  que  vouldras  [G.  I,  57].  Il  ne  s'agit  pas  ici,  on 
le  conçoit,  de  liberté  politique.  La  Renaissance  —  sans  même 
excepter  l'auteur  du  Contr'  un  —  n'a  jamais  rêvé  un  gouver- 
nement républicain  ;  le  principe  monarchique  lui  semble  intan- 
gible, presque  divin,  et  elle  ne  souhaite  rien  tant,  fût-il  absolu, 
qu'un  bon  roi.  La  seule  chose  qu'elle  revendique,  c'est,  pour 
chacun,  le  droit  de  penser  selon  sa  conscience  et  d'être,  en  ce 
qui  concerne  les  idées  ou  les  dogmes,  de  son  propre  avis.  La 
Réforme  entière,  puis  toutes  les  guerres  de  religion  sont  direc- 
tement sorties  de  là.  Mais  on  aurait  tort  de  condamner,  à  cause 
de  ses  effets  sanglants,  une  si  légitime  prétention.  Ce  qu'elle  a 
produit  vaut  mille  fois  ce  qu'elle  a  coûté,  et  la  libération  de  l'es- 
prit ne  saurait  se  payer  trop  cher.  Combien  l'histoire  des  hom- 
mes paraîtrait  médiocre  et  vile  si  tant  de  braves  gens  n'avaient 
péri  pour  défendre  le  royaume  intérieur,  les  biens  les  plus  sacrés, 
ceux  qui  ne  rapportent  rien  !  Et  que  serions-nous  aujourd'hui, 
nous  autres,  sans  ces  martyrs  ?  Notre  âge,  moins  troublé,  moins 
asservi,  ne  l'emporte  que  grâce  à  eux  sur  leur  temps,  et  doit  à 
leur  vaillance  ce  qu'il  a  de  meilleur. 

16.  Penser,  parler  par  soi-même,  voilà  donc  ce  à  quoi  vont 
s'appliquer,  sous  le  règne  de  François  i^r,  non  pas  tous  les  écri- 
vains, mais  presque  tous  ceux  qui  comptent.  Marot,  s'adressant 
au  roi  lui-même,  déclare  avec  vigueur  [G.  III,  300]  qu'on  doit 
laisser  la  bride  longue  au  poète  ;  que,  pour  lui,  il  n'existe  point 
de  livre  défendu  ;  qu'il  peut  étudier  sans  contrôle  les  plus  sus- 
pectes (i  doctrines  '>  (la  nécromancie,  la  magie,  la  cabale),  et 
qu'on  viole,  en  assignant  une  borne  à  ses  enquêtes,  le  privilège 
des  saintes  Muses.  François  Habert,  quoiqu'il  ne  soit  qu'un  plat 
courtisan,  proteste  à  deux  reprises  contre  ceux  qui  ne  veulent 
pas  qu'on  traduise  les  Écritures  en  langue  vulgaire,  et  il  par- 
tage, à  cet  égard,  les  idées  de  la  grande  Marguerite.  Mais  per- 
sonne, mieux  qu'elle,  n'a  médité  le  problème  de  la  liberté  ;  per- 
sonne n'a  senti  davantage  que  la  conquête  du  vrai  présuppose 
une  âme  indépendante,  et  que  la  beauté  ni  la  vertu  ne  décorent 
jamais  les  consciences  qui  cèdent  et  plient.  C'est  un  émouvant 
spectacle  que  de  voir  cette  reine,  qu'enserrent  et  que  contrai- 
gnent des  dogmes  politiques  et  religieux,  rechercher,  parmi  tant 
de  raisons  (et  qu'elle  croit  bonnes)  de  rester  esclave,  un  moyen, 
pour  elle  et  poui  ses  pareils,  de  s'affranchir  sans  déranger  la  ma- 
chine sociale,  sans  toucher  à  Dieu.  La  solution  qu'elle  adopte, 
et  qui,  dans  la  mesure  du  possible,  ménage  la  foi  et  la  raison, 
semble,  poui  l'époque,  toute  nouvelle,  et  offre  un  caractère  de 
spiritualité  sublime.  Être  libre,  proclame  Marguerite,  c'est  com- 
prendre ;  c'est  donner  à  la  Sagesse  éternelle  une  adhésion  vou- 


16  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

lue,  intelligente  ;  c'est  consentir,  mais  après  examen  et  par  choix, 
à  substituer  aux  opinions  de  l'homme  qui  passe  la  Loi  de  Celui 
qui  est  : 

Ou  l'esprit  est  divin  et  véhément, 

La  liberté  y  est  parfaitement. 

Et  ailleurs  : 

Ou  est  l'esprit  la  est  la  liberté. 

17.  Voilà,  pour  le  moment,  ce  qu'il  importait  de  dire  sur  les 
éléments  qui  constituent  l'âme  de  la  Renaissance.  Les  chaînes 
qu'elle  a  brisées  étaient  si  lourdes,  les  idées  qu'elle  a  répandues 
ont  été  si  bienfaisantes,  et  nous  lui  devons  tant  de  vérités  capi- 
tales, que  tout  historien  —  s'il  estimait  moins  (comme  il  serait 
juste  !)  l'éclat  d'un  art  accompli  que  la  découverte  des  prin- 
cipes qui  changèrent  les  destinées  du  monde  —  pourrait,  de 
ce  point  de  vue,  soutenir  sans  paradoxe  que  le  vrai  «  grand 
siècle  »,  c'est  le  XVI®.  Et  il  est  grand  encore  pour  une  autre 
raison  que  Michelet  a  résumée  en  cette  trop  romantique  mais 
exacte  formule  :  «  Le  seizième  siècle  est  un  héros.  » 

18.  On  conçoit,  en  effet,  bien  aisément  que  tout  le  passé,  pour 
ainsi  dire,  se  dressa  contre  les  novateurs,  et  que  ce  fut  parmi 
les  pires  épreuves,  au  prix  de  leur  repos  ou  de  leur  sang  qu'ils 
durent  établir  leur  credo.  Il  n'y  a  rien,  dans  nos  annales,  de  plus 
pathétique,  et  personne  n'assistera,  sans  se  sentir  ému,  exalté, 
à  ce  déchirement,  à  cette  guerre  qui  met  aux  prises  l'homme 
d'autrefois  et  celui  de  demain.  Ma  sympathie  va  droit  à  celui-ci, 
et  c'est  pour  sa  cause  que  je  fais  des  vœux.  J'aime  son  courage, 
son  abnégation  ;  il  a  raison,  selon  moi,  de  vouloir  que  le  temps 
marche,  de  croire  au  progrès  ;  en  le  persécutant,  on  lui  confère 
le  droit  d'être  admiré.  Mais  l'autre  aussi,  l'héritier  du  moyen 
âge,  le  conservateur,  mérite  au  moins  qu'on  le  plaigne.  S'il 
avait  combattu  à  armes  égales,  s'il  avait  eu  horreur  des  deux 
arguments  qui  se  nomment  la  piison  et  le  bûcher,  on  excu- 
serait, on  comprendrait  même  sa  résistance.  Cela  est  si  dur, 
quand  on  est  fermement  assis  sur  un  bloc  de  doctrines  qu'on 
juge  inusables,  d'avoir  à  se  lever  pour  changer  de  base  ! 
La  vie  entière  est,  alois,  bouleversée  ;  il  semble  que  tout 
s'écroule,  que  jamais  ce  que  l'on  vous  offre  ne  remplacera  ce 
qu'on  vous  prend,  et  que,  pour  vous,  la  paix  est  perdue.  De 
là,  une  colère,  une  douleur  qui  s'expliquent...  Et,  ainsi,  au 
XVI*^  siècle,  en  cette  ardente  lutte  du  passé  et  de  l'avenir,  l'un 
des  partis  avait  de  bonnes  raisons,  l'autre  des  raisons  qu'il 
croyait  bonnes,  et  tous  les  deux  —  l'un  par  la  patience  ou  le 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  17 

génie,  et  l'autre  souvent  par  la  violence,  —  allaient  essayer  de 
vaincre. 

19.  Mais  qui  pouvait  décider  de  la  victoire  ?  Ils  s'imaginaient 
que  c'était  le  roi,  illusion  naturelle  à  ce  moment.  Absolue  déjà, 
aussi  puissante  que  vénérée,  la  monarchie  était  réputée  capable 
d'établir,  d'imposer  une  opinion  officielle  et  de  mettre  fin,  rien 
qu'en  touchant  du  sceptre  un  plateau  de  la  balance,  aux  que- 
relles qui  divisaient  les  esprits.  En  fait,  alors  même  que  le  prince 
eût  penché  de  tout  son  poids  du  côté  des  traditions,  il  n'aurait 
pas  empêché  le  monde  d'évoluer,  et  le  triomphe  des  novateurs 
était  fatal.  Mais  un  souverain  nettement  hostile  aurait  pu  le 
retarder,  le  rendre  encore  plus  onéreux,  en  sorte  qu'il  importe 
de  bien  connaître  les  goûts,  le  caractère  et  le  rôle  de  celui  qu'on 
appelle  non  sans  cause  «  le  roi  de  la  Renaissance  ». 

BIBLIOGRAPHIE    ET   RÉFÉRENCES 

6.  Steph.  Dole'i...  carminum  lihri  quatuor,  p.  164,  n»  XVIII.  Cuiusdam  Epitaphium 
qui,  exeinplo  edito  strangulalus,  publico  postea  spectaculo  Lug.iuni  sectiis  est,  Francisco 
Rabelaeso,  medico  doctissinio,  fabricant  corporis  interprétante. 

15.  Renan,  Essais  de  morale  et  de  critique,  312. 

16.  Habert,  Nouvelle  luno,  pp.  19,  26.  —  Dernières  poésies  de  Marguerite  de  Navarre, 
pp.  297  et  244. 

17.  Michelet,/fii7.rffFf.  [Flammarion],  VII,  13. 


Clément  Marot  et  son  écolo 


II 

LE    ROI   FRANÇOIS   \'' 

20.  Le  caractère  intime  de  François  I^'  le  prédestinait  à  aimer 
les  arts.  —  21-23.  Ce  qu'il  a  fait  pour  l'architecture.  —  24.  Les 
grands  peintres  qu'il  a  employés.  —  25.  Benvenuto  Cellini.  — 
26.  Quelques  mots  sur  Pierre  Lescot,  Philibert  de  l'Orme  et  Jean 
Goujon.  —  27-28.  Les  écrivains  italiens  en  France.  —  29.  La 
traduction  en  langue  vulgaire  des  ouvrages  grecs  et  latins  est 
encouragée  par  le  roi.  —  30-32.  Sa  générosité  envers  les  artistes 
et  les  gens  de  lettres.  —  33.  Il  a,  parfois,  soutenu  les  novateurs. 

—  34.  Comment  s'explique  sa  tolérance.  —  35-36.  Ses  rapports 
avec  les  chefs  de  la  Réforme.  —  37-40.  Louis  de  Berquin.  — 
41-46.  Fondation  du  collège  des  u  lecteurs  royaux  ».  —  47-53. 
Les  fautes  et  les  vices  de  François  I^^  trouvent  une  manière 
d'excuse  dans  l'idolâtrie  de  son  entourage.  Exemples  tirés  des 
œuvres  de  Marguerite  et  de  ce  qui  se  passa  (1541)  lors  du  ma- 
riage de  Jeanne  d'Albret.  —  54-55.  Le  roi  n'a  jamais  supporté 
ni  critiques  ni  résistance.  —  56-57.  Ame  versatile,  il  a  donné 
maintes  preuves  d'égoïsme  et  d'ingratitude.  —  58.  Actes  tyran- 
niques  :  les  Vaudois,  les  martyrs  de  Mcaux.  —  59.  Les  der- 
niers jours  du  père  des  lettres.  —  60.  Les  écrivains  du  XVI^ 
siècle  lui  conservent,  malgré  tout,  une  longue  et  fidèle  gratitude. 

—  Les  Œuvres  de  François  pr  :  61.  Une  partie  des  pièces 
publiée  sous  son  nom  est  authentique.  —  62-64.  Caractères 
généraux  de  ce  qu'il  a  produit.  —  65-69.  Poésies  et  lettres 
galantes.  —  70-72.  Pièces  relatives  à  la  bataille  de  Pavie  et  à 
la  captivité  en  Espagne.  —  73.  Vers  composés  pour  Marguerite 
de  Navarre.  —  74.  Jugement  d'ensemble. 

20.  Ce  serait  être  très  injuste  envers  François  I^r  que  de  ne 
pas  avouer  à  quel  point  il  avait  le  sentiment  et  même  la  passion 
des  arts.  Il  les  a  tous  aimés  avec  la  plus  intelligente  ardeur,  non 
seulement  comme  propres  à  illustrer  son  règne,  mais  encore  pour 
son  plaisir  personnel,  et  parce  que  sa  nature  le  voulait  ainsi. 
N'eût-il  pas  été  roi,  qu'il  n'aurait  point,  en  tant  qu'homme, 


CLÉAIENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  19 

laissé  de  comprendre  les  belles  choses,  et  ce  n'était  là,  parmi 
d'autres  moins  recommandables,  qu'un  des  aspects  de  cette  âme 
sensuelle  qui  a  regardé  le  monde  comme  créé  en  vue  de  son  agré- 
ment, et  a  prétendu  épuiser  toutes  les  joies  de  la  vie.  Les  por- 
traits de  ce  prince  décèlent  d'insatiables  instincts  :  on  devine 
qu'il  ne  perdra,  fût-elle  honteuse,  aucune  occasion  de  se  satis- 
faire, et  qu'il  entend  convertir  en  bonheur  immédiat  chaque 
désir  ou  chaque  caprice.  Entraîné  à  maintes  fautes  par  ce  culte 
de  la  volupté,  il  y  a  gagné,  en  revanche,  de  sentir  que,  puisqu'il 
voulait  mener  une  existence  exquise  et  dorée,  l'un  des  meil- 
leurs moyens  de  réaliser  son  rêve,  c'était  encore  d'inviter  les 
écrivains  et  les  artistes  à  travailler  en  chœur  à  le  charmer,  à 
le  louer.  Eux  seuls,  en  somme,  pouvaient  lui  offiir  ce  dont  on  ne 
se  fatigue  jamais,  ces  biens  si  riches  et  si  divers  qu'il  y  a  peu 
d'âmes  capables  de  les  saisir  à  la  fois.  Mais  François  P^,  redi- 
sons-le, avait  ce  privilège  d'être  vraiment  touché  par  tous  les 
arts,  en  sorte  qu'il  s'entoura  des  hommes  les  plus  experts  en 
chaque  genre,  et  qu'il  les  accueillit  avec  une  égale  bienveillance, 
quelle  que  fût  leur  spécialité. 

21.  Et,  par  exemple,  que  n'a-t-il  pas  fait  pour  l'architecture  ! 
Il  fut,  presque  autant  que  Louis  XIV,  un  roi  constructeur,  et 
n'a  rien  édifié  que  d'admirable.  Ses  moindres  pavillons  (JMadrid, 
La  Muette)  avaient  une  élégance  raffinée  :  mais  comment  pein- 
dre l'ampleur  fastueuse  et  l'harmonieuse  majesté  de  ses  grands 
châteaux  ou  de  ses  palais  ?  Avec  ses  toits  d'une  complication 
ravissante  et  inouïe,  ses  flèches  et  ses  campaniles,  Chambord, 
vu  de  loin,  donne  l'impression  d'une  demeure  aérienne,  et  sem- 
ble être  dû  au  coup  de  baguette  d'une  bonne  fée.  L'enchante- 
ment persiste  à  l'intérieur,  et  les  yeux  se  lassent  à  contempler 
les  jolis  détails  de  l'escalier,  tant  de  médaillons  inimitables,  la 
richesse  des  voûtes,  des  corniches  et  toutes  ces  salamandres 
enroulées.  En  cette  œuvre  d'un  homme  de  génie,  Pierre  Nepveu, 
notre  architecture  nationale  s'épanouit  et  triomphe  pour  la 
dernière  fois.  Le  roi,  qui  lui  a  fourni  cette  occasion  de  s'affir- 
mer encore,  va  se  tourner  vers  les  Italiens,  et,  de  plus  en  plus, 
il  tiendra  pour  barbares  les  créations,  les  traditions  du  passé. 
La  grosse  tour  du  Louvre  lui  paraîtra  indigne  de  son  goût  et 
de  sa  fortune,  et  il  ordonnera  qu'on  la  détruise  (1528).  Les  Pari- 
siens en  gémirent  :  ils  sentaient  que  l'art  d'autrefois  et  l'ancienne 
France  s'écroulaient.  Le  Bourgeois  de  Paris  observe  que  «  ce  fut 
grand  dommage  ))  de  démolir  cette  tour,  «  car  elle  estoit  très 
belle,  haulte  et  forte,  et  estoit  appropriée  à  mettre  prisonniers, 
gens  de  grand  renom  ».  Un  tel  donjon  n'était-il  pas  plus  utile 
que  le  «  logis  de  plaisance  »  qui  devait  le  remplacer  ? 


20  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

22.  Ce  fut  aux  chantiers  de  Fontainebleau  que  les  Italiens 
s'installèrent  en  vainqueurs.  A  ce  palais,  tel  qu'on  le  voit  au- 
jourd'hui, plusieurs  siècles  ont  collaboré,  en  sorte  que  nous  ne 
savons  pas  bien  sur  quel  plan  on  l'avait  conçu,  au  temps  où 
François  i^^  en  avait  ordonné  la  construction  (1528)  «  pour  soy 
aller  esbattre,  a  cause  que  le  lieu  et  pays  est  beau  ».  Une  chose 
paraît  sûre,-  c'est  que  les  plus  excellentes  parties  de  cet  édifice 
incohérent  appartiennent  à  sa  période  primitive.  Sébastien  Ser- 
lio  assuma,  durant  quelques  années,  la  direction  des  travaux. 
C'était  un  savant  artiste,  un  homme  loyal  et  libéral.  Philibert 
de  l'Orme,  qui  l'avait  fréquenté  à  Rome,  constate  qu'il  était  «  de 
fort  bonne  âme  »,  car  il  se  plaisait  à  faire  profiter  les  autres  de 
ses  découvertes  et  beaux  secrets.  Il  fut  l'ami  de  Jean  Martin 
et  de  Jean  Goujon,  qui  l'admire  comme  (f  ayant  esté  le  commen- 
cement de  mettre  telles  doctrines  [de  Vitruve]  en  lumière  au 
royaume  ».  Marguerite  de  Navarre  lui  accorda  (6  décembre  1541) 
une  pension  annuelle  de  cent  écus  d'or.  Serlio,  vers  la  fin  de  sa 
vie,  alla  s'établir  à  Lyon.  Il  y  connut,  dit-on,  la  misère,  et  il 
lui  fallut  vendre  ses  manuscrits  pour  payer  l'impression  du  grand 
ouvrage  où  les  résultats  de  son  expérience  restent  consignés.  Il 
mourut  en  1552,  non  à  Lyon,  mais  à  Fontainebleau. 

23.  Le  palais,  à  cette  date,  avait  déjà  usé  plus  d'un  archi- 
tecte. Le  Rosso,  de  Florence,  que  les  nôtres  appelaient  maître 
Roux,  s'était  complu  à  couvrir  le  monument  de  mille  décorations 
à  la  fois  éclatantes  et  tourmentées.  L'invention  surabondante 
de  ce  génie  séduisait  le  roi,  qui  prodigua  au  Rosso  les  dons,  les 
titres.  Valet  de  chambre,  intendant  des  bâtiments,  chanoine  de 
la  Sainte-Chapelle,  bien  payé,  bien  en  cour  et  exerçant,  sur  les 
arts,  une  sorte  de  dictature,  qu'avait-il  encore  à  désirer  ?  Mais 
sa  carrière,  qui  fut  assez  courte,  s'acheva  tragiquement  (1541). 
—  Alors  le  Bolonais  Primatice  régna  à  son  tour  à  Fontaine- 
bleau, et  reçut,  lui  aussi,  des  abbayes  et  des  pensions.  Il  com- 
mença par  détruire  en  partie  les  œuvres  de  son  prédécesseur, 
auxquelles  il  substitua,  selon  la  méthode  qu'il  tenait  de  son  maî- 
tre, Jules  Romain,  de  larges  compositions  à  l'antique.  Une 
pléiade  d'artistes  travaillait  sous  ses  ordres,  et  Fontainebleau 
devint  une  véritable  école,  une  manière  de  a  petite  Rome  ». 

24.  Longue  serait  la  liste  des  peintres  que  François  i^^  a  em- 
ployés. Ce  fut  grâce  à  lui  et  à  Marguerite  que  Jean  Clouet,  dit 
Janet  ou  Johannet,  originaire  des  Flandres,  put  faire  chez  nous 
sa  fortune.  Son  fils  François,  né  à  Tours  en  1522,  hérita  du 
talent,  du  surnom  et  (1540)  des  titres  et  offices  paternels.  Il 
excellait  dans  les  portraits  ;  fidèle  observateur  de  la  vie,  il 
l'exprimait  directement  et  d'une  façon  intense.  Sa  gloire  lut 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  21 

grande,  il  eut  de  flatteuses  amitiés,  et  Ronsard  [Blanchemain,  I, 
i^6]V  appelle  mon  J  an  et.- — Mais  l'influence  flamande  ou  française 
ne  pouvait  guère  lutter,  à  la  cour,  avec  celle  des  Italiens.  Songez 
que,  parmi  ceux  qui  furent  aux  gages  du  roi,  on  compte  Léonard 
de  Vinci  et  Andréa  del  Sarto.  Il  est  bien  vrai  que  l'un  mourut 
dans  les  premières  années  du  règne,  et  que  l'autre,  s'étant  rendu 
coupable  envers  le  maître,  dut  le  quitter  :  toutefois,  à  défaut 
de  nombreux  ouvrages,  leurs  deux  noms  suffisent  à  illustrer  cette 
époque  et  ce  milieu. 

35.  A  son  tour,  accourant  comme  vers  la  terre  promise,  Ben- 
venuto  Cellini  franchit  les  monts.  En  celui-là  est  vraiment  incar- 
née la  Renaissance.  Il  veut  tout  savoir  et  peut  tout  faire.  Flû- 
tiste éminent,  poète  à  ses  heures,  bon  soldat  à  l'occasion,  archi- 
tecte, sculpteur,  fondeur,  ciseleur,  orfèvre,  invincible  à  l'escrime, 
cavalier  accompli,  il  jette  sur  le  monde  un  regard  de  maître, 
grince  des  dents,  met  la  main  à  sa  dague  dès  qu'on  lui  résiste, 
et  pense  ce  que  les  rois  disent  :  Cay  tel  est  notre  plaisir...  Intel- 
ligence passionnée,  âme  trépidante  et  sans  frein,  il  tire  sa  force 
d'un  orgueil  monstrueux  :  ses  patrons  eux-mêmes  ne  le  font  pas 
céder  ;  il  traite  en  égaux  les  papes  et  les  ducs,  discute  leurs  or- 
dres, repousse  leurs  conseils,  accueille  insolemment  les  menaces, 
et  abonde  en  ripostes  flamboyantes.  Il  soulève,  à  chaque  pas, 
une  nuée  d'ennemis  :  mais,  loin  de  l'abattre,  l'adversité  décuple 
son  énergie,  alimente  sa  gaieté,  et  le  rend  encore  plus  ingénieux. 
C'est  qu'il  a  confiance  en  son  étoile,  et  se  croit  prédestiné.  Son 
ange  gardien  lui  apparaît,  lui  parle,  et  Dieu  même  lui  envoie 
des  visions.  Lorsqu'il  arrive  en  France,  il  a  juste  quarante  ans, 
et  son  existence  offre  déjà  autant  d'aventures  qu'il  en  faudrait 
pour  remplir  un  roman  en  plusieurs  tomes  :  intrigues  d'amour, 
faveur  et  disgrâce,  chefs-d'œuvre  créés  en  se  jouant,  fêtes  et  mas- 
carades, querelles  et  agressions  nocturnes,  siège  soutenu  au 
Château-Saint-Ange,  une  cruelle  captivité,  puis  cette  si  fameuse 
évasion,  —  tel  est,  à  vol  d'oiseau,  le  passé  de  Cellini.  Son  voyage 
même,  de  Rome  à  Fontainebleau,  présente  maintes  péripéties. 
Mais  il  débarque  frais  et  fringant  ;  ses  infortunes  ne  l'ont  pas 
touché  ;  il  a  confiance,  il  est  sûr  de  lui.  D'abord,  il  prie  le  roi 
d'accepter  l'aiguière  qu'il  lui  apporte  ;  ensuite  il  se  met  à  la 
besogne,  et  produit  presque  à  la  fois  (il  lui  restera  du  temps 
pour  s'amuser  de  bien  des  façons)  une  immense  salière  d'or  ; 
un  Jupiter  d'argent  ;  la  nymphe  appuyée  sur  un  cerf  qui  devait, 
à  Fontainebleau,  orner  l'une  des  portes  du  palais  ;  une  coupe 
qu'il  destine  à  la  duchesse  d'Etampes,  mais  qu'il  donne  au  car- 
dinal de  Lorraine,  et  beaucoup  d'autres  moindres  ouvrages  que 
lui  commandent  dames  ou  seigneurs.  Il  rêve,  en  outre,  une  fon- 


22  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

taine  monumentale,  et  commence  un  «  grand  colosse  »,  si  grand 
même  que  sa  tête  suffit  à  abriter  les  rendez-vous  d'un  des  élèves 
de  Cellini. 

26.  Voilà,  sur  les  artistes  qui  entouraient  François  i^^,  un 
aperçu  très  rapide.  Les  noms  que  j'ai  cités  ont  été  choisis  parmi 
les  plus  significatifs,  et  rien  n'eût  été  plus  facile  que  d'allon- 
ger cette  liste.  On  s'étonnera,  peut-être,  de  n'y  pas  voir  figurer 
trois  hommes  dont  le  génie  a  jeté  un  vif  éclat  :  Pierre  Lescot, 
Philibert  de  l'Orme  et  Jean  Goujon.  C'est,  d'abord,  que  la 
meilleure  période  de  leur  activité  appartient  aux  règnes  sui- 
vants ;  c'est,  ensuite,  qu'ils  n'ont  guère,  jusqu'à  l'avènement 
de  Henri  II,  travaillé  que  pour  l'Église  ou  pour  des  particuliers. 
François  I^^"  approchait  de  sa  fin  lorsqu'il  signa  (3  août  1546) 
la  commission  de  Lescot  comme  aichitecte  du  Louvre.  Philibert 
de  l'Orme  fut  au  service  de  Paul  III,  et  construisit  (1536)  l'hô- 
tel d'Antoine  Bullioud,  avant  d'être  distingué  par  le  roi,  qui 
le  fit,  contre  toute  attente,  <(  inspecteur  des  côtes  de  Bretagne  ^'. 
Quant  à  l'inimitable  Jean  Goujon,  c'est  à  Rouen  qu'il  avait 
débuté.  Nous  l'y  voyons,  en  1540-1541,  bâtir  le  piédestal  des 
orgues  de  Saint-Maclou  et  sculpter  la  porte  de  cette  église.  Des 
quittances,  qui  le  qualifient  «  tailleur  de  pierres  et  masson  », 
nous  le  montrent,  un  peu  plus  tard,  installé  à  Notre-Dame  de 
Rouen  où  il  exécute,  moyennant  trente  livres,  la  statue  de 
Georges  II  d'Amboise.  Il  va,  enfin,  à  Paris,  et  là,  collaborant 
avec  Lescot,  il  affirme  sa  maîtrise  par  im  bel  ouvrage,  le  jubé 
de  Saint-Germain-l'Auxerrois  (1544-5).  Ainsi  Jean  Goujon  et 
de  l'Orme  mirent  assez  longtemps  à  obtenir  la  faveur  du  prince, 
et  il  leur  fallut,  en  attendant,  chercher  une  moins  haute  protec- 
tion. Nous  verrons  qu'ils  surent  la  trouver. 

27.  Mais  passons  maintenant  aux  écrivains  qui  vécurent  au- 
près de  François  I^^  ou  furent,  de  loin,  soutenus  par  lui.  Ici 
encore  nous  allons  rencontrer  bon  nombre  d'Italiens.  Le  plus 
célèbre  est,  sans  doute,  Luigi  Alamanni,  qui  nous  est  actuelle- 
ment bien  connu  grâce  à  l'étude  que  M.  Hauvette  lui  a  consa- 
crée. —  On  doit  citer  ensuite  Benedetto  Tagliacarne  (Theocre- 
nus)  qui  fit  chez  nous  une  rapide  fortune.  Précepteur  du  dau- 
phin François  et  de  Henri,  duc  d'Orléans  (1524),  évêque  de 
Grasse  en  1535,  il  a  laissé  divers  ouvrages,  parmi  lesquels  il  con- 
vient de  noter  ses  «  Poemata  »,  qui  parurent  en  1536,  l'année 
même  où  (18  octobre)  il  mourait  à  Avignon.  —  Nous  savons 
aussi  que  ce  fut  le  roi  qui  engagea  Balthazar  Castiglione  à  ter- 
miner ce  livre  du  Cortegiano,  où  l'on  rencontre  souvent  son 
éloge,  et  qui  eut  un  immense  retentissement.  —  N'oublions  enfin 
ni  Giulio  Camillo  qu'imitèrent,  à  l'occasion,  Mellin  de  Saint- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  23 

Gelays  et  Joachim  Du  Bellay,  ni  le  Florentin  Niccolô  Martelli 
dont  le  séjour  en  France  (1543)  ne  fut  pas  exempt  d'amertume, 
ni  Gabriello  Simeoni.  Les  travaux  —  si  divers  !  — de  ce  der- 
nier, l'histoire  de  tout  ce  qu'il  tenta  pour  avoir  part  aux  bien- 
faits des  rois  François  et  Henri,  ses  rapports  avec  les  luthériens, 
puis  avec  les  savants  et  les  libraires  de  Lyon,  les  louanges  qu'il 
prodigua  au  Cardinal  de  Lorraine,  à  Hélène  de  Boisy  et  à  tant 
d'autres  exigeraient  un  ample  développement.  Bornons-nous  à 
dire  que  Simeoni  fut  lié  et  avec  Saint-Gelays  auquel  il  adressa 
(12  décembre  1550)  l'une  de  ses  lettres  familières,  et  avec  Clé- 
ment Marot,  dont  il  pleura  la  mort  en  un  sonnet  que  l'on  vou- 
drait plus  touchant. 

38.  Doit-on  ranger  Amomo  parmi  les  Italiens,  ou  croire  qu'il 
était  Français  et  l'identifier,  ainsi  que  l'a  fait  M.  Picot,  avec 
Jean  de  Maumont,  fils  de  Charles  de  Maumont  et  d'Anne  de 
Bourdeille,  tante  de  Brantôme  ?  Laissant  de  côté  cette  ques- 
tion, et  désignant  le  personnage  par  le  nom  qu'il  a  pris  (ou  qu'il 
avait),  rappelons  seulement  que,  né  vers  1505,  Amomo  sut  gagner 
la  confiance  des  puissants  et  l'affection,  aussi,  de  ses  confrères. 
Ami  et  protégé  de  Salel,  cultivant  tous  ceux  qui  pouvaient  le 
servir  (Jacques  Colin,  par  exemple),  il  a  publié  un  livre  de  vers, 
très  riche  en  adroites  flatteries.  Ce  recueil  placé  sous  le  patro- 
nage ou,  mieux,  sous  l'invocation  du  cardinal  Jean  de  Lor- 
raine, renferme,  outre  une  «  Favola  di  Piramo  e  Tisbe  »  et  main- 
tes pièces  qui  célèbrent  les  charmes  de  Charlotte  d'Hisca,  deux 
poèmes  vraiment  curieux  :  d'abord,  une  «  Selva  »,  dédiée  à 
François  P^,  où  se  trouvent  encensés  divers  auteurs  et,  notam- 
ment, Saint-Gelays  ;  ensuite,  sous  le  titre  de  Trionfo  délia  Bel- 
lezza,  une  sorte  de  fresque  où  figurent,  couronne  d'étoiles  autour 
du  roi,  les  plus  jolies  femmes  de  sa  cour.  Panégyrique  ingénieux  ! 
Les  souvenirs  de  la  mythologie  y  abondent,  et  l'auteur  a  donné 
un  air  antique  à  cet  Olympe  nouveau  et  profane.  La  beauté, 
ici,  ne  triomphe  pas  seule,  et  ce  qui  éclate  surtout,  c'est  l'art 
intéressé,  mais  captivant,  d' Amomo. 

29.  François  I^r,  on  le  voit,  a  fait  le  meilleur  accueil  aux 
écrivains  venus  d'Italie,  et  leur  a  même  si  libéralement  accordé 
emplois,  bénéfices  ou  pensions,  que  les  nôtres  s'en  sont  mon- 
trés jaloux,  et  ont  regardé  comme  une  plaie  l'invasion  de  ces 
sauterelles  d'outre-monts.  Le  roi,  pourtant,  n'a  jamais  refusé  ni 
les  encouragements  ni  les  récompenses  à  ses  propres  sujets,  et 
ce  fut  —  naturellement  —  à  eux  que  ses  faveurs  allèrent  de  pré- 
férence. Encore  qu'il  laissât  aux  auteurs  la  liberté  de  travailler 
à  leur  goût,  et  qu'il  payât  presque  aussi  bien  ce  qu'on  lui  offrait 
spontanément  que  les  œuvres  commandées  par  lui,  il  faut  lui 


24  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

rendre  cette  justice  qu'il  jouait  son  rôle  de  protecteur  avec  quel- 
ques idées  arrêtées  et  d'après  certains  principes.  Convaincu,  par 
exemple,  que  notre  langue  vulgaire  n'était  ni  assez  noble  ni 
assez  «  copieuse  »,  et  que  l'unique  moyen  de  l'enrichir  et  de 
rUlustrer,  c'était  de  traduire  les  livres  anciens,  il  a  poussé  les 
prosateiu-s,  les  poètes  à  entreprendre  des  traductions.  Par  son 
ordre,  Jacques  Colin  imprima  d'abord  (car  elles  étaient  restées 
manuscrites)  celles  de  Claude  de  Seyssel,  puis  en  publia  d'autres 
de  son  cru.  Ce  genre,  bientôt,  devint  à  la  mode,  et  chacun,  pour 
faire  sa  cour,  voulut  dédier  au  souverain  une  «  version  »  soit 
grecque,  soit  latine.  Hugues  Salel,  Amyot,  Marot,  Dolet,  Lazare 
de  Baïf,  Jacques  Peletier  s'attaquèrent  à  l'envi,  mais  non  pas 
avec  le  même  bonheur,  aux  plus  beaux  monuments  du  génie 
antique.  Les  résultats  dépassèrent,  je  crois,  l'espérance  qu'on 
avait  fondée  sur  ces  translations.  Très  utiles,  sans  doute,  à  la 
langue  nationale,  elles  mirent  à  la  portée  du  peuple  un  trésor, 
jusque-là  peu  accessible,  d'images,  de  pensées,  et  révélèrent  aux 
ignorants  un  merveilleux  instrument  de  culture.  François  l^^, 
parmi  ses  titres  de  gloire,  n'en  a  guère  de  plus  solide  que  celui- 
là,  et  ce  fut  un  souci  magnanime  que  d'avoir  tenu  à  partager 
également  entre  tous  l'héritage  de  la  Grèce  et  de  Rome. 

30.  Il  n'y  a  pas  lieu  d'exposer  ici  en  détail  ce  que  «  le  père 
des  lettres  «  a  fait  pour  chacun  de  ses  protégés,  la  suite  du  pré- 
sent volume  devant  fournir,  sur  ce  point,  d'assez  nombreux  ren- 
seignements. Mais  il  importe  de  savoir  que  nul  prince  n'eut  la 
main  plus  ouverte,  une  plus  naturelle  générosité.  Cet  art  si 
difficile  de  bien  donner,  François  I^^  même  aux  heures  de  crise 
politique  et  financière,  le  pratiqua  magistralement.  Il  ne  fut  pas 
de  ceux  qui  finissent,  à  bout  de  patience,  par  accorder  de  mau- 
vaise grâce  moins  qu'on  ne  leur  a  demandé.  Ses  présents  sui- 
vaient de  près  la  prière,  et  la  devançaient  parfois.  Surprendre  et 
ravir  les  solliciteurs  en  allant  au  delà  de  leur  désir  lui  semblait 
un  privilège  royal.  Et  puis  //  ajoutait  le  sourire,  augmentait,  par 
une  bonne  parole,  la  valeur  de  l'argent,  et  soulignait  l'intention 
morale  et  cordiale  de  ses  bienfaits.  Non  content  de  multiplier, 
pour  les  auteurs  et  les  artistes,  ces  charges  de  valets  de  chambre 
qui  leur  permettaient  juste  de  \àvre,  il  cherchait  les  occasions 
de  leur  être  utile,  favorisait  le  cumul  des  fonctions,  provoquait 
des  aubaines  inattendues.  Ce  serait  peu  de  dire  qu'il  a  bien  traité 
ceux  qui  lui  plaisaient  davantage  :  il  les  a  comblés. 

31.  On  verra  plus  loin  que  Marot  a  reçu  de  lui,  outre  sa  pen- 
sion annuelle,  de  magnifiques  cadeaux  :  cent  écus  d'or  soleil,  une 
maison...  — Et,  pour  Cellini,  que  n'a-t-il  pas  fait  ?  Il  tâche, 
d'abord,  de  lui  concilier  l'indulgence  du  pape  Paul  III  qui  le 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  25 

tient  en  prison,  puis,  dès  que  Benvenuto  arrive  en  France,  il  lui 
offre,  après  un  court  débat,  autant  qu'avait  eu  Léonard  de 
Vinci,  sept  cents  écus  par  an,  presque  une  solde  de  grand  sei- 
gneur. Or,  ce  n'est  là  qu'un  commencement.  Bientôt,  le  château 
du  Petit-Nesle  est  livré  par  le  roi  à  Cellini,  afin  qu'il  y  installe 
ses  ateliers.  Il  s'établit  sur  l'heure,  jette  à  la  rue  divers  artistes 
qui  occupaient  les  dépendances  de  ce  domaine,  et,  notamment, 
un  fabricant  de  salpêtre,  dont  il  prend  d'assaut  le  logis  et  réduit 
en  miettes  tous  les  meubles.  François  I^^"  approuve  cette  vio- 
lence, n'écoute  pas  les  plaintes  de  l'homme  ainsi  lésé  (un  pro- 
tégé, pourtant,  de  la  duchesse  d'Étampes),  et  donne  raison  à 
l'Italien.  Il  lui  confère,  sans  nulle  requête  de  sa  part,  des  lettres 
de  naturalité  (juillet  1542),  le  titre  de  seigneur  du  Petit-Nesle, 
et  lui  cède  par  acte  authentique  (15  juillet  1544)  le  terrain  d'un 
jeu  de  paume  attenant  à  ce  château.  Plusieurs  fois,  il  rend  visite 
à  l'artiste,  le  regarde  travailler,  cause  avec  lui  familièrement, 
et  l'appelle  mon  ami.  Craignant  qu'il  ne  quitte  son  service,  il  ne 
lui  ménage  pas  les  promesses,  s'engage  à  le  nommer  abbé  de 
quelque  grosse  abbaye,  et  lui  jure  qu'il  le  noiera  dans  l'or. 

32.  Pourquoi  non  ?...  Noyés  dans  l'or  et  comme  accablés  des 
grâces  du  prince,  d'autres  ne  l'avaient-ils  pas  été  ?  Voyez  Jac- 
ques Colin  et  Luigi  Alamanni.  Ce  dernier  n'a  eu  qu'à  tendre  la 
main  pour  recevoir.  S'il  voulait  des  titres,  on  ne  les  lui  refusait 
pas  ;  s'il  souhaitait  de  l'argent,  il  affluait.  En  novembre  1531, 
on  le  prie  d'accepter  quinze  cents  livres  ;  l'année  suivante,  on 
lui  accorde  mille  écus  soleil,  somrne  énorme  pour  l'époque  ;  rien 
n'est  plus  ordinaire,  en  son  histoire,  que  des  cadeaux  de  cette 
sorte,  et  François  P^  se  plaît  à  renoncer,  en  sa  faveur,  à  une 
part  de  ses  biens  :  il  lui  abandonne  successivement  les  revenus 
d'une  terre,  dite  «  le  jardin  du  roi  »,  auprès  d'Aix,  —  les  reve- 
nus «  de  la  chatellenie,  terre  et  seigneurie  de  Tullins  »,  —  «  tout 
le  revenu,  proufict  et  esmolument  de  nostre  terre  et  seigneurie 
de  Castellane  »  (26  février  1541)...  Voilà  bien  des  revenus.  Ajou- 
tez qu'Alamanni  est,  en  cette  même  année,  chargé  d'une  am- 
bassade à  Venise.  Il  ira  aussi  à  Gênes  pour  les  affaires  de  son 
maître,  et  l'on  peut  affirmer  qu'il  ne  perdait  pas  sur  ces  voyages. 
Soucieux  de  son  intérêt,  il  ne  néghgeait  pas  non  plus  l'avance- 
ment de  sa  famille.  Battista,  son  fils,  obtint  l'abbaye  de  Belle- 
ville,  en  attendant  les  évêchés  de  Bazas  et  de  j\Iâcon  qui  lui 
furent  donnés  après  la  mort  de  François  pi". 

33.  Certes,  la  générosité  de  ce  roi  est  l'un  des  traits  remar- 
quables de  sa  physionomie,  et  le  rend  fort  sympathique.  Mais 
sa  principale  originalité  ne  consiste  pas  en  cela.  Ce  qui  le  dis- 
tingue, je  crois,  de  tous  ceux  qui  ont  porté  une  couronne,  c'est 


26  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

d'avoir  été  quelquefois  du  parti  des  novateurs.  Il  ne  manquait 
pas  de  gens  pour  lui  dire  que  les  huguenots  méditaient  le  ren- 
versement du  trône  ;  que  les  libres  penseurs  mèneraient  la  France 
à  l'anarchie,  et  que,  si  l'on  touchait  à  la  religion  de  l'État,  ferme 
colonne  de  l'édifice  politique,  tout  allait  crouler  du  même  coup... 
Mais  ces  noirs  présages  ne  le  troublaient  que  de  loin  en  loin  ;  il 
les  écartait,  d'ordinaire,  comme  dictés  par  un  pessimisme  insi- 
dieux, et  offrait,  de  la  sorte,  à  ceux  qui  jugeaient  solidaires  l'in- 
térêt de  l'Église  romaine  et  le  sort  de  la  monarchie,  le  spec- 
tacle d'un  souverain  hostile  à  sa  propre  cause,  et  qui  s'enrôlait 
dans  l'opposition.  De  fait,  les  réformés,  les  indépendants,  les 
libertins,  tous  ceux  qu'un  Louis  XIV  voudra  ou  convertir  ou 
proscrire,  parce  qu'il  verra  en  eux  les  ennemis-nés  de  sa  puis- 
sance et  du  bon  ordre,  François  I^^",  du  moins  à  certaines  heures, 
les  a  défendus  contre  les  persécutions,  reçus  à  la  cour  avec  hon- 
neur. 

34.  Cela  ne  prouvait  point  qu'il  fût,  comme  l'en  accusaient 
les  papistes,  trop  peu  soucieux  de  son  autorité.  Jamais  per- 
sonne, au  contraire,  n'a  été  plus  royaliste  que  ce  roi,  et  sa  con- 
duite assez  souvent  tolérante,  c'est  l'égoïsme  qui  l'explique  en 
partie.  Je  sais  bien  que  l'âme  de  François  I^^"  n'était  pas  natu- 
rellement cruelle,  qu'il  estimait  barbares  l'esprit  et  les  mœurs 
du  moyen  âge  ;  que  les  idées  neuves  ne  l'effrayaient  point,  et 
qu'il  devait,  en  conséquence,  accueillir  sans  haine  l'hétérodoxie  : 
mais  s'il  a  soutenu  parfois  l'hérétique  et  le  dissident,  ce  fut 
encore  pour  d'autres  motifs.  Aussi  éloigné  que  possible  du  zèle 
des  vrais  chrétiens,  les  opinions  qui  déchiraient  l'Église  le  lais- 
saient, au  fond,  presque  indifférent,  et  il  ne  demandait  pas  à 
ceux  qui  lui  étaient  utiles  ou  qui  l'amusaient  selon  quelles  règles 
ils  servaient  Dieu.  Ses  fluctuations  religieuses  ont  suivi  la  courbe 
de  son  ambition  ;  il  ne  songea,  en  flattant  tour  à  tour  catholi- 
ques et  luthériens,  qu'à  plus  de  gloire  personnelle,  qu'au  meil- 
leur profit,  et  il  a  ménagé  la  Réforme  comme  il  faisait  alliance 
avec  les  Turcs. 

35.  La  psychologie  d'un  tel  personnage  —  si  puissant,  si  vo- 
lontaire,... si  faible  —  est,  on  le  voit,  très  complexe,  et  il  arrive 
qu'on  ne  démêle  pas  facilement  les  raisons  de  ses  actes.  Mais  les 
actes  sont  là,  indiscutables,  et  ils  attestent  que,  plus  d'une  fois, 
il  a  penché  vers  le  <(  nouvel  Évangile  ».  C'était  Marguerite  de 
Navarre  qui,  non  sans  trembler  de  lui  déplaire,  l'inclinait  dou- 
cement de  ce  côté,  tantôt  plaidant  elle-même  la  cause  qui  lui 
était  chère,  tantôt  seivant  d'intermédiaire  entre  les  Réforma- 
teurs et  le  roi.  Il  a  connu  par  elle  quelques-unes  des  rêveries 
mystiques  de  Guillaume  Briçonnet  ;  elle  lui  communiqua  les 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  27 

livres  de  Lefèvre  d'Étaples,  les  idées  de  Gérard  Roussel,  et  obtint 
de  lui,  à  diverses  reprises,  le  salut  de  ces  précurseurs  ;  elle  son- 
gea enfin  à  faire  venir  en  France,  tant  pour  convaincre  son  frère 
que  pour  confondre  la  Sorbonne,  d'illustres  apôtres  étrangers  ; 
elle  espérait  que  son  «  bon  cousin  »,  M.  de  Haute-Flamme  (le 
comte  Sigismond  de  Hohenlohe,  doyen  du  chapitre  de  Stras- 
bourg), montrerait  à  François  I^^"  la  voie,  la  vérité,  et  ce  fut 
elle  encore  qui  conseilla,  comme  Jean  Du  Bellay,  le  voyage  à 
Paris  de  Philippe  Mélanchthon  (1535).  Ces  projets  n'aboutirent 
pas  :  mais  il  reste  certain  que  le  roi  les  avait  approuvés,  donnant 
ainsi  confiance  aux  luthériens.  Dès  lors  on  s'explique  qu'ils  aient 
longtemps  compté  se  l'attacher  de  tout  point.  Même  à  l'heure 
où  il  se  montrait  leur  bourreau,  ils  gardaient  l'illusion  d'un  revi- 
rement possible,  et  Calvin  lui  dédie  son  Institution  de  la  religion 
chrestienne  (23  août  1535)  juste  à  l'époque  où  le  prince  conserve 
de  l'affaire  des  placards  un  ressentiment  qui  le  rend  féroce.  Je 
n'ignore  pas,  lui  dit  Calvin,  que  ton  cœur  est  maintenant  «  des- 
tourné et  aliéné  de  nous,  j'adj  ouste  mesme  enflambé  :  toutefois 
je  pense  que  nous  pourrons  regaigner  sa  grâce  ».  Aussi  bien, 
écrit-il  ailleurs,  si  l'Église  de  Christ  est,  aujourd'hui,  déchirée 
et  foulée,  cela  est  «  advenu  par  la  tyrannie  d'aucuns  Pharisiens, 
plustost  que  de  ton  vouloir  ». 

36.  Calvin  se  trompe,  car  le  roi,  après  l'affaire  des  placards, 
s'était  mis  de  lui-même  à  haïr  et  à  persécuter  les  luthériens  ; 
mais  la  conduite  qu'il  avait  tenue  envers  eux  auparavant  auto- 
risait les  espérances  du  réformateur,  et  il  ne  pouvait  oublier  que 
la  cour  de  France  avait  longtemps  offert  aux  dissidents  asile  et 
protection.  Nombreux  furent,  en  effet,  ceux  que  François  \^^ 
arracha  à  la  prison  ou  disputa  à  la  mort.  J'ai  déjà  cité  Lefèvre 
d'Étaples  et  Roussel  qu'il  a  énergiquement  soutenus  ;  on  verra 
plus  loin  ce  qu'il  a  fait  pour  Marot  et  pour  Dolet.  Ce  sont  là 
de  notables  exemples  de  sa  bonté  :  mais  ce  qui  la  caractérise 
mieux  encore,  c'est  la  façon  vigoureuse  dont  il  défendit  Louis 
de  Berquin. 

37.  Curieux  personnage  que  celui-là  !  Bien  que  né  à  Passy, 
il  était,  comme  Calvin  et  Lefèvre,  d'origine  picarde,  descendait 
d'une  race  noble,  et  portait  le  titre  d'écuyer.  Le  Bourgeois  de 
Paris,  qui  ne  l'aime  pas  (il  n'aime,  ce  Bourgeois  vraiment  bour- 
geois, que  ceux  qu'il  peut  comprendre),  et  qui  applaudit  à  ses 
malheurs  avec  une  barbarie  ingénue,  constate  qu'il  était  «  moult 
grand  clerc,  expert  en  science  et  subtil  »  ;  qu'il  tirait  de  u  ses 
terres  et  possessions  »  environ  cinq  cents  livres  de  rentes  ;  qu'il 
était  ordinairement  couvert  de  «  robbes  de  veloux,  satin  et  da- 
mas »,  et  qu'il  portait  au  cou  une  chaîne  d'or.  Manifestement, 


28  CLÉMENT    WAROT    ET    SON    ÉCOLE 

le  Bourgeois  n'arrive  pas  à  s'expliquer  pourquoi  cet  homme  si 
bien  vêtu,  et  qui  avait  de  quoi  vivre,  a,  comme  un  pauvre  dia- 
ble, risqué  sa  peau  pour  une  idée,  et  embrassé  le  mart3n:e  au 
lieu  de  prospérer  tranquillement.  Cette  abnégation  anormale 
paraît  avoir  surpris  et  scandalisé  toutes  les  bonnes  têtes  du 
parlement  et  de  la  Sorbonne.  Nul  n'a  été  traqué  avec  plus  de 
rage  que  ce  mauvais  riche  qui  se  mêlait  d'être  un  apôtre  ;  on 
l'eût  excusé  davantage  s'il  n'avait  eu  rien  à  perdre,  et  l'on  espé- 
rait, par  son  supplice,  donner  une  meilleure  leçon  qu'en  brûlant 
des  gens  de  peu.  Lui,  il  n'ignorait  pas  l'acharnement  de  ses 
ennemis,  les  risques  terribles  qu'il  courait  :  mais  il  persistait, 
en  lettré  et  en  gentilhomme,  à  répandre  l'erreur  de  Luther.  Let- 
tré, il  traduisait,  il  divulguait  les  livres  d'Érasme  ;  gentilhomme, 
il  jouait  sa  vie  ainsi  que  sur  un  champ  de  bataille.  Son  hérésie 
n'était  pas  tremblante  ;  loin  de  pâlir  au  tribunal  ou  de  chercher, 
par  des  concessions  et  des  excuses,  à  s'attirer  l'indulgence  ou 
la  pitié,  il  citait  en  justice  ses  juges,  les  provoquait  sur  leur 
siège,  et,  du  haut  de  son  innocence,  les  regardait  avec  mépris. 
Attitude  moins  sage  que  belle  !  Elle  consternait  les  partisans 
de  Louis  de  Berquin,  et  ils  reprochaient  sa  témérité  et  son  arro- 
gance à  cet  accusé  qui  tenait  plus  à  son  droit  qu'à  son  salut. 

38.  C'est  assez  dire  qu'il  devait  périr,  et  qu'il  demeura,  en 
attendant  la  catastrophe,  presque  toujours  emprisonné.  S'il  ne 
succomba  point  du  premier  coup,  s'il  prolongea  quelque  temps 
une  existence  précaire  et  menacée,  ce  fut  grâce  à  Marguerite  et 
à  son  frère,  qui  —  littéralement  —  l'enlevèrent  plusieurs  fois, 
et  de  force,  à  ses  geôliers.  Le  8  août  1523,  les  ouvrages  de  Ber- 
quin sont  brûlés  devant  l'église  Notre-Dame,  et  il  se  trouve 
en  danger  de  subir  le  même  sort  que  ses  livres,  lorsque  le  roi 
envoie,  pour  le  tirer  du  cachot  où  le  retient  l'évêque  de  Paris, 
«  son  cappitaine  Frédéric  et  des  archers  de  sa  garde  ».  Rendu  à 
la  liberté  par  cette  violente  intervention,  Berquin,  malgré  les 
conseils  d'Érasme  qui  supplie  son  traducteur  de  ne  pas  le  com- 
promettre, s'obstine  en  ses  imprudences,  et  rassemble  sur  lui  de 
nouveaux  nuages.  Profitant  de  la  captivité  de  François  I^^,  le 
parlement,  en  janvier  1526,  fait  arrêter,  à  Abbeville.  l'intraita- 
ble hérétique,  puis  ordonne  qu'il  soit  conduit  à  Paris,  puis  incar- 
céré à  la  Conciergerie  du  Palais.  Il  comparaît  alors  devant  une 
commission  extraordinaire,  fondée  par  le  pape  (20  mai  1525) 
et  composée  de  quatre  membres  que  la  cour  romaine  avait 
choisis.  L'inculpé,  cela  étant,  n'a  aucune  chance  d'échapper  : 
de  fait,  tandis  que  la  Sorbonne  (12  mars  1526)  censure  tout  ce 
qu'il  a  écrit,  le  tribunal  le  condamne  à  mort,  et  il  ne  reste  plus 
qu'à  procéder  à  l'exécution.  Mais  elle  n'aura  pas  lieu.  Margue- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  29 

rite  veille,  et  la  régente,  à  sa  prière,  ordonne  qu'on  attende  le 
retour  du  roi.  Celui-ci,  à  peine  revenu,  s'oppose  (i^r  avril)  à 
la  cruelle  sentence,  puis,  comme  les  chats  fourrés  gardent  étroi- 
tement leur  victime  à  la  Conciergerie  et  lui  refusent  même  l'ac- 
cès du  préau,  il  la  soustrait  brusquement  à  leurs  rancunes,  et 
commande,  en  novembre,  à  ses  archers  de  la  transférer  au  Lou- 
vre. —  Berquin,  une  fois  encore,  triomphait. 

39.  Pour  peu  de  temps...  Un  autre  serait  rentré  dans  l'om- 
bre, et  eût  soigneusement  gardé  le  silence.  Lui,  il  accusa  d'héré- 
sie (9  juillet  1527)  le  chef  de  ses  adversaires,  Béda,  et  se  retourna 
avec  véhémence  contre  ce  tribunal  d'exception  qui  l'avait  traité 
en  criminel.  Sa  protestation  fut  entendue,  et  Clément  VII  finit, 
à  la  requête  de  François  I^^",  par  établir  une  nouvelle  commis- 
sion, dont  tous  les  membres  étaient  laïques,  et  qui  comprenait 
quelques  amis  de  Berquin,  par  exemple  Guillaume  Budé.  Mais 
cette  victoire  des  libéraux  perça  le  cœur  des  ultramontains,  du 
farouche  Béda  et  de  ses  pareils.  Le  pape  reçut  des  plaintes  en- 
flammées, et  nous  savons,  par  une  lettre  anonyme  que  M.  Ro- 
main Rolland  a  publiée,  jusqu'où  allèrent  à  ce  moment  {i^^ 
juillet  1528)  la  colère  et  le  chagrin  des  catholiques.  Crevant  de 
douleur,  l'auteur  de  cette  épître  affirmait  que  le  saint-père  avait, 
en  cherchant  à  plaire  au  roi  de  France  dans  les  choses  de  la  foi, 
ouvert  —  et  toute  grande  —  la  porte  à  Luther  ;  que  le  diable 
en  personne  avait  conseillé  la  nomination  de  ces  juges  laïques, 
et  que,  si  on  ne  l'annulait  pas,  les  théologiens  n'auraient  plus 
qu'à  s'occuper  de  cuisine,  n'ayant  rien  à  faire  en  un  pays  qui 
serait,  avant  peu,  aussi  hostile  à  Rome  que  Tx^llemagne.  Ces 
alarmantes  prédictions  troublèrent  le  faible  Clément  VII  :  il 
crut  bon  de  détruire,  une  fois  encore,  son  propre  ouvrage,  et 
envoya  au  légat  Salviati  un  bref  qui  révoquait  la  seconde  com- 
mission. 

40.  Le  légat  fut  joyeux  mais  perplexe.  Il  lui  fallait,  mainte- 
nant, communiquer  le  bref  à  François  I^i",  et  il  hésitait  beau- 
coup, sentant  qu'il  allait  être  mal  accueilli,  et  que  l'entrevue 
serait  pénible.  Elle  le  fut,  en  effet,  et  plus  même  qu'il  ne  l'avait 
craint.  Le  roi,  indigné  de  cette  ingérence  du  pape  dans  les  affaires 
civiles  de  l'État,  ordonna  à  Salviati  de  «  ne  présenter  le  bref 
pour  rien  au  monde  ».  Ensuite  il  déclara  qu'il  reconnaissait,  en 
ce  revirement  du  saint-siège,  l'influence  des  premiers  juges,  les 
théologiens,  et  que,  s'il  avait  la  preuve  de  leur  intervention,  il 
les  ferait  aussitôt  mettre  aux  galères.  Il  ajouta,  enfin,  que  leurs 
sentences  lui  semblaient  iniques,  et  que,  selon  ce  qu'il  avait 
appris,  «  Berquin  n'était  pas  coupable  ».  Qu'on  ne  s'étonne  point 
d'entendre  François  I*^'"  parler  ce  langage  vigoureux.  A  l'heure 


30  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

OÙ  il  s'exprimait  ainsi,  il  croyait,  observe  j\I.  Romain  Rolland, 
être  encore  puissant  en  Italie  et  n'avoir  aucun  besoin  de  Clé- 
ment VII.  Mais  il  sortait  à  peine  de  sa  conférence  avec  le  légat 
lorsqu'un  courrier  vint  lui  annoncer  l'événement  le  plus  désas- 
treux :  Lautrec  était  mort,  et  le  siège  de  Naples  était  levé  (15 
août  1528).  Cette  catastrophe  changea  la  politique  royale  ;  il 
fallut  se  rapprocher  du  pape,  le  ménager,  sacrifier  Louis  de 
Berquin...  Son  étoile,  décidément,  pâlit,  et  sa  vie  si  agitée  et 
tragique  touche  à  son  terme. 

41.  On  peut  se  demandei  si  la  protection  accordée  par  Fran- 
çois I«^  à  certains  libéraux  découlait  uniquement  d'une  sympa- 
thie individuelle  pour  quelques  personnes  de  ce  parti,  ou  bien 
si  c'était  le  parti  lui-même  qu'il  voulait  défendre,  l'approuvant 
en  général  et  cherchant,  en  vue  de  son  propre  avantage  et  de 
l'intérêt  public,  à  lui  donner  gain  de  cause.  La  question  n'est 
pas  facile  à  trancher.  Que  ce  prince  ait  aimé  en  Clément  Marot, 
par  exemple,  l'amuseur  et  non  le  novateur,  c'est  là  un  fait  de 
toute  évidence  ;  mais  lorsque,  au  contraire,  il  institue  le  corps 
des  lecteurs  royaux  (disons  le  Collège  de  France,  quoique  le 
XVI^  siècle  ne  se  soit  jamais  servi  de  cette  appellation),  il  se 
propose  très  clairement  de  ruiner  la  Sorbonne,  citadelle  de  l'in- 
tolérance et  de  la  sottise  scolastiques,  et  d'établir,  sur  les  débris 
des  traditions  périmées,  le  temple  de  la  vraie  et  de  la  libre  science. 

42.  Je  prévois  les  deux  graves  objections  qu'on  va  me  faire  : 
d'autres  pays  avaient  déjà  songé  à  des  créations  de  ce  genre  ; 
l'idée  de  les  imiter  chez  nous  n'appartient  pas  à  François  I^^". 
Il  est  indén'able,  en  effet,  que,  dès  le  siècle  précédent,  Venise 
avait  eu,  grâce  à  Bessarion,  une  école  réservée  à  des  élèves  venus 
de  Grèce  ;  que  Léon  X  avait  (en  1515)  fondé,  lui  aussi,  un  ms- 
titut  destiné  aux  jeunes  Grecs  qui  devaient  propager  leur  langue 
dans  l'Italie  ;  que,  de  1498  à  1508,  le  cardinal  Ximénès  avait 
institué  la  riche  université  d'Alcalâ  de  Henarès,  où  prospéra 
longtemps  l'humanisme,  et  qu'enfin,  pour  ces  raisons,  le  projet 
d'ouvrir  à  Paris  des  cours  de  latin,  de  grec  et  d'hébreu  n'offrait, 
à  la  date  où  on  le  forma,  rien  de  bien  original. 

43.  Et  il  'aut  reconnaître,  d'autre  part,  que  si  le  roi  consentit 
—  lentement  et  non  sans  peine  —  à  jeter  les  bases  du  Collège 

de  France,  il  a  obéi  en  cela  aux  patientes  suggestions  tant  de 
Marguerite  de  Navarre  que  des  plus  notables  érudits.  Son  con- 
fesseur, Guillaume  Petit,  Jacques  Colin,  l'évêque  Etienne  Pen- 
cher et,  avec  une  foi  tenace  et  ardente,  Guillaume  Budé  le  sup- 
plièrent, pendant  treize  ans,  d'accomplir  cette  œuvre  glorieuse. 
Leurs  prières  le  trouvaient  tantôt  très  résolu,  tantôt  assez  froid, 
et  il  se  bornait,  selon  sa  coutume,  à  des  commencements  d'exé- 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  31 

cution.  Il  chargea,  dès  151 7,  le  polyglotte  Agostino  Giustiniani, 
évêque  de  Nebbio,  de  professer  l'hébreu  à  Paris  ;  puis  il  songea 
à  faire  venir  Érasme  en  France  et  à  lui  confier  a.  direction  de 
l'établissement  encore  à  naître  ;  puis  il  créa  (1520)  un  collège 
de  jeunes  Grecs  à  Milan,  et  le  confia  à  Lascaris;  puis  il  ne  pensa 
plus  à  Lascaris  ni  à  ses  élèves,  oublia  d'envoyer  de  l'argent,  et 
pe:dit  de  vue  (1522-1529)  l'ample  dessein  qu'il  s'était  engagé 
à  accomplir.  Ce  fut  en  1529  que,  dans  la  préface  de  ses  Commen- 
iarii  linguae  gyaecae,  Budé  lui  rappela  ses  engagements  en  termes 
énergiques  et  sur  un  ton  de  reproche.  François  1^"^,  du  coup, 
s'exécuta,  et,  après  avoir  annoncé  des  intentions  grandioses,  il 
finit  par  instituer  à  petit  bruit  quelques  chaires.  Les  leçons  sem- 
blent avoir  commencé  dès  1530.  La  première  pièce  officielle  que 
nous  possédions,  celle  du  27  mars  1531,  concerne  les  honoraires 
des  lecteurs  et  non  leur  fondation. 

44.  Oui,  tous  ces  faits  sont  incontestables,  et  ils  diminuent 
sensiblement  le  mérite  de  François  I^r.  Mais  ce  mérite  demeure 
très  grand.  Si  le  roi  ne  s'est  pas  spontanément  avisé  d'ériger 
le  collège  dont  nous  parlons,  il  a,  du  moins,  suivi  les  conseils 
qu'on  lui  donnait  à  cet  égard,  et  s'il  a  mis  trop  longtemps  à  se 
résoudre,  encore  est-il  parvenu  à  faire  ce  qu'on  attendait  de 
lui.  Or,  ce  qu'on  lui  demandait,  c'était,  il  ne  l'ignorait  point, 
un  acte  hardi  et  sans  précédent.  Entre  le  corps  des  lecteurs  et 
les  écoles  d'Italie,  d'Espagne,  créées  vers  la  même  époque,  il 
n'existe,  en  réalité,  que  des  rapports  extérieurs.  Les  tendances, 
l'esprit  ne  sont  pas  les  mêmes.  Léon  X  avait-il,  en  favorisant 
l'hellénisme,  l'arrière-pensée  d'affaiblir  le  parti  papiste  ?  L'in- 
quisiteur Ximénès,  les  mains  rouges  du  sang  des  Juifs  et  des 
Maures,  espérait-il,  par  son  université,  répandre  les  doctrines 
libérales  et  briser  la  tyrannie  qui  accablait  l'âme  humaine  ? 
Non,  sans  doute.  Il  voulait  préparer  des  savants,  non  des  apô- 
tres ;  il  prétendait  orner  l'intelligence,  non  l'émanciper.  Tout 
autre  est  le  plan  des  humanistes  qui  entourent  le  roi  de  France. 
Ils  comptent,  en  enseignant  le  grec  et  l'hébreu  qui  sont,  d'après 
la  Sorbonne,  «  langages  d'heretiques  »  [Marot,  G.  III,  290],  prou- 
ver la  fragilité  et  l'arbitraire  de  la  théologie  du  moyen  âge,  dis- 
cuter les  titres  du  catholicisme  romain,  dissiper  les  ombres  mys- 
tiques dont  on  s'est  plu  à  couvrir  les  Écritures  et  amener,  de 
la  sorte,  l'ère  des  libres  opinions  et  de  la  foi  consentie.  Bref,  leur 
collège,  à  eux,  sera  une  Antisorbonne,  une  machine  de  guerre. 
Ils  disent  au  roi  :  «  Donnez-nous  des  armes.  »  Il  les  leur  donne, 
et,  s'ils  triomphent,  ils  lui  devront  leur  victoire. 

45.  N'est-ce  pas  lui,  en  efïet,  qui  choisit  ou,  du  moins,  dési- 
gne les  membres  du  nouveau  musée  ?...  Or,  les  maîtres  qu'il 


32  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

accepte  et  va  pa3'er  de  son  argent,  ils  s'appellent  Danès,  Jacques 
Toussaint,  François  Vatable,  Oronce  Finet,  Paul  Paradis,  Bar- 
thélémy Le  Masson  (Latomus),  Guillaume  Postel.  Ce  sont  là 
de  grands  noms,  et  vénérables.  Protégés  de  Marguerite  d'An- 
goulême,  amis  de  Lefèvre  d'Étaples  ou  d'Érasme  et  de  Budé, 
tous  ces  personnages,  à  cette  date  (Danès,  plus  tard,  évolua), 
se  montrent  s}Tnpathiques  à  la  Réforme,  soutiennent  des  idées 
avancées,  et  aspirent  à  détruire  l'étroit  dogmatisme  médiéval. 
Voilà  pourquoi  la  «  trilingue  et  noble  Académie  »  [Marot,  G. 
III,  289],  ces  cours  largement  ouverts  à  qui  voulait,  sans  frais 
d'études,  et  professés  par  des  gens  qui  se  passaient  de  la  «  li- 
cence »  et  des  grades  officiels,  excitèrent,  chez  les  libéraux,  au- 
tant de  joie  que  d'enthousiasme.  Mais,  pour  les  mêmes  raisons, 
les  partisans  du  passé  furent  pleins  d'indignation,  de  douleur, 
et  la  Sorbonne  travailla  à  rendre  la  vie  dure  aux  lecteurs  royaux. 
Dès  le  30  avril  1530,  elle  condamna  leur  institution  comme  témé- 
raire, hérétique  et  scandaleuse.  Vers  la  fin  de  1533,  Vatable,  Para- 
dis, Danès  et  Agathias  Guidacerius  ayant  annoncé,  au  moyen 
d'une  affiche,  les  leçons  qu'ils  se  proposaient  de  faire,  la  Faculté 
de  théologie  chargea  son  syndic  Noël  Béda  —  homme  convaincu, 
mais  à  la  fois  aveugle  et  forcené  —  d'aller  demander  au  par- 
lement d'interdire  l'interprétation  des  textes  hébraïques  et 
grecs  jusqu'à  ce  que  la  Faculté  eût  donné  la  permission  de  les 
commenter  publiquement.  Les  lecteurs  résistèrent,  et  l'affaire 
se  plaida  le  10  janvier  1534. 

46.  Quel  fut  l'arrêt  de  la  cour  ?  Nous  l'ignorons.  Il  ne  dut 
pas,  la  chose  est  évidente,  répondre  aux  souhaits  de  la  Sor- 
bonne, car  les  maîtres  qu'elle  dénonçait  continuèrent  leur  ensei- 
gnement, et,  souvent  persécutés,  préparèrent  d'héroïques  lettres 
de  noblesse  au  futur  Collège  de  France.  François  I^^,  en  fondant 
cette  école  indépendante  et  en  trouvant  moyen,  parmi  tant 
d'obstacles,  de  la  faire  subsister,  s'est  montré  vraiment  un  grand 
roi,  et  je  regarde  l'histoire  de  cette  création  comme  la  conclu- 
sion naturelle  des  quelques  lignes  que  j'ai  consacrées  aux  goûts 
artistiques  de  ce  prince  et  à  la  façon  dont  il  a  soutenu  la  cause 
des  novateurs.  Au  reste,  je  n'ai  pu,  dans  ce  qui  précède,  lui 
rendre  entière  justice.  Pour  retracer  tout  ce  qu'il  y  eut  en  lui 
de  louable,  il  eût  fallu,  non  content  de  le  considérer  du  point 
de  vue  littéraire,  peindre  le  gentilhomme  qu'il  fut,  le  paladin 
aux  gestes  splendides.  Personne  ne  s'affirmait,  sans  effort  et 
d'instinct,  plus  chevaleresque,  ;  sa  conduite  envers  l'ennemi  du 
dehors  le  révélait  à  la  fois  magnanime  et  plein  de  bravoure  ; 
désigné  aux  coups  par  sa  haute  taille,  la  richesse  et  l'éclat  de 
ses  armes,  il  risquait  joyeusement  sa  vie  comme  un  soldat  de 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  33 

fortune,  et  il  conviendrait  donc  de  le  contempler  plutôt  à  la 
guerre  que  dans  sa  cour  pour  bien  savoir  tout  ce  qu'il  valait. 

47.  En  somme,  dans  les  divers  rôles  joués  par  lui,  il  a  montr/' 
d'excellentes  parties...  On  voudrait,  après  lui  avoir  décerné  cet 
éloge,  s'en  tenir  là,  ne  point  ternir  cette  image  si  flatteuse  du  roi. 
de  la  Renaissance,  laisser  croire  aux  lecteurs  qu'il  mérite  un 
panégyrique  sans  restrictions.  Mais  il  n'en  va  pas  ainsi.  La  belle 
médaille  a  son  revers,  et,  regardé  sous  un  autre  jour,  ce  prince, 
que  nous  avons  vu  admirable,  nous  paraîtra  un  assez  pauvre 
homme,  violent  et  faible  (cela  marche  ensemble),  et  fort  peu 
digne  d'être  estimé.  Tel  est  le  point  qu'il  s'agit  de  traiter  main- 
tenant. Mais,  avant  de  faire  connaître  ce  que  l'on  doit  blâme" 
chez  François  I^^^  q  sera  juste  d'alléguer  l'excuse  qu'il  aurait  pu 
donner.  Et  la  voici  :  il  a  été  l'objet  d'une  idolâtrie  qui  eût,  sans 
doute,  tourné  des  têtes  plus  saines  que  la  sienne,  et  il  lui  eût 
fallu  la  sagesse  de  Marc-Aurèle  ou  la  piété  de  saint  Louis  po^or 
résister  à  tant  d'adulation  et  ne  pas  se  juger  un  demi-dieu,  un 
être  au-dessus  de  la  morale,  qui  n'avait  que  des  droits  et  point 
de  devoirs. 

48.  Négligeons  —  bien  qu'énormes  et  délirantes  —  les  flat- 
teries que  lui  ont  prodiguées  les  écrivains,  ce  grand  nombre  de 
poèmes,  ces  mille  préfaces  ou  dédicaces  qui  le  représentent  dé- 
passant en  vertu,  en  vigueur  et  en  beauté  tous  les  héros  de  Plu- 
tarque  et  tout  l'Olympe  païen  :  ces  platitudes,  d'ailleurs  tradi- 
tionnelles, n'étaient  pas  de  nature  à  le  griser,  et  il  aurait  pu  se 
rappeler  la  fable  du  corbeau  et  du  renard  en  respirant  un  encens 
qui  brûlait  à  ses  frais  sur  son  autel.  Mais  ses  intimes,  ses  pro- 
ches, ceux  qui  avaient  le  droit  de  lui  parler  sans  se  prosterner 
au  préalable  et  de  ne  pas  déguiser  la  vérité  entièrement,  cons- 
piraient eux-mêmes  avec  les  courtisans,  et  ne  lui  ménageaient 
pas  les  actes  d'adoration.  Louise  de  Savoie,  son  ange  noir,  l'ap- 
pelait tantôt  son  César  pacifique,  tantôt  son  triomphant  César, 
et  avait  pour  lui  une  complaisance  plus  que  maternelle.  Mar- 
guerite, qui  fut  cependant  son  bon  génie,  Marguerite,  d'ailleurs 
si  clairvoyante,  lui  avait  voué  un  culte  aveugle  ;  persuadée  qu'il 
planait  au-dessus  des  autres  hommes,  elle  s'exprimait,  en  s'a- 
dressant  à  lui,  avec  une  admiration,  une  soumission  tellement 
ferventes  et  passionnées  qu'elles  ont  (bien  à  tort  !)  paru  suspec- 
tes, comme  plus  convenables  à  une  amante  qu'à  une  sœur. 

49.  La  vertu  de  la  reine  de  Navarre  ne  saurait  être  mise  en 
cause,  et  discutera  qui  voudra  la  frêle  et  fâcheuse  hypothèse  de 
M.  Génin  !  Mais  on  doit  reconnaître  que  nul  ne  lira,  sans  éprou- 
ver un  étonnement  pénible,  une  sorte  de  malaise,  les  lettres  de 
Marguerite  à  son  frère.  Vraiment,  c'est  trop,  et  sa  vénération, 

Clément  Marot  et  son  ôcole  3 


34  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

sa  tendresse  approchent  de  la  manie.  Ah,  dit-elle  au  roi,  mon 
unique  bonheur  en  ce  monde,  c'est  de  me  trouver  auprès  de 
vous  !  Ke  me  refusez  donc  pas,  à  côté  de  votre  litière,  une  petite 
<(  place  de  laquais  ».  Plutôt  que  de  ne  point  vous  voir,  je  renonce- 
rais au  sang  royal  «  pour  estre  chamberière  de  vostre  lavan- 
dière )).  Plusieurs  fois  (en  prose,  en  vers,)  elle  le  nomme  son 
Christ,  sans  remarquer  le  ridicule  ni  le  scandale  de  cette  assi- 
milation... François  pr  a-t-il  daigné  lui  écrire  quelques  mots  ? 
Ce  sont  alors  des  transports  de  joie,  une  gratitude  agenouillée, 
et  l'on  croirait  que  ce  qu'elle  a  reçu  provient  du  mont  Sinaï. 
Le  billet  que  le  roi  m'a  envoyé  ne  bougera  jamais  de  dessus  moi, 
et  je  le  porterai  comme  reliques.  Pourquoi  non  ?  Elles  opèrent, 
ces  lettres  royales,  des  miracles.  Rien  qu'en  entendant  lire  l'une 
d'elles,  Henri  de  Navarre  guérit  de  la  colique.  Louise  de  Savoie, 
qui  a  la  main  enflée,  constate,  dès  qu'on  lui  donne  d'heureuses 
nouvelles  de  son  iils,  que  cette  main  n'ose  plus  lui  faire  mal. 
Marguerite,  grâce  à  des  épîtres  de  ce  second  Messie,  voit  dis- 
paraître en  un  clin  d'œil  un  «  desvoyement  d'estomac  »,  ou 
bien,  durant  une  grossesse,  elle  se  sent  légère  merveilleusement. 
L'enfant  qu'elle  porte  s'émeut  lui-même,  et  remonte  si  haut 
qu'il  semble  vouloir  ouïr  ce  qu'a  tracé  la  «  grant  main  »  de  ce 
m.aître  chéri  et  redouté.  Après  avoir  conté  ce  prodige,  la  «  très 
humble  sœur  »  ajoute  ce  vœu  :  a  Dieu  me  doint  grâce  que...  je 
puisse  accoucher  de  chose  qui  puisse  estre  pour  le  service  de 
vous  et  des  vostres  !  » 

50.  Un  tel  souhait  nous  invite  à  penser  qu'elle  aime  beaucoup 
plus  son  frère  que  son  mari,  que  ses  enfants.  Cette  préférence, 
du  reste,  elle  ne  la  cache  pas,  elle  la  proclame  même,  et  s'en  fait 
gloire.  Durant  la  maladie  qui  lui  enleva  son  premier  mari,  le 
duc  d'Alençon,  elle  écrit  au  roi  :  Je  vous  supplie  de  ne  pas  vous 
en  donner  ennui.  Une  autre  fois,  elle  lui  déclare  (Jeanne  d'Albret 
avait  failli  mourir)  qu'elle  n'eût  pas  trouvé  —  elle,  la  mère  !  — 
raisonnable  de  le  tourmenter  «  pour  si  peu  de  chose  que  la  mala- 
die de  sa  fille  »,  et  qu'elle  n'avait,  d'ailleurs,  cessé  d'espérer  la 
guérison,  gardant  toujours  «  cette  ferme  foy  que  ceux  qui  vous 
aiment  et  que  vous  faites  l'honneur  d'aimer  ne  sauroient  périr  ». 
Au  moment  de  se  rendre  à  la  cour  de  France,  elle  proteste  que 
ce  qui  l'attire,  ce  n'est  pas  sa  fille  (elle  résidait  alors  près  de 
son  oncle),  et  elle  s'écrie  :  «  Vous  me  feriez  bien  grand  tort. 
Monseigneur,  si  vous  pensiez  que,  au  prix  de  celuy  [le  désir] 
que  j'ay  de  vous  voir,  mary  ni  enfant  ne  feussent  riens.  »  Voilà 
qui  est  clair.  Et  non  moins  explicite  est  cette  autre  lettre  où, 
parlant  des  fils  de  François  pr  elle  assure  qu'elle  n'aimera 
jamais  û  tant  ceux  on  clic  a  portes  que  le  mioindre  d'eux  i>. 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  35 

51.  Mais  de  tels  propos,  dira-t-on,  ne  peuvent  être  sincères  ; 
celle  qui  les  tenait  a  pris,  par  jeu  ou  par  intérêt,  plaisir  à  dé- 
passer la  mesure  ;  il  n'y  a  là  qu'une  affectation  innocente  au 
fond,  quoique  choquante,  et  l'auteur  de  ces  phrases  outrées 
et  contre  nature  n'exprimait  point  ses  vrais  sentiments...  Er- 
reur !  Le  culte  du  nouveau  «  Christ  «  a  été  la  folie  de  la  sage 
Marguerite,  sa  réelle  hérésie,  et  on  aurait  eu,  en  dépit  de  sa 
piété  admirable,  le  droit  de  lui  reprocher,  comme  Arnauld  d'An- 
dilly  à  la  marquise,  d'être  «  une  jolie  païenne  >•,  et  de  se  faire  une 
idole  dans  son  cœur.  Lorsqu'elle  se  vantait  d'immoler  à  cette 
idole  les  plus  instinctives  affections  de  la  femme,  elle  ne  men- 
tait pas,  elle  n'exagérait  pas  ;  les  sacrifices  qu'elle  se  déclarait 
prête  à  faire,  elle  les  a  faits,  le  moment  venu,  et  l'histoire  de  sa 
vie  est  là  pour  nous  le  prouver. 

52.  Les  intérêts  de  son  mari  lui  ont  paru  négligeables  chaque 
fois  qu'ils  ont  contrarié  l'ambition  de  son  frère.  Celui-ci,  crai- 
gnant que  Henri  de  Navarre  ne  fiançât  Jeanne  d'Albret  à  un 
prince  espagnol,  l'enleva,  alors  qu'elle  était  encore  toute  jeune, 
à  ses  parents,  et  la  garda,  réservée  à  sa  propre  politique,  dans 
le  château  du  Plessis-lez-Tours.  La  mère  ne  se  plaignit  point, 
et  se  résigna,  semble-t-il,  aisément.  Plus  tard,  François  I^^  réso- 
lut de  marier  sa  nièce  (elle  avait  à  peine  douze  ans)  à  Guillaume 
de  La  Mark,  duc  de  Clèves,  de  Berg  et  de  Juliers.  La  France 
gagnait  à  cette  union  autant  que  la  Navarre  risquait  d'y  per- 
dre. Comme  le  duc  de  Clèves  était  à  la  fois  ennemi  de  l'empereur 
et  luthérien,  François  I^i"  espérait,  en  le  faisant  entrer  dans  sa 
famille,  se  servir  de  lui  contre  Charles-Ouint  et  se  concilier  les 
bonnes  grâces  de  toute  l'Allemagne  réformée.  Le  calcul,  sans 
doute,  était  juste  en  soi.  Mais  Henri  de  Navarre  comptait,  lui, 
sur  une  alliance  espagnole  pour  recouvrer  ses  terres  d'au-delà 
les  monts,  la  moitié  de  son  royaume  perdue  en  1512.  Qu'on 
juge,  en  conséquence,  de  sa  colère  et  de  sa  douleur  lorsqu'il 
connut  le  projet  de  son  beau-frère  !  La  petite  princesse,  de  son 
côté,  montrant  déjà  une  âme  décidée  et  volontaire,  répétait 
qu'elle  aimerait  mieux  se  jeter  dans  un  puits  que  d'épouser 
un  simple  duc  étranger,  en  sorte  que  Marguerite  se  trouvait  en 
face  de  cette  très  cruelle  alternative  :  agir  contre  sa  fille  et  son 
mari  ou  irriter  ce  frère  qu'elle  adorait. 

53.  Il  y  eut  des  scènes  violentes.  Henri,  qui  accusait  sa  femme 
d'être  la  cause  de  cet  embarras,  annonçait  l'intention  de  se 
venger  d'elle,  jurant  qu'il  lui  ménageait  une  mauvaise  vieillesse. 
Mais,  surpris  de  sentir  une  résistance,  François  \^^,  d'autre  part, 
commença  à  gronder,  impérieux.  Et  aussitôt,  ne  voyant  plus 
que  lui,  sa  sœur  (plus  sœur  que  mère)  n'eut  qu'un  désir,  une 


36  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

idée  :  lui  obéir.  D'abord,  elle  lui  écrivit  une  longue  lettre  vrai- 
ment servile  où  elle  le  suppliait  —  car  son  courroux  donne  la 
mort  à  elle  et  aux  siens  —  de  leur  rendre  la  vie  en  leur  rendant 
son  affection,  et  de  prendre  en  pitié  une  pauvre  femme  «  oultrée 
de  douleur  »  par  la  révolte  de  son  enfant.  Ensuite,  elle  commanda 
à  la  gouvernante  de  Jeanne,  Aimée  de  La  Fayette,  baillive  de 
Caen,  d'employer,  pour  contraindre  son  élève  à  épouser  le  duc 
de  Clèves,  entre  autres  arguments,  les  verges.  Et  cet  ordre  fut 
exécuté.  Dans  les  protestations  qu'elle  signa  contre  cette  union 
qu'on  lui  avait  imposée,  Jeanne  d'Albret,  duchesse  malgré  elle, 
raconte  que  la  baillive  de  Caen  lui  disait  :  Si  vous  ne  cédez  pas, 
vous  serez  «  tant  fessée  et  maltraictée  »  que  l'on  vous  fera 
mourir.  Par  de  tels  moyens  et  à  ce  prix,  le  mariage  finit  par 
avoir  lieu  (14  juin  1541,  d'après  de  Ruble).  Et  voilà  qui  prouve 
—  n'est-ce  pas  ?  —  que  Marguerite  n'a  menti  ni  lorsqu'elle  d''- 
clarait  à  son  frère  :  mes  enfants,  en  comparaison  de  vous,  ne 
me  sont  rien,  ni  lorsqu'elle  lui  écrivait  :  que  ne  puis-je,  pour 
votre  service,  0  mettre  au  vent  la  cendre  de  mes  os  !  » 

54.  Comment  un  homme  qu'on  plaçait  sur  un  si  haut  piédes- 
tal, et  que  même  ses  parents,  ses  familiers  contemplaient  avec 
respect  et  tremblement,  n'aurait-il  pas  été  amené  à  croire  que 
tous  ses  caprices  étaient  sacrés,  que  nul  n'avait  le  droit  de  juger 
ses  actes,  et  qu'on  ne  pouvait,  sans  se  rendre  coupable  d'im- 
piété et  de  blasphème,  lui  adresser  la  moindre  critique  ?  Aussi 
n'a-t-il  été  bon  que  pour  ceux  qui,  loin  de  le  discuter,  l'abor- 
daient ainsi  qu'un  Jupiter  armé  de  la  foudre,  et  ne  se  risquaient 
dans  le  temple  qu'en  récitant  les  litanies  du  dieu.  Il  traitait  en 
criminels  les  mécontents,  et  montrait  aux  satiriques  une  sévé- 
rité implacable.  J'ai  déjà  dit  [I,  §  499]  qu'il  oubUa  trois  longues 
années  dans  leur  prison  les  auteurs  et  les  imprimeurs  de  quel- 
ques libelles  relatifs  aux  charges  qui  accablaient  le  peuple.  Mais 
la  rigueur  de  François  I"  est  attestée  par  d'autres  exemples. 
En  février  1524,  un  religieux  bénédictin,  Jean  Josse,  qui  avait, 
en  ses  prédications,  blâmé  «  la  pollice  mauvaise  »  du  royaume, 
est  enfermé  à  la  Conciergerie,  et  y  reste  jusqu'au  20  mars  1525. 
Et  plus  triste  encore  est  l'histoire  de  messire  Cruche,  prêtre 
et  «  grand  fatiste  ».  Il  avait  fait  représenter,  sur  la  place  Mau- 
bert,  «  certains  jeux  et  novalitez  »  qui  censuraient  le  luxe  des 
courtisans  et,  chose  plus  grave,  les  amours  du  maître.  Les  allu- 
sions n'étaient  que  trop  claires  :  on  voyait  là  une  salamandre 
(le  roi)  assidue  auprès  d'une  poule  (la  fille  de  Le  Coq,  conseiller 
au  parlement),  capable  de  perdre  dix  hommes  (Jacques  Disome, 
le  mari  trompé).  Ces  calembours  faciles  coûtèrent  cher  au  fa- 
tiste. Huit  ou  dix  jeunes  seigneurs  l'attirèrent  (avril  1515)  dans 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  37 

un  guet-apens,  et,  après  l'avoir  mis  en  chemise,  le  battirent  de 
sangles  «  merveilleusement  )>.  Il  eut  bien  de  la  peine  à  obtenir 
de  ne  pas  être  jeté  à  la  Seine.  Un  sac  était  là,  tout  préparé... 
Le  Bourgeois  de  Paris,  qui  relate  cette  scène  sauvage,  assure 
que  les  bourreaux  du  pauvre  Cruche  avaient  été  envoyés  par 
le  roi. 

55.  Dès  lors,  nous  distinguons  nettement  la  qualité  et  les 
limites  de  sa  tolérance.  Parce  que  les  questions  religieuses  le 
laissaient  assez  indifférent,  il  eût  volontiers  permis  à  chacun 
de  publier  librement  son  opinion,  quand  il  ne  s'agissait  que  de 
Dieu.  Son  vrai,  son  seul  Dieu,  c'était  lui-même.  A  ses  yeux,  il 
n'y  avait  qu'une  hérésie  :  ne  pas  le  croire  infaillible,  et  quicon- 
que lui  disait,  comme  sa  sœur  Marguerite  [Génin,  II,  45],  Fiat 
voluntas  tua  !  lui  paraissait  bien  pensant.  Mais  si  l'on  osait, 
par  contre,  ne  pas  être  de  son  avis,  si  l'on  s'opposait  tant  soit 
peu  à  ce  qu'il  avait  résolu,  aussitôt  la  fureur  envahissait,  trans- 
portait son  âme  orgueilleuse  et  immédiate  ;  il  voyait  rouge  et 
songeait  à  de  brutales  vengeances.  Dès  qu'on  lui  eut,  par  exem- 
ple, appris  que  Jeanne  d'Albret  refusait  le  duc  de  Clèves,  sa 
colère  éclata,  épouvantable  ;  il  accusa  ceux  qui  entouraient  l'en- 
fant de  l'avoir  mal  conseillée,  écouta  à  peine  leurs  protestations, 
puis  s'écria,  hors  de  lui  :  «  Assez  !  Assez  !  Je  jure  Dieu  que  j'en 
ferai  couper  des  têtes  !  »  Le  sang  ne  coula  point  cette  fois  :  mais 
l'affreuse  affaire  des  placards  est  là  pour  nous  montrer  jusqu'où 
ses  mouvements  de  rage  effrénée  ont  pu  conduire  François  1*^^. 
S'il  devint,  alors,  sans  pitié,  ce  n'était  pas  qu'il  fût  bien  sensi- 
ble au  tort  que  les  affiches  luthériennes  risquaient  de  causer  à 
la  Vierge  Marie,  au  culte  des  saints  et  à  la  messe.  Non,  ce  n'était 
pas  là  ce  qui  le  touchait,  et  si  de  tels  intérêts  avaient  été  seuls 
en  jeu,  il  ne  les  aurait  guère  pris  à  cœur.  D'autres  raisons  le 
poussèrent  à  sévir  :  d'abord,  la  crainte,  car  on  lui  peignit  les 
hérétiques  en  factieux  ;  ensuite,  la  rancune  personnelle,  parce 
qu'on  avait  eu  l'insolence  de  coller  un  des  placards  en  question 
sur  la  porte  même  de  sa  chambre.  Il  jugea  impardonnables  ce 
crime  de  lèse-majesté  humaine,  cet  outrage  qui  l'atteignait,  lui, 
et  voilà  comment  le  père  des  arts  fut  amené  à  abolir  un  moment 
l'imprimerie  (13  janvier  1535),  à  remplir  Paris  de  hideux^ sup- 
plices et  à  déployer  une  si  «  exécrable  »  rigueur  qu'elle  eut  le 
privilège  sans  précédent  de  scandaliser  le  pape. 

56.  Dominé  par  de  fougueux  désirs,  mais  attaché  peufde 
temps  aux  mêmes  choses,  François  I^r  était  difficile  à  manier. 
Ni  maîtresses  ni  favoris  ne  pouvaient  se  vanter  de  plaire  tou- 
jours à  cet  homme  absolu  et  mobile  qui  délaissait,  à  la  façon 
des  enfants,  les  jouets  qu'il  avait  aimés  le  mieux.  C'était  de  lui 


33  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

qu'on  aurait  dû  dire  :  Fol  qui  s  y  fie  !  Il  ressemblait  jusqu'à  un 
certain  point  à  ces  califes  des  Mille  et  une  nuits  dont  l'humeur 
était  si  fantasque  qu'on  ne  savait  pas,  lorsqu'ils  vous  mandaient 
au  divan,  si  c'était  pour  vous  faire  empaler  ou  pour  vous  offrir 
une  robe  d'honneur,  une  bourse  de  mille  dinars.  Sans  doute  on 
n'avait  pas  à  craindie,  à  la  cour  de  France,  d'aussi  extrêmes 
vicissitudes  :  mais  l'accueil  reçu  la  veille  n'était  pas  une  garan- 
tie pour  le  jour  d'après,  et  tel  qui  avait  quitté  le  prince  affable 
et  tout  souriant  le  retrouvait  bientôt  méconnaissable,  la  voix 
menaçante  et  «  l'œil  obscur  »  [Marot,  G.  III,  302].  Ces  change- 
ments ont  encore  une  autre  cause  que  celles  dont  je  viens  de 
parler.  On  ne  les  explique  pas  entièrement  lorsqu'on  les  attri- 
bue à  ce  qu'il  y  avgit  à  la  fois  d'impérieux  et  de  faible  chez 
François  I®^  :  il  faut  y  ajouter  qu'il  aimait  pour  lui,  non  pour 
eux,  ceux  à  qui  il  semblait  tenir.  Leurs  mérites  ne  lui  étaient 
chers  qu'autant  qu'il  en  tirait  profit  ;  les  vertus,  les  talents 
qu'il  ne  pouvait  employer  n'avaient  aucune  valeur  à  ses  yeux  ; 
il  voulait  être  servi,  adulé,  amusé.  Ne  vous  trouvait-il  plus 
utile  ou  divertissant  ?  Il  vous  rejetait,  vous  ignorait,  vous  re- 
gardait comme  mort,  comme  n'ayant  même  jamais  vécu...  Et 
cela  revient  à  dire  qu'il  se  montrait  versatile  et  mal  sûr  parce 
qu'il  était  égoïste. 

57.  Égoïste  à  fond,  naïvement,  royalement  !  —  Il  a,  en  con- 
séquence, abusé  de  son  pouvoir,  et  s'est  placé  au-dessus  de  ces 
maximes  d'honnêteté  courante  que  respectent  les  simples  par- 
ticuUers.  Estimant  incompatibles  les  restrictions  de  la  cons- 
cience et  l'exercice  de  l'autorité,  il  ne  s'est  pas  laissé  enchaîner 
par  les  scrupules,  et  personne,  autant  que  lui,  n'a  gardé  cette 
indépendance  du  cœur  que  le  vulgaire  nomme  ingratitude.  Aussi, 
parmi  ceux  qu'il  a  paru  aimer  ou  défendre,  n'en  voyons-nous 
aucun  (ou  presque)  dont  il  ne  se  soit  fatigué,  et  qu'il  n'ait  soit 
banni  de  sa  présence,  soit  abandonné  aux  coups  du  destin.  Je 
ne  citerai  pas  sa  maîtresse,  M^e  de  Chateaubriant,  qui  n'obtint 
pas  de  lui  un  mot  de  compassion,  alors  qu'elle  était,  à  ce  qu'on 
prétend,  livrée  à  la  longue  vengeance  de  son  mari.  Bien  que  tout 
ne  soit  pas  mensonge  dans  cette  histoire,  les  romanciers  l'ont 
trop  défigurée  pour  qu'on  puisse  en  faire  état.  Mais  à  ceux  qui 
voudront  accuser  François  P^"  d'avoir  eu  l'âme  naturellement 
infidèle,  les  preuves,  certes,  ne  manqueront  point.  N'a-t-il  pas 
tour  à  tour  opprimé  ou  protégé  les  luthériens  de  France,  selon 
qu'il  avait  besoin  du  pape  ou  des  protestants  d'Allemagne  ? 
N'a-t-il  pas  considéré  sa  sœur  Marguerite  et  son  beau-frère 
comme  des  instruments  de  sa  grandeur  ?  Ne  s'est-il  pas  sou- 
vent joué  d'eux  en  leur  promettant,  très  décidé  à  ne  pas  tenir 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  39 

parole,  de  leur  conquérir  la  Haute-Navarre  ?  Et  les  amis  de  sa 
jeunesse,  Anne  de  Montmorency  et  les  princes  lorrains,  n'ont-ils 
pas  connu  son  double  visage,  une  éclatante  faveur  que  la  dis- 
grâce suivit  ?  Cela  étant,  qu'on  ne  s'étonne  pas  de  voir  finir 
misérablement  les  apôtres,  les  écrivains  qui  attendaient  leur 
salut  de  ce  maître  plus  violent  que  ferme.  Longtemps  il  avait 
soutenu  Marot,  Berquin,  Etienne  Dolet  :  et  Marot,  pourtant, 
meurt  en  exil;  et  Berquin  monte  sur  le  bûcher  ;  et  Dolet  subit 
le  même  sort.  Que  conclure  sinon  que  François  I^r,  le  roi  gen- 
tilhomme, a,  sans  malice,  trahi  tout  le  monde,  et  que  son  orgueil 
compliqué  d'inconstance  fut  parfois  aussi  funeste  que  les  noirs 
calculs  d'un  méchant  ? 

58.  A  mesure  qu'il  vieillit,  il  écoute  davantage  les  conseils 
des  fanatiques,  et  se  résout  ou  se  résigne,  par  suite,  à  des  actes 
abominables.  Lui  qui  s'était  longtemps  refusé  à  persécuter  les 
Vaudois  de  Provence,  il  les  livre  enfin  à  leurs  ennemis,  lâche 
la  bride  au  parlement  d'Aix,  au  vice-légat  qui  ne  prêche 
qu'extermination,  au  cardinal  de  Tournon  qui  souffle  sur  le 
feu,  au  baron  d'Oppède,  une  bête  fauve.  Et  qui  s'agissait-il 
d'anéantir  ?  Des  brigands  ?  Des  révoltés  ?  Non,  un  petit 
peuple  innocent,  qui  vivait  dans  la  paix  et  le  travail,  et  deman- 
dait seulement  '|u'on  lui  permît  de  se  conduire  selon  la  pure 
morale  évangélique.  Et  voilà  pourquoi  le  bourg  de  Mérindol 
fut  saccagé  (i8  avril  1545)  ;  voilà  pourquoi  la  ville  de  Cabrières, 
qui  avait  ouvert  ses  portes  parce  qu'on  avait  juré  aux  habi- 
tants qu'on  respecterait  leurs  biens  et  leurs  personnes,  devint 
le  théâtre  de  scènes  atroces  ;  voilà  pourquoi  des  enfants, 
des  infirmes  furent  égorgés,  et  pourquoi  le  vice-légat  d'Avi- 
gnon, ayant  appris  qu'une  troupe  de  femmes  s'était  réfugiée 
dans  une  caverne,  les  y  fit  enfumer  comme  des  renards.  On 
aimerait  à  croire  que  le  roi  eut  horreur  de  ces  excès  et  qu'il 
désavoua  les  bourreaux.  Point.  Le  cardinal  de  Tournon  obtint 
de  lui  un  satisfecit  pour  le  d'Oppède  et,  par  lettres  patentes 
(18  août),  il  approuva  tout.  Bien  mieux,  il  était  prêt  à  conti- 
nuer, et  les  meurtres  ne  lui  coûtaient  plus  rien.  L'an  d'après, 
ce  fut  le  tour  de  la  si  vénérable  Église  de  Meaux.  En  cette  cité 
luthérienne,  quatorze  potences,  entourées  de  fagots,  furent  à 
la  fois  plantées  en  cercle,  et  on  y  attacha  quatorze  martyrs  qui, 
tandis  que  montait  la  flamme,  louaient  le  Seigneur  à  pleine  voix. 

59.  Oui  donc  reconnaîtrait  ici  le  roi  de  la  Renaissance  ?  Ou'est 
devenu  le  jeune  héros  de  Marignan,  ce  paladin  protecteur  des 
faibles,  l'ami  des  artistes,  des  novateurs  ?  Les  promesses  qu'il 
avait  données  au  monde,  il  ne  les  a  pas  tenues,  et  son  règne  qui 
s'était  annoncé  clément  et  très  libéral,  c'est  en  tyran  qu'il  l'a- 


40  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

chève.  Au  reste,  il  semble  avoir  eu  l'intuition  de  cette  déchéance 
et  le  regiet  d'être  sorti  d'un  rôle  qui,  joué  jusqu'au  bout,  l'au- 
rait fait  bénir  à  jamais.  C'est  peut-être  à  cela  qu'il  songe,  aux 
belles  tâches  qu'il  a  mal  remplies,  à  sa  vraie  vocation  qu'il  n'a 
pas  eu  la  force  de  suivre,  lorsque,  au  terme  de  son  existence, 
malade  et  lassé  de  tout,  il  erre,  fantôme  couronné  et  comme  se 
fuyant  lui-même,  de  place  en  place,  d'ennui  en  ennui.  Nous  le 
voyons  promener  çà  et  là  son  désœuvrement,  ses  souffrances  : 
il  va  de  La  Muette  à  Villepreux,  de  Villepreux  à  Dampierre  ; 
puis  il  visite  le  Limousin,  repart  bientôt  pour  allei  à  Loches, 
quitte  Loches  avec  le  projet  de  s'établir  à  Saint-Germain,  et 
s'arrête  en  route  à  Rambouillet.  C'est  sa  dernière  étape,  et  il 
meurt  là  (31  mars  1547).  Son  entourage  ne  le  pleura  guère  ; 
plusieurs  se  réjouirent  cyniquement.  Telle  Diane  de  Poitiers  qui 
trouvait  trop  lente  l'agonie  du  roi  ;  tels  ]\Iontmorency  et  les 
Loirains.  François  de  Guise  disait,  radieux  :  «  Il  s'en  va,  le 
galant  !  »...  Quant  à  l'héritier  du  trône,  il  déclarait,  lors  des 
funérailles  de  son  père,  qu'elles  lui  omTaient  —  à  lui,  le  fils, 
—  une  ère  de  «  félicité  >>. 

60.  Mais  si  les  siens  (excepté  Marguerite)  ne  regrettèrent  pas 
François  I^^,  il  laissa,  malgré  tout,  une  mémoire  honorée  ;  les 
vices  qu'il  avait  eus  et  le  mal  qu'il  avait  fait  parurent,  à  dis- 
tance, excusables,  et  l'on  se  rappela  de  préférence  ses  heures 
de  générosité,  l'amour  qu'il  montrait  pour  les  belles  choses  et 
le  zèle  intermittent  qui  le  poussait  à  défendre,  contre  le  par- 
lement et  la  Sorbonne,  les  Réformés,  les  indépendants.  Et  puis, 
il  y  avait  un  sûi  moyen  de  découvrir  en  lui  de  la  grandeur  et 
quelque  bonté  :  c'était,  on  le  devine,  de  le  comparer  à  ses  suc- 
cesseurs. Dès  qu'on  le  mettait  en  parallèle  avec  Henri  II,  qui 
avait  le  goût  et  l'intelligence  d'un  homme  de  sport,  avec  Charles 
IX,  ce  demi-fou,  ou  bien  ce  misérable  Henri  III,  on  le  procla- 
mait (comment  non  ?  )  admirable,  et  l'on  regardait  son  règne 
comme  un  âge  d'or.  Après  avoir  cékbré  les  progrès  de  la  langue 
et  de  la  pensée  françaises  au  XVI^  siècle,  Joachim  Du  Bellay 
ajoute  :  «  Mais  a  qui,  après  Dieu,  rendrons-nous  grâces  d'un  tel 
bénéfice,  si  non  a  nostre  feu  bon  roy  et  père  Francoys,  premier 
de  ce  nom  et  de  toutes  vertuz  ?  Je  4y  premier,  d'autant  qu'il 
a  en  son  noble  royaume  premièrement  restitué  tous  les  bons  ars 
et  sciences  en  leur  ancienne  dignité...  »  Ailleurs  (et  en  vers,  cette 
fois)  ce  même  écrivain  constate  que  François  P^  a  ramené  chez 
nous  la  tioupe  des  Muses,  et  que,  soleil  des  esprits,  il  leur  a 
enlevé  le  noir  bandeau  d'ignorance.  On  rencontre  souvent  chez 
les  autres  membres  de  la  Pléiade  de  pareilles  louanges.  Ronsard 
évoque  l'auguste  figure  du  prince  défunt,  de  ce  «  nourrisson  de 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  41 

Phebus  ))  qui,  semblable  à  Mercure,  avait  une  persuasive  élo- 
quence, et  connaissait  à  fond  «  les  secrets  de  la  terre  et  des 
cieux  ».  Les  Protestants  eux-mêmes,  qui  n'oubliaient  pourtant 
point  ce  qu'avaient  enduré  leurs  frères,  se  rappelaient  parfois 
avec  sympathie  le  fondateur  du  collège  trilingue,  le  frère  de 
Marguerite,  et  si  Calvin  le  nomme  Sardanapalus,  Théodore  de 
Bèze  glorifie  cet  «  amateur  des  bonnes  letties  »,  et  ne  s'étonne 
point  qu'on  lui  ait,  «  d'un  tacite  consentement  de  tous  »,  attribué 
le  titre  de  gra7id  :  tant  il  est  vrai  que,  désarmant  jusqu'à  ceux 
qui  auraient  pu  le  haïr,  François  I^r  est  resté  à  leurs  yeux  le 
principal  artisan  et  le  tuteur  de  la  Renaissance. 

61.  Non  content  de  pensionner  les  poètes,  il  a  voulu  aussi 
rivaliser  avec  eux,  et  a  trouvé  le  temps  de  composer  quelques 
œuvres  dont  il  faut  maintenant  nous  occuper.  Elles  sont  mani- 
festement siennes  ;  il  n'a  pas  dérobé  les  plumes  dc^  paons,  et 
nul  ne  fut  chargé,  moyennant  finance,  d'avoir  de  l'esprit  à  sa 
place  et  sous  son  nom.  La  véridique  leine  de  Navarre  parle 
souvent  de  sa  prose  élégante,  des  vers  qu'il  rimait,  et  nous 
savons  par  elle  que  personne  n'ignorait  ses  talents.  Marot  [G. 
n,  290]  nous  le  représente  s'appliquant  à  apprendre  les  règles 
des  belles  chansons,  et  Claude  Chappuys  exalte  la  «  doctrine  » 
de  ce  nouveau  César  qui  se  montre  non  seulement  invincible  à 
la  guerre,  mais  encore  «  orateur  »  inimitable  et  poète  de  valeur. 
Ce  sont  là  des  témoignages  concluants,  et  l'on  voit  que  si,  parmi 
les  pièces  qu'on  a  publiées  comme  étant  de  François  I^^",  cer- 
taines paraissent  appartenir  plutôt  à  son  milieu  qu'à  lui-même, 
plusieurs,  en  revanche,  (et  on  les  distingue  sans  trop  de  peine) 
furent  vraiment  faites  par  ce  prince,  qu'il  y  a  lieu,  dès  lors, 
d'étudier  en  tant  qu'écrivain. 

62.  Ses  œuvres  nous  prouvent  qu'il  était  bien  doué,  qu'il 
avait  le  sens  du  rythme,  une  facilité  agréable  et,  pour  un  ama- 
teur, assez  de  métier  et  d'expérience.  Les  défauts  de  ses  vers  pro- 
viennent de  ce  que  le  temps  lui  manquait  ;  il  les  rimait  en  se 
jouant,  à  la  hâte,  et  des  soucis  plus  graves,  plus  urgents,  ne 
lui  permettaient  pas  de  s'astreindie  au  minutieux  agencement 
des  mots.  Peut-êtie  aussi,  étant  gentilhomme,  pensait-il  qu'il 
devait  laisser  «  aux  malheureux  qui  composent  pour  vivre  » 
leurs  scrupules  professiionnels  et  cette  patiente  application  qu'on 
ne  saurait  avoii  sans  déroger.  Son  génie,  dont  les  flatteurs  ne 
lui  reconnaissaient  pas  le  droit  de  douter,  il  préférait  ne  le  tenir 
que  de  la  nature,  et  il  l'aurait  cru  moins  honorable  s'il  lui  avait 
coûté  quelque  travail. 

63.  Faute  d'avoir  pu  ou  d'avoir  voulu  limer  avec  diligence 
les  pièces  qu'il  produisait,  François  I®'"  n'a  rien  fait  de  réelle 


42  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

ment  accompli.  Pourtant  il  n'ignorait  point  les  règles  de  l'art 
qu'il  cultivait,  et  ce  n'était  que  par  nonchalance  ou  par  dédain 
qu'il  lui  arrivait  de  s'en  affranchir.  Il  avait  aussi  de  la  lecture, 
et  l'influence  de  l'antiquité  et  des  Italiens  est,  chez  lui,  très 
manifeste.  Mais  il  n'usait  pas  en  pédant  de  l'érudition  qu'il 
avait  acquise,  et  n'aimait  ni  les  allusions  ni  les  citations.  Je 
ne  vois  que  peu  de  passages  où  il  ait  soit  imité  de  façon  for- 
melle, soit  rappelé  des  textes  classiques.  Il  se  souvient  parfois 
de  l'Enéide,  tantôt  évoquant  le  Neptune  virgilien  et  son  Quos 
ego...  [p.  9],  tantôt  mentionnant  la  vierge  «  qui  Turnus  secou- 
rut »  [p.  70],  on  se  comparant  au  héros  troyen  qui  portait  son 
père  sur  ses  épaules  [p.  78].  Ailleurs,  il  reproduit  à  sa  façon  la 
phrase  inoubliable  de  Dante  : 

Et  lors  i'auray  pour  douleur  plus  amère 
Le  recorder,   au  temps  de  la  misère, 
Dô  1  heur  passé  de  ma  félicité   [p.  52] 

64.  Mais,  en  somme,  ce  qu'il  paraît  avoir  le  mieux  connu, 
ce  sont  les  idées  et  les  sentiments  qui  étaient  de  mise  à  son  épo- 
que. Il  ne  prétend  point,  ce  poète-roi  et  ce  roi  des  poètes,  don- 
ner le  ton  ;  il  n'impose  pas  ses  goûts  :  il  subit  ceux  qui  existent, 
et,  loin  de  s'appliquer  à  ouvrir  des  voies  nouvelles,  s'efforce  de 
suivre  docilement  celles  qu'il  trouve  déjà  tracées.  Il  tient  moins 
à  s'affirmer  or-'ginal  qu'à  se  montrer  averti.  Être  loué  comme 
bien  au  courant,  quoique  n'étant  pas  de  la  partie,  des  pensées 
qu'affectent  les  écrivains,  des  caractères  artificiels  que  doivent 
prendre  les  passions  pour  entrer  dans  la  littérature,  du  voca- 
bulaire spécial  auquel  les  gens  du  métier  sont  seuls  initiés,  voilà 
ce  à  quoi  il  vise.  Et  il  atteint  pleinement  et  sans  peine  le  but 
qu'il  s'est  fixé.  Les  vers  qui  nous  restent  de  lui  révèlent  un  homme 
du  monde  qui  possède  l'exacte  notion  des  procédés  qu'emploient 
les  auteurs,  des  tournures  de  style  propres  aux  différents  sujets, 
des  opinions  et  des  émotions  qu'il  s'agit  de  feindre,  quand  on 
veut  être  à  la  mode  du  jour,  représenter  son  temps  et  lui  plaire. 

65.  On  devine  les  résultats  qu'entraîne  ce  désir  de  se  plier 
aux  bienséances  de  l'heure  et  du  milieu.  Les  lieux  communs  foi- 
sonnent dans  les  œuvres  de  François  \^^,  et  c'est  surtout  lors- 
qu'il parle  d'amour  qu'il  veille  à  se  conformer  au  protocole  et 
aux  conventions  établies.  Cette  passion  de  l'amour,  la  plus 
spontanée  et  la  plus  naïve  qui  soit,  il  la  maquille,  l'altère  et  la 
complique  de  son  mieux,  car  il  sait  que  la  loi  du  genre  exige 
que  le  rimeur  courtois  n'exprime  rien  de  ce  qu'il  éprouve  réel- 
lement, et  ne  confie,  par  contre,  aux  lecteurs  que  des  sentiments 
qu'il  n'a  jamais  eus.  L'art  ne  consiste  pas  à  être  sincère,  mais 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  43 

à  paraître  délicat,  et  il  reste  entendu  une  fois  pour  toutes  que 
l'amour  ne  mériterait  point  qu'on  le  traduisît  en  rondeaux,  s'il 
cessait  un  moment  d'être  maniéré,  timide,  malheureux.  Le  roi 
lui-même  ne  s'estime  pas  au-dessus  de  ces  rites  de  la  galante- 
rie, et  il  soupire  selon  la  formule.  Parmi  les  chansons  et  les  ron- 
deaux qu'on  lui  a  attribués  (et  dont  plusieurs,  sans  doute,  lui 
appartiennent)  une  seule  pièce,  où  se  reconnaît,  d'ailleurs,  l'in- 
fluence des  élégiaques  latins,  offre  un  caractère  sensuel  [p.  150]. 
A  cela  près,  les  vers  d'amour  contenus  en  ce  recueil  aspirent  à 
peindre  une  mélancolie  distinguée  (mais  très  monotone),  et  sui- 
vent tant  bien  que  mal  les  méandres  d'une  psychologie  précieuse 
et  quintessenciée.  Le  thème  qui  revient  le  plus  souvent  est,  je 
crois,  celui  de  la  séparation  et  de  l'absence.  Presque  à  chaque 
page  il  reparaît  avec  ses  implacables  variations,  et  le  poète  — 
corps  sans  âme  —  s'épuise  à  prouver  qu'il  a  perdu  l'esprit  de- 
puis que  sa  belle  s'en  est  allée. 

66.  François  I^r  était,  en  ce  qui  concerne  les  choses  du  cœur, 
documenté  parfaitement  :  ses  maîtres,  ses  maîtresses  (et  sa 
sœur,  je  pense)  lui  avaient  enseigné  «  le  grand  fin,  le  fin  du 
fin  »,  et  il  avait  appris  et  même  compris  la  doctrine  en  vogue 
de  son  temps,  ce  néo-platonisme  qui  voulait  voir,  dans  le  culte 
qu'on  vouait  à  la  Femme,  une  aspiration  vers  la  sphère  où  res- 
plendit la  Beauté  en  soi  et  une  manière  détournée,  mais  exquise, 
d'adorer,  en  son  œuvre  la  plus  accomplie,  le  Créateur.  L'in- 
fluence de  cette  théorie  est  sensible  en  deux  endroits  du  recueil 
qui  nous  occupe  :  d'abord,  en  un  huitain  (je  ne  sais  de  quel  au- 
teur) où  l'amour  nous  est  donné  comme  «  un  rayon  du  beau, 
qui  sur  tous  se  divise  »  [p.  160]  ;  ensuite,  dans  une  épître,  dont 
l'attribution  n'est  pas  douteuse,  puisque  le  poète  constate  qu'il 
a,  pour  prendre  la  plume,  délaissé  le  sceptre  [p.  104].  Le  roi, 
ici,  écrit  à  une  dame  qui  n'est  point  nommée,  et  lui  fait  une  très 
platonicienne  déclaration.  Lorsque  je  vous  contemple,  lui  dit-il, 
je  me  sens  meilleur.  Votre  vue  m'élève  «  jusqu'au  plus  hault  », 
jusqu'à  Celui  à  qui  est  dû  le  miracle  de  vos  charmes.  Vous  éveil- 
lez en  moi  l'idée  du  ciel,  de  la  vertu,  et  je  vous  regarde  avec 
ravissement  comme  une  «  chose  conforme  a  Dieu  »  [pp.  105-6]. 
Ces  vers  sont  fort  joliment  tournés,  et  François  I^'"  n'a  rien 
laissé,  dans  le  genre  galant,  de  comparable  à  cela.  Seule  une 
chanson  d'allure  populaire,  qui  se  lit  à  la  page  loi  de  notre 
recueil,  serait  digne,  mais  pour  des  raisons  bien  différentes, 
d'être  louée,  elle  aussi.  Vraiment,  elle  me  paraît  chai  mante  ; 
je  goûte  sa  feinte  simplicité,  son  air  de  tendre  tristesse,  la  rési- 
gnation de  l'amant  qui  raconte  en  vain  sa  peine  aux  arbres 
«  secret.^,  muets  et  sourds  »...  Resterait  à  savoir  si  ce  pastiche 


44  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

des  licder  rustiques  est  réellement  l'œuvre  du  roi.   L'éditeur 
l'affirme  :  mais  sur  quelle  preuve  ? 

67.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  demeure  manifeste,  lorsqu'on  étudie 
dans  leur  ensemble  les  pièces  courtoises  de  François  I*^^,  qu'il 
s'est  inquiété,  en  les  rimant,  de  ne  violer  aucune  convention  lit- 
téraire et  d'asservir  au  bel  usage  toutes  ses  effusions.  J'ajoute 
que  ses  lettres  en  prose  (entendez  celles  que  Champollion-Figeac 
a  publiées)  trahissent  la  même  préoccupation.  Vous  ne  les  croi- 
riez point  rédigées  par  un  de  ces  hommes  dont  les  désirs  ont 
force  de  loi.  Ici  encore,  c'est  un  amoureux  déférent  et  transi  qui 
tient  la  plume.  Les  deux  mots  «  vostre  commandement  »  sont 
ceux  qu'il  répète  le  plus  volontiers  ;  il  ne  parle  que  d'obéir, 
et  affecte  des  attitudes  humiliées.  A  chaque  instant,  il  se  con- 
fond en  excuses,  s'afflige  de  mal  écrire  et  d'exprimer,  sans  art 
et  sans  grâce,  des  choses  indignes  d'être  lues.  Il  ne  cherche 
jamais  à  avoir  l'air  naturel;  sa  phrase  est  concertée,  surveillée, 
tendue,  et  les  sentiments  qu'il  donne  comme  siens  se  rencon- 
trent chez  tous  les  auteurs  affiliés  à  l'école  de  la  métaphysique 
galante.  Le  ton,  en  général,  est  fort  grave.  Aucune  gaieté.  Un 
seul  billet  [p.  205]  peut  sembler  alerte  et  jovial  :  mais  il  n'est 
pas  destiné  à  une  femme,  et  s'adresse  au  connétable. 

68.  Pas  n'est  besoin  de  réfléchir  longtemps  sur  ces  faits  pour 
en  dégager  la  sûre  conséquence.  Et  la  voici  :  Il  n'y  a  rien  de 
sincère,  rien  qui  parte  du  cœur,  rien  de  vraiment  intime  dans 
les  vers  d'amour  de  François  I^r.  H  ne  voulait,  en  les  alignant, 
que  se  divertir,  se  li\Ter  à  une  manière  de  sport  intellectuel, 
prouver  aux  spécialistes  qu'il  était  capable  de  les  égaler  et  faire 
croire  qu'il  avait  les  idées  ou  qu'il  éprouvait  les  impressions 
que  la  mode  imposait  alors  aux  personnes  bien  nées  et  de  bonne 
compagnie.  Lui  aussi,  il  aurait  pu  dire  :  »  Je  trouve  deux  hom- 
mes en  moi.  )'  Deux  hommes,  en  effet  :  Vliomme  et  le  poète.  Or, 
quoique  inséparables,  le  poète  et  l'homme  ne  s'accordaient  nul- 
lement ;  ils  avaient  des  tendances  incompatibles,  des  âmes 
ennemies,  et  les  maximes,  les  discours  de  l'un  semblaient  une 
satire  des  actions  de  l'autre.  La  vie  du  roi  démentait  brutale- 
ment les  goûts  éthérés  qu'il  affichait  en  tant  qu'écrivain.  Lors- 
que, assis  devant  son  papier,  il  imitait  le  style  platonique,  chan- 
tait un  pur  amour  sans  organes,  et  jurait  à  ses  maîtresses  qu'il 
vénérait  en  elles  l'image  du  grand  u  facteur  »,  il  se  donnait  la 
comédie  à  lui-même.  C'étaient  là  des  illusions  voulues,  des  fic- 
tions qui  se  déroulaient  en  dehors  et  au-dessus  de  l'homme  réel, 
dans  la  conscience  de  son  double. 

69.  Dès  qu'il  cessait  d'être  auteur,  François  I^^  oubliait  à 
l'instant  son  spiritualisme,  ne  demandait  plus  aux  dames  de  le 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  45 

rendre  vertueux  et  recherchait,  en  leur  commerce,  des  joies  à 
meilleur  marché.  Insatiable  et  parfois  lubrique,  il  s'enflammait 
et  se  lassait  vite  ;  la  femme  qui  ne  lui  plaisait  plus,  il  l'écartait 
d'un  geste  indifférent,  sans  s'inquiéter  des  souffrances  ni  des 
drames  qui  pouvaient  résulter  de  ses  caprices.  Veut-on,  après 
avoir  entendu  sa  muse  pudique  et  roucoulante,  savoir  au  juste 
quelle  sorte  d'amant  il  a  été  ?  Qu'on  lise  alors,  pour  estimer  les 
siennes  à  leur  valeur,  la  lettre  que  lui  écrit  [p.  215]  une  Aiiane 
abandonnée  :  c  Sire,  vous  estes  donc  délibéré  de  me  lesser  mo- 
rir  ?...  Mes  enfants  et  moy  ne  mangeons  aultre  chose  [que  du 
poison]  sans  que  je  y  sache  mettre  remède.  Il  n'est  possible  de 
vous  dire  la  cruoté  :  parcoy  je  vous  supplie  me  secourir,  ou  je 
suis  morte.  C'est  pour  l'amour  de  vous  que  l'on  me  fet  tant  de 
mal,  et  vous  l'endurez  !  >;  —  Que  deviennent,  placées  en  face 
de  ce  document,  les  œuvres  galantes  de  François  I®'"  ? 

70.  Passons  maintenant  à  ceux  de  ses  poèmes  qui  ont  un 
accent  plus  sincère,  et  commençons  par  les  trois  pièces  qu'il  a 
consacrées  à  la  bataille  de  Pavie  et  à  ses  prisons.  C'est  dans  une 
très  longue  épître,  adressée  à  l'une  de  ses  maîtresses,  qu'il  a 
raconté  la  bataille.  Il  prend  les  choses  de  loin,  énumère,  depuis 
le  jour  où  il  a  quitté  la  France  jusqu'à  l'heure  de  la  catastro- 
phe, ses  opérations  militaires,  et  marque  les  principales  étapes 
de  l'armée  en  route  vers  l'Italie.  De  tels  détails,  sans  doute,  ont 
leur  intérêt  :  mais,  comme  ils  sont  purement  historiques,  il  eût 
été  naturel  de  nous  les  donner  en  prose.  Le  narrateur,  semble-t-il, 
a  prévu  l'objection,  et  c'est  pourquoi  il  s'est  efforcé  d'ajouter, 
cà  et  là,  à  son  récit  quelques  ornements  propres  à  l'épopée  : 
il  introduit  [p.  27]  la  déesse  Renommée  qui  descend  auprès  de 
lui  pour  l'engager  à  bien  faire  ;  lui-même,  afin  d'animer  ses 
troupes,  prononce  [p.  29]  une  harangue  qu'on  croirait  tirée  du 
Contiones  ;  il  prête  à  la  Durance  [p.  30]  des  sentiments  si  loya- 
listes qu'elle  s'empresse  de  baisser  devant  lui  et  se  laisse  fran- 
chir à  gué.  Grâce  à  des  artifices  de  cette  espèce,  l'écrivain  s'ima- 
gine rendre  moins  plate  la  première  partie  de  son  ouvrage,  celle 
qui  amène  et  prépaie  la  scène  où  il  va  jouer  le  rôle  principal, 
comme  héros,  puis  comme  victime.  Mais,  dès  qu'il  arrive  à  cette 
crise,  c'est-à-dire  à  la  déroute  de  Pavie,  il  renonce  à  tous  les 
trucs  épiques  ;  il  pense  (et  il  a  raison)  que  le  courage  qu'il  a 
déployé,  la  grandeur  de  son  infortune,  l'ampleur  des  événements 
produiront  d'eux-mêmes  assez  de  poésie,  et  suffiront,  sans  apprêt 
ni  fioritures,  à  remuer  les  âmes  profondément. 

71.  L'échec  que  j'ai  subi,  écrit  le  roi,  ne  saurait  m'être  im- 
puté. Si  chacun  avait  accompli  son  devoir,  nous  tenions  la  vic- 
toire ;  elle  était  certaine.  ^lais  la  plupart  de  ceux  qui  me  sai- 


46  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

vaient  se  sont  lâchement  conduits,  et  je  n'étais  pas  <  le  vray 
maistre  «  des  cœurs  [p.  30].  Le  mauvais  exemple  venait  de 
haut,  et  les  chefs  manquaient,  eux  aussi,  de  vaillance,  de  déci- 
sion. Il  ne  me  restait  qu'une  ressource  :  me  comporter  en  bon 
chevalier.  C'est  ce  que  j'ai  fait,  et  l'on  nous  rendra  cette  jus- 
tice, à  moi  et  à  mes  fidèles,  que  nous  avons  succombé  avec  hon- 
neur [p.  35]...  En  somme,  il  parle  de  lui  modestement,  et  n'a 
pas  tort  de  prétendre  qu'il  fut  mollement  servi.  Il  retrace  d'une 
manière  exacte  ce  qui  s'est  passé,  et  rappelle  même,  un  peu  plus 
loin,  d'humiliants  souvenirs.  Tombé  aux  mains  de  mes  adver- 
saires, j'ai  été,  dit-il,  promené  dans  leur  camp  et  comme  mis  en 
spectacle  [p.  36].  Et  me  voilà  captif,  à  présent  !...  Ici,  il  s'émeut, 
s'attendrit.  Sa  mère,  il  le  prévoit,  sera.brisée  par  un  tel  malheur; 
il  songe  au  chagrin  de  Marguerite,  à  «ia.  jeunesse  tant  tendre  » 
de  ses  enfants,  à  la  femme  qu'il  aime,  à  la  patrie.  Il  se  trouve 
bien  seul  ;  il  souffre  ;  il  lui  est  dur  d'être  séparé 

De  mère,  sœur,  enfans,  amie  et  France  [p.  37]. 

On  peut  regretter  que  cette  épître,  où  l'on  remarque  beaucoup 
de  franchise  et  assez  de  verve,  ne  se  termine  pas  sur  ce  vers,  et 
que  l'auteur  ait  jugé  à  propos  d'ajouter  quatre  ou  cinq  pages, 
toutes  pleines  de  niaiseries  courtoises.  Délivré  ou  non,  je  jure  de 
rester  dans  vos  chaînes,  tel  est  le  thème  que,  s'adressant  à  sa 
maîtres.se,  il  traite  avec  insistance.  Pour  subtile  qu'elle  fût, 
cette  pointe  ne  méritait  guère  d'être  répétée  plusieurs  fois.  L'in- 
térêt du  poème  n'est  pas  là. 

72.  Prisonnier  en  Espagne,  François  I^^  ^'a  pu  conserver  une 
complète  égalité  d'âme.  Tantôt  il  a  montré  de  la  constance,  et 
s'est  bravement  dominé  et  raidi  ;  tantôt,  en  revanche,  exaspéré 
par  la  lenteur  du  temps,  le  manque  d'espace  et  la  privation  de 
ses  plaisirs  coutumiers,  il  a  connu  des  heures  soit  de  révolte  soit 
de  dépression,  et  ses  geôliers  ont  vu  l'instant  où,  trop  faible 
pour  l'épreuve,  il  leur  échapperait  par  la  mort.  Ces  deux  états 
si  opposés  ont  fait  naître  en  lui  des  sentiments  contraires  qu'il 
a  exprimés,  les  uns  dans  une  chanson,  et  les  autres  dans  un 
rondeau.  La  chanson  [p.  49]  est  toute  pleine  de  la  sagesse  stoï- 
cienne. L'homme  fort,  déclare  le  roi,  ne  doit  jamais  se  laisser 
abattre,  car  sa  volonté  maîtrise  les  événements.  Au  fond  d'un 
cachot,  il  reste  libre,  attendu  qu'on  peut  bien  charger  ses  mem- 
bres de  fers,  mais  non  pas  son  esprit.  L'esprit  ne  sauiait  être 
mis  en  cage  ;  les  grilles  ne  l'arrêtent  point  ;  il  se  rit  des  contrain- 
tes matéiielles.  Et  puis  c'est  une  bonne  école  que  celle  du 
malheur.  Rien    de  plus    utile  .ni  de  plus  moral  que  la  sont- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  47 

france  ;  grâce  à  elle,  notre  fermeté  trouve  l'occasion  de  se  pro- 
duire : 

Cueur  résolu  d'aultre  chose  n'a  cure 

Que  de  l'honneur. 
Le  corps  vaincu,  le  cueur     reste  vaincueur. 

Voilà,  certes,  de  nobles  vers...  Mais,  par  un  revirement  très 
naturel  et  très  humain,  (ces  velléités  d'être  impassible  et  ces 
défaillances  de  l'énergie,  qui  donc  ne  les  a  pas  éprouvées  ?)  le 
captif  cesse  de  lutter  contre  la  tristesse  qui  l'envahit,  et  courbe 
la  tête  sous  le  poids  de  l'adversité.  Mes  douleurs,  écrit-il  dans 
le  rondeau  mentionné  ci-dessus,  triomphent  de  ma  patience. 
Vienne  bientôt  la  mort  charitable,  et  qu'elle  anéantisse  à  la 
fois  et  moi-même  et  mes  chagrins  !  [p.  52.] 

73.  Signalons  enfin,  quoique  moins  curieuses  et  moins  émou- 
vantes, les  pièces  qu'à  diverses  dates  François  I^^  a  composées 
pour  sa  sœur.  Elles  sont  au  nombre  de  quatre  :  1°  [p.  14]  une 
épître  antérieure  à  1531.  Elle  répond  à  des  vers  de  Marguerite, 
et  tend  à  lui  prouver  que,  si  Louise  de  Savoie  déplore  l'absence 
de  son  fils,  lui,  de  son  côté,  se  sent  seul  et  triste,  d'autant  qu'il 
parcourt  un  pays  que  la  guerre  a  dévasté,  et  qu'il  commande 
«  a  cent  mille  ygnorans  »  —  2°  Une  autre  lettre  rimée  [p.  77]. 
Elle  se  place  entre  1526  et  1530  et  ressemble  assez  à  la  pré- 
cédente. —  30  Encore  une  épître  du  même  à  la  même  [p.  69]. 
Par  son  secrétaire,  Jean  de  Frotte,  la  reine  de  Navarre  avait 
envoyé  à  son  frère,  en  janvier  1543,  un  David  (tableau  ou  sta- 
tuette) pour  ses  étrennes.  A  son  tour,  il  lui  offre  une  sainte  Ca- 
therine, et  ce  lui  est  une  occasion  de  citer  quelques  noms  de 
vierges  illustres  et  d'avouer  qu'on  ne  doit  point,  comme  sa  sœur 
l'avait  fait,  le  comparer  à  David.  —  40  Et  voici  enfin  [p.  187] 
une  ballade.  On  pourrait  l'intituler  Oraison  devant  le  crucifix. 
Le  roi,  adorant  l'image  de  Jésus  «  cloué  et  lié  »,  confesse  que 
c'est  à  Dieu  qu'il  appartient  d'exalter  les  humbles,  d'abaisser 
les  superbes  ;  il  remercie  ensuite  «  l'infiny  donneur  »  de  lui  avoir 
prodigué  les  biens  terrestres,  et  demande  à  Marguerite  absente 
de  revenir  au  plus  tôt,  pour  que,  tous  deux  ensemble,  ils  ren- 
dent grâces  à  l'auteur  de  lem  étonnante  prospérité. 

74.  Ces  poèmes  sont  d'un  genre  neutre  ;  on  ne  sait  trop  qu'en 
dire,  sinon  qu'ils  ne  semblent  ni  très  bons  ni  franchement  mau- 
vais. Ils  se  déroulent,  clairs  et  fluides,  et  le  lecteur  ne  remarque 
au  passage  rien  de  choquant,  rien  de  frappant.  Mais  de  ces  piè- 
ces, vraiment  ternes  et  grises,  il  y  a  lieu  néanmoins  de  tenir 
compte  au  moment  de  porter  un  jugement  général  sur  Fran- 
çois I«r  écrivain.  Aussi  hizn  que  ses  œuvres  gaJcjites,  les  quel- 


43  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

ques  vers  dévots  qu'il  nous  a  laissés  attestent  qu'il  a  mal  connu 
le  caractère  et  les  limites  de  son  talent.  Pourquoi,  avide  de 
j  ouir,  incapable  de  dompter  ses  passions  et  vivant  dans  la  flamme 
ainsi  que  la  salamandre,  a-t-il  célébré  l'amour  platonique  ? 
Pourquoi  s'est-il  ignoré  au  point  de  se  croire  chrétien  et  de 
rimer  sans  vocation  la  pieuse  ballade  dont  j'ai  parlé  ?  Il  y  avait 
en  lui  l'étoffe  d'un  poète  de  second  ordre,  qui  aurait  pu,  en 
somme,  produire  d'agréables  choses  :  mais  il  aurait  fallu  qu'il 
travaillât  dans  le  sens  de  sa  nature,  et  se  bornât  à  chanter  les 
belles  maîtresses  accueillantes,  la  danse,  la  chasse,  le  luxe  des 
festins,  le  charme  des  arts,  la  douceur  de  commander  sans  con- 
trôle, d'entrer  dans  les  villes  au  son  des  cloches  et  d'attirer  sur 
soi,  à  chaque  bataille,  tous  les  coups,  toute  la  gloire. 

BIBLIOGRAPHIE   ET   RÉFÉRENCES 

21.  Démolition  de  la  grosse  tour  du  Louvre  :  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris  sous 
le  règne  de  François  /«'  ;  nouvelle  édition  publiée  par  V.-L.  Bourrilly  (Paris,  Picard, 
1910),  p.  374. 

22.  «  ...Poursoy  aller  esbattre...  »:  Ibid.,  275.  —  Les  citations  de  Philibert  del'Orme 
et  de  Jean  Goujon  sont  tirées  de  VHist.  générale,  ...ouvrage  publié  sous  la  direction  de 
MM.  Lavisse  et  Rambaud,  (Paris,  Colin,  1894)  t.  IV,  p.  269.  —  Pension  de  la  reine  de 
Navarre  à  Serlio  :  de  La  Perrière- Percy,  Marg.  d'Angoulême.  Son  livre  de  dépenses. 
Étude  sur  ses  dernières  années,  (Paris,  Aubry,  1862),  p.  47,  le  texte  et  la  note  2,  —  Les 
différentes  parties  de  «  l'Architecture  »  de  Serlio  furent  publiées  séparément  à  diverses 
dates  et  en  diverslieux.  C'est  le  VP  livre  qui  a  paru  à  Lyon  sous  le  titre:  Extraordina-  | 
rio  Libre  di  archi-  |  tettura  di  Sebastia-  |  no  Serlio,  architetto  |  del  Re  christia-  | 
nissimo...  |[  In  Lione,  \  Per  Giouan  di  |  Tournes.  \  M.  D.  LI.  ||  Con  Privilegi  del 
P  apa,  Imperatore,  Re  Christianiss,  et  Senato  Venetiano.  In  fol.  Ce  volume  comprend, 
outre  de  nombreuses  planches,  le  texte  italien  et  sa  traduction  en  français.  Jean  Martin 
a  traduit  les  livres  I,  1 1  et  V  de  Serlio.  L'ouvrage  ne  fut  édité  en  son  entier  qu'assez  tard  : 
Tutte  l'opère  d' Architettura  di  Serlio  ;  Venetia,  Francesco  de  Franceschi,  1584. Grand 
in-80  .  planches. 

23.  Louis  Dimier,  Le  Primatice,  peintre,  sculpteur  et  architecte  des  rois  de  France  ; 
Paris,  1900.  In-S». 

25.  Cellini  est  venu  deux  fois  en  France.  Il  s'agit  ici  de  son  second  voyage  (1540). 
Voyez  —  passim  et  surtout  pp.  281-349  —  les  Mémoires  de  Benvenuto  Cellini,  orfèvre  et 
sculpteur  florentin,  écrits  par  lui-même  et  traduits  par  Léopold  Leclanché,  traducteur  de 
Vasari;  Paris,  Labitte,  s.  d.  Un  vol.de  VII-492  pages. 

26.  Philibert  de  l'Orme  a  volontiers  parlé  de  lui,  et  sa  biographie  nous  est,  par  suite, 
assez  bien  connue.  Consulter  de  préférence  l'ouvrage  intitulé  :  Instruction  de  Monsieur 
d'Ivry,  dict  de  l'Orme,  abbé  de  Sainct-Sierge  et  cestuy  M^  architecteur  du  roy  ;  B.  N.  mss. 
Coll.  Moreau,  Box,  publié  par  A.  Berty  dans  les  Grands  architectes  de  la  Fr.,  1867,  puis 
dans  sa  Topo  graphie  du  vieux  Paris,  11,179. — A.  deMontaiglon,/ean  Goujon  et  la  vérité 
sur  la  date  et  le  lieu  de  sa  mort  d'après  un  document  découvert  par  M,  Sandcnnini;  Gazette 
des  Beaux- Arts,  1884,  pp.  381-8. 

27.  H.  Hauvette,  Un  exilé  florentin  à  la  cour  de  Fr.  au  XVI^  s.  :  Lutgi  Alamanni. 
Thèse  de  Paris,  1903.  —  Francesco  Flamini,  Studi di storia  letteraria  italiana  e  stranicri  ; 
Livorno,  1895.  Voyez,  en  cet  ouvrage,  le  cl.apitre  qui  a  pour  titre  :«  Le  le  ttereitaliane  alla 
corte  di  Francesco  I,  re  di  Francia.  »  —  E.  Picot,  Les  Italiens  en  France  au  XVI^  siècle 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  49 

(Annales  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Bordeaux  :  Bulletin  italien,  t.  I,  rgoi  et  suivants).  — 
J.  Vianey,  Le  Pétrarquisme  en  France  au  XVI»  siècle  ;  Montpellier  et  Paris,  igoy.  — 
{Pour  les  imitations  de  Camillo  faites  par  Mellin  de  Saint-Gelays  et  Joachim  Du  Bellay, 
cf.  Flamini,  op.  cit.,  329,  et  Vianey,  op.  cit.,  94.] 

28.  Flamini,  op.  cit.,  249  sqq.  —  E.  Picot,  Les  Français  italianisants  au  XVI*  siècle  ; 
2  vol.  in-S",  (Paris,  Champion,  1906-7),  t.  I,  chapitre  VI.  — •  Rime  toscane  d'Arao-  | 
mo  per  madama  |  Chadotta  [  d'Hisca.  ||  Stampato  in  Parigi  per  Simone  Colineo  il 
giorno  X  di  Nouembre.  L'anno  M. D. XXXV.  In-8"  de  72  ff.  non  chiffrés.  (Réédité 
€  in  Vinegia  »  en  1 5 38).  —  Le  Trionfo  délia  Bellezza,  qui  comprend  63  tercets,  a  été  publié 
par  Flamini,  op.  cit.,  423.  On  trouvera,  chez  E.  Picot,  le  texte  de  la  Selva. 

29.  Sur  les  encouragements  donnés  par  le  roi  aux  traducteurs,  cf.  i»  J.  Du  Bellay, 
Déf.  et  m.  de  la  langue  fr.  (édition  Chamard,  Paris,  Fontemoing,  1904),  p.  78,  n.  3  ;  2» 
Bourrilly,  Jacques  Colin,  pp.  42-6. 

31.  Cellini,  Mémoires,  pp.  253,  283-5,  286,  299,  304,  307-8,  33i.  334.  34».  456-7.  453, 
460. 

32.  Hauvette,  Luigi  Alamanni,  pp.  100-102,  115-116,  135,  538  sqq. 

35.  Sur  le  projet  de  faire  venir  en  France  Sigismond  de  Hohenlohe,  cf.  Lettres  de  Mar- 
guerite d'Angoulêrne  [Génin],  pp.  211-215. —  Calvin,  Institution  de  la  religion  chrétienne, 
texte  de  la  l'a  édition  fr,  réimprimé,  sous  la  direction  d' Abel  Lefranc,  par  H.  Châtelain 
«t  J.  Pannier,  (Paris,  Champion,  1911),  pp.  IX  et  XLI, 

37.  Bourgeois  de  Paris  [Bourrilly],  317,  322.  —  Parmi  les  traductions  de  Berquin, 
voici,  peut-être,  la  principale  :  Enchiridion  du  chevalier  chrestien,  aorné  de  commande- 
wens/j-essa/w/aîVes  par  Desideré  Erasme  de  Roterodame...,  [Anvers],  1529.  In-8o.(Réim- 
primé  par  Dolet  en  1542).  On  attribue  encore  à  Berquin  beaucoup  d'autres  translations, 
et,  par  exemple  :  Levray  moyen  de  bien  et  catholiquement  se  confesser,  opuscule  fait  premiè- 
rement en  latin  par  Erasme,  et  depuis  traduit  en  françois,  (Lyon,  1542)  ;  Déclamation  des 
louenges  de  mariage  par  Erasme  de  Rttferdam,  docteur  en  théologie,  reduict  de  latin  en 
françois  (28  ff.)  ;  Le  Symbole  des  apostres  {qu'on  dict  vulgairement  le  Credo)  contenant  les 
articles  de  la  Foy  :  pir  mi:tière  de  dialogue  :  par  demande  et  par  response.  La  plupart 
extraict  d'ung  traicté  de  Erasme  de  Roterdam  intitulé  Devises  famillieres  (14  ff.). 

38.  Bourgeois  de  Paris,  142,  234,  le  texte  et  les  notes. 

39-40.  Romain  Rolland,  Le  dernier  procès  de  Louis  de  Berquin.  (École  fr.  de  Rome  : 
Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire,  XII»  année,  1892),  pp.  314-325. 

42-45.  Abel  Lefranc,  Hist.  du  Collège  de  Fr.  depuis  ses  origines  jusqu'à  la  fin  du  Pre- 
mier empire  ;  Paris,  Hachette,  1893.  In-8<'de  XIV-432  pages. 

48.  Journal  de  Louise  de  Savoie,  {Petitot,  Coll.  des  mém.  relatifs  àr  hist.  de  Fr.,  t.  XVI), 
pp.  390,398. 

49-50.  I.  Lettres  de  Marguerite  d'Angoulêrne...  publiées  d'après  les  mss.  de  la  Biblio- 
thèque du  roi  par  F.  Génin;  Paris,  Renouard,  1841. —  II.  Nouvelles  lettres  de  la  reine  de 
Navarre  adressées  au  roi  François  I^',  son  frère,  et  publiées  par  F.  G^nm;  Paris,  Renouard, 
1842.  —  L'accusation  d'inceste,  portée  par  l'éditeur  avec  une  indignation  qui  n'exclut 
pas  une  certaine  joie,  se  lit  aux  premières  pages  du  tome  1 1.  Quant  aux  citations  faites 
en  ces  §§  49-50,  en  voici  les  références:  II,  44,  161,  243  ;  I,  377-8  ;  II,  102-3,  i95. 105-6, 
■65,  30,  171-2,  150,  105. 

53.  Ibid.,  Il,  176-8,  292,  42.  Consultez  encore  1°  de  Ruble,  Le  mariage  de  Jeanne 
d'Albret,  (Paris,  Labitte,  1877)  ;  2"  Mary  James  Darmesteter,  La  reine  de  Navarre, 
Marguerite  d' Angoulême,  (Paris,  Calmann-Lévy,  1900),  pp.  179  et  suivantes. 

54.  Bourgeois  de  Paris,  156, 196, 14-15.  —  .\ux  faits  relatés  en  ce  paragraphe  ajoutez 
ceque  j'aiditailleurs[I,  §§  648-9]  sur  trois  basochiens  incarcérés  par  ordre  de  Fran- 
çois lof. 

55.  I  J'en  ferai  couper  des  têtes!...  «Lisez  cet  te  scène  chez  de  RubIe,o/>.ct7.,96-roo.  — 
■Sur  la  démarche  que  Paul  III  a  faite,  en  juin  1535,  auprès  de  François  I«' pour  le  prier 
de  «  vouloir  appaiser  sa  fureur  »,  voir  Bourgeois  de  Paris,  359-360,  et  Guiffrey,  Œuvres 
de  Marot,  III,  303,  n.  r. 

Clément  Marot  et  soq  école  * 


50  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

58.  Louaient  le  Seigneur  à  pleine  voix...  Th.  de  Bèze,  Hist.  ecclis.  des  Églises  réformées 
au  royaume  de  Fr.,  (Lille,  1841),  I,  33. 

60.  Joachim  Du  Bellay,  Déf.  et  III.  [Chamard],  76-7;  Rec.  de  Poésie,  odi  XV  (Marty- 
Laveaux,  I,  264).  Voyez  encore  I,  142  et  225-6.  ■ —  Ronsard  [Blanche niaiii],  VII,  178, 
Cf.  II,  50,  97  ;  m,  275  [«  Tel  fut  le  roy  François,  des  princes  le  monaïque...  »]  ;  IV, 
100.  —  Th.  de  Bèze,  Hist.  ecclés.,  I,  2-3.  Cf.,  en  outre,  p.  42. 

61.  Dernières  poésies  de  Marg.  de  Navarre  [Lefranc],  2S0  :  «  De  son  sça\oir  [de  Fran- 
çois I*']  et  de  l'amour  aux  lettres, — De  ses  escriptz  tant  en  prose  qu'ei;  mettres,  'Je 
m'en  tairay  :  ils  sont  assez  congneus.  »  ■ —  Nouvelles  lettres  de  Marguerite  [{icnin],  243.  — 
Cl.  Chappuys,  Panégyrique  récité  au...  Roy  François  premier  de  ce  nom... 

62-74.  Poésies  du  roi  François  I^r,  de  Louise  de  Savoie,  duchesse  d'AngouUme,  de 
Marguerite,  reine  de  Navarre,  et  correspondance  intime  du  roi  avec  Dmr.e  de  Poitiers  et 
plusieurs  autres  dames  de  la  cour  recueillies  et  publiées  par  M.  Aimé  Champo'  jion-Figeac  ; 
Paris,  Impr.  royale,  1847.  Un  vol.in-4°de  XI-235  pages.  [Jemesuis  seulement  attaché 
aux  poésies  qui  sont  ou  paraissent  être  du  roi.  Champollion-Figeac  ne  s'ist  pas  donné 
beaucoup  de  mal  pour  les  distinguer  des  autres.  Au  reste,  son  recueil  fait  pU^s  d'honneur 
à  l'imprimerie  royale  qu'à  lui-même  :  les  pièces  se  présentent  en  un  désordre  choquant* 
Celles  (assez  nombreuses)  dont  la  date  est  évidente  sont  groupées  d'une  manière  qui 
bouleverse  la  chronologie.  La  ponctuaction  massacre  le  sens,  et  prouve  que  l'éditeur 
ne  comprenait  pas  ce  qu'il  publiait.  ] 

65.  Le  thème  de  l'absence  est  développé,  notamment,  dans  les  Ep.  II,  III,  IV  ;  dans 
les  deux  premières  Chansons  (pp.  5-6)  ;  dans  les  Rondeaux  X  et  X I  (pp.  22-3). 


III 

LA   COUR   ET   LES   MÉCÈNES 


75.  Que  la  cour  de  François  I^^  a  été  un  milieu  littéraire.  — 
Louise  de  Savoie  :  76.  Son  caractère.  —  77.  Rien  ne  la 
prédestinait  à  la  -poésie.  —  78-79.  Vers  qui  nous  restent  d'elle. 

—  François  de  Tournon  :  80.  Ce  qu'il  a  fait  pour  les 
humanistes,  les  poètes,  les  savants.  —  81-82.  Son  fanatisme  ; 
son  égoïsme.  —  83.  //  a  écrit  quelques  petits  poèmes.  —  Anne 
DE  Montmorency  :  84.  Coup  d'œil  sur  son  existence  si  bril- 
lante et  si  remplie.  —  85.  Il  fut,  à  certains  égards,  très  esti- 
mable. —  86-90.  Sa  cruauté,  ;  son  ambition  ;  sa  rapacité.  — 
91-92.  Ami  des  belles  choses,  il  emploie  et  protège  les  artistes. 

—  93.  Ses  rapports  avec  les  écrivains.  —  94.  Son  panégyriste, 
Jean  de  Luxembourg.  —  95-96.  Différents  ouvrages  de  cet  au- 
teur. —  97-99.  Le  Triomphe  et  les  Gestes  de  Mgr  Anne  de 
Montmorency.  —  100.  François  de  Tournon  et  le  connétable 
donnent  une  idée  de  ce  que  fut  souvent  le  grand  seigneur  de  la 
Renaissance.  —  Le  Cardinal  Jean  de  Lorraine  :  101.  Son 
opulence.  —  102.  Ses  mœurs.  —  103-106.  Érudits,  humanistes 
et  poètes  en  langue  vulgaire  qu'il  a  protégés.  —  Le  Cardinal 
Jean  du  Bellay  :  107.  Ses  dignités  ecclésiastiques  et  sa  pro- 
digalité. —  108-109.  Rôle  diplomatique  qu'il  a  joué.  —  110.  Le 
château  de  Saint-Maur.  —  111-114.  Jea^i  Du  Bellay  patron  des 
gens  de  lettres  et  surtout  de  Rabelais.  —  115.  Les  poèmes  latins 
du  cardinal.  —  Jacques  Colin  :  116.  Débuts  de  sa  carrière. 
• —  117-119.  Ses  missions  à  l'étranger.  Il  connaît  la  faveur,  puis 
la  disgrâce.  —  120.  Le  joyeux  abbé  de  Saint-Ambroise.  — 
121.  Les  amis  de  Jacques  Colin.  —  122-123.  //  publie  les 
traductions  de  Claude  de  Seyssel,  et  fait  lui-même  des  transla- 
tions. —  124-126.  On  a  de  lui  un  petit  nombre  de  vers.  La 
Conformité  de  l'Amour  au  Navigaige.  —  127.  L'influence  de 
ce  personnage  est  plus  notable  que  ses  écrits. 

75.  Les    textes    édités    par    Champollion-Figeac  permettent 
d'affirmer  que  la  cour  de  François  I^^  a  été  un  cercle  littéraire, 


52  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

et  que,  à  l'exemple  du  prince,  ceux  qui  l'entouraient  ont,  poui 
la  plupart,  aimé,  cultivé  la  poésie.  De  cette  académie  du  palais 
ont  fait  partie,  outre  des  auteurs  vivant  de  leur  plume,  quelques 
prélats,  quelques  puissants  seigneurs,  quelques  membres  de  la 
famille  royale.  Les  uns  ont  voulu  n'être  que  des  Mécènes  ;  les 
autres,  ayant  ou  croyant  avoir  le  don  du  ciel,  ont  —  peu  ou 
beaucoup  —  écrit  en  vers  :  et  c'est  des  uns  et  des  autres  qu'il 
s'agit  à  présent  de  nous  occuper.  La  bonne  méthode  exigerait 
que  l'on  commençât  par  le  personnage  le  plus  éminent,  à  savoir 
la  reine  de  Navarre.  Mais  sa  vie  est  si  émouvante,  son  âme  est 
si  riche,  et  ses  œuvres,  en  un  certain  sens,  ont  tant  de  beauté 
et  de  prix  qu'on  doit  traiter  à  part  et  à  l'aise  un  tel  sujet,  et 
qu'il  faut  le  réserver  pour  plus  tard.  Passons,  en  conséquence, 
directement  à  d'autres  grands  de  la  terre  qui,  sans  avoir  les 
talents  ni  le  cœur  de  Marguerite,  ont  encouragé  les  arts  ou  même 
aligné  des  rimes.  Et  c'est  une  femme  que  nous  rencontrons 
d'abord  :  la  mère  de  François  I^r,  Louise  de  SavoIe. 

76.  En  tant  que  protectrice  des  lettres,  elle  n'a  pas  joué  un 
rôle  important.  Le  goût,  sans  doate,  ne  lui  manquait  point, 
mais,  aussi  longtemps  qu'elle  végéta  en  son  humble  château  de 
Cognac,  elle  ne  put,  faute  d'argent,  y  réunir  beaucoup  d'écri- 
vains, et  dut  se  borner  à  nourrir  le  clan,  d'ailleurs  avide,  des 
Saint-Gelays.  Plus  tard,  d'autres  passions  la  dominèrent  ;  elle 
aima  mieux  prendre  que  donner,  et  c'est  pourquoi  son  nom  n'est 
pas  de  ceux  qui  viennent  souvent  dans  les  dédicaces.  Lorsqu'elle 
disparut  (22  septembre  1531),  on  ne  la  regretta  guère.  Marot 
qui  lui  consacra  des  vers  funèbres,  Nicolas  Bombon  et  Antoine 
Héroet,  qui  firent  son  épitaphe,  s'inquiétaient  moins  d'honorer 
sa  mémoire  que  de  plaire  au  roi.  Odieuse  au  peuple,  elle  fut 
critiquée  plus  d'une  fois  par  les  auteurs  de  Soties  ;  ils  lui  impu- 
taient les  malheurs  de  la  France,  et  plaignaient  ce  pauvre  pays 
qu'une  telle  femme  gouvernait.  Vo3^ez,  entre  autres,  la  pièce 
intitulée  Farce  morale  de  trois  pèlerins  et  Malice...  Elle  avait, 
cette  Malice,  de  quoi  s'exercer.  Tenace,  ambitieuse,  pleine  de 
ruses,  Louise  de  Savoie  qui  avait  connu  une  sorte  de  misère 
dorée,  regardait  comme  une  revanche  «  l'exaltation  de  son  Cé- 
sar -I  [Journal,  391],  et  se  jetait  avec  rapacité  sur  les  finances 
publiques  Coûte  que  coûte,  «  Madame  )>  —  toujours  souffrante 
toujours  larmoyante,  —  accrochait  au  passage  l'argent  des  tailles 
A  sa  mort,  on  trouva  des  sommes  énormes  :  elle  avait,  en 
les  détournant  causé  la  perte  du  Milanais,  condamné  à  la  mi- 
sère nos  armées  d'Italie,  et  conduit  Semblançay  à  la  potence. 

77.  On  ne  saurait  facilement  admettre  qu'une  âme  desséchée 
pa^-  un  égoïsme  si  féroce  ait  été  réellement  sensible  à  la  poésie. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  53 

Pourtant  il  est  manifeste  que  Louise  de  Savoie  a  eu  quelques 
prétentions  littéraires.  Même  lorsqu'elle  rédige,  pour  elle-mêm.e 
et  sans  beaucoup  de  soin,  son  Journal,  elle  imite  çà  et  là  le  style 
emphatique  des  rhétoriqueurs,  et  se  montre  parfois  assez  pédante. 
Le  verbe  naître  est  traduit,  chez  elle,  par  "  prendre  la  première 
expérience  de  lumière  mondaine  »  ;  elle  appelle  son  iils  <(  le  sub- 
jugateur  des  Helvetiens  )>  ;  après  avoir  noté  que  Henri  VIII  est 
arrivé  à  Calais,  elle  observe  que  cette  ville  se  nomme  en  latin 
Caletum  ou  bien  Portus  Itius,  et  ajoute  qu'on  trouve  ce  ren- 
seignement au  cinquième  livre  des  Commentaires  de  César.  De 
là  on  peut  conclure  qu'elle  avait  du  goût  pour  les  tournures  ora- 
toires, et  que,  mérité  ou  non,  le  titre  de  femme  savante  ne  lui 
aurait  pas  fait  peur.  Mais  il  ne  s'ensuit  nullement  que  la  nature 
l'ait  prédisposée  aux  idées  poétiques.  D'où  les  aurait-elle  tirées  ? 
De  la  piété  ?  Non.  Elle  abandonnait  à  sa  fille  cette  source  d'ins- 
piration, et  l'on  a  même  le  droit  de  douter  qu'elle  ait  été  vrai- 
ment religieuse.  Je  n'oublie  pas  que,  racontant  la  mort  de  sa 
mère  [Dernières  poésies,  271-9],  Marguerite  affirme  qu'elle  eut 
des  moments  d'extase,  et  qu'elle  ne  souffrait  point  qu'on  lui 
parlât,  tant  elle  était  comme  perdue  en  Dieu.  Rappelons-nous, 
en  outre,  que  ce  fut  grâce  à  elle  que  François  de  Paule  fut  cano- 
nisé (5  juillet  1519).  Mais  son  catholicisme  ne  l'empêchait  pas 
de  se  livrer  à  des  pratiques  superstitieuses  ;  elle  avait  autant 
de  confiance  en  son  astrologue  qu'en  frère  François,  et  comp- 
tait, pour  réussir,  non  moins  sur  la  magie  que  sur  la  prière. 
Qu'on  ne  s'étonne  donc  point  qu'elle  n'ait  pas  exprimé  en  vers 
une  foi  si  mêlée  et  si  suspecte. 

78.  De  fait,  dans  les  trois  pièces  qui  nous  restent  d'elle,  Louise 
de  Savoie  n'a  tâché  de  traduire  qu'un  seul  sentiment  :  l'amour 
maternel.  C'est  uniquement  à  son  fils  ■ —  car  la  reine  de  Navarre 
semble  avoir  été  moins  près  de  son  cœur  —  qu'elle  a  dédié  ses 
rimes.  Sa  tendresse  n'était  pas  toute  feinte.  Mais  aimait-elle  le 
roi  comme  une  simple  femme  aime  son  enfant,  sans  arrière- 
pensée  ni  calcul,  pour  lui  et  non  pas  pour  elle  ?  C'est  une  ques- 
tion. La  peur  de  l'avenir,  le  goût  de  l'intrigue,  l'avarice  et  l'in- 
térêt ont  fini  par  modifier  ou  même  par  pervertir,  chez  Louise 
de  Savoie,  les  plus  naturelles  inclinations,  et  l'égoïsme  s'est 
étendu  en  elle  jusqu'à  empiéter  sur  les  droits  de  l'instinct.  Qu'elle 
se  soit  montrée  une  mère  affectueuse,  je  le  veux  ;  mais  elle  ne 
fut  pas  une  bonne  mère,  ni  (tout  uniment  et  sans  épithète  )  une 
mère.  Une  vraie  mère  n'aurait  pas  augmenté  sa  foi  tune  en  pil- 
lant les  finances  de  son  fils  ;  elle  n'aurait  pas  soulevé,  par  des 
abus  de  pouvoir,  l'opinion  publique  contre  lui  ;  elle  ne  lui  eût 
pas,  de  sa  propre  main,  donné  une  nouvelle  maîtresse  pour  évin- 


54  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

cer  la  favorite  qu'elle  haïssait.  Or,  «  Madame  »  a  fait  tout  cela  ; 
elle  n'a  perdu  aucune  occasion  d'user,  d'abuser  de  son  crédit  ; 
elle  ne  s'est  jamais  effacée,  ni  oubliée. 

79.  Aussi  ne  faut-il  pas  attendre  d'elle,  considérée  en  tant 
qu'auteur,  ces  naïves  effusions  d'une  âme  qui  ne  serait  que  ma- 
ternelle, ni  ces  mots  éloquents  mais  ingénus  que  les  femmes 
trouvent  sans  les  chercher,  lorsqu'elles  parlent  à  leurs  enfants. 
Louise,  qui  s'adresse  à  un  roi,  se  surveille  ;  un  visible  souci  de 
l'étiquette  gêne  ses  épanchements,  et  ce  qu'elle  dit  —  elle,  la 
mère,  — une  sœur,  une  amie,  un  familier  ou  l'avaient  dit  ou  l'au- 
raient pu  dire.  Elle  se  borne,  imitant  un  rondeau  de  la  reine  de 
Navarre,  à  déclarer  :  Vous  et  moi,  mon  cher  fils,  nous  n'avons 
qu'un  seul  vouloir,  qu'une  seule  pensée  et  qu'un  seul  cœur,... 
et,  vaille  que  vaille,  elle  traite  aussi  le  thème  de  l'absence  : 
Confinée  en  mon  château,  je  languis  loin  de  vous.  Je  ne  me  porte 
pas  bien,  mais  la  maladie  m'afflige  moins  que  notre  séparation. 
Vous  parti,  plus  de  joie  pour  moi  ni  pour  ceux  qui  m'entou- 
rent, car  vous  êtes  «  nostre  paradis  »  [p.  148].  Certes,  à  de  telles 
pensées  la  simple  prose  eût  suffi  :  mais  qui  donc,  à  la  cour  de 
François  I^^,  savait  s'abstenir  de  rimer  ?  Les  jardiniers  mêmes 
étaient  atteints  de  cette  manie,  et  nous  voj^ons  ceux  de  Fontai- 
nebleau annoncer  en  vers  un  envoi  d'artichauts,  de  groseilles 
et  de  cocomhres. 

80.  Cela  nous  prouve  que  Louise  de  Savoie  n'était  pas  la  seule 
à  cultiver,  malgré  ]\Iiner\^e,  les  belles-lettres  et  à  consacrer,  sans 
rien  avoir  de  ce  qui  fait  le  poète,  un  peu  de  son  temps  à  la  poé- 
sie. Une  aberration  toute  pareille  se  remarque  chez  un  autre 
personnage  à  qui  l'ambition  et  l'intolérance,  ses  \Taies  Muses, 
laissaient  le  loisir  de  composer  un  petit  nombre  de  vers.  Il  s'agit 
de  Fraxçois  de  Tourxox  (1489- 1562),  abbé  de  la  Chaise-Dieu, 
archevêque  d'Embrun,  puis  cardinal  (décembre  1529).  C'était 
un  homme  intelligent  lorsque  le  fanatisme  ne  l'aveuglait  pas  ; 
négociateur  assez  habile,  il  avait,  en  Espagne,  moj^enné  de  son 
mieux  la  délivrance  du  roi  ;  il  se  montrait  favorable  à  la  science, 
à  l'humanisme,  et  l'on  compte,  parmi  ses  familiers  ou  ses  pro- 
tégés, André  Alciat,  Denis  Lambin,  Guillaume  Rondelet.  Il 
édifia  (1542)  un  magnifique  collège  en  sa  ville  de  Tournon,  et  l'on 
devine  que  ce  Mécène,  qu'on  savait  en  crédit  auprès  du  prince 
et  qui,enoutie,pa3'ait  si  bien,  n'a  pu  manquer  de  flatteurs.  Marot 
lui-même,  quoique  ayant  des  raisons  de  ne  pas  l'aimer,  a  tâché  de 
lui  plaire,  l'a  couvert  de  fleurs  :  il  salue  en  lui  l'ami  des  «  Muses 
très  sacrées  »,  l'auteur  dont  Apollon  agrée  les  œu\Tes  ;  il  l'ap- 
pelle ((  hoir  de  Turnus  1»  [G.  III,  547-8],  et  indique,  par  ce  ca- 
lembour à  la  Jean  Lemaire,  que  la  noblesse  du  cardinal  remonte 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  55 

aux  orignes  de  l'histoire,  aux  années  qui  suivirent  la  guerre  de 
Troie. 

81.  Mais  s'il  mérite,  à  certains  égards,  qu'on  s'associe  aux 
louanges  que  ses  contemporains  lui  prodiguèrent,  François  de 
Tournon  se  révèle,  d'un  autre  point  de  vue,  fort  peu  sympathi- 
que et  même  odieux.  Personne  n'a  travaillé  autant  que  lui  à 
rendre  impossible  tout  essai  de  conciliation  entre  le  catholicisme 
et  la  Réforme  ;  il  n'a  jamais  voulu  se  prêter  à  la  recherche  d'un 
terrain  d'entente,  et  n'a  eu,  au  sujet  des  dissidents,  qu'une  inva- 
riable opinion,  à  savoir  qu'on  devait  les  exterminer.  A  son  avis, 
mieux  valaient,  pour  mettre  fin  au  nouveau  schisme,  le  fer  et 
le  feu  que  la  parole,  et  il  souhaitait  que  Rome  obtînt  la  victoire 
et  non  la  paix.  Lorsque  Marguerite  de  Navarre  tâcha  d'attirer 
Mélanchthon  en  France,  espérant  qu'il  amènerait  le  roi  à  l'Évan- 
gile et  les  docteurs  de  Sorbonne  à  un  accord,  ce  fut  le  cardinal 
de  Tournon  qui  s'opposa  à  ce  voyage  et  à  ce  projet  de  conférence. 
Plus  tard  à  la  veille  presque  de  sa  mort,  il  protesta  avec  la  même 
ardeur  contre  le  Colloque  de  Poissy  :  sa  haine  était  restée  jeune, 
et  il  persistait,  au  seuil  du  tombeau,  à  enfermer  les  hérétiques 
dans  ce  dilemne  :  ou  croire  comme  moi,  ou  périr.  Cette  théorie 
meurtrière,  il  ne  se  bornait  pas  à  la  soutenir  verbalement  ;  ses 
actes,  durant  sa  vie  entière,  ont  été  dignes  de  sa  doctrine,  et 
souvent,  dans  la  pratique,  elle  l'a  incité  à  verser  le  sang,  à  de- 
mander, au  moins,  qu'on  le  versât  et  plus  vite  et  davantage. 
Encore  qu'il  n'ait  pas  assisté  à  la  tuerie  de  Mérindol  et  de  Ca- 
brières,  on  peut  dire  qu'il  s'y  trouvait  de  cœur,  et  que,  tout 
aussi  bien  que  d'Oppède  ou  le  vice-légat,  il  tenait  le  couteau 
et  la  torche.  C'est  ici  son  coup  de  maître  :  mais  si  la  joie  d'un 
pareil  ca^^nage  ne  lui  fut  donnée  qu'une  fois,  il  a  eu  le  plaisir  de 
collaborer  de  temps  en  temps  à  quelques  supplices  individuels. 
Il  se  fit,  pour  perdre  Michel  Servet,  le  complice  de  l'inquisiteur 
Orri,  et  fut  au  nombre  de  ceux  qui  livrèrent  à  ses  bourreaux  le 
grave,  rh^'-roïque  Anne  du  Bourg. 

82.  Évidemment,  on  pourrait  plaider  les  circonstances  atté- 
nuantes et  dire,  par  exemple,  que  François  de  Tournon  s'ima- 
ginait servir  les  intérêts  de  l'Église  et  du  royaume  en  travail- 
lant, sans  faiblesse  humaine,  à  étrangler  l'hétérodoxie.  Qu'il  ait 
pensé  être  agréable  à  Dieu  lorsqu'il  lui  sacrifiait  des  gens  qui 
ne  le  priaient  pas  en  latin,  cela  ne  me  semble  guère  douteux,  et 
je  veux  môme  qu'il  ait  cherché,  en  multipliant  ces  holocaustes, 
à  préserver  de  la  contagion  les  consciences  chancelantes  et  à 
s'assurer,  de  surcroît,  une  place  parmi  les  élus.  Mais,  pour  que 
de  telles  excuses  fussent  vraiment  recevables,  il  faudrait  que 
le  cardinal  eût  attendu  jusqu'à  l'autre  vie  la  récompense  de  ses 


56  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

actes  de  foi.  Il  n'en  va  pas  ainsi,  et  il  a,  dès  ce  bas  monde,  été 
paye  de  son  zèle.  On  a  vu  déjà  [§  80]  quelques-unes  des  dignités 
qui  lui  furent  dévolues  :  ajoutons  —  sans  citer  en  détail  ses 
abbayes  ou  prieurés  —  qu'il  fut,  en  outre,  archevêque  de  Bour- 
ges, archevêque  de  Lyon  et  gouverneur  du  Lyonnais  (lo  octo- 
bre 1536).  Certains,  à  la  mort  de  Paul  IV  (18  août  1559),  le 
souhaitaient  comme  pape.  Il  ne  fut  point  élu,  et  cette  gloire 
manqua  à  sa  vieillesse.  Mais  il  n'avait  pas  le  droit  de  se  plain- 
dre :  puissance,  honneurs,  richesse,  la  fortune  lui  avait  tout 
accordé,  et,  dominant  les  voix  ennemies,  le  chœur  de  ses  cour- 
tisans s'était  complu,  par  crainte  ou  par  intérêt,  à  vanter  sa 
piété  si  cruelle,  sa  politique  et  ses  vers. 

83.  Il  n'a  pas  beaucoup  écrit,  ou,  du  moins,  il  ne  reste  de  lui 
que  peu  de  chose  :  un  huitain,  sept  dizains  et  deux  épîtres.  Les 
dizains,  maniérés  et  galants,  ne  sauraient  guère  retenir  l'atten- 
tion. Plus  curieuses  sont  les  épîtres.  L'une  est  faite  au  nom  des 
dames  de  la  cour  :  le  cardinal  leur  sert  d'interprète,  mais  ce  sont 
elles  qui  parlent.  Au  roi  qui  va  partir  pour  la  guerre  (1525  ?) 
elles  disent  adieu  avec  chagrin,  très  iiritées  contre  l'empereur 
qui  force  leur  prince  à  s'absenter  pour  aller  le  battre  et  contre 
«  Honneur  ;•,  ce  dieu  t3.Tannique,  auquel,  dès  qu'il  élève  la  voix, 
ceux  qu'elles  aiment  les  sacrifient.  Ces  gentillesses,  peut-être 
élégantes,  n'ont  aucune  originalité.  François  I"  avait  déjà  reçu 
au  moins  une  pièce  de  ce  genre  [Cf.  mon  tome  I,  §  495],  et  il 
devait  louer,  en  celle  qui  nous  occupe,  plutôt  l'intention  que 
l'invention.  —  Quant  à  l'autre  épître  de  François  de  Tournon, 
elle  s'adresse  à  l'écuyer  Sala,  et  traite  (problème  éminemment 
sacerdotal  !)  la  question  suivante  :  l'art  d'amour  a-t-il  été  dé- 
couvert par  une  femme  ou  par  un  homme  ?  Par  une  femme, 
répond  l'auteur,  et  il  conclut  de  là  que  le  beau  sexe  aurait  tort 
de  ne  pas  se  montrer  facile...  Tels  sont  les  vers  de  François  de 
Tournon.  Considérés  en  eux-mêmes,  ils  paraissent  quelconques. 
Mais  lorsqu'on  songe  à  la  vie  du  cardinal,  au  rôle  tragique  qu'il 
a  joué  ces  minces  poèmes  qu'il  cro3ait  badins  et  tendres  ac- 
quièrent de  la  valeur  en  tant  qu'ils  éclairent  sa  ps3-chologie.  Ils 
attestent  le  calme  d'une  conscience  que  nous  nous  figurions 
bourrelée,  et  l'on  ne  s'accoutume  pas  sans  peine  à  l'idée  que  le 
personnage  qui  a  contresigné  le  massacre  des  "\'audois  a  pu, 
un  jour,  prendre  la  plume  pour  notifier  à  l'écuyer  Sala 

Que  la  femme  doit  estre  plus  encline 
Envers  l'amant,  sans  user  de  reffus, 
Que  d'ung  nenny  le  rendre  mat  confus... 

Quel  mélange,  en  cette  âme,  de  férocité,  de  mièvrerie,  et 
l'étrange  prêtre  que  c'était  là  ! 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  57 

84.  Quelques  mots,  à  présent,  sur  un  homme  d'une  bien  autre 
envergure,  Anne  de  Montmorency,  marcchal  de  France, 
Grand-Maître  et  connétable.  Il  ne  peut  être  question  ici  de  re- 
tracer sa  carrière  :  un  volume  n'y  suffirait  pas,  car  cette  exis- 
tence si  remplie  se  confond,  durant  de  longues  années,  avec 
l'histoire  générale  du  siècle.  Né  en  1492  et  ami,  dès  sa  jeunesse, 
de  François  I^^^  Anne  de  Montmorency,  à  certains  égards  et  à 
certains  moments,  avait  été  plus  roi  que  le  roi.  Disgracié  en 
1540,  il  triompha  de  nouveau  sous  Henri  II,  rentra  ensuite, 
pour  un  temps,  dans  l'ombre,  et  finit  par  reconquérir  et  par 
conserver  jusqu'à  sa  mort  beaucoup  d'autorité  et  d'influence. 
On  se  figure  aujourd'hui  malaisément  le  pouvoir  presque  sans 
mesure  qu'il  a  exercé  au  fort  de  sa  faveur  et  la  variété,  l'énor- 
mité  des  privilèges  dont  il  a  joui.  Il  y  a  eu  des  heures  où  il  fai- 
sait marcher  à  sa  fantaisie  toute  la  machine  de  l'État  :  il  tenait 
à  la  fois  sous  sa  main  la  «  maison  »  royale,  la  liste  des  pensions, 
l'armée,  la  politique  étrangère  et  les  affaires  religieuses.  A  la 
cour,  il  avait  sa  cour  ;  il  gardait  l'entrée  de  chaque  avenue  me- 
nant aux  bonnes  places,  et  nul  n'y  arrivait  sans  passer  par  lui. 
Une  légion  de  solliciteurs  et  de  clients  s'attachait  à  ses  pas  ;  les 
plus  grands  seigneurs  le  craignaient  et  le  ménageaient  ;  les  prin- 
ces de  l'Église  lui  envoyaient  des  cadeaux,  et  l'on  a  vu  des  reines 
acheter  sa  bienveillance  en  s'humiliant  devant  lui.  Marguerite 
de  Navarre,  qui  le  savait  hostile  à  sa  personne  et  à  ses  idées, 
se  résigne  pourtant,  lorsque  la  mort  de  François  P^"  eut  fait  de 
lui  une  manière  de  vice-roi,  à  lui  écrire  [Génin,  I,  386-8]  deux 
lettres  très  flatteuses,  très  déférentes.  Elle  lui  demande  d'être 
son  «  baston  de  v^ieillesse  »,  et  signe  «  vostre  bonne  tante,  mère 
et  vraye  amie  ».  Ce  mensonge  devait  lui  coûter  :  mais  c'était 
l'unique  moyen  qu'elle  eût  de  sauver  la  pension  (25.000  livres) 
que  son  frère  lui  avait  accordée,  et  sans  laquelle  il  lui  eût  été 
impossible  d'entretenir  son  estât  [Ibid.,  385]. 

85.  Anne  de  Montmorency  ne  nous  paraît  pas  absolument 
indigne  de  sa  fortune.  Ce  n'était  pas  un  beau  caractère,  mais 
c'était  un  caractère.  Il  possédait,  au  moins,  l'un  des  mérites 
nécessaires  à  qui  prétend  gouverner  :  l'esprit  de  suite.  Il  savait 
ce  qu'il  voulait.  S'il  se  trompait  (et  il  se  trompait  !),  il  ne  tom- 
bait point  d'une  erreur  dans  l'autre,  et  il  a  cherché  jusqu'à  sa 
dernière  heure  le  triomphe  de  la  politique  adoptée  par  lui  dès 
la  jeunesse.  Elle  ne  fut,  cette  politique,  ni  clairvoyante  ni  libé- 
rale :  mais  l'ardeur,  la  ténacité,  la  violence  même  dont  il  fit 
preuve  en  la  défendant  nous  montrent  qu'elle  était  sincère,  qu'il 
a  commis  ses  fautes  de  bonne  foi,  et  qu'il  croyait  agir  pour  le 
mieux.  Il  avait,  à  sa  façon,  le  sentiment  de  l'honneur,  je  veux 


58  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

dire  d'un  honneur  particulier  que  l'on  pourrait  appeler  cheva- 
leresque ou  féodal.  En  tant  que  connétable,  il  ne  se  fût  jamais 
conduit  comme  Charles  de  Bourbon,  et,  fort  capable  d'exploiter 
le  roi,  il  ne  l'aurait  pas  trahi.  Il  gardait  sa  parole  religieusement; 
ses  partisans,  son  Dieu  et  son  prince  avaient  le  droit  de  compter 
sur  lui.  Il  manquait  de  tendresse,  non  de  constance.  Ses  mœurs 
—  étant  donnés  le  milieu,  l'époque,  —  nous  semblent  relativei- 
ment  austères,  et  il  ne  fut  pas  de  ceux  qui  varient  pour  plaire 
aux  femmes.  Je  ne  lui  vois  aucune  des  faiblesses  de  l'homme  de 
plaisir.  Il  a  travaillé,  lutté  toute  sa  vie,  et  n'a  craint  ni  fatigues 
ni  dangers.  Général  plus  que  médiocre,  il  fut,  en  revanche,  un 
vrai  soldat.  Persuadé  que  les  gens  de  sa  caste  doivent  au  pays 
l'impôt  du  sang,  il  allait  de  bon  cœur  à  la  bataille,  et  ne  se  ména- 
geait pas.  La  dernière  page  de  son  histoire  est  émouvante,  et 
on  ne  lira  pas  sans  respect  la  relation  de  cette  journée  de  Saint- 
Denis  où,  patriarche  héroïque  entouré  de  ses  enfants,  le  conné- 
table résista  avec  fougue  aux  huguenots  qui  l'accablaient,  frappa 
non  seulement  d'estoc  et  de  taille,  mais  aussi  du  pommeau  de 
son  épée,  refusa  obstinément  de  se  rendre,  et  finit  par  tomber, 
l'échiné  rompue...  Deux  jours  après  (12  novembre  1567),  il 
succombait  à  ses  blessures.  Un  cordelier  l'exhortait  à  franchir 
le  passage  en  ferme  croyant  :  «  Pensez-vous,  lui  répondit-il,  que 
moi,  qui  ai  bien  vécu  pendant  près  de  quatre-vingts  ans,  je 
ne  sache  pas  mourir  un  quart  d'heure  ?  » 

86.  Il  se  vantait,  et  sa  vie,  en  somme,  reste  moins  exemplaire 
que  sa  mort.  Admirable  parfois,  il  ne  fut  jamais  aimable.  Il 
avait  une  âme  rude  et  hautaine,  étroite  et  froide.  Ses  «  domes- 
tiques »,  ses  officiers  étaient  par  lui  tenus  à  distance,  et,  fier 
de  son  nom,  de  ses  titres,  il  traitait  arrogamment  son  armée  de 
serviteurs.  La  pitié  lui  semblait  une  faiblesse.  A  Pavie,  ayant 
pris  d'assaut  l'une  des  bastilles  de  l'enceinte,  il  en  fit  pendre 
tous  les  défenseurs  (1524).  Après  la  révolte  de  Bordeaux,  il 
livra  d'abord  cette  ville  à  ses  lansquenets,  puis  ordonna  ou  sug- 
géra lui-même  des  supplices  raffinés,  atroces.  Il  y  eut,  sans 
parler  (car  c'était  normal  !)  de  ceux  qui  périrent  par  le  feu  ou 
sur  la  roue,  des  gens  démembrés  et  empalés  (octobre-novembre 
1548).  D'un  homme  qui  réprimait  ainsi  les  tentatives  de  sou- 
lèvement, les  Réformés,  on  le  devine,  n'avaient  rien  à  attendre 
de  bon.  En  fait,  il  les  a  haïs  avec  cette  persévérance  qu'il  appor- 
tait à  toute  chose,  et  leur  a  nui  autant  qu'il  a  pu  :  son  influence, 
durant  un  demi-'^iècle,  a  été  sans  cesse  tournée  contre  eux  ;  il 
leur  a  patiemment  aliéné  l'esprit  du  peuple  et  des  rois,  usant, 
en  outre,  de  la  violence  à  chaque  occasion  favorable.  Ce  fut  lui 
qui,  en  plein  parlement,  arrêta  de  sa  propre  main  les  conseillers 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  59 

du  Faut  et  Anne  du  Bourg  (lo  juin  1559).  Plus  tard,  en  1562, 
il  incendia,  suivi  de  la  plèbe  parisienne,  les  prêches  de  Popin- 
court  et  du  faubourg  Saint- Jacques  :  exploit  indigne  de  celui 
à  qui  était  confiée  l'épée  de  la  France.  Mais,  s'il  y  trouvait 
son  avantage,  nulle  besogne  ne  le  rebutait.  La  rancune,  l'ambi- 
tion réglaient  sa  conduite,  et  il  avait  en  vue,  dans  ses  démar- 
ches, le  profit,  non  la  moralité.  Peu  d'hommes  se  sont  montrés 
plus  positifs,  et  il  ne  fut  pas  de  ceux  que  désarment  un  mouve- 
ment d'instinctive  bonté,  une  réflexion  sentimentale. 

87.  Une  circonstance,  dont  les  contemporains  paraissent  avoir 
été  émus,  révèle  à  quel  point  le  connétable,  dédaignant  les  déli- 
catesses du  cœur,  jugeait  déraisonnable  de  tenir,  si  elles  deve- 
naient gênantes,  les  promesses  dictées  par  la  passion.  Il  était, 
lui,  bien  incapable  d'en  faire  de  telles  :  mais  François,  l'aîné 
de  ses  fils,  ne  l'égalait  pas  en  prudence,  et,  très  amoureux  de 
Jeanne  de  Halluie,  demoiselle  de  Pienne,  il  s'était,  pour  vain- 
cre ses  résistances,  engagé  secrètement  à  l'épouser.  Cette  liaison 
fut,  d'abord,  sans  nuages,  et  elle  aurait  peut-être  duré  long- 
temps si  ne  s'était  produit  à  l'improviste  un  événement  fâcheux. 
Le  roi  avait  donné  comme  femme  à  Horatio  Farnèse,  duc  de 
Castro,  sa  fille  naturelle,  Diane  ;  or,  le  duc  ayant  été  tué,  le  18 
juillet  1553,  au  siège  de  Hesdin,  Henri  II  chercha  un  nouveau 
parti  pour  la  veuve,  et  jeta  les  yeux  sur  François  de  Montmo- 
rency. La  proposition  était  flatteuse,  et,  fier  de  cette  alliance 
qui  plaçait,  en  quelque  sorte,  les  fleurs  de  lis  dans  sa  famille, 
Anne  déclara  qu'on  ne  devait  pas  hésiter.  Les  droits  de  made- 
moiselle de  Pienne,  le  serment  qu'elle  avait  reçu,  ne  l'arrêtèrent 
pas  une  minute,  et,  par  des  procédés  tantôt  violents  et  tantôt 
hypocrites,  il  évinça  enfin  cette  amante  qui  avait  le  double  tort 
de  ne  pas  être  de  sang  royal  et  d'avoir  cru  à  la  foi  jurée. 

88.  Mais,  condamnant  à  la  fois  Henri  II  et  le  connétable, 
l'opinion  publique  embrassa  la  cause  de  la  délaissée,  et  se  mon- 
tra sensible  à  son  malheur.  Nous  en  avons  la  preuve  en  deux 
chansons  populaires  qui  parlent  d'elle  avec  sympathie.  La  pre- 
mière exprime  les  regrets  du  séducteur  qui  déplore  d'avoir  à 
trahir  sa  belle  ;  il  maudit  «  la  fureur  h  de  son  père,  proteste  qu'il 
n'oubliera  jamais  la  femme  dont  on  le  sépare,  et  ne  cache  point 
que 

Le  parti  qu'on  lui  présente 

Ne  contente 
Son  las  cueur  aucunement. 

La  seconde  chanson  met  en  scène  Jeanne  de  Halluie  :  elle 
cunonce  qu'elle  va  entrer  au  cloître,  et  qu'elle  y  restera  jusqu'à 
la  mort.  Là,  plus  d'œillades  ni  de  gambades  !  Sans  cesse,  avec 


60  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

les  nonnes,  je  réciterai  VAve,  Maria.  Mais  cela  ne  m'empêchera 
point  de  me  rappeler,  ô  cher  amant,  notre  passé.  Mon  âme  te 
sera  fidèle,  sois-en  certain  ;  et  puisses-tu,  toi  aussi,  penser  à 
moi  : 

Montmorency,  te  souvienne 
De  ta  Pienne 
.  Qui  ne  dort  ne  nuit  ne  jour  !... 

Visiblement,  les  auteurs  (ou  l'auteur)  de  ces  couplets  ont  voulu 
y  introduire  tous  les  éléments  propres,  dans  les  livres,  aux  dra- 
mes d'amour  :  les  parents  tyranniques,  Roméo  réduit  au  déses- 
poir, et  la  jeune  personne  qui  prend  le  voile.  Mais,  en  réalité, 
l'aventure  qui  nous  occupe  se  termina  d'une  manière  moins 
romanesque.  L'héroïne  devint,  au  lieu  de  languir  au  couvent, 
la  femme  de  Florimond  Robert  et.  Quant  au  héros,  loin  d'avoir 
les  sentiments  que  lui  prête  la  chanson,  il  se  fit  le  complice  des 
manœuvres  paternelles,  et  se  résigna  de  bonne  grâce  à  une 
rupture  si  profitable. 

89.  Anne  de  Montmorenc}'  croyait,  je  pense,  avoir  accompli, 
en  cette  conjoncture,  son  devoir  de  chef  de  famille,  et  il  nous 
faut,  en  effet,  reconnaître  que,  si  le  rôle  d'un  père  ne  consiste 
qu'à  assurer  le  bonheur  matériel  de  ses  enfants,  le  connétable 
fut  le  meilleur  des  pères,...  le  meilleur  —  aussi  —  des  oncles. 
Aux  dépens  du  roi  et  de  l'Église,  il  avait  généreusement  prodi- 
gué emplois,  dignités,  pensions  d'abord  à  ses  cinq  fils,  ensuite 
aux  fils  de  sa  sœur,  ces  trois  Châtillons  qui  allaient  bientôt,  en 
se  tournant  du  côté  de  la  Réforme  et  en  se  sacrifiant  à  leur  foi, 
acquérir  plus  de  gloire  que  les  faveurs  de  la  cour  n'auraient  su 
leur  en  donner.  Mais  comme  ils  n'avaient  pas,  à  l'avènement  de 
Henri  II,  trouvé  encoie  leur  chemin  de  Damas,  et  que,  de  nou- 
veau tout-puissant,  leur  oncle  traitait  alors  l'État  en  pays  con- 
quis, ils  voulurent  une  part  du  butin.  Ayant  tant  d'appétits  à 
satisfaire,  Anne  disputa  aux  autres  rapaces,  à  Claude  de  Guise 
et  à  ses  six  enfants,  à  Diane  de  Poitiers  et  à  «  ses  fils  et  gendres  » 
chaque  «  bon  morceau  ».  A  eux  trois,  le  duc  Claude,  la  favorite 
et  Anne  engloutissaient  le  trésor  public.  Ils  dévoraient  le  prince 
«  comme  ung  lion  sa  proye  »,  et  rien  de  ce  qui  était  à  prendre 
ne  leur  échappait,  «  non  plus  qu'aux  arondelles  les  mousches  ». 
De  là  naissaient  des  plaintes,  des  procès.  Mais  Montmorency 
peuplait  les  parlements  «  de  presidens  et  conseillers  faits  de  sa 
main  »,  en  sorte  qu'il  avait  «  toutes  robbes  a  sa  dévotion  ». 

90  Et  ce  n'étaient  pas  les  seuls  moyens  qu'il  eût  de  s'agran- 
dir, de  s'enrichir.  A  la  guerre,  il  mettait  à  rançon  les  prison- 
niers, taxait  les  villes  où  il  entrait,  ne  leur  évitait  qu'à  prix 
d'or  le  pillage,  et  enlevait,  pourtant,  ce  dont  il    avait  envie. 


CLEMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE 


Même  pendant  la  paix,  il  ne  rendait  pas,  il  vendait  ses  services, 
et  son  influence  était  un  capital  qu'il  faisait  valoir.  Obtenait-on, 
par  son  entremise,  quelque  office  ou  bénéfice  ?  Il  touchait  une 
grosse  commission,  et  s'il  se  chargeait  de  contraindre  les  juges 
à  déclarer  bonnes  les  mauvaises  causes,  il  fallait  qu'on  lui  payât 
ses  démarches,  car  il  ss  fût  refusé  à  une  iniquité  gratuite.  Très 
dur  quand  l'indulgence  ne  devait  rien  lui  rapporter,  il  suffisait 
de  la  promesse  d'un  héritage  pour  changer  sa  rigueur  en  com- 
plaisance. On  le  vit  bien  lors  de  son  traité  avec  le  gouverneur 
de  Bretagne,  Jean  de  Laval,  sire  de  Chateaubriand,  qui  s'était 
approprié  les  sommes  votées  par  les  États,  et  redoutait  une 
enquête.  Cette  enquête,  le  connétable  feignit  de  l'entreprendre, 
et  il  effraya  tellement  le  coupable  qu'il  l'amena  enfin  à  lui  assu- 
rer par  testament  le  plus  clair  de  sa  fortune.  Jean  de  Laval  y 
gagna  que  son  heureux  légataire  le  proclama  aussitôt  le  modèle 
des  gouverneurs  et  envoya  dire  au  roi  qu'  «  il  n'y  avoit  province 
sous  sa  couronne  mieux  conduite,  régie  ny  policée  que  celle  de 
Bretagne  ».  —  C'était  une  donation  princière  que  Montmorency 
recevait  là  :  mais,  à  l'occasion,  il  acceptait  de  moindres  cadeaux, 
des  statues,  par  exemple,  ou  des  fragments  d'anciens  monu- 
ments. En  1560,  Lancelot  de  Carie  lui  écrit  :  «  Je  n'oubliray, 
estant  à  Rome,  de  pratiquer  les  marbres  pour  vous.  »  L'évêque 
de  Pavie  lui  offre  les  bustes  de  Septime-Sévère,  de  Caracalla  ; 
le  cardinal  Sermonetta  lui  fait  parvenir  un  beau  Marc-Aurèle, 
et  le  comte  de  Tende  s'empare,  à  son  intention,  de  deux  colonnes 
antiques  qui  ornaient  une  église  marseillaise  [de  Lasteyrie,  2^ 
article,  101-2].  En  somme,  le  connétable  procédait  un  peu  comme 
Verres,  et  aurait  pu  fournir  la  matière  d'un  De  Signis. 

91.  Toutes  ces  œuvres  d'art  qu'il  se  procurait  à  si  bon  compte, 
il  les  destinait  soit  à  ses  quatre  hôtels  de  Paris,  soit  à  ses  châ- 
teaux. Celui  de  Chantilly,  remanié  et  décoré  pai  ses  soins,  devint 
une  résidence  dont  un  roi  aurait  pu  S3  contenter.  Mais  Anne 
voulut  mieux  ;  il  rêva  une  demeure  qui  fût  à  la  fois  un  monu- 
ment sans  pair  et  un  musée,  et  choisit,  pour  y  bâtir  cet  édifice, 
la  colline  où  s'élevait  le  village  d'Écouen.  Les  travaux  commen- 
cèrent vers  1541.  Jean  Ballant  (1512  ?  —  10  octobre  1578)  les 
dirigeait.  Jeune  alors  et  peu  connu,  il  fit  là  son  coup  de  maître. 
Très  élégante  et  très  noble,  quoique  simple,  est  l'ordonnance 
de  la  construction,  et  il  y  a  lieu  d'approuver,  comme  heureuse- 
ment conçues,  la  chapelle,  les  quatre  façades  et  les  deux  gale- 
ries de  la  cour  d'honneur.  L'ensemble  produit  une  impression 
de  grâce  logique  et  mesurée.  Au  reste,  il  eût  fallu  voir  cette 
maison  au  moment  où  s'y  trouvaient  encore  les  vases,  les  vi- 
traux, les  peintures,  les  statues  qui  la  paraient,  et  où  il   était 


62  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

possible  d'admirer,  dans  les  galeries,  les  sublimes  Captifs  de 
Michel-Ange  et  les  quarante  et  quelques  veriières  qui  retra- 
çaient, en  délicats  dessins,  l'histoire  entière  de  Psyché.  A  qui 
attribuer  cet  ou\Tage  ?  A  Jean  Cousin,  affirment  les  uns  ; 
à  Bernard  Pahssy,  prétendent  les  autres...  Pourquoi  non  ? 
Il  est  certain  que  Bernard  a  été  plus  tard  aux  gages  de  Mont- 
morency ;  qu'il  a  composé  pour  lui  une  «  grotte  rustique  »  ; 
qu'il  nous  dit  lui-même  avoir  établi  son  atelier  de  Saintes 
avec  l'argent  du  connétable,  et  que  celui-ci,  qui  haïssait 
pourtant  les  huguenots,  l'a  protégé  à  chaque  occasion,  et 
lui  a  même  sauvé  la  vie  en  1562.  Il  ne  paraît  pas,  en  conséquence, 
déraisonnable  de  conjecturer  que  l'inventeur  des  «rustiques 
figulines  »  a  contribué,  au  début  de  sa  carrière,  à  l'embellisse- 
ment d'Écouen. 

92.  ]\Iais  si  sa  collaboi  ation  demeure,  malgré  tout,  douteuse, 
celle  de  Jean  Goujon  ne  l'est  point,  et  nous  avons  le  droit  de 
regarder  comme  dus  à  son  ciseau  plusieurs  groupes  ou  statues 
qui  ornaient  la  chapelle  du  château  :  les  vertus  théologales,  les 
quatre  évangélistes,  puis  un  émouvant  retable  de  marbre,  figu- 
rant le  sacrifice  d'Abraham.  A  décorer  cette  chapelle,  quelques 
peintres,  aussi,  avaient  travaillé,  et  l'on  y  remarquait  un  Christ 
au  tombeau  de  maître  Roux  (le  Rosso)  et  une  copie,  exécutée 
par  Marco  d'Oggione,  de  la  Cène  de  Léonard  de  Vinci.  On  n'en 
finirait  point  si  l'on  voulait  citer  tous  les  artistes  qui  ont,  pour 
Écouen  ou  pour  ses  autres  logis,  reçu  les  commandes  du  con- 
nétable. Étonnant  contraste  :  cet  homme  fort  peu  érudit,  sans 
cesse  en  mouvement,  accablé  de  mille  affaires,  qui  se  plaisait 
à  la  cour  ou  à  l'armée,  et  n'a  vécu  chez  lui  que  ses  années  de 
disgrâce,  eut  néanmoins  une  passion  qui  suppose  de  la  culture, 
du  calme,  des  loisirs,  et  fut  un  ardent  collectionneur.  Mais  il 
ne  se  bornait  pas  à  rassembler,  en  aussi  grand  nombre  que  pos- 
sible, tels  ou  tels  objets  de  même  espèce  ;  toute  belle  chose  le 
fascinait,  et  il  s'appliquait  à  acquérir,  à  obtenir,  ou  à  prendre 
ce  que  l'industrie  humaine  peut,  en  chaque  genre,  produire  de 
rare  et  d'excellent.  Marbres,  tableaux,  verres  peints,  manuscrits, 
li\Tes  aux  précieuses  reliures,  émaux,  joyaux,  armures  ciselées 
et  niellées,  tapis  d'Orient,  mosaïques,  gravures,  que  sais-je  ?... 
le  charmaient  également.  Cet  ignorant  était  donc  un  «  connais- 
seur »  universel,  et  il  recueillait  les  plus  dissemblables  œuvres 
d'art,  sans  rien  préférer,  sinon,  peut-être,  les  faïences  et  les 
émaux.  L'émailleur  Léonard  Limousin  a  fait  pour  lui  deux  mer- 
veilles :  le  portrait  d'Anne  (1556)  qui  est  aujourd'hui  au  Lou- 
vre; un  vaste  et  magnifique  plat  destiné  à  être  offert  à  Diane  de 
Poitiers.  C'est  une  adaptation  du  Banquet  des  dieux  de  Raphaël 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  63 

On  y  voit  la  favorite  avec  les  attributs  de  Vénus,  Henri  II  changé 
en  Jupiter  et,  sous  les  traits  de  Mars,  Montmorency  en  personne. 
93.  On  conçoit  qu'il  a  dû  être  apprécié,  recherché  par  les 
artistes.  Mais  il  ne  semble  pas  que  les  écrivains  se  soient  sentis 
attirés  vers  lui.  Les  poètes,  pourtant,  l'ont  chanté.  Marot  compte 
parmi  ceux  qui  tentèrent  de  l'amadouer.  Le  6  août  1529,  il 
lui  envoie,  de  Saint-Quentin,  le  rondeau  De  la  paix  traictée  à 
Camhray  [J.  II,  160]  qu'il  venait  de  lire  au  roi,  et  dont  il  veut, 
dit-il,  «  donner  le  plaisir  »  au  Grand-Maître.  En  1532,  il  rime  à 
son  intention  l'épître  qui  commence  par  En  attendant  le  moyen 
et  pouvoir...  [G.  III,  202],  et  il  lui  adresse  enfin,  au  mois  de 
mars  1538,  le  si  curieux  manuscrit  intitulé  Recueil  des  dernières 
œuvres...  non  imprimées,  qui  se  trouve  maintenant  à  Chantilly. 
Le  pauvre  Clément  perdait  son  temps,  sa  peine,  son  encre  :  ni 
présents,  ni  compliments,  ni  dédicaces  ne  pouvaient  rendre  un 
homme  aussi  remuant  que  lui  sympathique  au  connétable.  Je 
pense  qu'il  estimait  davantage  le  bon  courtisan  Claude  Chap- 
puys  ou  le  dévot  Jean  Salmon,  dit  Maigret  (Macrinus),  qui  lui 
offrirent  des  vers  l'un  et  l'autre.  Ils  n'étaient  pas  révolution- 
naires, ces  deux-là  !  Salmon  Macrin,  en  particulier,  ne  touchait 
guère  aux  sujets  brûlants,  et  s'il  a  osé,  en  pleurant  la  mort  de 
Lefèvre  d'Étaples,  traiter  de  Béotiens  ces  messieurs  de  la  Sor- 
bonne,  jamais,  en  revanche,  il  n'a  cessé  de  célébrer  la  Vierge 
Marie,  sa  petite  ville  de  Loudun,  la  femme  qu'il  aimait,  non  une 
maîtresse,  mais  cette  chère  Gélonis  [Gillonne  de  Boursault]  qu'il 
avait,  en  1528,  bel  et  bien  épousée. 

94.  Pour  en  revenir  au  connétable,  il  tiendrait,  en  somme, 
peu  de  place  dans  la  littérature  de  son  temps,  si  quelqu'un  qui 
le  touchait  d'assez  près  n'avait  exalté  sa  gloire  en  un  vaste 
poème,  Le  Triomphe  et  les  Gestes  de  Mgr  Anne  de  Montmorency. 
Ce  panégyrique,  où  s'exprime  à  grands  coups  d'hyperboles  une 
admiration  sans  frein,  est  l'œuvre  de  Jean  de  Luxembourg, 
fils  de  Charles,  comte  de  Brienne,  et  de  Charlotte  d'Estoute- 
ville.  Le  mariage  de  son  frère  Antoine  avec  Marguerite  de  Savoie- 
Tende,  belle-sœur  d'Anne,  l'avait  rapproché  de  ce  dernier  dont 
il  aimait  à  se  dire  1'  «  humble  et  obeyssant  allyé  )>.  On  ne  sau- 
rait expliquer  à  quel  titre  il  avait  —  car  il  l'affirme  expressé- 
ment [p.  37]  —  assisté,  lui  qui  était  d'Église,  à  la  bataille  de 
Pavie.  Pourvu,  en  1525,  de  l'abbaye  d'Ivry  (diocèse  d'É\Teux), 
il  obtint,  en  outre,  avant  1532,  celle  de  Larrivour  (diocèse  de 
Troyes).  Il  devint,  vers  1540,  évêque  de  Pamiers,  et  mourut  à 
Avignon  en  1547. 

95.  Ce  fut  un  prélat  fort  éclairé,  et  nous  avons  de  lui,  outre 
le  poème  qui  nous  occupe,  au  moins  quatre  ouvrages  :  1°  Avant 


64  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

1538,  une  traduction  des  Verrines  de  Cicéron.  —  2^  Dédiée  à 
la  reine  de  Navarre,  une  épître  d'environ  sept  cents  vers.  Elle 
constitue  un  «  débat  »  véritable,  et  résume  une  causerie  de  salon. 
Rassemblés  au  château  de  Nancy,  plusieurs  seigneurs,  princesses 
et  demoiselles  s'étaient,  après  la  danse,  mis  à  discuter  les  points 
suivants  :  Où  donc  la  beauté  réside-t-elle  ?  Est-ce  dans  l'âms  ? 
Est-ce  dans  le  corps  ?  Est-ce  dans  le  corps  et  l'âme  à  la  fois  ? 
Et,  si  cette  dernière  hypothèse  est  recevable,  quelle  est,  de  la 
beauté  physique  ou  de  la  beauté  morale,  la  plus  propre  à  en- 
flammer l'amour  ?  Bien  divisées  étaient  les  opinions,  et  l'on 
ne  s'entendait  guère.  Heureusement  Jean  de  Luxembourg  sî 
trouvait  là.  Il  prit  la  parole,  et  traita  (c'est  lui-même  qui  noas 
le  dit)  avec  tant  d'abondance  et  de  verve  les  questions  en  litige 
que  les  auditeurs  furent  pleins  de  regrets  lorsque  s'éteignirent 
ensemble  son  éloquence  et  les  chandelles.  Dès  le  lendemain,  il 
rédigea,  pour  l'offrir  à  la  reine  Marguerite,  «  ce  grant  discours 
■p3X  .luy  faict  de  Beaulté  ».  A  distance,  on  s'explique  mal  les 
transports  que  l'auteur  prête  aux  hôtes  du  château  de  Nancy  ; 
il  a  beau  prétendre  que  ses  idées  étaient  nouvelles,  elles 
nous  semblent,  au  contraire,  banales,  et  sa  conclusion,  qui 
consiste  à  déclarer  qu'il  faut  rechercher  également  «  ce  qui 
est  bon  et  qui  est  bel  aussi,  »  ne  paraît  pas  de  la  première  fraî- 
cheur. La  pièce,  en  définitive,  ne  prouve  qu'une  chose,  c'est 
que  l'écrivain  suivait  la  mode,  et  se  sentait  capable,  toit 
comme  un  autre,  d'exprimer  en  vers  les  lieux  communs  du 
platonisme. 

96.  30  II  a  donné,  entre  1538  et  1545,  une  traduction  du 
Phédon,  qui  s'ouvre  par  une  dédicace  en  prose  où  le  roi  et  le 
connétable  reçoivent  d'énormes  louanges.  —  40  Vient  ensuite 
un  mémoire  relatif  à  la  répudiation  d'Anne  de  Clèves  par  Henri 
VIII.  Ce  hardi  et  assez  véhément  pamphlet,  qui  ne  fut  édité 
que  quatre  ans  plus  tard,  commença,  dès  1541,  à  circuler  ma- 
nuscrit. L'un  des  exemplaires  qui  couraient  ainsi  fut  envoyé, 
le  26  janvier  1542,  à  Londres,  et  provoqua  un  petit  incident 
diplomatique.  L'ambassadeur  d'Angleterre,  William  Paget,  alla 
se  plaindre  à  François  I^r  de  l'injure  qu'on  faisait  à  son  maître, 
et  accusa  nettement  M.  d'Ivry  (le  nom  de  l'abbaye  passait  pat - 
fois  à  l'abbé)  d'avoir  composé  et  répandu  ce  very  foolish  hook. 
Mais  l'émotion  finit  par  se  calmer,  et  alors  le  plaidoyer  en  faveur 
d'Anne  de  Clèves  fut  publié  ouvertement  par  Nicole  Paris,  de 
Troyes.  C'était  l'un  des  protégés  de  Jean  de  Luxembourg  qui 
l'avait  autorisé  à  se  dire  son  imprimeur  ordinaire  et  à  dater  de 
Larrivour  ce  qui  sortait  de  ses  presses.  Homme  de  goût  plus 
encore  que  'marchand,  Nicole  Paris  se  montra  digne  de  >on 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  65 

Mécène  :  on  lui  doit  quelques  belles  impressions,  notamment 
celle  de  V Institution  du  Prince.  Ce  livre  honore  le  typographe, 
mais  non  l'éditeur,  qui  n'est  autre  que  Jean  de  Luxembourg. 
Tantôt  amplifiant  le  texte  de  Guillaume  Budé  et  tantôt  le  muti- 
lant, il  a  aussi  estropié  les  noms  propres  et  donné  mille  preuves, 
en  somme,  de  désinvolture  ou  de  négligence. 

97.  Son  Triomphe  d'Anne  de  Montmorency  ne  saurait  lui 
valoir  les  mêmes  reproches,  car  il  l'a  préparé  avec  conscience, 
et  a  puisé  aux  meilleures  sources.  S'il  interprète  les  faits  à  sa 
manière,  il  les  relate  très  exactement,  en  sorte  que  les  historiens 
pourraient  tirer  de  lui  quelque  chose,  à  la  condition  de  consul- 
ter ses  récits  et  de  se  défier  des  commentaires.  Il  prend  son 
héros  au  moment  où  il  fut  présenté  au  roi  Louis  XII,  et,  depuis 
cette  date  jusqu'à  l'année  1538,  il  ne  le  quitte  plus  d'un  pas, 
et  l'accompagne  en  sa  vie  si  agitée  sans  se  croire  le  droit  d'omet- 
tre aucun  incident.  Les  lecteurs  s'essoufflent  à  suivre  les  che- 
vauchées de  ce  guerrier  qu'on  trouve  toujours  par  monts  et  par 
vaux,  qui  défend  ou  assiège  tant  de  villes,  et  paraît  au  premier 
rang  chaque  fois  que  se  livre  une  bataille.  Sa  conduite,  certes, 
est  glorieuse  :  mais  comme  ses  exploits  se  ressemblent  fort,  les 
vers  qui  les  racontent  manquent  de  variété,  et  provoquent  un 
sentiment  de  fatigue.  Le  poète  lui-même  s'en  aperçoit  et  tra- 
vaille de  son  mieux  à  rendre  son  épopée  moins  monotone  :  il 
introduit  çà  et  là  des  «  narrations  »  à  l'antique  ;  il  développe 
certains  épisodes  qu'il  juge  émouvants  ou  agréables  ;  il  inter- 
rompt la  marche  des  événements  pour  chanter,  en  longs  dithy- 
rambes, les  louanges  d'Anne  et  de  François  pi"  ;  quittant  le 
simple  style  histoiique,  il  feint  des  élans  d'enthousiasme,  et 
multiplie  les  exclamations  ;  il  formule  de  temps  en  temps  des 
sentences  morales  ou  politiques;  il  s'exprime,  vaille  que  vaille, 
en  images,  et  compare  Montmorency  au  gerfaut,  à  l'aigle,  au 
lion,  bref,  à  tous  les  animaux  intrépides  ;  il  se  répand  en  invec- 
tives contre  les  ennemis  de  la  France,  et  insiste  volontiers,  dès 
qu'il  en  a  l'occasion,  sur  les  faits  qui  n'ont  rien  de  militaire.  Les 
cérémonies,  les  réjouissances  l'arrêtent  et  le  retiennent  lors- 
qu'elles ont  lieu  en  l'honneur  d'Anne,  ce  qui  arrive  assez  fré- 
quemment :  Anne  [p.  13]  brille  dans  les  tournois,  et  s'y  révèle 
«  des  plus  adroictz  »  ;  il  est  (23  mars  1526)  nommé  Giand-Maî- 
tre  [p.  38]  ;  il  reçoit  l'ordie  de  la  Jarretière  [p.  41]  ;  au  milieu 
de  l'allégresse  universelle  et  en  grande  pompe,  il  se  marie  (1527) 
avec  Madeleine  de  Savoie  : 

0  luy  heureux,  o  elle  bien  heureuse  ! 
O  luy  sans  per,  o  elle  sans  seconde  ! 
O  luy  d'honneurs,  elle  d'enfans  féconde  !    [P.  42.] 

Clém3:il  Alirot  et  son   école  5 


66  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

98.  Et,  enfin,  cet  homme  incomparable,  ce  nouvel  Alexandre 
et  cet  autre  Fabius,  ce  sage  plus  «  discret  »  que  Caton  et  qui 
surpasse  «  tous  les  Platons  et  tous  Papiniens  «  est  créé  conné- 
table à  Moulins,  le  dimanche  lo  février  1538.  Alors  Jean  de 
Luxembourg,  qui  contemple  d'en  bas  ce  faîte  de  la  grandeur, 
se  sent  l'âme  ravie,  extasiée  ;  puis  son  admiration  prend  une 
forme  frénétique,  et  il  applaudit  avec  délire.  Ah,  c'est  à  ce  coup, 
s'ccrie-t-il,  qu'il  me  faudrait  du  génie  !  Si  j'avais  je  ne  dis  pas 
celui  du  roi  (car  ce  serait  trop),  mais  «  quelque  scintile  »  de  son 
esprit  divin,  je  pourrais  chanter  en  vers  un  tel  événement  [p. 
48]  :  mais,  n'aj-ant  qu'un  st3^1e  rustique,  je  ferais  mieux  de  me 
taire...  Qu'on  se  rassure  !  Il  ne  se  taira  point.  Il  ouvre  même 
toute  large  l'écluse  de  sa  rhétorique,  entasse  les  allégories  et  les 
tropes,  brandit  son  encensoir  de  vingt  manières,  et  n'économise, 
en  ce  jour  solennel,  ni  interjections  ni  métaphores.  D'abord, 
i]  apostrophe  [p.  50]  la  «  saincte  espée  »  du  connétable,  et  — 
multipliant  les  phrases  qui  commencent  par  ô  !  —  récite  dévo- 
tement les  litanies  de  cette  arme,  qu'il  salue  comme  étant  le 
repos  des  bons,  l'effroi  des  méchants,  le  gage  de  la  paix,  le  sou- 
tien du  petit  peuple,  le  «  remède  es  bellicques  dangiers  ».  En- 
suite, il  évoque  [pp.  5S-9]  les  fêtes  antiques,  mais  c'est  pour 
montrer  qu'elles  n'étaient  rien  en  comparaison  de  celle  dont  il 
parle.  Les  couronnes  d'or  ou  de  laurier  que  décernaient  les  Grecs 
et  les  Romains  ne  lui  semblent  que  «  fumée  et  vent  »  lorsqu'il 
songe  à  la  dignité  que  son  héros  vient  d'obtenir.  Le  triomphe  de 
César  dura  «  cinq  fois  cinq  jom-s  »  :  la  belle  affaire  !  Celui  d'Anne 
ne  se  terminera  qu'avec  sa  vie.  Et  qu'on  ne  nous  dise  pas  que 
Pompée,  montant  au  Capitole,  traînait  après  lui  des  éléphants, 
ces  léopards  et  des  tigres  !  «  Chercher  gloire  en  telles  bestes, 
qu'est-ce  »,  je  vous  le  demande,  «  sinon  brutalité  »  ?  Montmo- 
renc}^  lors  de  la  cérémonie  de  Moulins,  n'était  pas  entouré  de 
fauves  :  le  plus  grand  roi  du  monde  le  conduisait. 

99.  Arrivé  là,  notre  poète  se  calme  un  instant.  Vous  le  croyez 
peut-être  épuisé  ?  Non,  il  se  recueille,  il  reprend  haleine,  et  bien- 
tôt son  éloquence  rebondit.  Cette  foi?,  il  laisse  tranquilles  les 
anciens  ;  il  s'inspire  du  moyen  âge,  des  rhétoriqueuis,  et  invente 
[pp.  60-2]  un  Olympe  allégorique  digne  du  Roman  de  la  Rose. 
Le  connétable  trône  au  centre  de  cette  assemblée  de  dieux  : 
devant  lui  marchent  en  bel  ordre  Prouesse,  Prudent-Avis,  Dis- 
ciphne,  Zèle-du-commun-bien,  Cœur-haut,  Diligence  et  plu- 
sieurs autres  ;  il  est  debout  sur  un  grand  pavois  que  portent, 
outre  <(  ce  seigneur  qu'on  appelle  ]\Ierite  «,  Labeur,  Soin,  Souci, 
Peine,  Mille-males-nuits  ;  derrière  lui  se  pressent  Paix,  Prospé- 
rité,  Gracieux-Séjour  et  consorts  ;   Renommée  arrive  la  der- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  67 

nière,  et  suit  ce  beau  cortège  en  soufflant  dans  sa  trompette... 
Bien  qu'il  nous  ait  dépeint  de  son  mieux  ce  symbolique  panthéon, 
Jean  de  Luxembourg  avoue  modestement  que  ce  n'est  là  qu'une 
ébauche,  et  que,  pour  amener  le  tableau  à  son  point  de  perfec- 
tion et  le  rendre  capable  d'exprimer  toutes  les  vertus  de  Mont- 
morency, il  faudra  que,  tant  qu'ils  sont,  les  meilleurs  auteurs 
du  temps  collaborent  à  cet  ouvrage,  et  donnent  chacun  leur 
coup  de  pinceau.  Qu'ils  ne  s'amusent  plus,  en  conséquence,  à 
chanter,  à  imiter  les  choses  de  jadis;  qu'ils  cessent  de  secouer 
la  poussière  qui  recouvre  les  «  rouillées  antiquailles  »  !  Ceux  qui 
sont  morts  sont  morts.  Anne,  lui,  est  bien  vivant,  et  c'est  lui 
qu'il  convient  de  glorifier  «  en  grec,  hebrieu,  en  latin  et  fran- 
çoys  »  [p.  58].  Donc,  ô  «  gens  de  bonnes  lettres  »,  poètes  et  ora- 
teurs, nobles  et  divins  esprits,  taillez-moi  vite  vos  plumes,  et 
célébrez  le  triomphe  inestimable  de  l'homme  sans  rival  que  je 
n'ai  pas  su,  moi,  assez  louer  !  L'appel,  on  le  voit,  est  véhément  : 
mais  les  écrivains  semblent  l'avoir  entendu  avec  froideur.  Un 
seul,  le  sec  et  ennuyeux  René  Macé,  crut  devoir  répondre  à 
l'invitation  et  offrir  à  Mgr  Anne  un  panégyrique  de  sa  «  con- 
nestablerie  \  Il  se  proposait  de  traiter  le  sujet  en  plusieurs  livres. 
On  ne  possède  que  le  premier.  Les  autres  ou  ne  furent  pas  rédi- 
gés, ou  sont  perdus.  Ce  n'est  pas  là  une  perte  qui  nou.*?  laisse 
inconsolables. 

100.  Montmorency  et  François  de  Tournon,  bien  que  l'un  soit 
plutôt  un  soldat  et  l'autre  plutôt  un  prêtre,  offrent  quelques 
traits  de  ressemblance,  et  donnent  une  idée  exacte  de  ce  que 
fut  trop  souvent  le  grand  seigneur  de  la  Renaissance.  Tous  deux 
hommes  d'État,  tous  deux  opulents,  puissants  et,  d'ailleurs,  bien 
résolus  à  étouffer  les  idées  libérales,  ils  conciliaient  des  choses 
qu'on  voudrait  incompatibles  :  le  culte  des  arts  et  la  cruauté. 
Très  raffinés  à  certains  points  de  vue,  mais  farouches  parfois 
et  déchaînés,  tantôt  ils  nous  apparaissent  comme  les  représen- 
tants d'un  âge  poli,  et  tantôt  on  retrouve  en  eux  l'instinct  du 
barbare  et  du  primitif.  Méprisant  la  conscience  des  humbles, 
ils  faisaient  peu  de  cas  de  la  vie  humaine,  et  lorsqu'il  s'agissait 
d'établir  l'ordre,  c'est-à-dire  le  silence,  l'aveugle  docilité,  rien 
ne  leur  coûtait  moins  que  le  sang.  Cela  pèse  aujourd'hui  sur 
leur  mémoire,  et  notre  sympathie  ne  va  pas  à  ces  mauvais  riches 
qui  furent  sensibles  à  la  beauté,  non  à  la  pitié.  Leur  dilettan- 
tisme rend  leur  violence  encore  plus  choquante,  et  on  les  eût 
préférés  ennemis  des  Muses,  mais  amis  des  hommes,  parce  qu'il 
vaut  mieux  avoir  de  la  bonté  que  du  goût.  Heureusement  il  y 
eut,  au  temps  de  François  I^r^  des  gens  qui  furent  des  I\Iécènes 
sans  exercer  aucune  tyrannie.  S'ils  tenaient    à  leurs  opinions, 


68  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

ils  ne  les  imposaient  pas  ;  ils  ont  pu  avoir  des  travers  ou  des 
vices  :  jamais,  du  moins,  ils  n'opprimèrent  les  faibles,  et  le 
talent,  qu'il  fût  orthodoxe  ou  non,  rencontrait  chez  eux  le  même 
accueil.  A  ceux-là  seuls  le  titre  de  protecteur  des  beaux-arts 
s'applique  d'exacte  façon,  et  voici  maintenant  quelques  per- 
sonnages qui  l'ont  mérité  au  plus  haut  point. 

101,  Le  cardinal  Jean  de  LorraIne  (14  août  1498-mai  1550) 
doit  être  cité  le  premier.  Fils  de  René,  duc  de  Lorraine  et  de 
Bar,  il  n'avait  pas  trois  ans  que  son  père  travaillait  déjà  à  faire 
de  lui  un  prince  de  l'Église.  Il  le  fut,  et  vingt  fois  plutôt  qu'une, 
car  il  posséda  tant  d'abbayes  et  tant  de  sièges  épiscopaux  qu'il 
aurait  pu,  disait-on  non  sans  un  peu  d'amertume,  tenir  un 
concile  à  lui  tout  seul.  Ceux  qui  le  voyaient  passer  contemplaient 
d'un  coup  en  sa  personne  l'évêque  de  Metz  (1505),  de  Toul 
(1517),  de  Die  et  de  Valence  (1521),  de  Thérouanne  (1522),  de 
Verdun  (1523).  d'Albi  (1535),  d'Agen  (1541),  de  Nantes  (1542), 
—  l'archevêque  de  Narbonne  (1524),  de  Reims  (1537),  de  Lyon 
(même  date),  —  un  cardinal  diacre  (1518),  —  l'abbé  de  Fécamp 
(1523),  de  Cluny  (1529),  de  Saint- Jean  de  Laon  (1533),  de  Saint- 
Germer  (1536),  de  Saint-Médard  de  Soissons  (jusqu'en  1540), 
de  Ma.rmoutier  (1539),  de  Saint-Ouen  de  Rouen,  —  le  prieur 
de  Varangéville  et  le  titulaire  de  quantité  d'autres  bénéfices 
moins  gras  et  moins  notables  que  ceux-là.  Tous  ces  titres,  à 
vrai  dire,  il  ne  les  a  jamais  portés  ensemble  :  îl  cédait  l'un  pour 
avoir  l'autre,  vendait,  troquait,  laissait,  reprenait  et,  bref,  re- 
gardait les  charges  d'âmes  comme  des  valeurs  négociables,  une 
marchandise  destinée  à  circuler.  Les  intérêts  spirituels  de  ses 
ouailles  (un  peuple  entier  !)  ne  l'inquiétaient  en  rien,  et  son 
unique  souci  était  de  toucher  des  revenus,  qui  comblaient  à 
peine,  bien  qu'énorme<î,  le  gouffre  de  ses  dépenses.  D'ailleurs, 
il  eût  essayé  vainement  de  jouer  ses  multiples  rôles  sacerdo- 
taux :  à  l'impossible  nul  n'est  tenu,  et  l'on  conçoit  que,  pour 
s'astreindre  à  la  résidence,  il  lui  aurait  fallu  le  don  d'ubiquité. 

102.  Hors  d'état  de  se  trouver  en  même  temps  partout  où 
l'appelait  son  devoir,  il  trancha  la  difficulté  en  s'établissant  au 
centre  des  plaisirs,  autrement  dit  à  la  cour.  Là,  sans  prévoir 
qu'à  la  fin  il  tomberait  en  disgrâce,  il  connut,  ainsi  que  son  frère 
Claude,  une  longue  et  éclatante  faveur.  Conseiller  intime  (1530) 
et  commensal  du  roi,  il  le  suivait  en  ses  voyages,  marchait  à 
côté  de  lui  dans  les  cérémonies,  et  ne  le  quittait  guère  que  pour 
se  rendre  soit  au  conclave,  soit  en  mission  auprès  de  l'empereur 
(1536'  ou  à  des  conférences  diplomatiques...  Et  n'allez  pas  vous 
le  figurer  sous  les  traits  d'un  de  ces  prélats  austères  qui  ne  per- 
dent rien  de  leur  gravité  en  se  mêlant  à  la  vie  laïque.  C'était 


CLÉMENT   MAKOT    ET   SON    ÉCOLE  69 

un  joyeux  seigneur,  vaniteux  mais  très  cordial,  et  qui  ne  savait 
rien  refuser  ni  aux  autres  ni  à  lui.  Accueillant  et  prodigue,  il 
aimait  à  éblouir  par  son  faste,  et  aurait  été  digne  qu'on  l'appe- 
lât Jean  le  Magnifique.  Il  avait,  affirme  de  Thou,pluà  François  1^^ 
pour  deux  raisons  fort  peu  honorables,  voluptatum  ministerio 
et  stolida  liheralitate.  Brantôme  nous  le  représente  portant, 
chaque  fois  qu'il  se  promenait,  une  «  gibecière  »  garnie  d'écus 
qu'il  distribuait  aux  pauvres  sans  compter,  «  sans  rien  trier  », 
A  Rome,  un  aveugle,  qui  avait  reçu  de  lui  «  une  grande  poi- 
gnée d'or  »,  s'écria  :  Si  tu  n'es  pas  le  Christ,  tu  es  le  cardinal 
de  Lorraine  !  —  Et  bon  vivant  avec  cela  ;  beau  joueur  aussi. 
Il  battit,  aux  dés  et  à  la  paume,  le  roi  d'Angleterre,  qui  le  trouva 
gentil  compagnon.  Les  femmes  partageaient  cet  avis.  Dès  qu'ar- 
rivait à  la  cour  «  quelque  belle  fille  ou  dame  nouvelle  »,  il  l'ac- 
costait, V arraisonnait  aussitôt,  disant  qu'il  la  voulait  dresser  de 
sa  main.  «  Quel  dresseur  !  »  ajoute  Brantôme.  M.  le  Révéren- 
dissime  aurait  eu  plus  de  peine  à  dompter  un  "  poulain  sauva- 
ge »  qu'à  apprivoiser  ces  novices.  Aucune  ne  lui  résistait,  et  il 
n'avait  besoin,  pour  les  mettre  à  mal,  que  de  leur  offrir  des 
pièces  de  soie,  des  cottes  et  des  robes  lamées  d'ai'gent. 

103.  A  cela  près,  conclut  Brantôme,  Jean  de  Lorraine  fut  si 
plein  de  vertus  que  nul  ne  lui  reprochera  «  cette  petite  imper- 
fection ».  De  fait,  les  contemporains  ont  dû  juger  naturelle  sa 
conduite,  et  il  n'a  guère  reçu  que  des  éloges.  Comment  les  écri- 
vains, les  artistes  auraient-ils  pu  lui  être  sévères  ?  Ils  voyaient 
en  lui  une  providence,  car  il  les  aimait,  les  comprenait,  les  pro- 
tégeait. Eux,  par  gratitude,  le  célébraient  tous,  et  nombreux 
sont  les  textes  où  il  se  trouve  cité,  adulé. 

104.  Il  fut  l'ami  ou  le  Mécène  de  plusieurs  érudits  de  son  épo- 
que, et  nous  sommes,  grâce  aux  patientes  recherches  de 
M.  Collignon,  renseignés  sur  les  rapports  qu'il  eut  avec  Cornélius 
Agrippa  (il  fut,  en  1525,  le  parrain  d'un  de  ses  fils),  Jacques 
Sadolet,  Lazare  de  Baïf,  Guillaume  Postel,  Barthélémy  Le  Mas- 
son,  qui  lui  dut  sa  place  de  lecteur  royal,  Symphorien  Cham- 
pier,  Pierre  Duchâtel,  grand  aumônier  de  France,  et  le  docte 
Antoine  Macault,  qui  lui  dédia  sa  version  du  Pro  Marcello  de 
Cicéron.  —  Les  Italiens,  eux  aussi,  reçurent  leur  part  de  ses 
bienfaits.  Les  Mémoires  de  Cellini  nous  fournissent  une  preuve 
de  sa  munificence  ;  Luigi  Alamanni,  dans  sa  première  Sclva, 
lui  consacre  des  vers  flatteurs,  et  Agostino  Giustiniani  lui  offre, 
«  le  jour  des  calendes  de  mars  1520  »,  son  édition  du  Timée 
traduit  en  latin  par  Chalcidius.  —  Ajoutez  que  le  cardinal  s'in- 
téressait beaucoup  aux  travaux  des  hellénistes,  et  ne  leur  refu- 
sait pas  son  patronage.  Mais  il  faut  nous  borner  à  ce  qui  est 


70  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

pour  nous  l'essentiel,  et  en  venir  maintenant  aux  relations  de 
Jean  de  Lorraine  avec  les  poètes  tant  néo-latins  que  français. 

105.  Parmi  les  néo-latins,  je  citerai  comme  aj^ant  fait  partie 
de  sa  clientèle  i»  Salmon  Macrin,  qui  lui  dédie,  et  trois  fois 
plutôt  qu'une,  ses  Hymnes  choisis  ;  —  2°  Jean  Visagier,  qui, 
le  lo  des  calendes  du  mois  d'août  1536,  lui  voue  son  volume 
à!  Épigyammes,  puis  lui  adresse  coup  sur  coup  deux  petites  pièces 
où  il  l'appelle  «  opifer  vatum  »,  et  dit  :  tu  es  si  cher  au  roi  qu'il 
veut  tout  ce  que  tu  veux  ;  —  30  Etienne  Dolet,  qui  lui  témoi- 
gne, d'abord,  sa  gratitude  en  quelques  vers  bien  tournés,  le 
mentionne  ensuite  honorablement  dans  la  préface  des  Gestes  de 
François  de  Valois,  et,  rimant  enfin  pour  lui  une  épître  de  son 
Second  Enfer,  lui  raconte  en  peu  de  paroles  ses  tribulations, 
et  le  prie  de  travailler  à  son  salut  ;  —  4°  Nicolas  Bourbon,  au- 
quel il  rendit  un  double  service,  s'il  consentit  (et  nous  avons  tout 
lieu  de  le  croire)  à  ce  que  lui  demandait  ce  poète  :  obtenir  de 
ses  juges  qu'on  le  tirât  de  prison,  puis  le  présenter  à  la  cour  ; 

■ — 50  Laurent  Pillart  (Pilladius) . . .  Celui-là  est  moins  connu. 
Né  en  1503  non  loin  de  Pont-à-Mousson,  chanoine  de  Saint- 
Dié  et  curé  de  Corcieux,  il  publia  (1548)  une  sorte  d'épopée  en 
six  chants,  la  Rusticiade,  où  est  célébrée,  comme  s'il  s'agissait 
d'une  autre  guerre  de  Troie,  la  sanglante  et  facile  destruction 
des  Rustauds,  en  1525,  par  le  duc  Antoine  et  son  frère  Claude. 
Ce  sont  les  deux  héros  de  rou\Tage  :  mais  le  cardinal  n'est  pas 
oublié,  et  son  panégyrique  s'étale  au  second  chant...  Laurent 
Pillart  mourut  en  1562,  à  Saint-Dié. 

106.  Jean  de  Lorraine  ne  fut  pas  chanté  qu'en  latin,  et  il  a 
reçu  aussi  beaucoup  d'hommages  en  langue  vulgaire.  Sans  pré- 
tendre énumérer  tous  les  auteurs  qui,  par  intérêt  ou  par  recon- 
naissance, composèrent  pour  lui  des  vers  français,  on  doit,  au 
moins,  rappeler  quelques  noms.  Louis  des  Masures,  qui  avait 
été,  à  ses  débuts,  encouragé  de  plus  d'une  façon  par  ce  prélat 
éclairé,  lui  dédia  sa  traduction  des  livres  I  et  II  de  l'Enéide. 
Ce  fut  également  à  lui  que  Charles  Fontaine,  escomptant,  j'ima- 
gine, une  récompense,  offrit  sa  Contr'  aniye  de  court.  A  lui  encore 
Bonaventirre  des  Périers  adressa,  en  1539,  une  louange  brève, 
mais  sincère.  Pour  lui,  enfin,  Clément  Marot  a  rimé  deux  poé- 
sies :  il  le  prie,  dans  la  première  [G.  III,  loi],  de  l'aider  à  obte- 
nir la  charge  de  valet  de  chambre  que  la  mort  de  son  père  lais- 
sait vacante,  et  ce  lui  est  une  belle  occasion  de  saluer,  en  la 
personne  du  puissant  Mécène,  non  seulement  un  amateur  des 
sciences  tant  humaines  que  divines,  mais  aussi  [p.  104]  un  «  no- 
ble fleuron  royal  »,  car  les  princes  lorrains  affirmaient  avoir  des 
droits  sur  le  royaume  de  Jérusalem,  et  l'on  était  certain  de  leur 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  71. 

plaire  si  l'on  feignait  de  croire  leur  prétention  bien  fondée.  — ■ 
Quant  à  la  seconde  pièce  [J.  II,  90],  c'est  une  alerte  et  gentille 
ballade,  intitulée  Chant  pastoral.  Il  y  est  question  d'un  joueur 
de  flûte,  Michel  Huet,  Parisien,  qui  appartenait  à  la  maison 
du  cardinal,  et  s'était,  semble-t  il,  absenté  sans  prévenir,  en 
sorte  que  son  maître  s'inquiétait  fort.  Ne  te  tourmente  point, 
lui  dit  le  poète.  Ton  serviteur  est  allé  à  un  concours  que  Pan 
et  ((  s'amye  »,  la  nymphe  Syrinx,  ont  ouvert  sur  les  monts  d'Ar- 
cadie,  et  tu  le  reverras  avant  peu,  vainqueur  de  ces  dieux  musi- 
ciens et  rapportant  le  prix  du  mieux  sonnant,  la  riche  flûte  d'or 
à  neuf  pertuis.  —  Outre  ces  deux  pièces  qui  ont,  l'une  et  l'autre, 
beaucoup  d'agrément,  on  pourrait  encore  citer  quelques  vers 
[G.  III,  190]  où  Marot  a  finement  introduit  Claude  de  Guiss 
et  son  frère  Jean.  Ils  se  lisent,  ces  vers,  dans  l'épître  qui  met 
en  scène  le  valet  de  Gascogne,  et  furent,  par  suite,  rimes  en 
1532...  C'est  le  dernier  texte  à  alléguer.  L'écrivain,  désormais, 
ne  fera  plus  figurer,  en  ses  œuvres,  le  nom  de  son  ancien  pro- 
tecteur, et  renoncera  à  conserver  ensemble  la  sympathie  des 
Réformés  et  l'appui  de  ce  prélat  romain. 

107.  La  suite  naturelle  d'une  monographie  de  Jean  de  Lor- 
raine serait  une  étude  relative  à  son  collègue  et  ami,  Jean  Du 
Bellay.  Ces  deux  peisonnages  nous  apparaissent,  en  effet,  sem- 
blables à  bien  des  égards,  et  leurs  goûts  ainsi  que  leur  carrière 
présentent  une  analogie  manifeste.  —  Jean  Du  Bellay,  frère  de 
ce  Guillaume  de  Langey  qui  mena,  les  yeux  uniquement  fixés 
sur  Icroi  et  la  patrie,  une  belle  vie  de  diplomate  et  de  soldat, 
entra,  lui,  dans  les  ordres,  et  parvint,  suivant  en  cela  l'exemple 
de  Jean  de  Lorraine,  à  détenir  un  très  grand  nombre  de  digni- 
tés et  de  bénéfices.  Évêque  de  Bayonne  (1526),  de  Paris  (1532), 
de  Limoges  (1541),  du  Mans  (1546),  promu  cardinal  le  21  mai 
1535,  il  reçut,  en  outre,  l'abbaye  de  Saint-Maur  (1532)  et  l'ar- 
chevêché  de  Bordeaux  (1544).  Il  y  aurait  eu  là  de  quoi  enrichir 
une  demi-douzaine  d'ambitieux.  Mais  lui,  avec  tant  d'or  affluant 
de  tant  de  sources,  gérait  ses  finances  si  négligemment  et  me- 
nait un  train  à  ce  point  onéreux,  qu'il  lui  fallait  sans  cesse  re- 
courir aux  emprunts.  Ce  luxe  et  ce  désordre  sont  des  raisons 
nouvelles  de  le  comparer  au  frère  de  Claude  de  Guise,  dont  il 
se  rapproche  encore  en  ceci  qu'il  ne  résida  guère  où  il  avait 
charge  d'âmes,  et  qu'il  a  joué  le  rôle  plutôt  d'un  agent  de  la 
couronne  que  d'un  prêtre. 

108.  Moins  intermittent  et  mieux  tenu  que  celui  du  cardinal 
de  Lorraine,  ce  rôle,  à  certaines  heures,  fut  très  important,  ca.- 
Jean  Du  Bellay,  quoiqu'il  n'ait  pas  été  à  l'abri  des  intrigues  de 
cour,  et  qu'il  ait  connu,  lui  aussi,  le  flux  et  le  reflux  de  la  fa-, 


72  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

veur,  est  demeuré  fidèle  à  ses  maîtres,  et  les  a,  avec  autant  de 
zèle  que  d'intelligence,  fort  utilement  servis.  Ce  fut  surtout  en 
Angleterre  qu'il  se  montra  ambassadeur  avise.  Bien  vu  du  roi 
Henri  VIII,  il  travailla  à  le  détacher  de  Charles-Quint,  à  tour- 
ner ses  sympathies  vers  la  France.  Que  fallait-il  pour  cela  ? 
Aider  ce  prince,  qui  voulait  répudier  Catherine  d'Aragon,  tante 
de  l'empereur,  à  obtenir  l'assentiment  ou,  si  l'on  préfère,  la 
complicité  de  l'Église.  Cette  affane,  qui  allait  amener  tout  un 
peuple  à  la  Réforme,  agitait  jusqu'au  fond  le  monde  chrctien, 
passionnait,  divisait  les  politiques.  Henri  avait  consulté,  mé- 
prisant l'opinion  du  saint-siège,  les  principales  universités.  Que 
répondraient-elles  ?  Que  répondrait  la  Sorbonne,  ce  foyei,  ce 
tem^ple  de  la  théologie  traditionnelle  ?  On  attendait  son  avis 
avec  angoisse.  Les  docteurs  de  l'insigne  Faculté  étaient  loin 
d'être  d'accord  :  l'argent,  les  manœuvres  des  partis  en  cause 
les  avaient  disposés  diversement,  en  sorte  que  les  uns,  pour 
complaire  au  roi  anglais,  ne  blâmaient  point  le  divorce,  tandis 
que  les  autres  le  condamnaient  afin  d'être  agréables  à  Charles- 
Quint  et  au  pape.  L'intraitable  et  bruyant  Noël  Béda  conduisait 
à  la  bataille  ces  soldats  français  de  Clément  VIL  Aussi  la  pre- 
m.ière  séance  fut-elle  orageuse.  Il  n'y  eut  pas  discussion,  mais 
émeute.  Jean  Du  Bellay,  rappelé  de  Londres,  résista  à  tous  les 
assauts  de  Béda,  lui  tint  tête  avec  acharnement,  fit,  dit-on, 
des  prodiges  d'éloquence,  et  réussit  ultérieurement  à  arracher 
la  sentence  qu'il  souhaitait  (juin-juillet  1530). 

109.  Au  reste,  la  peine  qu'il  avait  prise  n'eut  pas  les  résultats 
durables  qu'il  espérait.  L'entente  anglo-française  ne  régna  qu'un 
temps,  et  Montmorency,  dès  qu'il  fut  connétable,  s'appliqua  à 
brouiller  François  pr  et  Henri  VIII.  Celui-ci  finit  par  se  rap- 
procher de  l'empereur  ;  il  envahit  (1544)  la  Picardie,  et  ce  fut 
encore  Jean  Du  Bellay  qu'on  lui  envoya  pour  tâcher  de  le  ré- 
soudre à  la  paix...  La  carrière  de  cet  habile  négociateur  ne  se 
termine  pas  ici,  et,  plus  tard,  il  défendit  les  intérêts  de  la  France 
à  Rome,  où,  d'ailleurs,  il  était  déjà  allé  — et  non  pas  une  fois  — 
en  ambassade.  Des  voyages  qu'il  y  a  faits  entre  1534  et  1547 
je  dirai  bientôt  quelque  chose.  Quant  à  sa  dernière  mission  en 
Italie  (à  partir  d'avril  1553),  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  occuper 
maintenant,  et  j'en  parlerai,  le  moment  venu,  à  propos  du  poète 
Joachim  et  de  ses  émouvants  Regrets. 

110.  En  somme,  c'est  surtout  parce  qu'ils  furent  l'un  et  l'au- 
tre des  Mécènes  qu'il  y  a  lieu  d'étudier  ensemble  Jean  de  Lor- 
raine et  son  ami  Du  Bellay.  Ce  dernier  aimait,  recherchait  les 
savants,  les  gens  de  lettres,  les  artistes.  Ce  fut  lui  qui  commença 
la  fortune  de  Philibert  de  l'Orme  :  il  l'accueillit  lorsqu'il  se 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  73 

décida  à  quitter  Lyon,  le  chargea  de  construire  son  château  de 
Saint-Maur,  et,  lui  fournissant  ainsi  l'occasion  de  révéler  sa 
maîtrise,  le  fit  connaître  à  la  cour.  Cet  édifice,  au  moins  en  ce 
qui  concerne  le  gros  œuvre,  était  achevé  en  1544,  puisque,  durant 
l'été  de  cette  année-là,  le  roi  vint  le  visiter,  et  y  resta  même 
tout  un  mois.  Demeure,  en  effet,  royale  !  Les  contemporains 
ont  pris  plaisir  à  la  célébrer  :  mais  l'admirable  ordonnance  et 
la  grâce  du  bâtiment  semblent,  pourtant,  les  avoir  moins  séduits 
que  son  cadre.  De  vastes  jardins,  qu'animait  un  peuple  de  sta- 
tues, entouraient  la  maison  comme  un  décor.  L'architecte  avait 
invité  ou  contraint  la  nature  à  collaborer  avec  lui  ;  eUe  s'était 
accommodée  à  ses  intentions,  ajoutant  les  beautés  qui  lui  sont 
propres  à  celles  que  le  génie  avait  créées.  Et  c'était  vraiment 
là  un  palais  selon  les  goûts,  l'esprit  de  la  Renaissance,  autre 
chose  qu'un  logement,  un  abri.  On  y  pouvait  jouir,  sous  le  ciel 
libre,  du  charme  des  eaux,  de  la  verdure,  et  se  refaire  (rêve  de 
ce  temps-là  !)  une  âme  païenne  dans  la  société  du  dieu  Pan 
ou  par  le  commerce  des  nymphes.  Sans  doute,  c'est  ce  qu'entend 
signifier  Rabelais  lorsque,  dans  la  dédicace  de  son  Quart-Livre, 
il  appelle  un  «  paradis  de  salubrité  «  le  domaine  du  cardinal, 
et  ajoute  qu'on  y  trouve  «  aménité,  sérénité,  commodité,  délices, 
et  tous  honestes  plaisirs  de  agriculture  et  vie  rusticque  ».  Phi- 
libert de  l'Orme  n'eut  pas  à  regretter  d'avoir  construit  ce  châ- 
teau :  ses  soins  et  sa  peine  lui  furent  assez  libéralement  payés 
pour  qu'il  devînt  lui-même  propriétaire  à  Saint-Maur,  où  il 
possédait,  à  la  fin  de  sa  vie,  des  jardins,  lieux  et  maisons.  Cela 
prouve  que  Jean  Du  Bellay  jugeait  que  l'artiste  l'avait  bien 
servi,  et  qu'il  se  plaisait  fort  en  son  Éden.  Mais  il  n'y  a  guère 
séjourné  que  durant  ses  années  de  défaveur  et,  notamment,  de 
1550  à  1553.  Il  ne  s'ennuyait  pas,  ne  regrettait  rien  :  son  parc, 
ses  fontaines  le  consolaient,  et  puis  il  avait  toujours,  comme 
hôtes,  quelques-uns  des  érudits  ou  des  écrivains  qu'il  protégeait, 

111.  On  lui  connaît  beaucoup  de  clients  :  Louis  des  Masures 
qu'il  accueillit  errant,  fugitif,  et  qu'il  garda  chez  lui  plus  d'une 
année,  Michel  de  l'Hospital,  Etienne  Dolet,  François  Vatable, 
Jacques  Toussaint  et  la  plupart  des  lecteurs  royaux.  Il  avait 
contribué  à  l'institution  de  l'académie  trilingue,  et  les  pro- 
fesseurs, grâce  à  lui,  parvenaient  à  être  payés  non  pas  à  date 
fixe  (c'eût  été  trop  beau  ),  mais  de  temps  en  temps.  Il  fut  aussi 
le  patron  du  poète  Jean  Visagier. 

112.  Et  le  patron,  surtout,  de  Rabelais  !  Voilà,  à  nos  yeux, 
son  meilleur  titre.  Secrétaire  et  médecin  du  cardinal,  l'auteur 
du  Gargantua  paraît  s'être  rendu  indispensable  à  son  maître 
par  sa  joyeuse  ironie,  sa  science  encyclopédique  et  ce  don  qu'il 


74  CLÉMENT   MAROT   ET   SON    ÉCOLE 

avait  de  s'intéresser  également  à  toutes  les  idées,  à  toutes  les 
découvertes  nouvelles,  et  d'en  parler  avec  passion.  Trois  fois 
Jean  Du  Bellay  l'emmena  ou  l'attira  en  Italie.  Lors  du  premier 
voyage,  en  1534,  Rabelais  explora  les  ruines  de  Rome,  pratiqua 
des  fouilles,  essaya  de  retrouver,  sous  la  ville  moderne,  l'as- 
siette de  l'ancienne  ville.  Il  était,  en  ce  travail,  aidé  par  deux 
jeunes  hommes  qui  appartenaient,  eux  aussi,  à  la  maison  du 
prélat  français.  L'un,  qui  avait  enseigné  le  droit  à  Bourges  où 
il  s'était  lié  avec  Calvin,  se  nommait  Nicolas  Leroy  ;  l'autre, 
c'était  ce  Claude  Chappuys  qui  devait,  comme  poète  courtisan, 
fournir  une  heureuse  et  longue  carrière...  Le  deuxième  voyage 
(1535-1536)  serait  facile  à  raconter  d'une  manière  assez  détail- 
lée, en  se  fondant  sur  les  lettres  que  Rabelais  écrivit  à  Geoffroy 
d'Estissac,  évêque  de  Maillezais.  Par  elles  nous  savons  que  nos 
gens  —  Chappuys  n'était  pas  avec  eux  ;  on  l'avait  laissé  en 
France  —  passèrent  à  Carmagnola  le  18  juillet,  puis  s'arrêtè- 
rent à  Ferrare  oii  résidaient  alors  Clément  Marot,  Lyon  Jamet, 
le  médecin  Manardi  et  l'ambassadeur  Jean  de  Langeac,  évêque 
de  Limoges.  Le  cardinal  et  ses  «  domestiques  »  ne  restèrent  à 
Ferrare  que  cinq  jours,  et  arrivèrent  à  Rome  le  31  juillet  ou  le 
I"  août... 

113.  Quant  au  troisième  voyage,  il  eut  lieu  au  mois  de  juin 
1548.  Maître  François  l'entreprit  à  la  prière  de  son  bienfaiteur 
qui,  malade  à  Rome,  l'y  appela.  Ce  fut  pendant  ce  dernier  séjour 
que,  pour  célébrer  la  naissance  du  duc  Louis  d'Orléans,  fils 
puîné  de  Henri  II,  Du  Bellay,  Horace  Farnèse  et  Robert  Strozzi 
organisèrent  une  magnifique  «  sciomachie  »,  comprenant  des 
scènes  mythologiques  et  guerrières,  un  carrousel,  un  banquet, 
des  feux  d'artifice,  des  feux  de  joie  (mars  1549).  Ces  jeux  où 
Diane  chasseresse  avait  un  rôle  éminent,  et  qui  glorifiaient  la 
favorite  plus  encore  que  le  petit  duc,  se  déroulèrent  sur  la  place 
Sant'Apostolo,  devant  le  palais  du  cardinal.  Rabelais  nous  a 
laissé  une  relation  minutieuse,  savante  et  pittoresque  de  cette 
fête,  à  la  préparation  de  laquelle  il  avait,  du  reste,  collaboré... 
Mais  ne  poussons  pas  plus  avant  l'exposé  de  ses  rapports  avec 
son  Mécène.  Cela  nous  entraînerait  trop  loin,  et  il  nous  suffit 
d'avoir  montré  la  largeur  d'esprit,  la  tolérance  de  ce  haut  digni- 
taire de  l'ÉgHse  qui  aimait  et  comprenait  un  penseur  libre  et 
hardi,  un  homme  odieux  à  la  Sorbonne,  et  que  François  de 
Tournon,  le  regardant  comme  complice  de  tous  les  «  maulvais 
paillards  »,  aurait  bien  voulu  emprisonner  [Heulhard,  92]. 

114.  Pourtant  Jean  Du  Bellay  ne  se  montrait  pas  hostile  aux 
gens  de  lettres  qui,  gardant  une  intacte  orthodoxie,  se  faisaient, 
en  leurs  œuvres,  les  défenseurs  ou  les  interprètes  de  la  religion 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  75 

traditionnelle.  S'il  n'avait  pas  été,  plus  tard,  sévère  pour  Joa- 
chim  et  ses  âpres  censures  des  mœurs  ultramontaines,  je  dirais 
que,  pourvu  que  les  auteurs  eussent  du  talent,  il  ne  leur  deman- 
dait pas  compte  de  leurs  opinions.  Aussi  voyons-nous  autour 
de  lui,  dans  son  intimité,  des  hommes  dont  les  idées,  quoique 
divergentes,  semblent  lui  avoir  plu  également.  Il  a  reçu  tour 
à  tour  (et  peut-être  à  la  fois),  dans  sa  maison  de  Saint-Maur, 
le  prophète  des  temps  nouveaux,  le  fondateur  de  Thélème,  ce 
temple  de  la  Raison  affranchie,  et  le  pieux  Salmon  Macrin,  le 
poète  des  hymnes  à  la  Vierge.  Celui-ci,  à  en  juger  par  les  nom- 
breux témoignages  que  nous  avons  de  sa  gratitude,  a  dû  être 
comblé  par  le  cardinal,  car  il  l'exalte  presque  à  chaque  page  de 
ses  livres,  et  lui  dédie  au  moins  vingt  pièces.  Bien  mieux,  il  se 
fait  son  éditeur,  et  c'est  lui  qui,  à  la  suite  de  ses  Odarum  libn 
très,  présente  au  public  les  vers  de  son  patron.  Ils  sont  précédés 
d'une  lettre  à  l'évêque  de  Mâcon,  Pierre  Duchâtel.  Je  me  per- 
suade, lui  dit  Salmon  Macrin,  que  tu  liras  avec  joie  et  profit 
les  édifiantes,  les  délicates  choses  que  Du  Bellay,  à  ses  heures 
de  loisir,  a  écrites.  Il  comptait  les  tenir  cachées,  et  c'est  à  son 
insu  [mensonge  officieux  et  sans  conséquence]  que  je  les  met? 
en  lumière. 

115.  Les  poésies  ainsi  divulguées  prouvent  que  le  cardinal 
avait  fait  d'excellentes  études,  mais  que  l'imagination  lui  man- 
quait. Il  fut,  peut-être,  «  élégantissime  »  ;  il  ne  fut  sûrement  ni 
inspiré  ni  profond,  et  il  a  plutôt  l'air,  lorsqu'il  aligne  ses  faciles 
strophes  néo-latines,  de  sacrifier  à  la  mode  que  de  céder  à  une 
inclination  naturelle.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  veut  tirer  de  ses  vers 
un  bénéfice,  et  il  entend  qu'ils  servent  à  démontrer  qu'il  est 
bon  catholique  et,  surtout,  fidèle  sujet  du  roi.  De  là  quelques 
pièces  que  Noël  Béda  aurait  approuvées,  et  beaucoup  d'autres 
où  se  révèle  le  courtisan,  voire  le  flatteur.  Souvent  il  s'adresse 
à  François  I^^",  le  remerciant,  par  exemple,  de  l'avoir  honoré 
d'une  visite  ou  lui  offrant  d'antiques  statues.  La  famille  royale, 
on  le  devine,  n'est  pas  oubliée.  Catherine  de  Médicis  reçoit,  se 
trouvant  enceinte,  un  «  prognosticon  ■)  réconfortant.  Mais  c'est 
à  la  jeune  pi  incesse  de  Navarre  que  vont,  de  préférence,  les 
hommages,  les  madrigaux  et  les  propos  plaisants  de  notre  pré- 
lat. En  ses  vers,  on  rencontre  Jeanne  d'Albret  à  chaque  moment  : 
tantôt,  petite  épouse  mal  résignée,  elle  feint  d'être  prête  (pure 
comédie  !)  à  rejoindre  son  mari  en  Allemagne,  et  les  nymphes 
de  Saint-Maur  pleurent  ce  départ  qui  n'aura  pas  lieu  ;  tantôt, 
arrivant  en  ce  même  Saint-Maur,  elle  contemple  les  marbres 
apportés  de  Rome  que  l'on  a  placés  à  l'entrée  du  château,  pro 
foribus  ;  ici,  elle  quitte  ce  séjour  enchanté,  et,  là,  Du  Bellay 


76  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

se  plaint  d'un  adversaire  qui  l'a,  affirme-t-il,  iniquement 
accusé.  On  ajoutera  que  si  l'ode  saphique  dédiée  au  précepteur 
de  Jeanne,  Nicolas  Bourbon,  rend  justice  aux  talents  du  maî- 
tre, c'est  surtout  à  l'élève  qu'elle  prodigue  les  compliments.  Ce 
Bourbon,  à  demi  luthérien,  voisine,  en  ce  recueil,  avec  des  per- 
sonnages bien  difféients.  Plusieurs  poèmes  sont  écrits  pour  Jean 
de  Lorraine  :  l'un  a  le  caractère  d'une  édifiante  méditation  ; 
deux  autres  racontent  les  chagrins  de  l'auteur  accablé  par  des 
calomnie?  qui  renaissent,  pleines  de  vigueur,  alors  qu'on  les 
croyait  étouffées...  Signalons,  aussi,  dans  ce  groupe  ad  familia- 
res,  une  sorte  d'épître  à  Salmon  JMacrin  et  des  vers  qui  invitent 
Jacques  Colin  à  venir  se  reposer  aux  champs,  urhe  et  joro 
rclictis. 

116.  Ce  Jacques  Colin,  pour  qui  le  cardinal  ouvrait  toutes 
grandes  les  portes  de  Saint-Maur,  était  lui-même  un  poète  (du 
moins,  il  faisait  des  vers),  un  savant,  un  protecteur  des  let- 
tres, en  sorte  que  notre  revue  des  Mécènes,  nous  pouvons  bien 
la  finir  par  lui.  Il  est  né  à  Auxerre  ou  près  d'Auxerre,  et  paraît 
avoir  appartenu  à  une  famille  assez  modeste.  Il  ne  tut  donc  pas 
de  ceux  que  le  roi  ou  l'Église  dotaient  richement  dès  le  ber- 
ceau, et  qui  recevaient,  en  guise  de  hochets,  des  titres  ou  même 
des  charges.  Aucune  bonne  fée  n'accourut  à  son  baptême  ;  il 
lui  fallut  construire  sa  fortune  et  ne  compter,  pour  percer  peu 
à  peu,  que  sur  ses  propres  mo3^ens.  D'abord  nous  le  voyons  au 
service  d'Odet  de  Foix,  seigneur  de  Lautrec,  qui,  le  4  août  1521, 
l'envoie  en  mission  à  Venise  ;  puis  Louise  de  Savoie  lui  accorde, 
vers  1524,  le  revenu  du  greffe  de  Chantelle  et  l'office  de  correc- 
teur des  comptes  à  Moulins  ;  un  peu  plus  tard  (1526),  il  parvient 
à  entrer,  en  qualité  de  valet  de  chambre,  dans  la  maison  de 
François  I^^,  auquel,  de  diverses  façons,  il  va  se  rendre  agréable. 
Ici  commencent  ses  années  brillantes  et  le  notable  rôle  qu'il  joua 
longtemps. 

117.  Rôle,  avant  tout,  diplomatique...  Jacques  Colin,  en 
effet,  a  beaucoup  voyagé  par  ordre  du  roi,  et  ses  ambassades, 
grâce  à  M.  Bourrilly,  nous  sont  exactement  connues.  Dès  le  mois 
de  juin  1526,  on  le  trouve  chez  le  duc  de  Savoie,  Charles  III, 
qu'il  s'agit  de  décider  à  laisser  libre  passage  aux  troupes  fran- 
çaises et  à  fermer  aux  Impériaux  ses  frontières  ;  peu  après, 
il  s'achemine  vers  la  Suisse,  négocie  avec  les  Cantons,  et  obtient 
un  plein  succès  ;  l'année  suivante,  en  septembre,  il  part  pour 
l'Italie  où  l'attendait  une  tâche  difficile. 

118.  Gênes,  récemment  recouvrée  par  François  P^'  (iS  août 
1527),  désirait  que  ce  prince  lui  conservât  l'ancienne  supréma- 
tie qu'elle  exerçait  sur  Savone,  et  il  était  à  craindre,  si  on  lui 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  77 

refusait  satisfaction,  que  sa  fidélité  ne  durât  point.  La  cour, 
cependant,  hésitait,  et  l'on  confia  à  Jacques  Colin  le  soin  d'étu- 
dier cette  affaire.  Il  se  persuada,  à  peine  arrivé  en  Ligurie,  qu'il 
n'était  pas  à  propos  d'écouter  la  requête  des  Génois  ;  qu'il  fal- 
lait leur  opposer,  non  leur  soumettre  Savone,  et  rendre  cette 
cité  assez  puissante  pour  les  maintenir  dans  le  devoir.  Cet  avis 
prévalut,  et  l'on  travailla  aussitôt  à  fortifier  Savone.  Alors, 
mécontents,  indignés,  les  bourgeois  de  Gênes  se  plaignirent  hau- 
tement ;  un  parti  se  forma  qui  prêchait  la  défection,  et  chacun 
blâmait,  maudissait  le  principal  coupable,  l'agent  du  roi.  C'est 
un  homme  —  écrit,  en  février  1528,  le  gouverneur  Théodore 
Trivulce  —  qui  est  capable  de  tout,  quand  on  lui  offre  de  l'ar- 
gent. Dans  une  lettre  du  10  mars  adressée  à  Montmorency, 
l'amiral  génois  André  Doria,  embrassant  avec  passion  la  cause 
de  ses  concitoyens,  traite  plus  mal  encore  Jacques  Colin  :  il 
l'appelle  «  ung  coquin  escervellé  »,  et  affirme  que  «  son  avarice 
et  convoitise  »  vont  si  loin  qu'il  déchaînerait  volontiers  les  pires 
calamités  publiques  u  pour  mettre  en  bourse  deux  cens  escus  ». 
Celui  que  l'on  accusait  ainsi  avait-il  réellement  vendu  son  in- 
fluence aux  gens  de  Savone  ?  Il  se  peut.  Espérons,  pourtant, 
qu'on  l'a  calomnié,  et  qu'il  ne  songeait  pas  à  son  profit  en  pré- 
conisant une  politique  qui  allait  nous  coûter  si  cher.  André 
Doria,  en  effet,  perdit  patience  à  la  fin.  Le  11  août  1528,  ce 
marin,  ce  capitaine  admirable  qu'il  eût  été  sage  de  ménager 
à  tout  prix,  signa  un  traité  avec  Charles-Quint  :  un  mois  après, 
le  12  septembre,  ses  galères  entraient  à  Gênes  ;  il  y  rétablis- 
sait la  république,  et  la  plaçait  sous  la  protection  de  l'empe- 
reur. 

119.  C'était,  pour  la  France,  un  vrai  désastre.  Mais  il  ne  pa- 
raît nullement  qu'on  ait  gardé  rancune  à  Jacques  Colin.  Tant 
s'en  faut  !  Nous  le  voyons,  à  son  retour  d'Italie,  plus  en  faveur 
que  jamais.  Il  devient,  d'abord,  lecteur  du  roi,  puis  obtient, 
en  1530,  l'abbaye  de  Saint-Ambroise,  au  diocèse  de  Bourges. 
François  I^^  le  28  avril  1531,  lui  donne  cinq  cents  écus  soleil, 
et  il  ajoute  bientôt,  à  ces  libéralités  déjà  grandes,  les  abbayes 
d'Issoudun,  d'Olivet  et  le  titre  (1534)  d'aumônier  ordinaire. 
Mieux  encore  :  les  tristes  résultats  de  sa  mission  auprès  des  deux 
villes  liguriennes  n'empêchent  pas  Colin  d'être  choisi  pour  de 
nouvelles  négociations.  Quatre  fois,  il  se  rend  chez  le  duc  de 
Gueldre  (1533-1536),  et  a  même  l'honneur,  en  sa  seconde  am- 
bassade, de  conclure  un  acte  important,  le  traité  d'Amersfoort 
(14  octobre  1534),  par  lequel,  moyennant  finance,  le  duc  s'en- 
gageait à  «servir  bien  et  loyaulment  le...  Roy...  par  terre  et 
par  mer,  envers  et  contre  tous  (entendez  contre  Charles-Quint), 


78  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

tant  en  offendant  qu'en  deffendant  ».  [Bourrilly,  76.]  L'abb?  de 
Saint-Ambroise  avait,  à  ce  coup,  bien  manœuvré  :  mais  l'heure 
vint  où  il  cessa  —  lui  comme  tant  d'autres  —  de  plaire  au 
maître.  Ce  ne  fut  pas,  si  l'on  veut,  la  disgrâce  ;  ce  fut  l'oubli,  ce 
fut  le  délaissement.  La  chaige  de  lecteur  royal  passa,  en  1536,  à 
Pierre  Duchâtel.  L'ancien  titulaire  reparut  à  la  cour  de  temps  en 
temps  :  mais  son  étoile  avait  beaucoup  pâli,  et  il  mourut  (1547) 
sans  avoir  regagné  la  faveur  dont  il  avait  joui  précédemment. 

120.  Comment  faut-il  se  représenter  ce  personnage  ?  On  se 
tromperait  fort  si  on  se  le  figurait  j  oignant  la  réserve  du  diplo- 
mate à  une  austérité  monastique.  C'était,  d'après  le  portrait 
que  des  Périers  (?),  en  ses  Nouvelles,  a  tracé  de  lui,  un  gaillard 
trapu,  «  bien  amassé  »,  jovial,  abondant  en  propos  plus  facétieux 
que  charitables,  prompt  à  l'attaque  ou  à  la  riposte,  et  que  l'on 
pourrait  [Bourrilly,  90-1]  comparer  à  frère  Jean  des  Entom- 
meures,  n'était  que  celm-ci  nous  est  dépeint  «  bien  advantagé 
en  nez  »  [G.,  XXVII],  tandis  que  M.  de  Saint-Ambroise  avait 
le  nez  court,  troussé,  émoiissé.  On  en  riait,  et  il  en  riait  lui-même, 
car  ce  railleur  impitoyable  se  moquait  de  lui  comme  des  autres. 
Ses  vives  répliques,  sa  gaieté,  sa  brusque  franchise  ont  dû  con- 
tribuer, au  moins  autant  que  son  «  bon  sçavoir  »  et  son  «  bon 
cerveau  >\  à  ses  succès  à  la  cour,  le  roi  aimant  encore  mieux  être 
amusé  que  servi.  Des  Périers  (ou  l'auteur,  quel  qu'il  soit,  des 
Joyeux  devis)  rapporte,  les  jugeant  dignes  de  mémoire,  quelques 
traits  d'esprit  de  Jacques  Colin.  Il  était  toujours  en  gueire  avec 
ses  moines,  qui  ne  négligeaient  aucune  occasion  de  lui  rendre 
la  vie  dure.  Lui,  pour  se  venger,  les  contraignait  à  suivre  très 
exactement  la  règle  de  leur  ordre,  et  les  faisait,  à  force  de  jeû- 
nes, mourir  de  faim...  François  I"  lui  demanda,  un  jour,  pour- 
quoi il  se  montrait  si  rigoureux.  Hé,  répondit -il,  citant  saint 
Mathieu  (XVII,  21),  hoc  genus  daemoniorum  non  ejicitur,  nisi 
oratione  et  jejunio...  Il  avait,  une  autre  fois,  perdu  un  procès 
au  parlement  de  Paris,  présidé,  alors,  par  Pierre  Lizet  qui  ne  se 
bornait  pas  à  être  féroce,  mais,  ignare  par-dessus  le  marché, 
s'exprimait  en  latin  comme  le  Praeses  du  Malade  imaginaire. 
On  lisait  donc,  en  la  sentence  qui  condamnait  l'abbé  de  Saint- 
Ambroise,  cette  phrase  :  «  Dicta  Curia  debotavit  et  debotat 
dictum  Colinum  de  sua  demanda.  »  Cette  rédaction  barbare 
indigna  notre  élégant  humaniste,  et,  arrivant,  peu  après,  devant 
le  roi  :  Sire,  dit-il,  votre  parlement  vient  de  me  faire  un  honneur 
insigne,  inattendu.  —  Et  lequel  ?  —  Il  m'a  débotté.  —  Débou- 
té ?  —  Non,  débotté.  Deboiavii...  On  affirme  que  si  François  I^'' 
se  décida  à  enjoindre  aux  juges  d'user  du  français,  cet  arrêt 
macaronique  y  fut  bien  poui  quelque  chose. 


CLÉMENT   AlAROT    ET    SON    ÉCOLE  79 

121i  En  dépit  de  son  caractère  caustique  et  de  ses  malices 
acérées,  Jacques  Colin  a  eu  des  amis  et,  tant  qu'il  demeura  in- 
fluent, beaucoup  de  thuriféraires.  Il  était,  contre  la  coutume  des 
parvenus,  accessible  et  serviable.  Volontiers  il  obligeait  les  écri- 
vains, et  il  est  clair  qu'il  eût  reçu  moins  de  dédicaces,  moins  de 
compliments  en  plusieurs  langues,  moins  d'hommages  en  prose 
et  en  vers,  si  l'on  n'avait  pas  eu  soit  à  lui  prouver  de  la  grati- 
tude, soit  à  se  le  concilier  en  vue  d'un  avantage  futur.  Il  sera 
question,  en  temps  et  lieu,  de  ses  rapports  avec  Clément  ]\Iarot 
Mais,  outre  cet  éminent  poète,  il  a  fréquenté  ou  soutenu  les 
gens  de  lettres  dont  voici  les  noms  :  Guillaume  Budé  qui  lui 
adressa,  le  6  décembre  [1529],  une  lettre  pour  le  presser  de  ré- 
soudre le  roi  à  créer  le  Collège  trilingue  ;  —  Mellin  de  Saint- 
Gelays,  qui  lui  décoche  une  plaisanterie  innocente,  où  se  révèle 
la  camaraderie,  non  l'intention  d'offenser  ;  —  Jean  Gunther 
d'Andernach  et  Pierre  Gilles,  qui  lui  dédient,  l'un  et  l'autre, 
un  livre  (1531,  1533)  ;  —  Germain  Brice  ;  —  Theocrenus  ;  — 
les  frères  Du  Bellay  et,  surtout,  le  cardinal  ;  —  Louis  des  Ma- 
sures ;  —  Charles  de  Sainte-Marthe.  Celui-ci  demande  à  Jacques 
Colin  de  s'intéresser  à  ses  travaux,  puis,  dans  l'Élégie  du  Tempe 
de  France,  il  loue  son  érudition  variée,  pénétrante.  —  Chap- 
puys,  rimant  son  Discours  de  la  court,  le  cite  en  bonne  place  et 
avec  éloge.  —  Jean  Visagier  lui  consacre  trois  de  ses  Épigram- 
mes.  De  même,  lui  dit-il,  que  Ganymède  versait  le  nectar  à 
Jupiter,  toi,  tu  offres  à  ton  roi,  ô  Saint  Ambroise,  une  ambroisie 
meilleure  que  celle  des  dieux.  —  Salmon  Macrin  se  montre  tout 
aussi  flatteur,  et  il  ne  recule  pas,  lui  non  plus,  devant  l'hyper- 
bole. Si  tu  es  cher,  proclame-t-il,  à  ton  prince,  ce  n'est  pas  mer- 
veille :  ta  grandiloquence  a  l'éclat  de  la  foudre  ;  elle  pourrait 
amollir  une  roche,  fléchir  les  tigresses  d'Arménie  et  arrêter  le 
Rhône  impétueux...  On  notera,  en  cette  pièce,  les  mots  :  Fran- 
ciscus  qui  te  amat  unice... 

122.  Les  clients  et  les  familiers  de  Colin  le  célébraient,  on  le 
voit,  pour  deux  raisons  :  parce  qu'il  protégeait  les  beaux-arts, 
et  comme  ayant  lui-même  du  génie.  Le  premier  de  ces  titres 
ne  saurait  lui  être  disputé  ;  mais  il  dut  le  second  (c'est  la  règle  !) 
à  la  place  qu'il  occupait  dans  le  monde,  et,  s'il  avait  eu  moins 
de  bonheur,  on  lui  aurait  trouvé  moins  de  talent.  Ami  des  idées 
nouvelles,  humaniste  assez  distingué,  causeur  incisif  et  spiri- 
tuel, bon  juge  du  mérite  d'autrui,  polyglotte  et  polyphile,... 
oui,  il  a  été  tout  cela.  Poète,  il  ne  le  fut  jamais,  et  tant  de  qua- 
htés  éminentes  ne  l'ont  pas  rendu  écrivain.  Cependant  quelques- 
uns  de  ses  travaux  littéraires  n'ont  pas  laissé  d'être  utiles.  Ce 
fut  lui,  on  s'en  souvient  [cf.  §  29],  que  François  I^-^  chargea  de 


80  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

publier  les  traductions  de  Claude  de  Se\'ssel,  et  il  donna  suc- 
cessivement le  Thucydide,  qui  parut  (Josse  Bade,  août  1527) 
avec  un  dizain  liminaire  de  ]\Iarot  ;  l'Histoire  des  successeurs 
d'Alexajidre  le  Grand,  extraicte  de  Diodorc  Sicilien  et  «  quelque 
peu  »  des  Vies  de  Plutarque  (Josse  Bade.  2  mai  1530)  ;  l'Histoire 
ecclésiastique  d'Eiisèbe,  évesque  de  Césarée  (Geoffroy  Tory,  21 
octobre  1532).  Ces  ou\Tages  furent  bien  accueillis,  et  ce  fut, 
sans  doute,  ce  qui  décida  l'éditeur  de  Seyssel  à  faire,  lui  aussi, 
des  translations. 

123.  Il  a  mis  en  langage  vulgaire  le  Procès  d'Ajax  et  d'Ulixes 
pour  les  armes  d'Achille,  notable  épisode  de  ces  Métamorphoses 
dont  ]\Iarot,  de  son  côté,  avait  paraphrasé  les  deux  premiers 
chants.  Le  Procès,  qui  fut,  ainsi  que  les  autres  poésies  françaises 
du  même  auteur,  imprimé  dans  le  Livre  de  plusieurs  pièces,  est 
composé  en  décas3'llabes.  Colin  n'a  pas  \'isé  à  l'exactitude,  et 
le  texte  latin  est,  par  lui,  interprété  librement.  Au  reste,  c'est 
là  une  version  à  laquelle  il  semble  n'avoir  pas  attaché  grande 
importance,  et  s'il  compte  parmi  les  traducteurs  dont  le  nom 
a  mérité  de  sur\ivre,  ce  n'est  pas  à  cause  de  ce  passage  tiré 
d'Ovide,  mais  pour  avoir  tourné  en  français  «  Il  libro  del  Corte- 
giano»  de  Balthazar  Castiglione.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  le  roi, 
admirateur  passionné  de  l'œuvre  italienne,  fut  pour  beaucoup 
dans  le  dessein  que  conçut  l'abbé  de  Saint-Ambroise  de  la  ren- 
dre accessible  aux  gens  de  chez  nous.  A  vrai  dire,  il  ne  respecta 
guère  l'original,  et  offrit  au  public  une  très  fautive  adaptation. 
Mais  s'il  resta  au-dessous  de  sa  tâche,  la  peine  qu'il  avait  prise 
ne  fut  pourtant  pas  inutile  :  ce  fut  grâce  à  lui  que  nos  écrivains 
connurent,  étudièrent,  imitèrent  dès  1537  ce  traité  du  Courti- 
san qui,  mieux  traduit  dans  la  suite,  a  exercé  une  réelle  influence 
sur  les  mœurs  courtoises  et  le  platonisme  de  la  Renaissance. 

124.  A  supposer  que  nous  les  possédions  en  entier,  les  œuvres 
personnelles  de  Jacques  Colin  se  réduisent  à  peu  de  chose.  Il 
n'existe  (ou  ne  subsiste)  de  lui  qu'un  petit  nombre  de  brèves 
poésies  latines,  imprimées  avec  celles  de  Theocrenus,  et  que 
trois  pièces  de  vers  français  :  une  Épistre  à  une  dame,  que  ]\Iarot 
inséra  en  1535  dans  son  Adolescence  clémentine  ;  un  dialogue 
de  Vénus  et  Cupido  ;  et  —  s'il  est  vrai  qu'on  doive  attribuer  à 
un  homme  célèbre  par  son  esprit  une  si  niaise  production  —  la 
Conformité  de  l'Amour  au  Navigaige. 

125.  Je  pense,  que  l'idée  de  cette  «  conformité  »  n'appartient 
pas  en  propre  à  l'abbé  de  Saint-Ambroise,  et  qu'on  trouvera, 
quelque  jour,  la  source  où  il  a  puisé.  Rien,  à  cette  époque,  n'est 
plus  ordinaire  que  des  comparaisons  de  cette  espèce  ;  on  peut 
rapprocher  un  tel  poème  des  «  Temples  »  chers  aux  rhétoriqueurs 


CLEMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE  SI 

et  le  titre  qui  lui  conviendrait  le  mieux  serait,  il  me  semble, 
h  Temple  de  Vénus  marine.  L'art,  en  ces  parallèles,  consiste  à 
établir,  entre  des  choses  qui  n'ont  guère  d'analogie  réelle,  une 
relation  spécieuse,  et  donc  il  s'agissait,  pour  le  cas  choisi  par 
Colin,  de  faire  croire  au  lecteur  que  la  vie  de  l'amant  et  celle 
du  matelot  abondaient  en  traits  communs.  Eh  bien,  on  arrive 
aisément  à  découvrir  des  rapports,  et  ce  n'est  là  qu'un  exercice 
verbal. 

126.  Quand  on  veut,  déclare  l'écrivain,  aller  sur  mer,  on  com- 
mence par  armer  un  vaisseau  :  moi,  je  me  suis  armé  de  cons- 
tance ;  —  le  mât  du  navire  soutient  les  voiles  :  le  désir  soutient 
mon  courage  ;  —  on  se  dirige,  sur  les  flots,  au  moyen  du  gou- 
vernail :  mon  gouvernail,  à  moi,  c'est  la  foi  ;  — 

Un  guet  assis  est  au  hault  de  la  hune, 
Ou  pour  surprendre  ou  pour  n'estre  surpris  : 
Je  guette  assez  les  moyens  d'en  prendre  une, 
Mais,  en  cuydant  la  prendre,  elle  m'a  pris. 

Chaque  fois,  Madame,  que  je  vous  perds  de  vue,  je  me  sens 
en  proie  à  la  tempête,  et  de  même  que  les  nefs  risquent,  après 
avoir  heurté  un  récif,  de  «  submerger  dedans  l'eau  »,  ainsi  je  me 
briserai,  j'en  ai  peur,  <(  contre  le  roc  de  vostre  cruauté  ».  Le 
pilote,  pour  suivre  la  bonne  route,  ne  quitte  pas  des  yeux  l'étoile 
polaire,  vers  laquelle  ne  cesse  de  tendre  l'aiguille  aimantée  ; 
et  moi  aussi,  j'ai  un  astre  qui  me  luit  :  vous,  «  ma  Transmontane 
claire  »  !  Puissé-je,  comme  le  marinier  arrive  au  port,  atteindre 
le  havre  de  vos  grâces  ! ...  La  symétrie,  on  le  voit,  paraît  complète, 
et  rien  ne  manque  au  double  tableau.  Pas  même  le  mal  de  mer. 
Mais  ceux  qui  aiment  sont,  à  cet  égard,  plus  à  plaindre  que  les 
navigateiurs.  Le  temps  remédiera  aux  douleurs  de  ces  derniers, 
et  ils  ont  la  ressource  de  rendre  leur  gorge,  tandis  que  l'homme 
violemment  épris  souffre  de  jour  en  jour  davantage,  et  ne  re- 
jette point  au  dehors  ce  qui  le  trouble  intérieurement...  Et 
voilà  un  nouveau  rapport.  L'auteur  s'étonne,  à  la  fin,  d'en  avoir 
trouvé  tant  et  tant,  et  observe  que  l'industrie  marine  ne  pou- 
vait manquer  d'être  conforme  à  l'amour,  puisque  Aphrodite  est 
sortie  de  l'onde. 

127.  Telles  sont  les  gentillesses  à  quoi,  entre  deux  ambas- 
sades, s'amusait  M.  de  Saint-Ambroise.  De  pareils  vers,  loin  de 
servir  sa  mémoire,  lui  nuisent  plutôt,  et  s'il  s'était  borné  à  ce? 
jeux  d'esprit,  l'histoire  littéraire  ne  serait  pas  tenue  à  le  citer. 
Mais  ce  rimeur  médiocre  et,  d'ailleurs,  intermittent  fut  aussi 
un  traductem  zélé,  sinon  fidèle,  un  apôtre  des  doctrines  libé- 

Ciémeut  Marot  et  son  école  C 


82  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

raies,  un  patron  pour  ceux  qui  les  professaient.  Et  voilà  ce  dont 
il  est  équitable  de  se  souvenir.  Les  actes  de  Jacques  Colin  valent 
mieux  que  ses  écrits,  et  il  s'impose  à  notre  attention  moins 
parce  qu'il  a  produit  quelques  faibles  œuvres  que  pour  avoir 
défendu  ceux  qui  en  faisaient  de  bonnes.  Sa  petite  renommée, 
en  conséquence,  il  la  doit  à  ses  clients,  à  ses  amis,  —  et,  sur- 
tout, au  plus  célèbre  d'entre  eux,  à  l'éminent  poète  Clément 
Maiot,  dont  nous  allons  à  présent  nous  occuper. 

BIBLIOGRAPHIE   ET   RÉFÉRENCES 

76.  Parmi  les  livres  dédiés  ou  présentés  à  Louise  de  Savoie,  en  voici  un  qui  mérite 
d'être  signalé  :  Chants  royaux  et  Tableaux  de  la  confrérie  du  Puy  Noire-Dame  d'Amiens 
reproduits,  en  1517,  pour  Louise  de  Savoie.  [B.  X.  fr.  I45-]  Ce  recueil  a  été  publié  par 
G.  Durand,  (Paris,  Picard).  — Bourbon,  Nugae,  p.  95,  n»  XV  ;  Héroet,  'Œuvres  [Gohin], 
p.  115.  La  première  de  ces  épitaphes  est  quelconque  ;  la  seconde,  vraiment  remarquable, 
pourrait  s'intituler  Consolation.  S'adressant  à  un  a  viateur  »,  la  morte  elle-même  rappelle 
qu'elle  fut  mêlée  à  de  graves  événements,  puis  énumère  les  raisons  tant  religieuses  que 
philosophiques  pour  lesquelles  les  vivants  ne  doivent  ni  la  juger  (car  la  chair  les  empêche 
dediscemerlebiendumal),nilapleurer,  attendu  que  son  âme,  a  ancelle  »de  la  divinité, 
a,  sans  murmure,  quitté  le  monde.  —  E.  Picot,  Rec.  général  des  sotties,  II,  299-301, 

77.  Journal  de  Louise  de  Savoie  [Petitot,  XVI],  390,  39S,  403.  C'est  aux  ch.  2  et  5 
du  V^  livre  des  Commentaires  qu'il  est  question  du  Portus  Itius,  lequel,  sans  doute,  n'est 
point  Calais.  On  notera,  d'autre  part,  que  César  n'a  point  mentionné  Caletum,  mais 
(au  pluriel  et  désignant  un  peuple)  Caletes  et  Caleti  (II,  4  ;  VII,  75  ;  VIII,  7).  Ainsi 
Louise  de  Savoie  prend  un  nom  d'homme  pour  le  Pirée.  Érudition  de  grande  dame... 

78.  A  notre  connaissance,  Louise  de  Savoie  a  écrit  deux  rondeaux  et  une  épître; 
Onles  trouvera  dans  le  recueil  de  Champollion-Figeac,  pp.  21, 147, 173. 

79.  La  première  des  trois  pièces  indiquées  ci-dessus  est  unç  imitation  du  rondeau  de 
Marguerite:  Ce  n'est  qu'un  g  cueur...  [Ibid.,  17). —  Pour  lebillet  en  vers  des  jardiniers  de 
Fontainebleau,  cf.  ibid.,  120. 

83.  Le  ms.  fr.  1700  de  la  B.  N.  contient  :  i  1°,  Les  adieux  des  dames  de  la  court....  ; 
36  i»,  un  huitain;  48  v-o,  un  dizain;  78  vo,  six  autres  dizains.  —  E.  Picot  a  publié,  outre 
Les  adieux  des  dames,  l'épître  à  l'écuyer  Sala.  [Français  italianisants  au  XVI^  s.,  I, 
105  sqq.) 

84-92.  F.deLasteyne,Ungrandseigneurdu  XV I« s.:  Le  connétable  de  Montmorency. 
(Gazette  des  Beaux-Arts,  21^  année,  2«  période,  1879,  t.  XIX,  pp.  305-320  ;  t.  XX, 
pp.  97-114).  —  Francis  Décrue,  Anne  de  Montmorency  à  la  cour,  aux  armées  et  au  conseil 
du  roi  François  I^'.  Thèse  de  Paris,  1885. 

88.  Leroux  de  Lincy,  Rec.  de  chants  histor.  fr.,  2*  série,  pp.  204-6.  Si  l'on  désire  avoir, 
sur  l'aventure  de  Jeanne  de  Halluie,  des  renseignements  plus  détaillés,  on  les  trouvera 
chez  Edouard  Bourciez,  Les  mœurs  polies  et  la  litt.  de  cour  sous  Henri  II,  (Thèse  de  Paris, 
1886,  pp.  373-384). 

89.  Les  passages  entre  guillemets  sont  tirés  des  Mémoires  de  la  vie  du  Mareschal  de 
Vieilleville  [Nouv.  Coll.  des  mémoires  pour  servir  à  l'Hist.  de  Fr.  (Michaud  et  Poujou- 
lat),t.  IX;  Paris,  1838],  pp.  53, 59-60.  —  On  notera  aussi  (p.  88)  ces  mots  :  Montmorency 
0  qui  estoit  un  second  roy  en  France  »... 

90.  Sur  le  testament  du  comte  de  Chateaubriand,  cf.  ibid., 27-30. 

92.  Rapports  de  Jean  Goujon  et  d'Anne  de  Montmorency  :  voyez  A.  de  Montaiglon, 
Gazette  des  Beaux-Arts,  1884,  t.  XXX,  p.  388.  —  On  observera  que,  dans  la  dédicace  de 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  83 

son  Vitruve,  Jean  Martin  dit  au  roi  à  propos  de  Jean  Goujon  :  «  ...N'aguères  architecte 
de  Mgr  le  connestable  et  maintenant  l'un  des  vostres.  » 

93.  Les  renseignements  sur  les  relations  de  Clément  Marot  avec  le  connétable  sont 
empruntés  à  G.  Maçon,  Poésies  inédites  de  Cl.  M.  [Bull,  du  Bitlioph-de  et  du  Bibliothé- 
caire, 1898),  pp.  157-8.  —  Claude  Chappuys,  qui  a  dédié  à  Anne  le  Panégyrique  récité  au 
...Roy...,  a  fait,  en  outre,  son  éloge  dans  La  Réduction  du  Havre  de  Grâce.  —  La  pièce 
offerte  à  Montmorency  par  Salmon  Macrin  se  lit  à  la  p.  8  du  livre  intitulé  :  Salmonii  | 
Macrini  Iulio-  j  dunen.  Cubicularii  J  regii  bymnorumlibri  sex.  Ad  lo.  |  Beliaiû,  S.R.E. 
Cardinalem  ampliss.  Il  CumPriviiegio  Régis.  ||  Parisiis.  |  Ex  officinaKobertiStepbani. 
I  M.  D.  XXXV M.  ln-8°,  238  pp.  chiffrées  ;  car.  ronds.  —  Quant  à  l'hymne  De  obUu 
lac.  Fabri  Stapulensis  que  j'ai  mentionné  incidemment,  on  le  trouve  à  la  p.  119  de  ce 
même  volume. 

94-99.  Le  Triomphe  et  les  gestes  de  Mgr  Anne  de  Montmorency  connétable,  Grand- 
Maitre  et  Premier  Baron  de  France,  Poème  de  Jean  de  Luxembourg  publié  [la  préface 
porte  la  signature  de  L.  DelisleJ  d'après  le  ms.  original  de  l'ancienne  librairie  de  Chantilly 
appartenant  à  M.  le  marquis  de  Levis.  Paris,  impr.nat.,  1904.  In-4°deXXVI-65  pages. — 
Tous  les  renseignements  que  je  donne  sur  l'auteur  du  Triomphe  et  la  bibliographie  de 
ses  œuvres  sont  empruntés  à  L.  Delisle. 

95.  Les  accusations  de  Marc  Tulles  Cicero  contre  C.  Verres,  citoyen  de  la  ville  de  Rcmme, 
traduictes  de  latin  en  français  par  Jehan  de  Luxembourg.  Bibliothèque  de  Chantilly, 
ms.  original.  Le  texte  est  précédé  d'un  dizain  et  d'une  épître  en  prose  adressés  <•  a  mon- 
sieur le  Grant  Maistre  ».  —  Épître  sur  la  beauté  de  l'Orne  et  du  corps.  B.  N.  fr.  14991. 

96.  Traduction  du  Phédon  :  B.  N.  fr.  1081.  L'exemplaire  original  se  trouve  au  Musée 
Condé. —  L'Oraison  &  Remonstrance  de  haitlte  &  puissante  dame  Marie  [Sic.  Lire  Anne] 
de  Clèves,  sœur  de  très  hault  &  puissent  seigneur  le  duc  de  Juilliers,  de  Clives  &  de  Guel- 
dresjaicte au roy  d'Angleterre  &asonconseil.  \\  Ala  fin:  Faciebat  JohannesaLuxembur- 
go.  Imprimé  à  La  Rivou  par  maistre  Nicole  Paris,  maistre  es  arts,  très  humble  &  très 
obéissant  serviteur  de  hault  &  puissant  seigneur  missire  Jean  de  Luxembourg.  S.  d,, 
mais  vers  1545.  Bibliothèque  de  Troyes  [Réimprimé  à  Paris  pour  Charles  l'Angelier, 
en  1552].  —  De  l'institution  du  Prince  :  livre  contenant  plusieurs  histoires,  enseignements 
&  saiges  dicts  des  anciens,  tant  grecs  que  latins,  faict  et  ccmpcsé  par  maistre  Guillaume 
Budé...  Reveu,  enrichy  d'arguments,  divisé  par  chapitres  &  augmenté  de  scholies  &  anno- 
tations par  hault  &  puissant  seigneur  missire  Jean  de  Luxembourg,  abbé  d'Iviy.  Imprimé 
à  L'Arrivour,  abbaye  du  dict  seigneur,  par  maistre  Nicole  Paris;  1547.  In-fol.  de  212 
pages.  [M.  L.  Delaruelle  a  fait  voir  (G«27/awweB«rf£',  Thèse  de  Paris,  1907,  pp.  244-5) 
de  quelle  façon  cavalière  l 'abbé  d' Ivry  a  traité  l'ouvrage  édité  par  lui.] 

99.  La  Connestablerie  de  Piedmond,  Prouvance  et  Picardie,  Faict  le  jour  que  Mgr  M. 
Anne  de  Monimorensi  fut  créé  connestable.  Au  dict  seigneur  par  frère  René  Macé.  (Musée 
Condé).  —  Il  existe,  sur  l'air  A  dieu,  m'amye,  à  dieu,  ma  rose...-,  une  chanson  relative  à  la 
cérémonie  officielle  de  Moulins.  Cf.  E.  Picot,  Chants  histor.  fr.  du  XVl'^  s.  [Revue  d'hist. 
litt.  de  la  Fr.,  1896),  pp.  385-6.  —  Est-il  utile  de  dire  que  je  n'ai  eu  nullement  l'intention 
de  citer  tous  les  écrivains  qui  ont  pu  louer  Montmorency  ?  On  en  pourrait  mentionner 
plusieurs  dont  je  n'ai  point  parlé  et,  par  exemple,  Ronsard.  Cf.  Blanchemain,  II,  36  ; 
III,  344  ;  V,  73,  97,  329  ;  VI,  301  [Le  Temple  de  Messeigneurs  le  Connestable  elles  Chas- 
tillons]  ;  VII,  78,  208  [Epitaphe]  et  passim. 

101-106.  Le  Caiholicque  Enterrement  de  Feu  Monsieur  le  Reverendissime  cardinal  de 
Lorraine,...  qui  trespassa  a  Nogen  sur  Yonne  le  dixhuitiesme  de  May,  mil  cinq  cens  cin- 
quante. Faict  par  Edmond  du  Boullay,  roi  d'armes  de  Lorraine.  A  Paris,  par  Jehan 
d'Allier...  et  par  Lazare  Grenet...  1550.  —  Albert  Collignon,  le  Mécénat  du  cardinal 
Jean  de  Lorraine  ;  Paris  et  Nancy,  Berger-Levrault,  1910.  (Annales  de  l'Est,  24»  année, 
3«  ser.,  t.  I.) 

102.  De  Thou,  Historiarum  suitemporis  libri  CXXXVIII  (Genève,  1626),  I,  182. — 
Brantôme  (édition  Ludovic  Lalanne),  IX,  481. 

105.  1°  Salmonii  Ma-  |  crini  Ivliodvnensis  [cubicularii  Regii,Hymiiorumse  |lecto- 


84  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ECOLE 

rum  libri  très.  I  Ad  illustrissimum  principem  lo.Lotharingium  |  Cardinalem  amplissi- 
mum.  1 1  Parisiis. — Ex  officina  Roberti  Stephani  Typographi  Regii.  |  M.  D.  X.  L.  (Les 
trois  dédicaces  à  Jean  de  Lorraine  se  trouvent  aux  pp.  3.  44, 75)-  —  2'>Ioannis  Vulteii... 
Epigrammatum  libri  III  (i537),  PP-  3  et  7.  [Quel  était  le  nom  français  de  l'écrivain 
qui  signait  en  latin  Vulteius  ?  J'emploie  la  forme  e.  Visagier  i>  qu'admettent  certains 
critiques  :  mais  d'autres  ont  préféré  traduire  VuUcius  par  Voulté  ou  même  par  Faciot. 
Jusqu'à  ce  qu'un  document  nous  révèle  la  forme  authentique,  on  restera  libre  de  choi- 
sir]. —  3°  Dolet,  Epigr.,  I,  69  :  «  Permitterent  superi,  et  eo  nos  cumularent  |  Bono, 
ut  qui  ad  aures  Régis  assident  tam  aequo  |  Essent  animo  erga  litteratos  quamsemper  | 
Tepraebuisti  !...  »  Pourl'épître  adressée  au  cardinal,  cf.  Second  Enfer  (édition  de  1868), 
pp.  22-3.  —  40  Nicolai Borbonii...  Nugarum  libri  octo  (1538),  p.  405.  Voyez  aussi  p.  338 
(vœux  pour  le  i^'^  janvier  de  l'année  1535,  v.  s.)  et  le  n»  117  du  livre  VII. —  5"  Laurentii 
Pilladii,  canonici  ecclesiae  Sancti  Deodati,  Rusticiados  libri  sex...  |  JMetis,  ex  of&cina 
loannis  Palier,  1548.  (La  Rusticiade  a  été  traduite  par  Dupeux.  Nancy,  Berger-Levrault, 

1875.) 

106.  Non  content  de  dédier  la  Contr'amye  à  Jean  de  Lorraine,  Charles  Fontaine,  en 
sa  Fontaine  d'Amour,  a  ouvert,  par  un  quatrain  adressé  à  ce  même  personnage,  le  second 
livre  de  ses  épigrammes.  —  Des  Périers,  VoyagedeLyonàNostre-Dame-de-VIsle,  (Lacour, 
I,  65).  On  trouve,  dans  les  nouvelles  attribuées  à  Bonaventure,  un  court  récit  où  il  est 
question  du  cardinal.  (Ibid.,  II,  365). 

107.  H.  Chamard,  JoachimDu Bellay  (Thèse  de  Paris,  1900),  pp.  272  sqq. 

110.  H.  Clouzot,  Philibert  de  rOrm-e,  (Paris,  Pion,  1910),  pp.  39-42- 

111.  Bourrilly,  Jean  Voulté  et  le  cardinal  Du  Bellay,  (Revue  de  la  Renaissance,  t.  1 1, 
[1902],  pp.  192  sqq.) 

112-113.  Arthur  Heulhard,  Rabelais.  Ses  voyages  en  Italie.  Son  exil  à  Metz.  Paris, 
Librairie  de  l'Art,  1891.  In-40  de  X-404  pages.  —  Lettres  écrites  d'Italie  par  François 
Rabelais...  Nouvelle  édition  critique...  par  V.-L.  Bourrilly.  Paris,  Champion,  1910. 
(  Publication  de  la  Soc.  des  Études  rabelaisiennes.)  —  La  Sciomachie  &  fe-  |  stins  faits 
a  Rome  1  au  Palais  de  monseigneur  reverendissime  J  Cardinal  Du  Bellay,  pourl'heureuse 
naissance  de  monseigneur  |  d'Orléans.  |  Le  tout  extraict  d'ime  copie  des  lettres  escri-  [ 
tes  a  monseigneur  le  reverendissime  car-|  dinal  de  Guise,  par  M.  François  Rabelais  | 
docteur  en  medicine.  ||  A  Lyon,  J  Par  Sebastien  Gryph.  )  M.  D.  XLIX. 

114.  Salmonii  Macrini  luliodunensis  Odarum  libri  très  ad  P.Castellanum  Pontificem 
Matisconum  |]  lo.Bellaij  Cardinalis  amplissimi  Poemataaliquot  elegantissima  ad  eun- 
dem  Matisconum  Pontificem.  ||  Parisiis.  Ex  officina  Rob.  Stephani  typographi  Régi  j. 
M.  D.  XLV I.  —  Voici  l'indication  (peut-être  incomplète)  des  poésies  de  Salmon  Macrin 
dédiées  à  Jean  Du  Bellay:  Hymnorum  libri  sex,  pp.  3.  23,  53.  56,  81,  94,  125,  131,  158, 
188,  210,  223  ;  Odarum  libri  très,  pp.  9,  15,  17.  22,  33,  44,  51.  60,  67. 

115.  Pièces  adressées  parJeanD a  Bellay  à  François  I^'ipp.  107, 108;  —  à  Catherine 
deMédicis:  116;  —  à  Jeanne  de  Navarre  :  150,  98, 127, 106, 138;  —  à  Nicolas  Bourbon  : 
143  ;  —  au  cardinal  de  Lorraine  :  137,  90,  94  ;  —  à  Salmon  Macrin  :  128  ;  —  à  Jacques 
Colin  :  141.  (Ces  poèmes  sont  rangés  ici  d'après  la  place  que  je  leur  ai  donnée  dans  mon 
texte.) 

116-126.  V.-L.  Bourrilly,  Jacques  Colin,  abbé  de  Saint- Ambroise,  [Bibliothèque 
d'Histoire  moderne,  t.  I,  fasc.  IV]  ;  Paris,  Comély,  1905.  In-80  de  140  pages. 

120.  Des  Périers,  Nouvelles  XLVII  et  XLVIII.  (Lacour,  II,  184  sqq).  —  Surdebotare 
signifiant  débouter,  cf.  Copley  Christie,  Etienne  Dolet,  (trad.  Str},nnski),  40g. 

121.  G.  Budé  :  Delaruelle,  Répertoire  de  la  correspondance  de  G.  Budé,  (Thèse  de  Paris, 
1907),  n"  165.  D'après  A.  Lefranc  {Hist.  du  Collège  de  Fr.,  122),  Colin  aurait  été,  jusqu'à 
sa  disgrâce,  le  véritable  directeur  de  la  corporation  des  lecteurs  royaux.  —  Mellin  de 
Saint-Gelays  :  Œuvres  [Blanchemain],  II,  106.  [«  Le  beau  nez  de  Jacques  Colin...  »]  — 
Jean  Du  Bellay  :  l'abbé  de  Saint-Ambroise,  partant  pour  sa  dernière  mission  en  Gueldre, 
lui  écrit  une  lettre,  le  9  mars  1536.  [Bourrilly,  84.]  —  Œuvres  poétiques  de  Louis  des 
Masures,  Tournisien,  (Lyon,  1557),  p.  19.  —  La  Poésie  françoise  de  Charles  de  Saincte- 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  85 

Marthe,  (Lyon,  1540), p.  70.  Voyez  aussi  (pp.  i97etsuiv.)  VÉUgiedu  Tempe  de  France: 
«...Colin  sonnant  grec,  françois  et  latin  |  Et  pénétrant  de  l'erudite  sonde  |  La  creuse 
mair  de  science  profonde...  »^JeanVisagier:/o.  F«//fîî£^/g»'./i6n////,  (Lyon,  1537), 
pp.  9, 109.  —  Salmonii  Macrini  Hymnort.mlibri  sex,-ç:ç.  160-1.  —  [A  ces  textes  joignez 
celui-ci  encore  :  «  Et  ung  autre  Jacques  Colin  |  Peult  estre  dit  dieu  Apolin,  |  Tant  en 
sçavoir  comme  éloquence  ;  1  De  telz  peu  trouverez  en  France.  »  Louange  des  bons  fac- 
teurs, (Montaiglon,  Rec,  VII,  12.)] 

123.  Le  livre  de  plusieurs  pièces,  dent  le  ccntcnu  est  à  la  page  suivante.  Imprimé  à 
Paris,  par  Franc.  Girault,  pour  Gilles  Corrozet  et  ArnouH'Angelier,  1548.  In-16  de  144  ff. 
(Même  année  :  Le  livre  de  plusieurs  pièces,  c'est-à-dire  faict  et  recueilly  de  divers  autheuis 
côme  de  Cletnêt  Marot  et  autres...  Lyon,  par  Thibault  Payen.  Petit  in-S"  de  i27fi).  — 
Le  courtisan  j  nouvellement  traduict  de  langue  |  ytalique  en  françoys.  ||  On  les  vend 
[à  Paris]  au  Palais  en  la  gallerie  près  j  la  chancellerie  en  la  boutique  de  lehan  Lon  |  gis 
et  de  Vincent  Sartenas.  In-8ode238  ff.  goth.  Privilège  du  11  avril  1537.  (Le  texte  original 
du  Cortegiano  avait  paru  pour  la  première  fois  à  Venise,  chez  les  Aides,  en  1528.  La  révi- 
sion de  la  traduction  de  Colin  par  Dolet  et  Saint-Gelaj  s  fut  imprimée,  en  1538,  à  Lyon, 
par  François  Juste  ;  elle  est  précédée  d'une  préface  adressée  par  Dolet  à  son  collabora- 
teur Mellin.) 

124.  Benedicti  Theocreni,  episcopi  grassensis,  régis  Francisct  liber orum  praecepioris 
PoEMATA  quae  juvenis  admodum  lusit...  Pictavii.  M.  D.  XXXVI. 


LIVRE  CINQUIÈME 


La  vie  de   Clément  Marot 


BIBLIOGRAPHIE   DE   CLEMENT   MAROT 

La  liste  qu'on  a  dressée  ne  vise  pas  à  être  exhaustive,  et  l'on  n'a  voulu  fournir  au 
lecteur  que  les  renseignements  vraiment  utiles. 

A.  —  LA  VIE   DE    CLÉMENT  MAROT. 

I.  C'esi  la  Vie  de  Clt'nitut  Marot.  Tome  1  des  Œuvres  de  Cl.  M.  éditées  par  G.  Guiffrey; 
Cette  biographie  du  poète  est  «  mise  au  jour  d'après  les  papiers  posthumes  »  de  G.  Guif- 
frey c  avec  des  commentaires  et  des  notes  »  par  Robert  Yve-Plessis  ;  Paris,  Librairie 
deVAri  français,  191 1.  In-S»  de  XV-572  pages. 

H.  Ph.  Aug.  Becter,  Marots  Lebcn,  Zeitschrijt  fiir  fr.  Spr.  u.  Litt.,  t.  XLI  et  XL II, 
1913-1914,  pp.  186-232,  87-139,  1^1 1-207.  —  Fondée  sur  une  connaissance  étendue  et 
sur  une  clairvoyante  interprétation  des  textes  et  des  documents,  cette  solide,  stricte  et 
très  attentive  étude  vaut  mieux  que  le  prolixe  ouvrage  mentionné  ci-dessus. 

Observatton.  On  n'a  pas  cru  devoir  signaler  ici  les  brèves  et  souvent  romanesques 
<■  Vies  de  Marot  »  qui  accompagnent  certaines  éditions.  C'est  qu'on  ne  voit  pas  bien  ce 
qu'on  gagnerait  à  consulter  les  pages  fantaisistes  que  Charles  d'Héricault,  par  exemple, 
a  consacrées  à  notre  auteur  ou  le  rapide  curriculum  que  M.  Voizard  a  tiré  des  notes  de 
Guiffrey...  Quant  aux  recherches  faites  par  l'abbé  Goujet  (Bibliothèque  fr.,  i747>  XI, 
68  et  suiv.),  elles  ont  pu,  à  leur  date,  paraître  curieuses  :  mais  qui  donc  aujourd'hui  atta- 
cherait beaucoup  d'importance  à  une  enquête  si  peu  vérifiée,  tellement  sommaire  ? 
Plus  précieux,  on  le  notera,  restent  les  «  excursus  »  biographiques  de  l'édition  Lcnglet- 
Dufresnoy  :  il  y  a  là,  parmi  trop  de  paille,  assez  de  bon  grain. 


B.  —  LES    ŒUVRES    DE    CLÉMENT    MAROT. 

a)  Éditions  publiées  du  vivant  de  l'auteur. 

I.  Ladole-  Il  scence  II  clcmen-  Il  tine,  autrement  les  œuvres  de  Clément  Marot  II  de 
Cahors  en  Quercy,  Valet  de  chambre  du  II  Roy  composées  enleagede  son  adolescence... 
Le  tout  reueu, corrige, et  j|  mis  en  bon  ordre.  Il  N.Beroaldus  in  démentis  II  Adolescen- 
tiam  :  1 1  Hî  sunt  démentis  iuveniles,  aspice,  Lusus,  j  |  Sed  iamen  his  ipsis  est  juvénile  nihil. 
Il  On  les  vend  à  Paris,  devant  Lesglise  saincte  ||  Geneuiefue  des  Ardens. Rue  Neufue 
nostre  ||  Dame  A  lenseigne  du  Faulcheur.  —  Au  r»  du  dernier  feuillet  :  Ce  présent  Liure 
fut  acheue  dimprimer  le  |  Lundy.  Xll"  tour  Daoust.  L'an  M.  D.  |  XXXII,  Pour  pierre 
Roffet,  dict  le  Faulcheur.  Par  Maistre  GeofroyToiy,I m-  \  primeur  du  roy.  ■ — Petit  in-S"; 
lettres  rondes  ;  4  ff.  pré].  ;  épître  de  Marot,  datée  du  12  août  1532,  «  a  un  grand  nombre 
de  frères  qu'il  a,  touts  Enfants  d'Apollo  »  ;  la  table  ;  un  f.  blanc  ;  CXV  ff.  chiffrés,  plus 
un  f.  non  ch.  pour  errata. 

On  ne  connaît  point  d'édition  antérieure  :  pourtant  les  mots  «  rei  eu,  corrigé  »  et  le 
fait  que,  dans  les  exemplaires  sortis  des  presses  d'Etienne  Dolet,  l'épître  aux  «  Enfants 
d'Ap  Ho  »  est  datée  du  12  août  15  jo  pourraient  conduire  à  supposer  l'existence  d'une 
édition  plus  ancienne. 

IL  L'adolescence  clémentine...  Avec  la  complaincte  sur  le  trespas  de  feu  messire 
Florimond  Robertet.  Et  plusieurs  autres  œuures  faictes  par  ledit  Marot,  depuis  leage  de 


90  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

sa  dicte  Adolescence.  Le  tout  reueu,  corrige  et  mis  en  bon  ordre.  Plus  amples  que  les 
premiers  imprimez  de  ceste  ny  autre  Impression...  A  Lenseigne  du  Faulckeur.  Avec 
priuilège  pour  Trois  ans.  —  Petit  in-S"  de  1 19  ff ..  Au  dernier  :  Ce  présent  Hure  fui  acheite 
Dimprimcr  le  mercredi  XIII^  iour  de  Nouembre  Lan  M.  D.  XXXII  Pour  Pierre  Roffet, 
dtct  le  Faulckeur,  par  Maistre  Geoffroy  Tory  de  Bourges,  imprimeur  du  Roy. 

III.  L'Adolescence  Clémentine...  Paris,  pour  Pierre  Roffet  par  Geoffroy  Tory.  Achevé 
d'imprimerie  samedi,  7  juin  1533.  Reproduction  page  pour  paçe  de  l'édition  précédente. 
L'unique  dL-iérence  est  dans  le  titre  qui  porte  Cette  mention  :  A  v.ec  certains  accens  notez, 
c' est  assavoir  surl'é  masculin  différent  du  féminin. . .  et  sous  le  C  quand  iltient  de  la  pronon- 
ciation de  le  S,  ce  qui,  par  cy  deuant,...  n'a  esté  faict  au  langaige  françoys... 

IV.  Ladolescence  clémentine,  ce  sont  les  œuvres  de  Clément  Marot  nouuellemët 
imprimées  auscques  plus  de  soixâte  nouuelles  compositiôs,  lesquelles  iamays  ne  furent 
Imprimées  comme  pourrez  veoir  ala  fin  du  liurp.  M.  D.  XXX II II.  On  les  vend  a  Lyon 
en  la  maison  de  Françoys  Juste,  demeurant  deuant  nostre  Dame  de  confort. 

Le  volume  comprend  quatre  r-arties  :  la  !«'■<'  a  132  ff.  ;  la  2^  (Sa  ff.)  e~t  intitulée  La 
SuYTE  DE  l' ADOLE  SCENCE  ;  la  ?'-'  est  un  recueil  des  œuvres  ^e  Jean  Marot  ;  lo  4»  i  ontient 
le  Premier  livre  de  la  Métamorphose  d'Ovide. 

Ce  même  ouvrage  a  été  réimprimé  par  François  Juste  en  1535  {v.  s.). 

V.  La  Suyte  de  l'adolescence  clémentine,  dont  le  contenu  suyt  ;  les  Elégies  de  l'au- 
theur  ;  les  Epistres  différentes  ;  les  chantz  diuers  ;  le  Cymetiere  et  le  Menu.  On  les  vend 
a  Paris  en  la  rue  Neufue  Nostre  Dame,  deuant  l'Eglise  saincte  Geneuiefue  des  Ardens,  a 
l'enseigne  du  Faulckeur.  S.  d.  Petit  in-80  ;  4  ff.  prél.  et  125  pp.  chiffrées. 

Réimpression  en  1534.  C'est  à  la  veuve  de  Pierre  Roffet  [f  1533!  que  le  privilège  est 
accordé. 

VI.  Ladolescence  clémentine...  Imprimé  en  Avignon  par  Jehan  de  Channey.  S.  d. 
Deux  tomes  en  un  vol.  in- 16,  goth. 

VII.  L'Adolescence  clémentine,  ou  aultrement  les  œuvres  de  Clément  Marot,  de 
Cahors  en  Quercy,...  faictes  en  son  adolescence,  auec  aultres  œuures  par  luy  composées 
depuis  sa  dite  adolescence,  reueues  et  corrigées  selon  la  copie  de  sa  dernière  recongnois- 
sance.  On  les  vend  à  Anvers  en  la  maison  de  Jean  Stecls,  a  lescu  de  Bourgogne.  1536. 
Petit  in- 8°  ;  lettres  rondes. 

Quatre  parties  :  Adolescence  (132  £E.)  ;  Suyte  de  V  Adolescence  (72  ff.)  ;  i^'  livre  d&  la 
Métamorphose  {32  ff.)  ;  Poésies  de  Jean  Mamt  (  1 8  ff .) . 

(Jean  Steels  a  donné,  presque  avec  le  même  titre,  une  autre  édition  en  15  ;•■>•  Elle  a 
été  imprimée  ■<  en  Anvers  par  Guillaume  du  Mont  »,  et  mérite  une  mention  spéciale  parce 
que,  pour  la  première  fois,  on  y  trouve  le  texte  de  L'Enfer.) 

VIII.  Les  Œuures  de  Clément  Marot  de  Cahors...  augmentées  de  deux  liures  d'Epi- 
grammes.  Et  d'ung  grand  nombre  d'aultres  Œuures  par  cy  deuant  non  imprimées.  Le 
tout  songneusement  par  luy  mesmes  reueu  &  mieulx  ordonné.  A  Lyon,  au  Logis  de 
Monsieur  Dolet.  M.  D.  XXXVIII.  Petit  in-80  goth. 

Quatre  parties  :  Adolescence  {XC&.)  ;  Suyte  de  V  Adolescence  (XC 1 1  ff .)  ;  les  Epigrammes 
(XXX 1 1  ff.)  ;  i*-"-  livre  delà  Métamorphose  (XXV I  ff.). 

Une  lettre-préface  de  Marot  à  Dolet  (Lyon,  31  juillet  1538)  nous  apprend  que  cette 
édition  avait  été  préparée  par  le  poète  lui-même.  Plusieurs  causes,  écrit-il,  la  rendaient 
fort  nécessaire  :  non  contents  d'avoir  semé  en  ses  œuvres  «  mille  sortes  de  faultes  infi- 
nies »,  les  précédents  imprimeurs,  dont  il  se  plaint  avec  beaucoup  d' amertume,  lui  avaient 
attribué  des  pièces  qui  ne  lui  appartenaient  point,  et  qui,  pour  divers  motifs,  lui  cau- 
saient un  tort  «  oultrageux  »  :  les  unes,  «  froidement  et  de  maulvaise  grâce  composées  », 
mettaient  sur  luiV  ignorance  d' autrui  îles  autres,  dues  à  d'excellents  auteurs  de  son  temps 
et  jointes  impudemment  aux  siennes  par  les  libraires,  risquaient  de  le  faire  passer  pour 
«  usurpateur  »  de  la  gloire  de  ses  émules  ;  certaines  enfin,  «  toutes  pleines  de  scandale 
et  sédition  »,  étaient  de  nature  à  mettre  sa  personne  en  danger,  et  il  s'en  était  fallu  de 
peu  qu'ellesl'eussent  contraint  à  ne  jamais  rentrer  en  France.  Voilà  pourquoi,  comptant 
sur  l'affection  de  Dolet,  qui  venait  d'obtenir  du  roi  un  très  »  bel  et  ample  privileige  » 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  91 

d'imprimeur  (6  mars  1538),  il  le  prie  de  publier,  avec  attention  et  diligence,  un  texte 
mieux  ordonné,  authentique  et  correct  de  ses  ouvrages  [G.  IF,  7-12]. 

En  fait,  Marot  avait  d'abord  confié  à  Séb.  Gryphius  le  soin  d'établir  cette  édition 
dont  il  parle  en  sa  lettre  du  31  juillet,  et  il  existe,  portant  le  nom  de  Gryphius,  des 
exemplaires  de  tout  point  conformes  à  ceux  où  se  lisent  les  mots  :  au  Lo^is  de  Monsieur 
Dolet.  Évidemment,  on  s'était,  pour  ces  derniers,  contenté  de  changer  le  feuillet  de  titre. 
Le  poète  a  voulu,  en  l'une  et  l'autre  édition,  exposer  pourquoi  il  réprouvait  celles  qu'on 
avait  données  antérieurement  :  mais  les  plaintes  qu'exprime  sa  lettre  à  Dolet  sont,  dans 
les  volumes  où  se  voit  la  firme  de  Gryphius,  directement  adressées  «  a  ceulx  qui  par  cy 
devant  ont  imprimé  ses  œuvres  ». 

On  doit  croire  qu'il  tenait  beaucoup  à  se  mettre  désormais  à  l'abri  de  la  négligence 
des  libraires  et  de  leurs  spéculations.  Il  a,  en  effet,  demandé  et  obtenu,  probablement 
en  cette  même  année  1538,  des  lettres  patentes  qui  lui  conféraient  trois  avantages  : 
défense  à  toutes  "  personnes  quelquonques  »  de  publier  1°  les  œuvres  déjà  parues  de 
Marot,  «  si  elles  n'ont  esté  par  luy  revues,  corrigées  et  amendées  »  ;  2°  les  livres  «  des 
anciens  bons  autheurs  »  qu'il  projetait  de  divulguer  à  nouveau,  après  avoir  débarrassé 
leur  texte  des  <■■  corruptions,  faultes,  vices  et  erreurs  »  qui,  «  par  succession  de  temps  », 
s'y  étaient  glissés  ;  3°  les  poésies  qu'il  voudra  ultérieurement  composer,  et  que  des 
«  gens  suffisans  »  garantiront  ne  pas  être  «  préjudiciables  a  la  chose  publique  ».  Ce  pri- 
vilège sans  précédent,  et  qui  n'a  pu  être  concédé  qu'à  un  moment  de  haute  faveur,  a 
été  mis  en  lumière  par  Ph.  Aug.  Becker  (Zeitschrift  fur  Ir.  Spr.  u.  Litt.,  1914,  t.  XLII, 
22t-9)  d'après  le  ms.  fr.  18111  de  la  B.  N. 

IX.  Les  Œuvres  de  Clément  Marot...  On  les  vend  a  Lyon,  chez  Françoys  luste.  —  A  la 
fin  :  Imprime  a  Lyon  par  lekan  Barbou.  M.  D.  XXX IX.  Petit  in-S"  de  285  ff . 

X.  Les  Œuvres  de  Clément  Marot...  augmentées  d'un  grand  nombre  de  ses  composi- 
tions nouvelles  par  cy  devant  non  imprimées,  le  tout  soni;neusement  par  luy  mesmes 
reueu  et  mieulx  ordonné,  comme  Ion  voj'rra  ci  après.  A  Lyon,  ch.cs  Estienne  Dolet.  '>5A~- 
Petit  in-S"  de  32^  ft".  Quatre  parties  :  Adolescence  ;  Suicte  de  V  Adolescence  ;  Œuvres 
translaties  ^,e  jaim  en  fran'oys  ;  Œuv;es  ncuiellcs  (à  partir  du  f.  281I. 

Belle  édition,  très  recherchée.  Tenant  la  promesse  faite  dans  le  titre,  Etienne  Dolet  a, 
ici,  offert  aux  lecteurs  des  pièces  qui  n'avaient  pas  encore  vu  le  jour.  La  meilleure  et 
la  plus  notable  est  I.'enfitr.  Cette  énergique  satire  que  Marot  avait  lue  au  roi  [G.  1 1 1, 
2S7],  et  qui  circulait,  manuscrite,  sous  le  manteau,  avait,  à  vrai  dire,  été  publiée  à 
Anvers  parJeanSteels  (15 3q1  [cf.,  ci-dessus,  len^  VII]  :  mais  aucun  imprimeur  français 
n'avait  jusqu'alors  osé  la  produire.  I>olet,  qui  n'a  cessé,  en  son  atelier  typographique, 
de  forger  des  armes  pour  le  bon  combat,  s'est  plu  à  divulguer  les  poésies  les  plus  mili- 
tantes de  son  ami.  L'un  et  l'autre  nourrissaient  les  mêmes  haines,  et  cherchaient  pareille- 
ment à  flétrir  les  deux  corps  qui  les  avaient  persécutés,  la  magistrature  et  la  Sorbonne. 
Ce  sont  les  «  juges  corrumpables  »  de  Paris  [G.  III,  285]  que  visent  les  vers  incisif?  de 
L'Enfer.  Une  letlre  liminaire  de  Dolet  à  Lyon  Jamet  [G.  II,  155-8]  présente  ce  libelle 
comme  digne  d'être  approuvé  «  tant  pour  l'invention  singulière  que  pour  les  descriptions 
merveilleuses  qui  y  sont  ».  Peut-être,  ajoute  l'éditeur,  arrivera-t-il  que  des  «  gens  cha- 
touilleux des  aureilles  »  s'attribueront,  »  comme  se  sentant  pinsez  sans  rire  »,  tel  ou  tel 
passage.  Qu'importe  !  Il  ne  faut  jamais  avoir  égard  aux  «  mal  pensants  »  qui  «veulent 
calumnier  »,  car  mieux  vaudrait  renoncer  à  écrire  que  se  plier,  en  écrivant.  <■  a  l'opinion 
d'aultruy  «.  Tout  effort  d^esprit  doibt  estre  libre...  Quant  à  la  Sorbonne, il  suffisait,  pour 
qu'elle  se  crût  blessée  et  pour  qu'elle  criât  au  sacrilège,  de  tourner  en  langue  vulgaire 
les  livres  saints.  Or,  le  poète  et  son  ami  l'imprimeur  non  seulement  n'hésitèrent  pas, 
mais  encore  prirent  plaisir  à  braver,  par  ce  moyen,  la  Faculté  de  théologie.  Marot  a  mis 
en  vers  cinquante  Psaumes.  Les  trente  qu'il  avait  déjà  traduits  à  cette  époque  furent 
insérés  par  Dolet  en  son  édition  de  1 542.  Celle  qu'il  va  donnerl'année  suivante  contiendra 
les  vingt  autres. 

X I.  Les  Œuvres  de  Clément  Marot  de  Cahors,  Valet  de  chambre  du  Roy.  .Vugmentécs 
d'ung  grand  nombre  de  ses  compositions  nouvelles;  Le  tout  soigneusement  par  luy 


92  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

mesmes  reveu  et  mieulx  ordonné  comme  l'on  voyra  cy  après  A  Lyon,  chés  Eslienne 
Dolet.  1543.  Petit  in-S"  de  760  pages. 

XII.  Les  Œuvres...  plus  amples  et  en  meilleur  ordre  que  parauant.  Lyon,  a  l'enseigne 
du  Rocher.  1544.  Deux  parties  en  un  vol.  petit  in-8°. 

Les  pièces,  pour  la  première  fois,  sont  classées  dans  l'ordre  des  genres. 

Sous  la  forme  d'un  avis  de  riti:primeur  au  Lecteur,  on  trouve  ici  une  curieuse  préface, 
qui  se  lit  aussi,  mais  amplifiée,  en  tête  de  l'édition  de  Niort,  1596.  [Cf.  J.  IV,  197  et  G. 
II,  1-5.] 

P)   Éditions  pu bliées  après  la  mort  de  V auteur. 

I.  LES    ŒVVRES  j  DE    CLEMENT    MA-  j  ROT,    DE    CAHORS,  |    VALLET    DE  |  CHAMBRE  |  DV 

I  ROY.  |J  ~[|  /l  Lyon,  |  Par  Jean  de  Tournes.  ]  1546.  Un  vol.  in- 16  de  562  pp.  chiffrées. 

Sg    LES  TRADVC-    |  TIONS  DE  CLE-  j  MENT  MAROT,   j  VALLET  DE  |    CHAMBRE   |  DV  |  ROY. 

Iii-i6  de  303  pages  chiffrées. 

Antoine  Du  Moulin  [Voir  Revue  d'hist.  litt.  de  la  Fr.,  1896,  p.  218  sqq.]  paraît  avoir 
travaillé  à  cette  édition,  la  première  de  celles  —  si  nombreuses  !  —  que  les  de  Tournes 
devaient  donner.  Ils  publieront  encore  les  poèmes  de  Marot  en  1549,  1553,  1558,  1573, 
1579, 1585  et  1603. 

II.  Les  œuvres  de  Clément  Marot.  Paris,  Charles  VAngelicr.  1547.  In-i6  de  372  ff. 
chiffrés. 

III.  Afin  de  montrer  que,  durant  tout  le  XV I^  siècle,  la  vogue  de  Marot  a  persisté, 
indiquons  brièvement  les  principales  éditions  de  cet  écrivain  qui  ont  paru  entre  1548  et 
1583.  Ce  sont  les  suivantes  :  Paris,  Pierre  Gaultier,  1548  ;  —  Paris,  Petit,  au  Lys  d'or, 
1548  ;  —  Paris,  Guillaume  Thiboust,  1548  ;  —  Lyon,  Guillaume  Roville,  1550  ; 
• —  Paris,  Veuve  François  Regnault,  1551  ;  —  Paris,  Pierre  Gaultier,  1551  ;  — 
Paris,  Jean  Bonfons,  1551  ;  —  Lyon,  Guillaume  Roville,  1553,  1557,  1558  ;  —  Paris, 
Barbe  Regnault,  1559  ;  —  Paris,  Claude  Gaultier,  1571  ;  —  Rouen,  Guillaume  Pavic, 
1583. 

Si  l'on  ajoute  à  cette  liste  les  éditions  des  de  Tournes,  qui  ont  été  mentionnées  plus 
haut,  on  conclura  nécessairement  que  le  magnifique  éclat  de  la  Pléiade  n'a  pas  réussi 
à  obscurcir  la  petite  étoile  de  «  maître  Clément  ».  Au  contraire,  malgré  Boileau,  malgré 
La  Fontaine,  le  XV 1 1*"  siècle  —  si  dédaigneux,  si  ignorant,  —  a  laissé  dans  l'oubli  le  vieux 
et  charmant  poète,  et  je  ne  vois  guère  à  citer,  après  l'édition  de  1603  (de  Tournes),  que 
celle  de  Le  Villain  (Rouen,  1615), 

IV.  Les  Œuvres  de  Clément  Marot  reveues,  augmentées  et  disposées  en  beaucoup 
meilleur  ordre  que  ci-devant  ;  plus,  quelques  œuvres  de  Michel  Marot,  fils  dudit  Marot, 
publiées  par  Fr.  Mizière,  médecin.  Niort,  par  Thomas  Porfau,  1596.  Un  vol.in-i6  en  deux 
parties  de  548  +  248  pages. 

V.  Œuvres  de  Marot.  La  Haye,  Adrian  Moetjens.  1700.  Deux  vol.  petit  in-i 2. 

VI.  Œuvres  de  Clément  Marot  revues  sur  plusieurs  manuscrits  et  sur  plus  de  qua- 
rante éditions  ;  et  augmentées  tant  de  diverses  poésies  véritables  que  de  celles  qu'on  lui 
a  faussement  attribuées  ;  avec  les  ouvrages  de  Jean  Marot,  son  père,  ceux  de  Michel 
Marot,  son  fils,  et  les  pièces  du  différend  de  Clément  avec  François  Sagon  ;  accompagnées 
d'une  préface  historique  et  d'observations  critiques.  La  Haye,  chez  P.  Gosse  etj.  Neaul- 
me.  1731.  6  vol.in-i2.  [Lenglet-Dufresnoy.] 

VII.  Œuvres  complètes  de  Clément  Marot.  Nouvelle  édition  ornée  d'un  portrait  et 
augmentée  d'un  essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Cl.  Marot,  de  notes  historiques  et 
critiques  et  d'un  glossaire  [par  P.  Lacroix].  Paris,  Rapilly.  1824.  Trois  vol.  in-8°. 

VIII.  Œuvres  choisies  de  Clément  Marot,  accompagnées  de  notes  historiques  et 
littéraires  par  M.  Després,  ancien  conseiller  de  l'Université,  et  précédées  d'un  essai  sur 
Cl.  Marot  et  sur  les  services  qu'il  a  rendus  à  la  langue  par  M.  Campenon.  Paris,  Janet 
et  Cotelle,  (Imprimerie  de  J.  Didot).  1826.  In-80.  Portrait. 

IX.  Œuvres  de  Clément  Marot  annotées...  et  précédées  de  la  vie  de  Clément  Marot 
par  Ch.  d'Héricault.  Paris,  Garnier.  1867.  In-S". 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  93 

X.  Œuvres  complètes  de  Clément  Marot  revues  sur  les  éditions  originales  avec  pré- 
face, notes  et  glossaire  par  Pierre  Jannet.  Paris,  Marpon  et  Flammarion.  S.  d.  Quatre 
vol.  in-i6. 

X I.  Les  Œuvres  de  Clément  Marot  de  Cahors  en  Quercy,  Valet  de  chambre  du  Roy, 
augmentées  d'un  grand  nombre  de  ses  compositions  nouvelles,  par  ci-devant  non  impri- 
mées. Le  tout  mieux  ordonné  comme  l'on  voirra  ci-après  et  soigneusement  reveu  par 
Georges  Guiffrey. 

Tome      I  :  Voir,  ci-dessus,  A,  I. 

Tome   II  :  Paris,  Imprimerie  Claye,  A.  Quantin,  Successeur.  Achevé  d'imprimer  le 

lôdécembre  1875.  In-8° de 570 pages. 
Tome  III  :  Paris,  Imprimerie  A.  Quantin.  Achève  d'imprimer  le  8  février  1881.  In-80 

de  758  pages. 

XII.  Œuvres  choisies  de  Clément  Marot  accompagnées  d'une  étude  sur  la  vie,  les 
œuvres  et  la  langue  de  ce  poète...  par  Eugène  Voizard.  Paris,  Garnier.  S.  d.  (Préface  du 
26  septembre  1888.) 

y)  Pièces  qui  ont  été  publiées  séparément. 

I.  Epistre  de  maguelonne  a  son  amy  pier- 1  re  de  prouance  elle  estant  a  Ihospital. 
S.l.  n.  d.  [vers  15 19.]  In-40goth.  de  4  feuillets.  —  A  la  fin  :  Rondeau  duquel  les  lettres 
capitales  portent  le  nom  de  l'auteur. 

II.  Le  tëple  de  eu-  |  pido  fait  et  côpose  1  par  maistre  Clément  Marot,  Fa-  |  cteur  de 
la  Royne,  S.  1.  n.  d.  Petit  in-8°  goth.  de  12  feuillets. 

III.  Deploration  sur  la  mort  de  hault  et  puissant  seigneur,  messire  Florimond  Rober- 
tet,  marquis  de  Daluye,  etc.,  faite  par  Clément  Marot.  S.  1.  n.  d.  In-40  de  20  pages. 

IV.  Eglogue  de  Clément  Marot  sur  le  trespas  de  madame  Loyse  de  Savoye,  jadis  mère 
du  roy  Françoys  I.  Paris,  1531.  In-40  de  8  feuillets. 

V.  Les  cantiques  de  la  paix  par  Clément  Marot,  ensemble  le  cantique  de  la  Royne 
sur  la  maladie  &  conualescence  du  Roy.  On  les  vend  a  Paris,  sur  le  pont  Sainct  Michel,  a 
lenseigne  de  la  rose  Blanche,  par  Estienne  Roffet,  relieur  du  roy.  Privilège  du  13  janvier 
153g.  In-8°  de  10  feuillets.  Lettres  rondes. 

VI.  L'Enfer  de  Clément  Marot  de  Cahors  en  Quercy,  valet  de  chambre  du  Roy.  Item 
aulcunesBalladeset  Rondeaulx  appartenants  a  largument.  Et  en  oultre  plusieurs  aultres 
compositions  du  dict  Marot  par  cy  devant  non  imprimées.  A  Lyon,  chés  Estienne  Dolet. 
1543.  Petit  in-80  de  64  pages. 

Réimprimé  par  Dolet  en  1544. 

V I I.  Epistre  ëuoyée  par  Clément  Marot  a  M.  Danguyn.  Paris,  Nicolas  Lhcritier.  1544- 
In-i6  de  4  feuillets. 

VIII.  Le  Balladin  et  dernier  oeuvre  de  maistre  Clément  Marot.  Imprimé  a  Paris  le 
dixième  iour  dauril  1545.  Petit  in-80  je  8  feuillets. 

IX.  Epigrammes  de  Clément  Marot  faictz  a  l'imitation  de  Martial  ;  plus,  quelques 
aultres  œuvres  dudict  Marot  non  encores  imprimées  par  cy-devant.  Poicliers,  Jehan  et 
Engnilbert  de  Marnef  frères.  1547.  Petit  in-80  de  62  pages. 

X.  Deux  colloques  d'Erasme  traduits  en  françois  par  Clément  Marot  ;  plus,  le  Balladin 
du  mesme  Marot.  Paris,  chez  Guillaume  Thiboust.  1549.  In-i6. 

X I.  Le  Riche  en  pauvreté,  joyeux  en  affliction  et  content  en  souffrance,  composé  par 
Matot  (sic)  et  trouvé  parmy  ses  autres  factures  a  Charaberry.  (Plus  la  complainte  d'un 
pastoureau.)  Paris,  Estienne  Denise.  1558.  In-i6. 

3)  Publication  des  œuvres  restées  inédites. 

I.  Poésies  inédites  de  Clément  Marot  éditées  par  Gustave  Maçon.  Bulletin  du  Biblio- 
phile et  du  Bibliothécaire...  publié  par  la  librairie  Techener.  Paris,  Librairie  Techener 
1898.  Pages  157-170  ;  233-248. 

Quelques-unes  de  ces  poésies,  très  importantes  et  même  très  émouvantes,  appartien- 


94  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

nent  à  la  meilleure  manière  de  l'écrivain  ;  leur  authenticité  n'est  pas  douteuse,  et  elles 
fournissent,  sur  la  biographie  de  Marot,  notamment  à  l'époque  de  son  exil  à  Ferrare  et 
à  Venise,  les  plus  utiles  renseignements.  Ces  textes  ignorés  ou  négligés  trop  longtemps, 
G.  Maçon  les  a  tirçs  du  précieux  ms.  qui  a  pour  titre  : 

Recueil  des  dernières  œuvres  \  de  Clément  Marot,  non  imprimées  ;  1  et  premièrement 
I  celles  qu'il  fit  durant  son  exil  |  et  depuis  son  retour.  Il  537  {sic)  |  en  mars.  [Entendez  : 
viars  1538,  n.  s.] 

Bihliothtque  de  Chantilly.  Petit  in-fol.  de  74  ff.  écrits,  au  r°  et  au  \°,  d'une  élégante 
cursive  droite  ;  couverture  moderne  en  velours  rouge. 

II,  R.  Fromage,  Poésies  inédites  de  Clément  Marot.  Bullelin  de  la  Soc.  de  l'hist.  du 
protestantisme  Ir.y'LYlll^  année,' 1909.  Pages  44-50  ;  129- 141  ;  225-242. 

M.  R.  Fromage  n'a  pas  de  chance  avec  Marot.  Qu'il  cherche  à  identifier  ses  maîtresses 
ou  à  augmenter,  en  lui  attribuant  de  nouveaux  poèmes,  son  bagage  et  sa  gloire  littéraires, 
il  déploie  un  zèle,  assurément  sympathique,  mais  qui  s'exerce  en  pure  perte.  Parmi  les 
plus  brèves  et  les  plus  insignifiantes  pièces  que  cet  érudit  se  plaît  à  croire  de  Clément 
Marot  [elles  sont  extraites  d'un  ms.  du  XV I^  siècle  conservé  à  la  Bibliothèque  cantonale 
de  Lausanne,  et  Frédéric  Chavannes  leur  a  consacré  une  notice  en  1844],  peut-être  y  en 
a-t-il  quelques-unes  qui  lui  appartiennent  réellement.  Mais  les  morceaux  étendus  et, 
dans  tous  les  sens  du  mot,  considérables  que  M.  Fromage  lui  prête  ne  sauraient  être  pré- 
sentés comme  sortis  de  sa  plume. 

C'est  ce  qu'a  bien  montré  M.  Jean  Plattard  [Eevue  des  Études  rabelaisiennes,  t.  X, 
1912,  pp.  68-71,  et  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'hist.  du  protestantisme  tr.,  mai-juin  1912,  pp. 
278-280],  et  il  convient  d'adhérer  à  l'ensemble  de  ses  conclusions  :  ni  les  vers  intitulés 
D'un  monstre  nouvellement  baptizé  ',  ni  le  vigoureux  Sermon  notable  pour  le  jour  de  la 
dédicace,  ni  la  gauche  et  plate  Epitre  qui  commence  par  Je  pense  bien  que  tu  t'esbayras... 
n'ont  été  rimes  par  Marot.  Quant  au  dizain  0  bien  heureu.x  qui  a  passé  son  cage...,  c'est 
le  début  d'une  traduction  du  De  Scne  veronensi  de  Claudien.  On  en  pourra  lire  le  texte 
complet  dans  les  œuvres  de  Mellin  de  Saint-Gelays  [Blanchemain,  I,  63-5].  Au  reste, 
ces  quelques  vers  ne  mériteraient  guère,  si  leur  auteur  était  inconnu,  qu'on  le  recherchât 
avec  passion. 


C.  —  MAROT  ÉDITEUR  DE  VILLON. 

J'ai  déjà  parlé  de  l'intention  qu'avait  Clément  Marot  de  rééditer  correctement  les 
vers  de  certains  poètes  qu'il  jugeait  dignes  d'être  mieux  connus.  On  se  rappelle  que  les 
lettres  patentes  relatives  à  ses  propres  écrits,  et  défendant  à  tout  libraire  de  les  publier 
sans  son  aveu,  étendaient  la  même  interdiction  aux  livres  des  vieux  auteurs  qu'il  se 
proposait  de  remettre  en  lumière.  Les  vicissitudes  de  sa  vie  tourmentée  et  assez  brève 
nuisirent  à  l'accomplissement  de  ce  dessein  qu'il  avait  conçu.  Pourtant  il  lui  donna  un 
commencement  d'exécution  en  faisant  paraître,  annotées  et  remaniées,  les  œuvres  d'un 
maître  qui  lui  était  cher  entre  tous. 

Il  s'agit  de  Villon,  qu'il  nomme,  avec  une  affectueuse  familiarité,  «  nostre  Villon  ». 
Galiot  du  Pré,  qui  avait,  en  1532,  donné  une  édition  très  fautive  et  en  partie  apocryphe 
de  l'étudiant  parisien,  résolut,  presque  aussitôt,  d'offrir  à  ses  clients  un  texte  moins  négli- 
gé, plus  authentique,  et  accepta  celui  que  Marot  avait  établi  ou  s'engageait  à  établir. 
Voici  le  titre  du  volume  nouveau,  qui  ne  tarda  guère  à  être  imprimé  : 

Les  Œvvresde  Françoys  Villon  de  Paris,  reueues  &  remises  en  leur  entier  par  Clément 
Marot,  valet  de  chambre  du  Roy.  Il  Distique  du  dict  Marot  :  Peu  de  Villons  en  bon 
sçavoir,  j  Trop  de  Villons  pour  deceuoir.  |[  On  les  vend  a  Paris  enla  grand  salle  du  Palais 

I.  C'est  par  Eustorg  ce  Beaulieu  [Herminjard,  VIII.  402]  que  cette  pièce  a  été 
attribuée  à  Marot. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  95 

en  la  bouticque  de  Galiot  du  Pré.  —  Au  r"  du  dernier  feuillet  :  Fin  des  œuures  de  Françoys 
Villon,...  &  furent  paracheuees  de  imprimer  le  dernier  tour  de  Septembre,  L'an  mil  cinq 
cens  trente  &  troys.  —  Petit  in-S"  de  6  If.  prél.  et  115  PP-  chiffrées. 

D'une  allure  vive  et  décidée,  souvent  judicieux  et  pittoresque,  l'avis  au  lecteur  [J. 
IV,  190-3  ;  G.  II,  263-270]  mérite  beaucoup  d'attention.  En  expliquant  avec 
désinvolture  comment  il  a  classé,  corrigé,  complété  les  strophes  des  Testaments,  Marot 
nous  rend,  sans  doute,  suspecte  lalégitimité  d'une  pareille  cuisine,  et  il  est  trop  clair  qu'  il 
ignore  les  règles  et  les  limites  de  la  révision  qu'il  avait  tentée.  Mais  il  sent  assez  profon- 
dément l'originale,  l'inimitable  beauté  des  ballades  ;  il  distingue  fort  bien,  chez  Villon, 
deux  éléments  :  d'un  côté,  ces  allusions,  ces  détails  qui  perdent  leur  sel  et  leur  sens  à 
mesure  que  l'on  connaît  moins  «  les  lieux,  les  choses  et  les  hommes  »  au  milieu  desquels 
se  mouvait  l'écrivain  ;  d'autre  part,  les  passions,  les  images,  les  «  mille  belles  couleurs 
que  le  temps,  qui  tout  efface,  »  ne  pourra  pas  effacer. 

On  notera  que  Marot  déclare,  en  terminant  sa  lettre  aux  lecteurs,  que  le  désir  de  plaire 
au  roi  a  été  «  cause  et  motif  de  ceste  emprise  »  :  en  préparant  pour  lui  cette  édition  claire 
et  fidèle,  on  était  certain  de  lui  être  agréable,  attendu  que,  souvent,  on  l'avait  «  veu 
voulentiers  escouter  et  par  très  bon  jugement  estimer  plusieurs  passages  »  de  Villon. 

Observation.  Sur  la  foi  d'Etienne  Pasquier  [Lettres,  II,  6]  et  de  Lenglet-Dufresnoy 
[1,29],  presque  tous  les  biographes  de  Marot  ont  cru,  et  moi  avec  eux,  qu'il  avait  publié 
aussi  un  Roman  de  la  Rose,  en  s'appliquant  à  en  rajeunir  le  style  et  àl'habiller,  pour  parler 
le  langage  de  Pasquier,  «  a  la  moderne  françoyse  ».  Mais,  se  fondant  sur  un  solide 
système  d'arguments,  M.  Bccker  a  soutenu  et,  à  mon  sens,  démontré  [Germanisch- 
romanische  Monaisschriji,  t.  IV,  12^  livraison]  que  le  remaniement  en  question  était  dû 
à  un  auteur  dont  nous  ne  savons  rien,  sinon  que  sa  devise  était  Fin  par  tout.  Ni  l'une  ni 
l'autre  des  deux  éditions  *  du  Roman  ainsi  retouché  ou,  si  l'on  préfère,  massacré,  ne  por- 
tent le  nom  de  Clément  Marot  ;  loin  de  la  réclamer  comme  sienne,  jamais  il  n'a  dit,  en 
ses  ouvrages,  un  mot  de  cette  révision  ;  et,  enfin,  pourquoi  lui  attribuer  —  à  lui  qui 
écrivait  une  prose  alerte,  serrée,  énergique,  à  lui  aussi  hostile  à  Rome  que  favorable 
à  tous  les  affranchis  —  la  préface  ''alambiquéeetsi  traînante  qu'a  rédigée,  pour  la  placer 
en  tête  du  grand  poème  mutilé  par  lui,  un  homme  sévère  aux  hérétiques  et  disposé  à 
identifier  la  rose  de  Guillaume  de  Lorris,  symbole  sensuel  et  païen,  avec  «  la  rose  papale  » 
ou  t  la  glorieuse  vierge  Marie  »  ? 


D.  —  LES  PSAUIMES  DE  DAVID. 

I.  Le  VI  Pseaulme  de  David,  qui  est  le  premier  Pseauîme  des  sept  Pseaulmes  et 
translaté  en  françoys  par  Clément  Marot,  varlet  de  chambre  du  Roy  nostre  sire,  au  plus 
près  de  la  vérité  Ebraicque. 

Petit  in-80  goth.  de  4  feuillets.  Biblioteca  Colombina  de  Séville. 

H.  Harrisse,  qui  a  consacré  à  cet  opuscule  des  pages  très  attentives,  pense  qu'il  fut 
publié  avant  1533.  La  première  strophe  de  cette  traduction  nous  offre,  en  effet,  au  moins 
deux  vers  qui  ne  se  retrouvent,  sous  la  même  forme,  ni  dans  l'ouvrage  dont  il  va  être 
question  ci-dessous,  ni  dans  aycun  de  ceux  qui  l'ont  suivi.  Concluez,  puisque  ce  passage 
fut  condamné  à  partir  de  1533,  que  la  brochure  où  il  se  rencontre  est  nécessairement 
antérieure  à  cette  date. 

II.  Marguerite  d'Angoulême,  Le  Miroir  de  l'ame  pécheresse.  Paris,  Augereau,  1533. 
In-8»  de  36+  20  feuillets. 

1.  Cy  est  le  Romàt  de  la  Roze...  A  Paris  en  la  boutique  de  Galiot  du  Pré.  Privilège 
daté  du  «  ieudy  dixneufiesme  iour  dapruil  Mil  cinq  ces  vingt  six  après  pasques  ».  — 
Réimpression  «  au  mois  de  Mars,  mil  cinq  cenz  XXIX,  avant  pasques  »  =  1530.  (La 
devise  Fin  par  tout  ne  se  trouve  qu'en  cette  deuxième  édition.) 

2.  J.  IV,  183-8;  G.  11,145-152. 


96  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

On  pourra  lire  en  ce  livre  i»  «  le  V 1'=  pseaulme  de  David,  translaté  en  françoys  selon 
l'hebrieu  par  Clément  Marot,  valet  de  chambre  du  roi  »  ;  3°  «  l' Instruction  et  Foy  d'ung 
chrestien  mise  en  françoys  par  Clément  Marot,  valet  de  chambre  du  roi  ».  Cette  «  Ins- 
truction »  comprend  [J.  IV,  54-8]  l'Oraison  dominicale,  la  Salutation  angélique,  les 
Articles  delà  foy, les  Grdcespourunenfant,laPrièredevantlerepas. ..Hlqu'onne  s'étonne 
pas  de  rencontrer  ces  pieuses  versions  en  un  volume  qui  porte  le  nom  de  Marguerite 
d'Angoulême  :  c'était  auprès  d'elle  que  Marot  avait  appris  à  connaître  l'esprit  et  les 
tendances  de  la  nouvelle  Église.  Tout  nous  invite,  en  conséquence,  à  admettre  quel'idée 
de  traduire  le  psautier  ne  lui  est  pas  venue  spontanément,  mais  qu'elle  lui  a  été  suggérée 
parla  reine  de  Navarre.  S'adressant  à  elle,  au  temps  oùla  colère  de  François  I^'le  retenait 
en  exil,  il  dit  :  Parfois  je  me  figure  —  beau  rêve  !  —  vivre  encore  «  autour  de  toy  », 
qui  m'as  été,  lors  de  mes  épreuves,  «  plus  mère  que  maistresse  ».  Je  me  revois  «  en  ta 
chambre  parée  »,  et,  là,  je  crois  chanter,  pour  t'obéir, 

Pseaitlmes  divins,  car  ce  sont  tes  chansons..,  [M.  -;4i.] 

Passage  vraiment  significatif  !  Ces  psaumes  qu'ils  chantaient  ensemble,  le  poète  et 
sa  protectrice  ont  dû  vouloir  les  rendre  accessibles  à  qui  ne  savai  t  que  le  français  ;  Marot 
s'est  mis  au  travail,  et  les  premiers  textes  sacrés  tournés  par  lui  en  langue  vulgaire, 
Marguerite,  afin  de  montrer  que  sa  sympathie  était  acquise  à  ce  genre  de  labeur,  les  a 
insérés  en  ses  propres  œuvres. 

Encouragé  de  la  sorte,  Marot  traduisit  plusieurs  autres  psaumes.  En  1539  douze,  au 
moins,  étaient  déjà  mis  en  vers.  Ils  parurent,  peut-être  sans  l'assentiment  de  l'auteur, 
dans  le  livre  que  voici  : 

III.  Aulcuns  Pseaumes  et  cantiques  mys  en  chant.  A  Strasbourg,  1539.  Petit  in-8° 
de  64  pages. 

Cet  opuscule  anonyme,  qui  est  (constitué  par  Calvin)  «  le  premier  psautier  réformé 
connu  »  [O.  Douen,  I,  302],  contient  en  tout  —  avec,  pour  chacun,  une  mélodie  indiquée 
en  tête  ■ — •  vingt  et  un  morceaux,  à  savoir  trois  cantiques  et  dix-huit  psaumes. 
Douze  appartiennent  à  Marot  (  I,  II,  III,  XV,  XIX,  XXX  II,  LI,  CIII,  CXIV,  CXXX, 
CXXXVIl,  CXLIII).  Chose  curieuse,  le  ps.  VI,  le  seul  déjà  imprimé  ',  ne  figure  pas  en 
ce  volume. 

IV.  Psalmes  de  David  translatez  de  plusieurs  autheurs  et  principallement  de  Cle. 
Marot.  Veu,  recongneu  et  corrigé  par  les  théologiens,  nommeement  par  M.  F,  Pierre 
Alexandre,  concionateur  ordinaire  de  la  Royne  de  Hongrie.  L'an  1541.  Cum  gratia  et 
privilégia.  —  A  la  fin  :  Imprimé  en  Anvers,  par  Antoine  de  Gois.  L'an  M.  D.  XLI. 

Cette  édition  fort  incorrecte,  et  qui  a  été,  semble-t-il,  donnée  à  l'insu  de  Marot,  con- 
tient trente  psaumes  de  lui  et  quinze  autres  pièces  de  divers  auteurs. 

V.  Trente  pseaulmes  de  David,  mis  en  françoys  par  Clément  Marot,  valet  de  chambre 
du  Roy,  avec  privilège.  Paris,  Etienne  Roffet  ;  s.  d.  In-i6. 

Le  privilège,  signé  D^  Mesmes,  est  du  a  dernier  iour  de  novembre  1541  »,  et  tout  porte 
à  croire  que  l'ouvrage  a  paru  au  commencement  de  l'année  suivante.  Il  renferme,  sans 
musique  ni  timbres,  les  psaumes  I-XV,  XIX,  XXII,  XXIV,  XXXII,  XXXVII, 
XXXVIII,  LI,  cm,  CIV,  CXIII,  CXIV,  CXV,  CXXX,  CXXXVIl,  CXLIII. 

Le  volume  s'ouvre  [J.  IV,  59-64]  par  une  épître  de  «  Clément  Marot  au  Roy  trèschres- 
tien  »  '.  Le  poète,  après  avoir  comparé  François  I«'  à  David,  entame,  à  grand  renfort 
d'images  qu'il  tire  mal  à  propos  de  la  mythologie,  un  long  éloge  des  psaumes.  Plus 
frappé,  quoi  qu'en  dise  M.  Douen  [I,  293],  de  leur  valeur  littéraire  que  de  l'action  qu'ils 

1.  Plusieurs  fois.  Voyez  ce  que  j'ai  dit  aux  n»*  I  et  II,  et  ajoutez  que  ce  psaume  a 
paru  dans  la  Suite  de  V  Adolescence  Clémentine  en  1534,  1536,  1538. 

2.  Datée  de  1539.  Il  y  a  lieu  d'admettre  qu'elle  a  figuré,  cette  année-là,  en  tête  d'un 
exemplaire  des  Trente  pseaulmes  offert  —  manuscrit  —  au  roi.  L'an  d'après,  une  autre 
copie  fut  présentée  à  Charles- Quint  traversant  la  France  pour  se  rendre  à  Gand. 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  97 

peuvent  exercer  sur  l'âme,  il  les  admire  principalement  à  cause  du  souffle  passionné  qui 
les  anime  et  des  «■  descriptions  »  qui  «  y  sont  propres  et  belles  ».  Si  Orphée,  si  Arion, 
affirme  le  traducteur,  avaient  entendu  sonner  cette  musette  du  i  prophète  hebrieu  », 
ils  auraient  pendu  la  leur  «  a  quelque  arbre  »  ou  bien  ils  l'eussent  boutée  en  cent  pièces. 
L'curt  de  David  est  tellement  accompli  qu'il  égale  celui  d'«  Homère  grec  »,  et  dépasse  — 
rapprochement  fort  inattendu  !  —  celui  d'Horace.  Quant  aux  tableaux  annonçant  la 
venue,  la  figure  et  les  souffrances  du  Christ,  leur  perfection  découragerait  «  le  grand 
Miquell'Ange  »  et  Janet,  peintre  du  roi. 

Tout  cela  donne  des  psaumes  une  idée  assez  profane,  et  s'applique  plutôt  à  un  aimable 
recueil  de  «  chansons  mesurées  »  qu'à  un  livre  rempli  de  l'esprit  de  Dieu.  Marot  est, 
certes,  mieux  inspiré  lorsqu'il  recommande  la  lecture  du  psautier  parce  que,  là  seulement, 
l'homme  verra  qu'il  n'est  rien,  et  trouvera,  en  ses  jours  d'infirmité  ou  de  tribulation,  un 
motif  de  réconfort  et  d'espérance.  Comment  le  juste  sera-t-il  ainsi  consolé,  raffermi  ? 
Par  les  preuves  de  la  puissance  divine  qui  éclatent  en  ce  texte  sacré,  et  que  David  tire 
soit  des  «  signes  »  et  miracles  que  l'Éternel  a  prodigués,  soit  des  merveilles  de  la  création. 
Cette  seconde  façon  d'interpréter  les  Écritures,  en  chrétien  et  non  en  lettré,  a  dû,  plus 
que  l'autre,  plaire  aux  Calvinistes. 

Arrivé  au  bout  de  son  épître,  Marot  déclare  que  les  trente  psaumes  qu'il  dédie  au  roi 
ne  sont  qu'un»  essai  »,  et  il  s'engage  à  publier  avant  peu  le*  résidu  »,  pourvu  que  Fran- 
çois I^'  souhaite  la  continuation  de  cette  vaste  entreprise. 

VI.  La  manyere  de  faire  prières  aux  églises  Françoyses  tant  deuant  la  prédication 
comme  après,  ensemble  pseaulmes  et  cantiques  françoys  qu'on  chante  aux  dictes  églises, 
après  sensuyt  l'ordre  et  façon  d'administrer  les  sacrementz...  Le  tout  selon  la  parolle 
de  nostre  seigneur.  1  S.  Paul  aux  Coloscen.  3.  Enseignez  et  admonestez  lun  lautre  en 
pseauimes,  en  louenges  et  chansons  spirituelles  avec  grâce.  Chantans  au  seigneur  en 
vostre  cueur.  1 1  1512.  —  A  la  fin  :  Imprimé  a  Rome  par  le  commandeynent  du  Pape,  par 
Théodore  Briisz,  allemanl,  son  imprimeur  ordinaire.  Le  15  de  feburier.  —  Un  vol.  in-i6 
gothique. 

Les  psaumes  occupent  les  pp.  7-120. 

Est-il  utile  de  dire  que  les  mots  a  Rome  par  le  commandement  du  Pape  sont  une  malice 
—  assez  amusante  —  de  l'imprimeur  ?  A  la  place  de  Rome,  lisez  Strasbourg. 

VIL  La  forme  des  prières  et  chantz  ecclésiastiques  avec  la  manière  d'administrer 
les  Sacremenset  consacrer  le  Mariage,  selon  la  coustume  de  l'Eglise  ancienne.  |  Psalme 
159  *  :  Chantez  au  seigneur  chanson  nouvelle  et  que  sa  louange  soit  ouye  en  la  congré- 
gation des  débonnaires.  1  P.  150  :  Que  tout  ce  qui  respire  loue  le  seigneur.  1 1  1542.  — 
Sa«sh'eM(i'îm/>ress/on,  mais  avec  la  feuille  d'olivier,  marque  de  Jean  Gérard  (ouGira  d), 
imprimeur  de  Genève.  —  In-i8  de  92  pages. 
Trente  psaumes  de  Marot  et  cinq  de  Calvin. 

Ce  volume  et  le  précédent  comptent  parmi  les  premiers  rituels  de  l'Église  réformée. 
On  observera  que  les  psaumes  de  Clément  Marot  ont  pris,  du  fait  que  les  calvinistes 
les  ont  acceptés  dans  leur  1  iturgie,  une  importance  que,  peut-être,  il  n'avait  guère  prévue. 
A  l'origine,  sa  traduction  s'adressait  au  roi,  à  la  cour  et  aux  gens  du  monde  :  mais,  dès 
qu'elle  eut  paru,  un  public  moins  inconstant,  plus  grave,  s'empara  d'elle  ;  accaparée 
bientôt  par  Strasbourg,  puis  par  Genève,  enfin  par  l'ensemble  du  protestantisme  fran- 
çais, elle  conquit,  dans  les  cérémonies  du  nouveau  culte,  une  place  officielle.  De  la  sorte, 
une  longue  fortune  était  assurée  à  cette  œuvre,  et  le  poète  avait  le  droit  de  croire  qu'elle 
allait,  comme  le  service  divin,  demeurer  perpétuelle.  Juste  cause  de  joie  et  d'orgueil. 

Mais  il  y  avait  une  ombre  au  tableau  :  un  telsuccès  risquait  d'être  payé  cher  et  de  deve- 
nir, pour  l'écrivain  qui  l'avait  obtenu,  inquiétant  ou  même  funeste.  La  version  des 
psaumes  semblait  à  la  Sorbonne  d'autant  plus  odieuse  que  les  hérétiques  l'approuvaient 
davantage,  et  il  fallait  s'attendre  à  ce  qu'elle  fût  rigoureusement  condamnée.  La  Faculté 
de  théologie  ne  s'endormit  pas,  et,  dès  1542,  non  contente  de  censurer  diverses  traduc- 

I.  Lisez  14g. 
Clément  Marot  et  son  école  7 


98  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

tions  du  psautier,  elle  invita  la  justice  séculière  à  poursuivre  tant  les  auteurs  que  les 
imprimeurs  •.  Parmi  les  ouvrages  dénoncés  on  rencontre  deux  (au  moins)  des  éditions 
que  nous  avons  mentionnées  ci-dessus  *.  Ajoutez  que,  lé  I*''  juillet  de  cette  année  1542, 
le  Parlement  de  Paris  rendait  «  contre  lesljvres  contenant  doctrines  nouvelles  »  un  arrêt 
assez  menaçant. 

Que  va  faire  Clément  Marot  ?  Continuera-t-il,  ou  non,  à  mettreles  psaumes  en  vers  ?... 
Il  aurait,  s'il  eût  été  prudent,  renoncé  à  un  dessein  qui  lui  suscitait  trop  d'ennemis,  et 
quels  ennemis  !  Mais,  outre  qu'il  était  peu  timide,  il  comptait,  par  ailleurs,  sur  le  roi. 
Celui-ci  lie  lui  av£iit-il  pas  enjoint  [J.  IV,  64]  d'acheverle  travail  commencé,  et  n'était-ce 
pas  un  devoir,  un  plaisir  d'offenser,  pour  plaire  au  souverain,  les  «  sorboniqueurs  »,  les 
chats  fourrés  ?  Ainsi  rasionnait  Marot  avec  une  logique  apparente.  II  n'oubliait  qu'une 
chose,  c'était  que  François  !«',  toujours  changeant,  le  livrerait  sans  scrupule  aux  rancu- 
nes qu'ill'engageait  à  braver.  Tandis  qu'il  le  poussait  à  terminer  sans  retard  «  l'œuvre 
royal  »,  il  commandait  à  ses  Parlements  (30  août  1542)  de  traiter  les  fauteurs  d'hérésie 
en  hommes  «  séditieux  et  conspirateurs  occultes  contre  la  prospérité  de  l'État,  laquelle 
dépend  principalement  de  l'intégrité  de  la  foy  catholique  »  •.  Étrange,  cruelle  contradic- 
tion !  Le  poète  eut  le  tort  de  se  fier  à  la  parole  de  ce  maître  infidèle,  et  il  n'hésita  point, 
se  préparant  par  là  bien  des  misères,  à  traduire  plusieurs  nouveaux  psaumes  et  à  réim- 
primer les  anciens. 

VIII-lX.Cf.B,  a,XetXI. 

X.  Cinquante  pseaulmes  en  françoys  par  Ckment  Marot.  Item,  vne  Epistre  par  luy 
naguères  envoj-ée  aux  Dames  de  France.  |  Psal.  IX.  Chantez  en  exultation  |  Au  Dieu 
qui  habite  en  Sion.  |]  —  S.I.,  i543-  —  Gdin-8ode  148  pages. 

Au  \°  du  titre  :  «  Les  choses  cy  dedans  contenues  :  Une  Epistre  aux  Dames  de  France  ; 
une  Epistre  au  Roy  ;  les  trente  premiers  Pseaumes,  reveus  et  corrigez  par  l'autheur, 
ceste  présente  année  ;  vingt  autres  Pseaumes  par  luy  nouvellement  traduitz  et  envoyez 
au  Roy,  compris  le  Cantique  de  Simeon  ;  les  commandemens  de  Dieu  ;  les  articles  de 
la  foy  ;  l'oraison  dominicale  ;  la  salutation  angelique  ;  deux  prières,  l'une  avant,  l'autre 
après  le  repas.  Le  tout  en  ryme  françoise  par  ledit  autheur.  » 

L'Épître  aux  Dames  de  France  [J.  IV,  64-66]  est  une  sorte  de  proclamation  gentimtnt 
tournée  et  très  adroite.  Le  poète  et  ses  amis  ont  bien  vu  que  les  psaumes  n'exerceraient, 
sur  l'esprit  public,  une  action  constante  et  décisive  que  si  on  les  adoptait  non  seulement 
dans  le  temple,  mais  encore  dans  les  assemblées  profanes  et  au  centre  même  de  la  vie 
morale,  c'est-à-dire  au  foyer.  De  là,  cet  appel  aux  femmes,  sans  lesquelles  nulle  coutume, 
aucun  sentiment  ne  sauraient  s'imposer  à  une  race,  à  un  paj's  ;  de  là,  l'invitation  qui  leur 
est  faite  de  se  mettre,  elles,  à  chanter  les  psaumes  pour  que  tout  le  monde  les  chante 
aussi. 

Mais  les  «  dames  et  damoyselles  »  vont  objecter  que  l'amour  —  leur  foi  essentielle, 
leur  raison  d'être  —  les  intéresse  uniquement,  et  qu'il  n'existe  à  leurs  yeux  qu'une  chan- 
son :  la  chanson  d'amour.  Les  psaumes,  répond  Clément  Marot,  ne  sont  qu'amour  ; 
o  Amour  luy  mesme  »  les  a  dictés  ;  en  vain  vous  chercheriez  ailleurs  une  telle  effusion  de 
tendresse.  Renoncez  donc  aux  couplets  mondains  (il  renie,  en  parlant  de  la  sorte,  une 
part  de  son  oeuvre  et  de  son  passé),  et  qu'on  n'entende  plus  retentir,  en  vos  «  chambres 
et  salles  »,  les  louanges  équivoques  de  ce  petit  dieu  «  a  qui  les  painctres  font  des  esles  ». 
Répétez  les  hymnes  de  David,  et  l'esprit  de  l'Éternel,  tandis  que  vos  doigts  courront 
sur  l'épinctte,  touchera,  convertira  vos  cœurs.  Par  ce  moyen,  vous  hâterez  la  venue  de 
l'Age  d'or.  Et  savez-vous  quand  il  régnera  ?  Ce  sera  lorsque  le  laboureur  à  sa  charrue, 
l'artisan  dans  sa  boutique,  le  berger  «  et  la  bergère  au  boys  estans  «oublieront,  enchan- 
tant "  un  pseavme  ou  cantique  »,  leur  pauvreté  et  leur  solitude. 

i.  Duplessis  d'Argentré,   Collectio  judiciorum  de  novis  errorihus,    II,   134. 

2.  Anvers,   1541  -et   Paris,   Etienne   Roffet. 

3.  Jean  Plattard,  Comment  Marot  entreprit...  la  traduction  des  ps.  de  David. 


CLEMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  99 

Clément  Marot,  on  le  voit,  se  représente  la  société  future  comme  une  pieuse  Arcadic. 
Voilà  le  rêve  que  la  Sorbonne  a  jugé  criminel  :  elle  eût  montré,  en  l'estimant  chimérique, 
plus  de  bienveillance  et  de  bon  sens. 

Après  la  mort  de  Marot. 

Qu'on  ne  s'attende  pas  à  trouver  ici  toutes  les  éditions  connues  des  psaumes  de  Clé- 
ment Marot.  Elles  ont  paru  si  nombreuses  ^  que  M.  Bovet  en  a  catalogué  près  de  sept 
cents,  et  que  ce  chiffre,  imposant  déjà,  a  été  doublé  par  O.  Douen.  Un  répertoire  complet 
exigerait  donc  un  gros  volume,  et  il  faut  s'en  tenir  à  l'essentiel. 

Mettre,  dans  le  moins  de  temps  possible,  en  vers  et  en  musique  les  cent  cinquante 
hymnes  du  Psalmiste,  telle  était  l'ambition  de  l'Église  réformée.  Or,  Clément  Marot 
avait  laissé  l'œuvre  loin  de  sa  fin,  et  comme  il  restait,  après  lui,  encore  cent  psaumes  à 
traduire,  les  consistoires  s'appliquèrent  à  lui  trouver  des  continuateurs.  Ils  se  levèrent 
en  foule,  les  uns  parce  qu'on  les  en  avait  priés,  les  autres  de  leur  propre  mouvement, 
sans  sollicitation  ni  mandat. 

La  conséquence  de  cet  état  de  choses  fut  que,  Marot  disparu,  ses  psaumes  furent  très 
souvent  imprimés  soit  en  des  recueils  anonymes,  soit  en  des  livres  qui  portaient,  à  côté 
de  son  nom,  celui  de  l'auteur  ou  des  auteurs  qui  avaient  rimé  les  parties  du  psautier  dont 
il  ne  s'était  pas  occupé. 

Indiquons,  parmi  ces  ouvrages,  les  principaux  : 

\.  Les  CL  psalmes  du  prophète  royal  David,  traduitz  en  rithme  françoise  par  Clément 
Marot  et  autres  autheurs.  —  Paris    1550. 

IL  Les  cent  cinquante  Psalme  (s ic  )  du  prophète  royal  David,  traduitz  en  rithme 
françoyse  par  Clément  Marot  et  autres  autheurs.  —  Paris,   Estienne  Mesuicre,  155 1. 

Ce  volume  comprend  une  Exhortation  en  vers  signée  H.  D.  B  ;  l'épître  de  Marot  aux 
Dames  de  France  ;  quarante-neuf  psaumes  de  Marot  ;  vingt-huit  de  Gilles  d'Aurigny  ; 
une  épître  que  ce  même  Gilles  d'Aurigny  adresse  au  roi  Henri  IL 

II I.  Pseaumes  octante  trois  de  David  miz  en  rithme  françoise.  A  sçavoir,  quarante 
neuf  par  Clément  Marot  avec  le  Cantique  de  Simeon  et  les  dix  commandemens.  Et 
trente  quatre  par  Théodore  de  Besze  de  Vezelay  en  Bourgogne.  —  Genève,  Jacques 
Berjon,  1552. 

'Da^Xisla^réiaceàt  son  Abraham  sacrifiant,  qui  est  datée  du  i''"'  octobre  1550,  Théodore 
deBèze  disait  avoir»  maintenant  enmain  »  une  translation  des  psaumes,  lln'y  travaillait 
que  lentement  et  à  ses  heures  :  mais  Calvin  souhaitait  qu'il  se  pressât,  et  même  il  chargea 
un  ami  commun  de  l'inviter  à  ne  pas  attendre,  pour  publier  les  psaumes  déjà  prêts,  que 
leurs  camarades  fussent  en  état  de  voir  le  jour  ".  De  Bèze  consentit  à  ce  qu'on  lui  deman- 
dait, et  fit  imprimer  tout  aussitôt,  en  renvoyant  la  suite  à  plus  tard,  les  parties  de  sa 
traduction  qui  se  trouvaient  alors  achevées  ».  Il  ne  prit  que  le  temps  de  composer  une 
pièce  liminaire  qui  est  peut-être,  comme  le  remarque  M.  Douen,  la  meilleure  de  ses  poésies 
françaises. 

Il  dédie  son  ouvrage  à  «  l'Eglise  de  Nostre  Seigneur  »,  aux  rois  qui  l'aiment  et  la  défen- 
dent. Tandis  que  Marot,  toujours  courtisan  et  toujours  mondain  même  dans  la  disgrâce 
et  l'exil,  s'adresse  soit  à  un  prince  souvent  persécuteur,  soit  aux  dames  et  aux  demoi- 
selles,lui,  plus  austère  et  animé  d'un  zèle  vraiment  apostolique,  consacre  ses  vers  à  ceux 
qui  souffrent,  aux  captifs  «  en  prisons  obscures  »,  aux  martyrs  d'aujourd'hui  ou  de  demain. 
C'est  pour  remplir,  sous  une  nou\ellc  forme,  sa  fonction  sacerdotale  qu'il  a  rimé  les 

1.  Vingt-sept  rien  que  pour  les  années  1541-1550  ;  vingt-cinq  pour  1562  ;  quatorze 
pour  1563  ;  dix  pour  1564  ;  treize  pour  1565...  «  Et  combien,  ajoute  M.  Douen  [I,  562] 

nous    ont    échappé  !  » 

2.  Lettre  à  Viret,  du  24  juin  i55r. 

3.  Trente  quatre  pseaumes  de  Dauid,  nouvellement  mis  en  rime  françoise  au  plus 
près  de  l'hébreu,  par  Théodore  de  Bèze,  de  Vezelay  en  Bourgogne.  —  Genève,  Jehan 
Crespin,  1551.  ln-32  de  133  ff. 


100  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ECOLE 

caatiques  de  David  ;  il  les  regarde  comme  une  sorte  de  viatique,  un  »  allégement  » 
au  milieu  des  tortures,  le  témoignage  de  la  foi  opprimée,  un  encouragement  à  bien  mou- 
rir, «  Ces  prières  tant  sainctes  »  prouveront  que  le  supplice  des  justes  exalte  leur  espé- 
rance. 

Au  reste,  Théodore  de  Bèze  ne  prétend  pas  que  sa  version  vaille  mieux  que  celle  de 
Marot.  Il  l'admire,  au  contraire,  sans  restriction.  Elle  a  eu,  à  l'entendre,  une  action 
quasi  providentielle,  et  ce  fut  grâce  à  elle  que  les  Français  purent,  «  de  cueur  et  de  voix  », 
célébrer  la  gloire  de  Dieu.  Cette  «  plume  de  Clément  »,  si  facile  et  si  inspirée,  personne 
ne  la  retrouvera...  Suit  une  apostrophe  à  l'écrivain  disparu  : 

Las,  tu  es  mort  sans  avoir  avancé 
Que  le  seul  tiers  de  l'œuvre  commencé, 
Et,  qui  pis  est  n'ayant  laissé  au  monde. 
Docte  poète,  homme  qui  te  seconde. 
Voilà  pourquoy,  quand  la  mort  te  ravit, 
Avecques  toy  se  teut  aussi  David,... 

vu  que  les  bons  esprits  n'osaient  plus  entrer  dans  cette  carrière  où  tu  t'étais  illustré. 
[Douen,    1,  555-6.] 

Un  an  après  avoir  donné  au  public  ses  trente-quatre  psaumes,  de  Bèze  les  fit  paraître 
I  Junis  aux  quarante-neuf  de  Marot,  et  c'est  ce  qui  explique  le  nombre  oclante-trois . 

En  1554,  ce  volume  fut  réédité  avec,  à  )a  fin,  six  nouveaux  psaumes  [LU,  LVII, 
LXIII,  LXXIV,  LXXV,  CXI]  traduits  par  de  Bèze. 

IV.  Les  cent  cinquante  Pseaumes  du  royal  prophète  Dauid.  Mis  en  rithme  françoyse 
par  CI.  Marot,  M.  Jan  Poitevin,  M.  Sève,  Lyonuois,  et  aultres.  —  Lyon,  Gabriel  Coller, 

1557. 

V.  Les  Pseaumes  mis  en  rime  françoise  par  Clément  Marot  et  Théodore  de  Beze,  etc 
—  Genève,  Antoine Dauodeau  et  Lucas  de  Mortiere,  pour  Antoine  Vincent,  1562.  In-S». 

C'est  ici  la  première  édition  vraiment  complète  du  psautier,  entendez  la  première  qui 
donne,  avec  tous  les  psaumes,  une  mélodie  pour  chacun  d'eux. 

La  traduction  de  Marot  et  celle,  aussi,  de  de  Bèze  demeurèrent,  telles  quelles,  en  hon- 
neur pendant  plus  d'un  siècle,  sans  que  personne  sentît  le  besoin  de  les  remplacer  ni 
même  de  les  rajeunir.  Cette  idée,  pourtant,  finit  par  s'imposer  à  quelques  esprits,  et 
Conrart  forma  le  dessein  de  donner  aux  vers  de  maître  Clément  une  tournure  moins 
archaïque.  Bayle  approuvait  beaucoup  ce  projet,  et,  dans  une  lettre  du  21  juillet  1675 
à  un  de  ses  amis  de  Montauban,  il  blâmait  le  scrupule,  la  superstition  de  ses  coreligion- 
naires qui,  jusqu'alors,  n'avaient  que  trop  respecté  cette  si  «  vieille  poésie  ».  En  rendre 
plus  moderne  le  style  lui  semblait  «  tout  à  fait  de  nécessité  »,  car,  faute  de  ce  changement, 
ceux,  écrivait-il,  qui  viendront  après  nous  tomberont  «  dans  l'erreur  de  prier  en  langue 
non  connue  du  peuple,  comme  faisoient  les  Saliens  du  tems  d'Auguste  qui  chantoient 
les  mêmes  vers  qui  furent  composés  du  tems  de  Numa  Pompilius,...  et  n'y  entendoient 
pas  un  mot  ».  {Revue  d'hist.  litt.de  la  Fr.,  1912,  pp.  434-5.)  — Les  Psaumes  retouchés  sur 
l'ancienne  version  de  Clément  Marot  parurent  en  1677.  Édition  posthume  :  Valentin 
Conrart  était  mort  le  29  septembre  1675. 

Musique  des  psaumes. 

Dès  1546,  Pierre  Certon  a  publié,  à  Paris,  trente  et  un  psaumes  (de  Marot)  à  quatre 
voix.  Mais  je  ne  cite  que  pour  mémoire,  et  seulement  à  cause  de  sa  date,  cette  œuvre 
médiocre,  vite  oubliée.  Chantre  de  la  Sainte-Chapelle,  Pierre  Certon  était  catholique, 
et  il  s'ensuit  que  l'Église  réformée  n'a  jamais  fait  usage  de  son  recueil.  Or,  ce  qu'il  nous 
importe  de  connaître,  ce  sont  les  noms,  les  travaux  des  artistes  qui  ont,  d'abord,  pour 
Genève  et  Lausanne,  puis  pour  tous  les  huguenots  français,  composé  la  musique  officielle 
du  psautier. 


CLÉMENT   MAROr    ET    SON    ÉCOLE  101 

Les  uns  ont  doté  chaque  psaume  d'une  mélodie  fondamentale  *  ;  les  autres,  doctes 
et  pieux  contrapontistes,  ont  bâti,  sur  ce  premier  thème,  des  chœurs  à  plusieurs  parties. 

Commençons  donc  par  la  mélodie  ;  les  harmonistes  viendront  après  '■'. 

Sur  la  foi  de  l'historien  de  Thou,  dont  le  latin  élégant  manque  souvent  de  précision 
lorsqu'il  s'agit  d'exprimer  des  choses  peu  familières  à  l'antiquité,  on  a  cru  que  les  mélo- 
dies des  psaumes  avaient  eu  pour  auteur  Claude  Goudimel  .  Mais  il  ne  saurait  en  être 
ainsi,  car  la  chronologie  s'y  oppose.  Goudimel  s'est  rallié  tard  au  protestantisme,  et  il 
en  résulte  qu'il  n'a  pu  adapter  aucun  air  aux  psaumes,  puisque,  à  l'époque  où  cette 
adaptation  était  déjà  achevée,  il  se  trouvait  à  Rome,  aux  gages  du  pape.  Arrivé  avant 
1534  en  Italie,  il  y  resta  bien  des  années  *,  soit  comme  chantre  delà  chapelle  pontificale, 
soit  comme  directeur  d'une  école  qu'il  avait  fondée  vers  1540,  et  qui  compta  d'illustres 
élèves,  parmi  lesquels  —  peut-être  !  —  Palestrina.  On  conçoit  que  Goudimel  n'aurait 
pu  à  la  fois  exercer,  en  terre  papale,  de  telles  fonctions  et  produire  des  hymnes  hérétiques. 
Pendant  cette  période  et  longtemps  après  son  retour  en  France,  sa  musique,  ainsi  que 
lui,  est  demeurée  orthodoxe,  c'est-à-dire  qu'il  n'a  guère  composé  que  des  masses  •  et 
que  des  chansons  mondaines  *  ou  païennes  ',  toutes  choses  approuvées  ou  tolérées  par 
les  censeurs  catholiques. 

Mais,  dès  qu'il  eut  quitté  Paris  pour  Lyon  et  adhéré  à  la  Réforme,  il  songea  à  travailler 
sur  les  strophes  de  Marot  et  de  ses  continuateurs.  Voi  lait-il  inventer  des  mé'odies  pour 
les  psaumes  ?  Évidemment  non,  puisque  chacun  d'eux  avait  reçu,  à  cette  date,  un  air 
qui  lui  était  propre  et  que  les  fidèles  tenaient  à  garder.  Par  suite,  le  dessein  de  Goudimel 
consistait  uniquement  en  ceci  :  appliquer  à  ces  thèmes,  qui  ne  se  chantaient  qu'à  l'unisson, 
les  ressources  variées  du  contrepoint  et  tirer,  ainsi,  d'une  simple  phrase  musicale  un 
choral  à  plusieurs  voix.  Le  grand  artiste  employa  à  cette  tâche  tout  le  temps  qu'il  avait 
encore  à  vivre,  et  de  nombreux  ouvrages  que  j'indiquerai  bientôt  firent  de  lui  le  plus 
assidu,  le  meilleur  harmoniste  du  psautier. 

Mais,  encore  une  fois,  les  mélodies  des  psaumes  ne  sont  pas  de  lui,  et  elles  appartiennent 
à  deux  hommes  moins  célèbres,  Guillaume  Franc,  Louis  Bourgeois. 

Fils  de  Pierre  Franc,  de  Rouen,  Guillaume  (ti57o)  se  trouvait  déjà  à  Genève  en  I54if 
puisque,  le  17  juin  de  cette  année-là,  on  lui  permit  d'ouvrir,  en  cette  ville,  une  école  de 

1.  Et  intangible...  En  décembre  1551,  Louis  Bourgeois  est  condamné,  malgré  l'inter- 
vention de  Calvin,  à  un  jour  de  prison,  pour  avoir  «  sans  licence  »  fait  chanter  un  psaume 
sur  un  nouvel  air. 

2.  Cet  ordre,  d'ailleurs  si  naturel,  est  celui  qu'a  suivi  M.  Douen. 

3.  «  Eandem  fortunam  [De  Thou  énumère  les  victimes  de  la  Saint-Barthélémy  ] 
expertus  est  Claudius  Gaudemelus,  excellens  nostra  aetate  musicus,  qui  psalmos  davi- 
dicos  vernaculis  versibus  a  Clémente  ^laroto  et  Theodoro  Beza  expressos  ad  varias  et 
iucundissimos  modulationum  numéros  aptavit  [Voilàlesmotsqui  ont  été  mal  interprétés  ] 
quibus  et  hodie  publiée  in  concionibus  protcstantium  ac  privatim  decantantur.  »  II 
LU,  830  ;  (Genève,  1626). 

4.  Georges  Becker,  Goudimel  et  son  œuvre,  {Bull,  histor.  et  litt.  de  la  Soc.  de  Vhist.  du 
protestantisme  fr.,  t.  XXXIV,  pp.  337  et  suiv.  ;  1885.) 

5.  Messes  à  quatre  voix  :  Audi  filia.  Tant  plus  ie  mects  sur  fa  face  mes  yeux.  De  mes 
ennuys  prenez  compassion.  Paris,  Adr.  Le  Roy  et  Rob.  Ballard,  1358  ;  in-folio.  —  Messe 
à  quatre  voix  :  Le  bien  que  j'ay  par  foy  d'amour  conquis.  Paris,  Adr.  Le  Roy  et  Rob. 
Ballard,  1558  ;  in-folio. 

6.  Plusieurs  n'ont  paru  qu'après  sa  mort,  en  un  recueil  dont  voici  le  tjire  :  La  fleur 
des  chansons  des  deux  plus  excellents  musiciens  de  nostre  temps,  à  sçavoir  de  M.  Orland  c 
de  Lassus  et  de  M.  Claude  Goudimel.  Celles  de  M.  Claude  Goudimel  n'ont  iamais  esté 
mises  en  lumière.  —  Lyon,  lean  Bauent,  1574. 

7.  Q.  Horatii  Flacci,  poetae  lyrici,  Odae  omnes  quotquot  carminum  generibus  diffe- 
runt  ad  rythmos  musicos  redactae.  —  Parisiis,  ex  typograph.  Nicol.  Duchemin  et  Claudi 
Goudimelli,    i5?5.    In-4°. 


102  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

musique.  Oa  comptai  t  sur  lui,  semble-t-il,  à  la  fois  pour  instruire,  «  recorder  »  les  enfants 
et  pour  composer  des  chants  gracieux  *,  II  s'acquitta,  quelque  temps,  de  cette  double 
mission,  puis,  hors  d'état  de  subsister  avec  ses  pauvres  gages  de  cent  florins,  il  annonça, 
le  3  août  1545,  sa  résolution  de  partir,  et  s'en  alla  à  Lausanne.  Destiné  à  l'Église  de  cette 
cité,  son  psautier  ne  parut  qu'assez  tard,  longtemps  après  celui  de  Genève,  sous  le  titre 
que  voici  : 

I.  Les  Pseaumes  mis  en  rime  françoise  par  Clément  Marot  et  Théodore  de  Beze,  auec 
le  chant  de  l'église  de  Lausane  (sic).  Pseaume  IX  :  Chantez  au  Seigneur  qui  habite 
en  Sion,  et  annoncez  ses  faitts  entre  les  peuples.  —  S.I.,  Jean  Riuery  pour  Ant.  Vincent, 
1565.  In-i2. 

Avant  même  que  Guillaume  Franc  eût  quitté  Genève,  sa  place,  ses  honoraires  a%'aient 
été  partagés  (14  juillet  1545)  entre  Guillaume  Fabri  et  Louis  Bourgeois.  Ce  dernier, 
parce  qu'on  le  jugeait  «  homme  de  bien  n  et  qu'il  servait  volontiers  à  <(  apprendre  les 
eufans  »,  obtint,  le  15  mai  1547,  le  droit  de  bourgeoisie,  ce  qui  n'empêcha  pas  le  Conseil 
de  vouloir  rogner  ses  émoluments,  qu'il  aurait,  lui,  voulu  qu'on  augmentât  «  par  con- 
templation de  sa  pauvreté  ».  Calvin  lui  donnait  raison  et  l'appuyait  ouvertement,  tant 
il  l'estimait  —  à  très  juste  titre  —  capable  de  mettre,  sur  les  hymnes  de  David,  une 
musique  digne  d'eux.  Ce  long  travail,  qui  exigeait  patience  et  génie,  Louis  Bourgeois, 
pour  plus  de  quatre-vingts  psaumes,  le  mena  à  bien,  ainsi  que  l'attestent  quatre  impor- 
tants recueils  qu'il  fit  paraître  successivement. 

I I.  Pseaulmes  cinquante  de  David,  Roy  et  Prophète,  traduictz  en  vers  f rançois  par 
Clément  Marot,  et  mis  en  musique  par  Loys  Bourgeoys,  a  quatre  parties,  a  voix  de  con- 
trepoint égal  consonnante  au  verbe.  [  Tousjours  mord  enuie.  |  Lyon,  Godefroy  et  Mar- 
celin Beringen,  1547.   In-4°. 

III.  Le  premier  liure  des  Pseaulmes  de  Dauid,  contenant  XXIV  pseaulmes.  Com- 
posé par  Loys  Bourgeois.  En  diversité  de  musique  :  a  sçauoir  familière  ou  vaudeuille  ; 
aultres  plus  musicales... — -Lyon,  Godefroy  et  Marcelin  Beringen,  1547.  In-40. 

IV.  Le  droict  chemin  de  musique  composé  par  Loys  Bovrgeois,  avec  la  manière  de 
chanter  les  pseaumes  par  usage  ou  par  ruse,  comme  on  congnoistra  au  XXXIV  [lire 
XXIV]  de  nouu3au  mis  en  chant  et  aussi  le  Cantique  de  Simeon.  —  Genève,  1550.  In-8°. 

V.  Quatre-vingt-trois  Psalmes  de  Dauid  en  musique  (fort  convenable  aux  instru- 
mîus)  a  quatre,  cinq  et  six  parties,  tant  a  voix  pareilles  qu'autrement,  dont  la  Basse 
Contre  tient  le  suiet,  afin  que  ceux  qui  voudront  chanter  auec  elle  a  l'vnisson  ou  a 
l'octaue  accordent  aux  parties  diminuées  ;  plus  le  Cantique  de  Simeon,  les  Commande- 
mens  de  Dieu,  les  prières  deuant  et  après  le  repas  et  vn  canon  a  quatre  ou  cinq  parties 
et  va  autre  a  huit,  par  L.  Bovrgeois.  — S.I.,   Antoine  Le  Clerc,  1561.  In-8°. 

D'après  O.  Douen  [  I,  650],  nul  artiste  n'a  su,  mieux  que  Louis  Bourgeois,  rendre  tour 
à  tour  le  double  caractère  des  psaumes,  c'est-à-dire,  d'une  part,  l'effroi,  la  détresse  de 
l'âme  qui  tremble  sous  la  main  du  Juge  parce  qu'elle  voit,  sans  pouvoir  le  suivre,  le 
bon  chemin,  et,  d'un  autre  côté,  l'espérance,  la  joie  du  fidèle  qui  considère  Dieu  comme 
son  rocher,  son  bouclier,  sa  forteresse.  Ces  deux  groupes  de  sentiments  qui  résument 
les  incertitudes  du  penseur  tiré  en  sens  contraires  par  l 'amour  et  la  crainte,  la  grâce  et 
la  réprobation,  un  judicieux  emploi  des  modes  majeur  ou  mineur  a  permis  au  vieux  chan  ■ 
tre  huguenot  de  les  magistralement  exprimer.  Les  plus  religieuses  mélodies  qui  accom- 
pagnent les  psaumes  lui  sont  dues,  et  M.  Douen  a  eu  raison  d'écrire  :  0  Le  vrai  psautier, 
c'est  celui  de  Marot  et  de  Bourgeois.  »  [Ibid.,  657.] 

Passons  maintenant  aux  harmonistes  *. ..  C'est  ici  le  lieu  de  citer,  avec  respect  et  admi- 
ration, Claude  Goudimel.  Il  a,  durant  des  années,  pris  et  repris,  pour  les  enrichir  de 
délicates  variations  et  de  développements  fugues,  les  thèmes  de  chaque  psaume.  Le 

1.  Voyez  l'arrêt  du  Conseil  (16  juin  1543)  que  cite  M.  Douen,  I,  608. 

2.  Harmoniste,  Bourgeois  le  fut,  lui  aussi,  et  les  titres  de  ses  recueils  en  font  foi  : 
mais  c'est  surtout  comme  créateur  ou,  mieux,  comme  «  arrangeur  »  de  mélodies  (il  em- 
prunte beaucoup  à  la  chanson  populaire)  qu'il  demeure  réellement  hors  de  pair. 


CLÉMir.NT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  Ï03 

XXIV*  a  été,  de  différentes  manières,  iiarmonisé  sept  fois  par  lui,  et,  bien  qu'il  ne  s'en 
vante  pas  dans  le  titre  de  ses  livres,  i  1  a  peu  à  peu  augmenté  le  nombre  des  parties  concer- 
tantes au  point  de  les  porter  jusqu'à  huit.  Ce  monument  de  l'art  et  de  la  foi  ne  s'est  élevé 
que  lentement,  et  l'auteur,  d'édition  en  édition,  l'a  rendu  plus  complet  et  plus  parfait . 

V I.  Seize  Pseaumes  mis  en  musique  a  quatre  parties,  en  forme  de  motets,  par  Clavd  e 
GovDiMEL. — Paris,  Adrien  Le  Roy  et  Robert  Ballard,  1562. 

VII.  Les  cent  cinquante  Pseaumes  de  Dauid,  nouuellement  mis  en  musique  a  quatre 
parties  par  C.  Govdimel.  —  Paris,  Ballart,  1564.  In-S". 

VIII.  Les  CL  Pseaumes  de  Dauid,  Nouuellement  mis  en  musique  a  quatre  parties 
par  Claude  Goudimel.  —  Paris,  Adrianle  Roy  et  Robert  Bxllard,  1565.  4  vol.  in- 12. 

IX.  Les  Pseaumes  mis  en  rime  françoîse  par  Clément  Marot  et  Théodore  de  Beze, 
rais  en  musique  a  quatre  parties  par  Clavde  Govdimel.  —  S.  l.,  les  héritiers  de  François 
Jaquy, 1565.  In-i6. 

X.  Les  Psalmes  de  David  compris  en  huit  livres,  mis  en  musique  a  quatre  parties  en 
forme  de  motets  par  Claude  Goudimel.  —  Paris,  Adrien  Le  Roy  et  Robert  Ballard,  1565 
[et  1566].  4  vol.  petit  in-4''. 

En  cette  longue  suite  de  motets,  qu'il  appelle  pourtant  un  petit  ouvrage,  l'habile  et 
vénérable  artiste  avait  mis  le  meilleur  de  lui-même,  tout  son  cœur  et  toute  sa  piété. 
Il  déclare,  lui  si  modeste,  qu'il  n'a  jamais  rien  fait  de  plus  beau,  et  l'on  sent  qu'il  était 
soulevé  au  moins  autant  par  l'amour  de  Dieu  que  par  l'amour  de  la  gloire,  lorsqu'il 
composait  cette  œuvre, 

Le  plus  doux  travail  de  sa  vie, 

Guidant  son  espérance  aux  deux.  [Douen,  II,  31.] 

Phrase  attendrie,  émouvante...  Elle  se  lit  dans  une  pièce  placée  en  tête  du  livre  VIII; 
Ce  livre  et  les  deux  précédents  sont  dédiés  à  diverses  personnes  :  le  VI«  à  Robert  et 
René  du  Mollinet  ;  le  VI  I^à  M"*  Catherine  Senneton  ;  le  dernier  à  «  Mgr  maistre  Anthoina 
Porart,  seigneur  de  Foignon,  conseiller  du  roy  et  maistre  ordinaire  en  la  Chambre  des 
comptes  ».  Ces  pièces  liminaires  sont  rimées,  et  se  présentent  sous  forme  d'odes.  Mais 
O.  Douen  ne  croit  pas  que  ces  vers  aient  été  écrits  par  le  musicien  ;  quelque  ami  ronsar- 
disantlui  a,  peut-être,  prêté  sa  plume. 

D'autres  contrapontistes  du  X V I^  siècle  —  Clément  Jannequin,  par  exemple,  Roland 
de  Lassus  et  Claude  Le  Jeune  —  ont,  ainsi  que  Goudimel,  harmonisé  les  airs  du  psautier. 
Parmi  les  volumes  qu'ont  publiés  ces  auteurs,  je  signalerai  les  deux   que  voici  : 

XI.  Octante  deux  Pseaumes  de  David,  traduitz  en  rhythme  françois  par  Cl.  Marot 
et  autres,  avec  plusieurs  cantiques  nouvellement  composés  en  musique  a  quatre  parties 
par  Clément  Janequin.  —  Paris,  Adrien  Leroy  et  Robert  Ballard,  1550.  4  vol.  in-S". 

Partition  dédiée  à  Catherine  de  Médicis.  La  gauche  et  naïve  épître  en  vers  que  l'artiste, 
au  déclin  de  l'âge  et  de  la  faveur,  adresse  à  cette  reine,  laisse  percer,  sous  une  apparente 
résignation,  assez  de  mélancolie  et  même  d'abattement. 

Doncq'en  gré  ce  présent,  très  illustre  princesse, 
Prends  de  ton  Jannequin  qui,  en  povre  vieillesse 
Vivant,  rien  de  luy  plaist  fors  que  de  t'honorer 
Par  son  art  de  musicque  et  ton  loz  décorer. 

XII.  [Claude  Le  Jeune.]  Dodecacorde  contenant  douze  pseaumes  de  David,  mis  en 
musique  selon  les  douze  modes,  approuvez  des  meilleurs  autheurs  anciens  et  modernes, 
a  2,  3,  4,  5,  6  et  7  voix.  —  La  Rochelle,  Hierosme  Haultin,  1598.  In-4". 

Réédition  par  H.  Expert,  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  ;  Paris,  Leduc, 
1900.  Gd  in-80. 


104  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Travaux  relatifs  à  la  traduction  et  à  la  musique  des  psaumes. 

I.  Félix  Bovet,  Histoire  du  Psautier  des  Églises  réformées  ;  Neuchâtel,  J.  Sando/., 
1872.  In-80. 

II.  O.  Douen,  Clément  Marot  et  le  Psautier  huguenot,  étude  historique,  littéraire,  viusi- 
cale  et  bibliographique...  ;  Paris,  Impr.  Nat.,  1878-0.  Deux  vol.  de  VI-746  et  715  pages. 

Cet  ample  et  utile  ouvrage  est  déparé  par  quelques  défauts.  De  fréquentes  digressions, 
mille  détails  parasites  fatiguent  et  égarent  l'attention,  et  l'on  souhaiterait  aussi  que, 
moins  attaché  à  sa  thèse,  l'auteur  eût  plus  discrètement  abondé  dans  son  propre  sens. 
Au  fond,  il  prétend  démontrer  que  Marot  représente  un  protestantisme  modéré,  éclairé, 
tolérantet  fort  éloigné  du  glacial  rigorisme  de  Calvin.  Une  telle  opinion  aurai '.pu  se  défen- 
dre, car  elle  contenait  sûrement  une  part  de  vérité.  Mais  le  désir  d'avoir  trop  raison 
ou  l'ardeur  de  cette  polémique  rétrospective  ont  entraîné  le  critique  bien  au  delà  des 
bornes,  en  sorte  qu'il  lui  arrive  soit  de  méconnaître  la  beauté  réelle,  quoique  inhumaine, 
du  caractère  de  Calvin,  soit  de  prêter  à  Cle'ment  Marot  des  qualités  qu'il  n'avait  pas  et, 
en  particulier,  une  fermeté,  une  lucidité  de  conduite  qu'on  ne  saurait  guère  lui  attribuer. 

Avec  cela  ou  malgré  cela,  les  amis  du  XV I^  siècle  doivent  à  51.  Douen  beaucoup  de 
reconnaissance.  Outre  que  ses  deux  volumes,  qui  supposent  une  vie  de  labeur  et  de 
patience,  abondent,  sur  quantité  de  questions,  en  renseignements  précieux,  il  a  eu  le 
mérite  de  comprendre  le  premier  des  choses  qu'il  importait  au  plus  haut  point  d'établir  : 
d'abord,  que  la  formation  (vers  et  musique)  du  psautier  huguenot  étai?  un  évcnemer.i 
historique  ;  ensuite  qu'il  existait  deux  Marot,  celui  de  «  l'élégant  badinage  ->,  le  seul  que 
1'"  ingratissime»  France  ait  aimé,  et  celui,  plus  aimable  encore,  qui,  associé  aux  hommes 
les  moins  badins,  sacrifiait  son  repos  à  la  cause  de  la  pensée  libre. 

On  peut,  en  un  certain  sens,  regretter  que  le  livre  de  M.  Douen  soit  un  monument 
d'érudition.  Il  en  résulte  que  presque  personne  ne  le  lit,  et,  ainsi,  ce  qui  s'y  trouve 
d'excellent  restera  ignoré  de  ce  qu'on  appelle  le  grand  public. 

III.  H.  Harrisse,  La  Colombine  et  Clément  Marot,  article  de  la  revue  Le  Livre,  mar> 
1886. 

IV.  J.  Trénel,  Le  Psaume  CX  chez  Marot  et  d'Aubigné,  pages  323-329  des  Mélanges 
de  Philologie  offerts  à  Ferdinand  Brunoi...,  Paris,  1904. 

De  la  comparaison  du  psaume  CX  chez  les  deux  poètes  dont  il  est  ici  question,  il 
ressort,  d'après  M.  Trénel,  que  c'est  Marot  qui  a  donné,  bien  que  n'ayant  pas  «  hebrieu 
langage  appris  »  [J.  IV,  63],  une  couleur  vraiment  biblique  à  sa  traduction.  Ce  mérite, 
dont  il  paraît  s'être  rendu  compte,  il  l'attribue  modestement  aux  versions  antérieures 
dont  il  s'est  inspiré,  «  aux  saints  interprètes  »  qu'il  a  suivis.  Quels  furent  ces  «  saints 
interprètes  »  ?  Pasquier  [Rech.,  VII,  5]  puis  le  haineux  Florimond  de  Rémond  citent, 
mais  sans  preuves,  François  Vatable  ;  La  Croix  du  Maine  mentionne  à  la  légère  Mellin 
de  Saint-Gela^-s  et  d'«  autres  hommes  doctes  de  ce  temps-là  ».  Quant  à  M.  J.  Trénel,  il  ne 
s'arrête  pas  à  ces  hypothèses,  et  affirme  que  Marot,  tandis  qu'il  écrivait  ses  psaumes, 
avait  sous  les  yeux  la  Bible  française  d'Olivetan. 

V.  Jean  Plattard,  Comment  Marot  entreprit  et  poursuivit  la  traduction  des  psaumes  de 
David  ;  Revue  des  Études  rabelaisiennes,  X.  1912. 

Le  titre  résume  clairement  les  intentions  de  l'auteur...  On  notera,  vers  la  fin  de  ce 
travail,  une  étude  comparative  des  psaumes  rimé£  par  Marot  et  de  ceux  qui  se  lisent 
aux  Heures  de  NostreDame,  ou\  rage  dû  à  Pierre  dringore.  De  même  q'ie,  par  M.  Trénel 
ia  translation  de  Marot  a\-ait  été  préférée  à  celle  de  d'Aubigné,  elle  est  mise,  par  M. 
Plattard,  bien  au-dessus  —  et  comment  non  ?  —  des  lâches  et  médiocres  paraphrases 
que  •<  Mère-sotte  n  nous  a  laissées. 

E.  —  QUELQUES  LIVRES  OU  ARTICLES: CONSACRÉS  A  MAROT. 

On  s'est,  en  France  et  à  l'étranger,  souvent  occupé  de  ce  poète,  et  l'on  a,  sur  sa  vie 
et  ses  œuvres,  écrit  maintes  et  maintes  pages.  le  me  suis  servi,  en  parlant  de  lui  à  mon 
tour,  de  toutes  les  enquêtes  des  érudits,  des  travaux  historiques  ou  littéraires  que  je 


CLÉMENT  MAROT  ET  SON  ÉCOLE  105 

croyais  pouvoir  m' 'tre  utiles.  Ceux-là,  je  ne  les  cite  pas  encore,  me  réservant  de  fournir, 
là  oh  je  les  mettrai  en  usage  et  à  profit,  les  indications  biblioyrapbiques  qui  les  con- 
cernent. Mais  il  existe  certains  volumes,  certains  articles  dont  j'ai  pensé,  pour  divers 
motifs,  ne  devoir  pas  faire  état.  Bien  que  ne  leur  ayant  rien  emprunté,  il  me  semble, 
cependant,  à  propos  de  les  mentionner  ici  et  d'établir,  à  cet  effet,  une  liste  qui  le'ir 
soit  spéci-  Icment  réfervce. 

I.  E'.kerrlt,  UcberS/^racheund  Grammatik Clément Marot's;Herrig's  Archii,KXXlX, 
183-201,  iS-^i. 

II.;  Henry  Morley,  Clément  Marot and other  Studies  ;  Londre?,  Cliapman,  1870  ;  1  vol. 
in- 80. 

m.  Glaiining,  Svntaktische  Stiidicn  zu  Marot  ;  Erlangen,  1873. 

IV.  Joseph  Mensch,  Das  Ticr  in  der  Dichtung  Maroi's  ;  Inaug.  Disser.  Munich,  12 
juillet  locs. 

Non  contente  d'être  vide  et  futile,  cette  petite  thèse  paraît  fort  saugrenue.  Et  non 
contente  d'être  saugrenue,  elle  se  présente  sous  une  forme  plaisamment  compliquée. 
N'était-ce  donc  pas  assez  d'avoir  conçu  le  dessein  d'étudier  les  bctes  chez  Clément 
Marot,  et  fallait-il  encore  spécifier  les  «occasions  extérieures  «puis  les  «  occasions  inté- 
rieures »  de  l'introduction  des  animaux  dans  les  pièces  du  poète  ?  Ces  divisions  scc- 
lastiques  soni  elles-mêmes  subdivisée?  ;  la  m-'=nagerie  de  M.  Mensch  est  disposée  en 
compartiments,  et  l'on  passe  tour  à  tour,  en  visitant  les  «  occasions  intérieures  »,  de- 
vant les  bêtes  dont  la  présence  est  due  t°  au  désir  de  plaisanter,  2°  à  la  recherche 
d'un  ornement,  3°  à  une  arrière-pensée  galante  ou  obscène,  4°  à  l'intention  d'accabler 
un  adversaire  sous  des  comparaisons  désobligeantes,  5°  au  projet  de  peindre  la  guerre 
ou  la  paix...  Et  dire  que  l'on  fabrique  le  papier  avec  le  bois  des  belles  forêts  ! 

V.  Diana  Magrini,  Clémente  Marct  e  il  petrarchismo  ;  Raccolta  G.  Mazzoni  ;  Firenzc, 
tip.  galileiana,  1907. 

VI.  Œuvres  de  Clément  Marot  ;  Paris,  J.  Gillequin,  1910.  Un  vol.  in-i6  de  184  pages. 

VII.  R.  Fromage,  Clément  Marot.  —  Son  premier  emprisonnement.  —  Identification 
d'Isabeau  et  d'Anne  ;  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'hist,  du  Protestantisme  fr.,  LIX^  année, 
1910  ;  pp.  52-71  et  122-129. 

Diverses  pièces  de  Clément  Marot  s'adressent  ou  sont  relatives  à  une  certaine  Isabeau  ', 
femme,  semble-t-il,  de  mœurs  faciles,  «  inconstante  »[J.  II,  164]  par  goût  et,  peut-être, 
par  profession.  Amant  de  cette  personne  peu  sûre,  l'écrivain  n'eut  pas  à  se  louer  d'elle  ; 
il  l'offensa  à  son  tour  en  divulguant  son  inconduite,  et  l'on  se  sépara  enfin,  mécontent 
de  part  et  d'autre.  Que  s'est-il  passé  après  la  brouille  ?  Nous  sommes  incomplètement 
renseignés,  mais  il  est  hors  de  doute  que  la  dame  voulut  se  venger,  et  que  le  premier 
emprisonnement  du  poète  a  été  son  œuvre.  Dès  lors,  il  est  naturel  de  travailler  à  iden- 
tifier cette  maîtresse  qui  a  joué  un  rôle  si  important,  et  cette  identification,  nous  com- 
prenons sans  peine  que  M.  R.  Fromage  l'ait  tentée. 

Inutile  de  suivre  pas  à  pas  les  routes,  les  circuits  de  son  enquête  ;  la  conclusion  seule 
nous  intéresse,  et  la  voici  :  Isabeau,  cette  légère  et  perfide  Isabeau,  serait,  d'après 
M.  Fromage,  Isabelle  (ou  Elisabeth)  Le  Lieur,  fille  de  Roger  Le  Lieur,  seigneur  de  Bois- 
Besnard,  et  seconde  femme  de  Jean  Ruzé,  seigneur  de  Stains  et  de  la  Herpinière,  d'abord 
maître  général  des  monnaies,  puis,  en  i5'"'5,  receveur  général  des  finances  '.  Et  il  aurait 
été  d'autant  plus  facile  à  Isabelle  Ruzé,  née  Le  Lieur,  de  faire,  comme  hérétique,  incar- 

I.  Il  n'est  pas  sûr  que  les  vers  consacrés  à  Isabeau  visent  la  personne  que  le  poète 
nous  donne  ailleurs,  mais  sans  la  nommer,  comme  ayant,  en  le  dénonçant,  amené  son 
arrestation.  Cependant,  le  rondeau  de  l'Inconstance  d'Isabcau,  bien  qu'il  n'ait  paru 
que  beaucoup  plus  tard,  peut  nous  induire  n  croire  qu'il  s'agit,  en  tous  ces  textes,  de 
la  même  femme ...  Le  plus  sage  est  de  ne  rien  affirmer.  En  somme,  cette  «  cruelle  ennemie  n 
[J.  II,  78  ]  nous  échappe.  Le  nom  de  sa  famille  demeure  inconnu,  et  nous  ne  somm.es 
pas  certains  de  savoir  son  nom  de  baptême. 

a.  Cf.   G.    III,    718,   n.    4, 


106  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

cérer  le  pauvre  Marot,  qu'elle  se  trouvait  être  la  belle-sœur  de  Louis  Ruzé,  lieutenant 
civil  au  Châtelet  '.  Celui-ci  avait,  pour  ses  péchés,  épousé  Marie  Quatre-Livres,  fille  de 
l'avocat  de  ce  nom,  et  les  deux  dames  Ruzé  devaient  s'entendre  à  merveille  lorsqu'il 
s'agissait  d'une  méchante  action,  vu  que  l'une  ne  valait  pas  mieux  que  l'autre,  et  qu'elles 
trompaient  leurs  maris  avec  une  égale  persévérance. 

Tout  cela  n'est  pas  mal  construit,  et  il  parait,  en  effet,  possible  qu'  Isabelle  soit  notre 
Isabeau.  Mais  le  contraire  est  bien  plus  possible  encore,  et  même  bien  plus  vraisemblable. 
Que  de  Parisiennes  ont  dû,  ainsi  que  la  femme  de  Jean  Ruzé,  s'appeler  Isabeau  ou  Isa- 
belle !  Et  pourquoi  Cément  Marot  n'aurait-il  pas  caché,  sous  ce  prénom  très  répandu, 
celui  que  portait  réellement  son  amie  (ou  ennemie)  ?  Ainsi,  le  problème  dont  nous  parlons 
présente  un  grand  nombre  de  solutions  plausibles,  qui  risquent  toutes  de  n'être  pas  bon- 
nes. Plausible,  celle  de  M.  R.  Fromage  l'est  sûrement.  Mais  est-elle  bonne  ?  Rien  ne  le 
prouve. 

Pendant  qu'il  y  était,  M.  Fromage  a  voulu  identifier  aussi  cette  brune  [J.  III,  50]  et 
gracieuse  Anne,  en  l'honneur  de  laquelle  Marot  a  souvent  rimé  des  vers  déférents  et 
tendres.  Anne  —  suppose  l'auteur  de  l'article  que  je  résume  —  c'est  Anne  de  Beauregard. 
Cette  fois,  les  arguments  ont  du  poids,  et  l'on  aimerait  à  se  laisser  convaincre...  Mais 
Anne  nous  est  bien  connue,  et  nous  savons  qu'elle  ne  se  nommait  pas  de  Beauregard. 

VIII.  Emmanuel  Philipot,  Sur  un  amour  de  Clément  Marot  ;  Revue  d'hist.  litt.  de  la 
Fr.,  1912,  pp.  59-74. 

Acceptant  comme  fondées  les  hypothèses  de  M.  Fromage,  M.  Philipot  s'est  borné  à 
confirmer  les  études  analysées  ci-dessus,  tantôt  rectifiant  certaines  dates,  tantôt,  et 
d'une  manière  ingénieuse,  appuyant,  au  moyen  de  textes  nouveaux,  les  conjectures  que 
l'on  a  vues.  Et,  certes,  si  elles  avaient  été  exactes,  il  y  aurait  eu  profit  à  les  préciser,  à 
les  corroborer.  Mais  puisque  la  première  semble  si  frêle  et  que  la  seconde  est  fausse, 
c'est  en  pure  perte  qu'on  dépense,  en  leur  faveur,  de  l'esprit,  de  la  science. 


N.B.  —  !<' Le  poème  intitulé  «  Douleur  et  volupté  »  figure  à  tort  dans  certaines 
éditions  [et,  par  exemple,  J.  I,  117]  des  œuvres  de  Clément  Marot.  Cette  pièce  ne  lui 
appartient  pas,  et  c'est  à  Antoine  Héroet  [cf.  G.  II,  503  et  Gohin,  135]  qu'elle  doit  être 
restituée. 

2°  Si  l'on  souhaite  avoir,  sur  la  bibliographie  de  Clément  Marot,  de  plus  abon- 
dants détails,  on  consultera  a  ec  beaucoup  de  fruit  l'excellent  oun  rage  de  M;  P.  Vil- 
ley,  Tableau  chronologique  des  publications  de  Marot;  Paris,  Champion,  1921.  Un  vol. 
in-80  de  167  pages. 

3»  Dans  tous  les  renvois  et  références.  Je  désigne  par  la  lettre  J  l'édition  Jannet,  par 
G  les  volumes  de  Gulîfrey,  par  M    les  Poésies  médites  publiées  par  Gustave  Maçon. 

r.  Cf.    G.    III,    719,   n.    3. 


I 

LES   ANNÉES    D'APPRENTISSAGE 


128-129.  Naissance  de  Clément  Marot  à  Cahors.  —  130.  Son  père 
l'emmène  «  en  France  »  —  131.  Mauvais  souvenir  qu'il  a  gardé 
de  ses  régents.  —  132.  Savait-il  le  latin  ?  —  133.  Son  père, 
Jacques  Colin  et  Jean  Lemaire  lui  enseignent  l'art  poétique.  — 

134.  //  entre,  en  qualité  de  page,  chez  Nicolas  de  Neufville.  — 

135.  //  devient  clerc  du  procureur  Jean  Grisson.  —  136-137. 
Portrait  moral  de  Marot  à  cette  époque.  —  138.  //  traduit  l'Eglo- 
gue  I  de  Virgile.  —  139.  Le  Jugement  de  Minos.  —  140-141. 
L'Epistre  de  Maguelonne  et  l'influence  des  rhétoriqueurs.  — 
142-144.  Le  Temple  de  Ciipido.  —  145-146.  Pièces  écrites  pour 
la  Basoche.  —  147-150.  Le  Dialogue  de  deux  amoureux.  — 
151.   Un  plaidoyer  en  faveur  des  Enfants  sans  souci.  —  152- 

153.  Tentatives  du  poète  pour  capter  la  bienveillance  du  roi.  — 

154.  Celui-ci  le  donne  à  la  duchesse  d'Alençon.  — 155-156.  L'E- 
pistre du  Dépourvu.  —  157.  Date  de  cette  épUre.  Quels  furent, 
chez  Marguerite,  les  fonctions,  les  gages  de  Marot  ?  —  158. 
Que  verra-t-il,  qu'apprendra-t-il  à  la  cour  d'Alençon,  puis  de 
Navarre  ?  —  159.  Le  Camp  du  drap  d'or.  —  160-165.  Le  camp 
d'Attigny  et  l'expédition  de  Hainaut.  —  166-168.  Marot  con- 
court au  puy  de  Rouen.  —  169-171.  Déclin  de  cette  académie 
normande.  —  172.  Notre  auteur  semble  avoir  peu  écrit  durant 
les  années  1522-1524.  —  173-174.  A-t-il  assisté  à  la  bataille  de 
Pavie  .^ 

128.  Tu  veux,  juge  d'Enfer,  savoir  quel  est  mon  pays.  Eh 
bien,  représente-toi  une  terre  tellement  favorisée  du  soleil  qu'elle 
se  revêt  avec  honneur  «  de  mainte  fleur  et  plante  »,  et  donne 
mille  sortes  de  fruits.  Là  ondoient  et  murmurent  d'abondantes 
eaux  :  le  Lot,  d'abord,  qui  coule  jaune  ou  rouge,  puis  quantité 
de  fontaines.  Au  flanc  des  monts,  sur  un  sol  pierreux  qu'on 
croirait  hostile  à  toute  culture,  s'accroche,  cependant,  et  pros- 
père la  bonne  vigne  dont,  par  la  grâce  de  Bacchus,  on  tire  un 
vin  non  moins  savoureux  que  fort.  Souvent,  à  côté  de  la  vigne, 


108  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

croît  le  laurier,  et  l'union  de  ces  feuillages  sacrés  fait  que  ma 
patiie  ressemble  à  la  Grèce,  et  que  je  m'ébahis  —  tant  nos  col- 
lines offrent  l!aspect  d'un  Parnasse  !  —  que,  d'une  province  à 
ce  point  poétique,  soient  issus  peu  de  poètes.  Et,  maintenant, 
si  tu  me  demandes,  ô  juge,  le  nom  de  cette  contrée  que  je  viens 
de  te  peindre,  je  te  le  dirai  :  elle  s'appelle  le  Oueicy,  et,  dans 
ce  Quercy,  s'élève  la  ville  où  je  \ins  au  monde,  Cahors  [G.  II, 

183]. 

129.  Ce  fut  en  1496  que  Clément  Marot  naquit  en  cette  cité 
de  Cahors  dont,  trente  ans  plus  tard,  il  décrivait  le  site  en  vers 
précis.  Vraiment,  la  naissance  d'un  tel  homme,  il  importe  de  la 
saluer  :  elle  est,  parce  qu'elle  annonce  le  déclin  de  la  Rhétori- 
que, de  la  foi  passive,  un  événement.  Mais  les  gens  de  Cahors 
ont  mis  bien  longtemps  —  des  siècles  !  —  à  comprendre  les  rai- 
sons qu'ils  avaient  d'être  très  fiers.  Beaucoup  d'entre  eux  ne 
tiraient  aucune  gloire  de  se  trouver  concitoyens  d'un  rimeur 
qui,  assurait-on,  après  une  existence  de  joyeux  galant,  de  flat- 
teur, d'hérétique,  avait  assez  mal  fini.  Il  s'avançait  donc  trop 
lorsqu'il  espérait  [J.  III,  58]  être  admiré  chez  lui  comme  Vir- 
gile à  Mantoue,  ou  quand  il  affirmait  [Ihid.,  71]  que  sa  mémoire 
ne  s'éteindrait  jamais  dans  le  Ouercy.  Ni  le  Quercy  ni  le  reste 
de  la  France  n'ont  rendu  justice  à  cet  auteur,  l'une  des  plus 
captivantes  figures  d'un  âge  d'or  et  de  fer,  et,  tout  connu  qu'il 
est,  il  demeure,  à  présent  encore,  mal  connu,  méconnu. 

130.  De  sa  mère,  qui  n'apparaît  nulle  part  en  ses  œuvres  et 
que,  sans  doute,  il  avait  perdue  très  jeune,  nous  ne  savons  rien. 
Son  père,  le  chapelier-poète,  a  laissé,  au  contraire,  une  petite 
renommée.  Lui  aj-ant  consacré  tout  un  chapitre,  je  me  borne  à 
redire  ici  que,  choisi,  en  1506,  comme  secrétaire  d'Anne  de  Bre- 
tagne, il  a,  emmenant  son  fils,  quitté  la  ville  de  Cahors  pour 
aller  s'installer  «  en  France  ».  Je  rappelle  aussi  que  ce  fut  grâce 
à  Michelle  de  Saubonne  [cf.  I,  §  463]  qu'il  avait  obtenu  une 
place  auprès  de  la  reine-duchesse.  Nous  retrouverons  JMichelle 
de  Saubonne  :  les  années  qui  se  chargent  souvent  d'endurcir  les 
cœurs,  n'auront  pas  changé  le  sien,  et,  dans  un  moment  de 
crise,  elle  sera,  comme  autrefois  celle  de  Jean  Marot,  la  protec- 
trice, la  providence  de  Clément. 

131.  Celui-ci,  parlant  de  son  enfance  [M.  234],  constate  que, 
durant  cette  période  de  sa  vie,  Loyre  fut  son  séjour,  et  nous 
devons  entendre  par  là  qu'il  passa  quelques  années  à  Blois, 
résidence  ordinaire  d'Anne  de  Bretagne.  Ensuite,  il  fut  conduit 
à  Paris  où  il  acheva,  sans  doute,  ses  études.  Combien  elles  furent 
négligées,  il  nous  l'a  dit  expressément,  et,  parmi  les  vers  de 
lui  qu'on  cite  le  plus  volontiers,  se  trouvent  ceux,  durs  et  déci- 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  109 

sifs,  qu'il  a  écrits  contre  «  les  régents  du  temps  jadis  ».  C'étaient, 
déclare-t-il,  «  de  grandz  bestes  ».  Et  il  ajoute  : 

Jamais  je  n'entre  en  paradis 
S'ilz  ne  m'ont  perdu  ma  jeunesse. 

[G.  III,  363-4.] 

N'allez  pas  croire  que  sa  colère  fût  jouée.  A  la  vérité,  l'esprit 
de  parti  n'est  pas  étranger  à  la  violence  de  ce  passage,  et  s'il 
revêt  la  forme  d'une  condamnation  générale  et  catégorique, 
c'est  que,  à  cette  date,  les  membres  des  factions  avancées,  les 
champions  d'un  meilleur  avenir  regardaient  l'ancienne  éducation 
comme  la  cause  des  maux  du  passé,  la  mère  de  l'ignorance,  une 
créatrice  de  ténèbres.  Et  ils  n'avaient  que  trop  raison.  Ainsi, 
lorsque  notre  poète  traite  de  «  grandz  bestes  »  les  maîtres  qu'il 
a  eus,  il  les  réprouve  pour  le  même  motif  qui  lui  fera  préférer 
l'Académie  trilingue  à  la  Sorbonne,  et  son  indignation  est  pa- 
reille à  celle  de  Rabelais  bafouant,  «  car  leur  sçavoir  n'estoit 
que  besterie  »,  les  pédagogues  de  Gargantua  [ch.  XIV,  XV],  ce 
Thubal  Holoferne  qui  exerçait  seulement  la  mémoire  de  son 
élève,  et  1'»  aultre  vieulx  tousssux  »,  Jobelin  Bridé,  qui  le  rendit 
presque  idiot.  Mais  si  Marot  cherchait  à  plaire  aux  gens  de  son 
bord  quand  il  dénonçait  l'ânerie  désastreuse  des  professeurs 
qu'il  avait  subis,  la  rancune,  les  regrets  qu'il  exprimait  n'étaient, 
je  le  répète,  nullement  feints.  Il  a  souvent  déploré  ailleurs  d'avoir 
été  fort  mal  instruit,  et,  par  exemple,  dans  son  édition  des  œu- 
vres de  François  Villon,  on  lit,  en  marge  de  la  strophe  émou- 
vante : 

Hé  Dieu  !  se  j'eusse  estudié 
Ou  temps  de  ma  jeunesse  folle  ... 

ces   trois  mots  pleins  de  sens  et  d'amertume  :  «  Notez,  jeunes 
gens  !  » 

132.  Oue  Marot,  donc,  n'ait  pas  été,  pour  parler  comme'Étien- 
ne  Pasquier,  «  accompagné  de  bonnes  lettres  »,  la  chose  ne  se 
peut  nier.  Lui-même  avouait  son  manque  de  culture  ;  ses  enne- 
mis allaient  répétant  qu'il  n'avait  pas  la  moindre  instruction, 
et  ses  amis,  sur  ce  point,  le  défendaient  mollement.  Il  est  cer- 
tain, bien  qu'il  ait  traduit  des  textes  hébreux,  des  textes  grecs, 
qu'il  ne  connaissait  ni  le  grec  ni  l'hébreu...  Mais  savait-il  le 
latin  ?  A  cet  égard,  il  s'agit  de  s'entendre.  Les  partisans  de 
Sagon  répondaient  non.  Ceux,  au  contraire,  qui,  dans  la  fa- 
meuse querelle,  s'étaient  rangés  du  côté  de  Marot,  confessaient 
bien  qu'il  ne  valait  pas,  en  tant  que  latiniste,  son  adversaire, 
mais  n'accordaient  pas  que  la  langue  latine  lui  fût,  pourtant, 


110  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

étrangère.  Leur  système  consistait  à  dire  :  Lorsqu'on  donne 
au  public  d'excellents  ouvrages,  qu'importe  qu'ils  soient  latins 
ou  français  ?  Et  quand  un  auteur  se  sert  à  merveille  de  son 
idiome,  pourquoi  lui  reprocher  de  ne  pas  user  d'un  autre  ?... 
En  fait,  ces  témoignages  contradictoires  ne  paraissent  guère 
concluants.  Mais  voici  qui  est  plus  explicite.  S 'adressant  à  Jac- 
ques de  Lect,  Jean  de  Boissonné  (et  l'on  observera  qu'il  aimait, 
admirait  Clément)  écrit  en  homme  sûr  de  ce  qu'il  avance  :  «  Ma- 
rotus  latine  nescivit  ».  L'arrêt,  cette  fois,  a  l'air  sans  appel.  On 
doit,  cependant,  le  discuter.  N'en  doutons  point,  Jean  de  Bois- 
sonné  a  voulu  signifier  que  Marot  ne  savait  pas  le  latin  comme 
le  savaient  les  humanistes,  comme  lui,  Jean  de  Boissonné,  le 
savait.  Or,  les  humanistes  le  savaient  à  fond  ;  ils  le  parlaient 
ainsi  qu'une  seconde  langue  maternelle  ;  ils  écrivaient,  pensaient 
en  latin.  A  ce  compte,  qui  sait  le  latin  ?  Le  savons-nous  ?  En 
conséquence,  on  devine  que  Marot,  sans  être  un  vrai  cicéronien, 
sans  avoir  dans  la  tête  tout  le  thésaurus,  a  pu  lire,  comme  nous 
les  lisons,  une  page  de  Cicéron,  de  Virgile.  Au  reste,  ce  qu'on 
lui  avait  si  mal  enseigné  à  l'école,  il  a  pu,  seul  et  plus  tard,  l'ap- 
prendre mieux.  Ce  n'est  pas  là  une  hypothèse.  Il  déclare  lui- 
même  [M.  164]  qu'il  a,  dans  son  âge  mûr  et  durant  son  exil, 
travaillé  la  «  langue  italique  »  et  plus  augmenté  en  lui  la  connais- 
sance de  la  latine.  Il  ne  lui  est  arrivé,  en  somme,  que  ce  qui 
ariive  à  tant  d'autres  :  la  «  doctrine  »,  les  lumières  que  ses  ré- 
gents ne  lui  avaient  pas  fournies,  il  les  a  tirées  de  la  vie,  du  temps, 
qui  est  réellement  un  grand  maître,  et  de  la  nécessité. 

133.  Quant  au  goût  de  la  poésie,  il  se  vante  [G.  II,  287]  de 
l'avoir  eu  et  de  l'avoir  cultivé  «  quasi  enfant  ».  Sa  nature,  dit-il, 
était  inclinée  aux  Muses,  puis  il  se  sentait  prédestiné  à  mettre 
plus  tard  ses  chalumeaux  au  service  d'un  grand  prince.  Mais, 
quoique  bien  doué,  il  fallait,  avant  qu'il  composât  des  vers, 
qu'on  lui  montrât  comment  s'y  prendre.  Ici  intervint  Jean 
Marot.  Ce  fut  lui  qui  découvrit  à  son  fils  les  secrets,  les  règles 
de  l'art  de  rimer.  Lisez  VÉglogue  au  roy,  et  vous  croirez  assister 
aux  leçons  de  ce  «  bon  vieillard  ».  Arrangée  à  la  mode  bucoli- 
que, la  scène  se  divise  en  deux  tableaux  aussi  frais  et  plastiques 
l'un  que  l'autre.  Tantôt  le  cours  de  prosodie  a  lieu  en  plein  air 
et  sous  le  ciel.  Pendant  que,  là-bas,  leurs  ouailles  paissent,  Janot 
habitue  son  disciple  à  »  doulcement  la  musette  entonner  »  ou 
à  inventer  des  chansons  rurales.  Tantôt,  le  soir  ayant  ramené 
les  moutons  à  l'étable,  l'enseignement  se  donne  «  a  la  lampe  », 
dans  la  métairie,  et  le  maître  convie  son  élève  à  répéter 
les  notes  qu'il  lui  siffle,  et  procède  comme  les  bergères  qui, 
accroupies  auprès  du  feu,  dressent  leur  sansonnet  ou  leur  pie 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  111 

[Ihid.,  288-9].  Sous  une  forme  pastorale  que  la  loi  du  genre  ré- 
clamait, l'auteur  de  ces  aimables  vers  a  voulu  simplement  dire 
qu'il  tenait  de  son  père  le  mécanisme  de  la  poésie,  et  voilà  le 
sens  réel  de  ce  passage.  On  y  trouve  aussi  quelques  mots  d'où 
l'on  peut  conclure  que  Jacques  Colin  a  suivi  avec  intérêt,  avec 
sympathie,  les  études,  les  progrès  de  Clément.  Celui-ci,  enfin, 
a  reçu  (il  l'écrit  ailleurs)  d'autres  conseils.  Ce  que  «  le  bon  Ja- 
not  »  ne  lui  avait  pas  appris,  il  l'a  su  de  Jean  Lemaire,  qui  — 
du  moins,  pour  un  point  de  détail  —  lui  a  été  utile,  et  l'a  remis 
dans  le  droit  chemin. 

134.  Mais,  l'ayant  constaté  à  ses  dépens,  Jean  Marot  n'igno- 
rait pas  que  ceux-là  risquaient  de  mourir  de  faim  qui  comp- 
taient sur  leur  plume  pour  subsister,  et  qu'il  valait  mieux,  de 
ce  point  de  vue,  avoir  un  métier,  un  office,  des  gages  réguliers 
que  du  talent.  Le  talent,  c'était  un  luxe  ;  on  ne  devait  se  l'offrir 
qu'après  s'être  assuré  du  pain.  C'est  pourquoi  le  vieux  rhétori- 
queur,  afin  que  son  fils  n'eût  pas  ses  chansons  comme  seul  re- 
venu, lui  procura  un  patron,  une  place,  et  le  fit  (avant  15 14) 
entrer,  en  qualité  de  page,  chez  Nicolas  de  Neufville,  seigneur 
de  Villeroy.  Ce  personnage  ne  se  laisse  pas  très  facilement  iden- 
tifier. On  connaît  au  moins  quatre  Nicolas  de  Neufville,  car  le 
prénom  du  père,  dans  cette  famille,  passait  à  l'aîné.  De  ces  qua- 
tre, quel  est  le  nôtre  ?  On  hésite  entre  Nicolas  II  et  Nicolas  III. 
M.  Guiffrey  penche  pour  Nicolas  III,  seigneur  de  Villeroy  et 
de  Chanteloup,  fils  de  Nicolas  II  et  de  Geneviève  Legendre, 
marié  à  Denise  (ou  Jeanne)  Morelet  du  Museau,  secrétaire  du 
roi  en  1539,  puis,  en  1544,  secrétaire  des  finances.  En  quoi,  dans 
cette  maison,  consistaient  le  rôle,  les  services  d'un  page  ?  Nous 
ne  pourrions  le  dire  exactement.  M.  Becker  observe  que  tous 
les  de  Neufville  n'ont,  au  XVI^  siècle,  cessé  de  gérer  les  deniers 
publics,  et  il  suppose,  en  conséquence,  que  Clément  Marot, 
débutant  de  la  même  façon  que  Jean  Lemaire,  fut  moins  page 
que  «  clerc  de  finances  ».  Simple  conjecture.  Est-elle  juste  ou 
non  ?  Je  ne  sais.  Mais  voici  qui  n'est  pas  douteux  :  clerc  de 
finances  ou  page.  Clément  garda  un  bon  souvenir  de  celui  qu'il 
appelle  son  premier  maistre,  et  lui  dédia  plus  tard  (15  mai  1538) 
le  Temple  de  Cupido,  d'abord  destiné,  présenté  au  roi. 

135.  Cette  fatalité  qui,  s' acharnant  sur  tant  de  poètes  ado- 
lescents, menace  d'en  faire  des  procureurs,  n'a  pas  épargné  Ma- 
rot, et,  après  avoir  quitté  le  logis  du  sire  de  Neufville,  il  voulut 
apprendre  ou  —  mieux  —  on  voulut  qu'il  apprît  la  triste  mais 
lucrative  science  des  chicanous.  Admis  dans  l'étude  de  Jean 
Grisson  [J.  II,  65],  il  gratta,  vers  vingt  ans,  le  parchemin  et 
s'initia  un  peu  à  la  procédure  chez  ce  praticien  de  Paris.  Je 


112  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

pense  que  Jean  Grisson  avait  là  un  apprenti  médiocrement  zélé 
et  dont  les  progrès  devaient  être  lents.  L'art  d'enfler  le  dossier 
des  plaideurs-  et  d'aplatir  ainsi  leur  escarcelle  ne  lui  semblait 
guère  passionnant,  et,  à  supposer  qu'il  l'ait  connu,  il  l'a  soi- 
gneusement oublié.  C'est  ce  que  nous  affirme  Boissonné  dans 
sa  lettre,  citée  déjà,  à  Jacques  de  Lect.  Marot,  dit-il,  ignorait 
litigandi  formulas.  Je  le  crois  sans  peine.  Au  lieu  de  se  le  figurer 
grossoyant  à  tour  de  bras,  mieux  vaut  se  le  représenter  alignant 
des  vers  sur  le  papier  destiné  aux  actes,  s' associant  aux  jeux 
de  la  Basoche  dont  sa  qualité  de  clerc  du  Palais  l'avait  rendu 
membre,  errant,  quand  on  l'attend  au  bureau,  près  de  la  porte 
Barbette,  perdant  son  «  joly  temps  »  le  long  des  rues,  ou  chan- 
tant, sous  une  fenêtre,  des  chansons  par  lui  inventées 

Pour  le   plaisir  d'une  jeune   fillette. 

136.  On  aimerait  à  avoir  une  image  de  lui  à  cette  époque. 
Le  portrait  stylisé,  qui  se  voit  en  tête  de  quelques  éditions,  nous 
le  montre  sur  le  déclin  de  l'âge,  plus  grave  et  pensif  qu'il  ne  le 
fut  même  en  sa  maturité.  On  lui  a  donné  la  pose  d'un  apôtre, 
des  traits  où  rien  ne  subsiste  du  page  ni  de  V enfant  sans  souci. 
Le  traducteur  des  Psaumes  revit  seul  en  ce  dessin.  Si  donc  on 
veut  avoir  une  idée  de  ce  que  fut,  en  sa  jeunesse,  le  sémillant 
et  folâtre  Clément,  c'est  à  lui  qu'il  faut  s'adresser.  Je  n'avais, 
déclare-t-il,  ni  peur  ni  soin  ;  j'allais  là  où  «  le  cueur  me  disoit  », 
et,  sans  craindre  les  loups,  je  me  risquais  dans  la  forêt.  (Cette 
forêt  dont  il  parle  ici  rappelle  la  Forêt  des  Aventures  qu'a  décrite 
Octovien  de  Saint-Gelays.)  J'étais  semblable,  lors  de  mon  prin- 
temps, à  l'arondelle  qui  vole  puis  çà,  puis  là,  et  je  me  vantais 
d'être  aussi  léger  que  mes  frères,  les  volucres  caeli.  Actif,  re- 
muant, je  dépensais  ma  force  en  exercices  violents,  hasardeux. 
Je  traversais  à  la  nage  tous  les  fleuves,  et  grimpais  à  tous  les 
arbres...  Ainsi,  en  clairs  svmboles,  se  dépeint  Marot,  et  ce  qu'il 
ne  dit  pas,  son  œuvre  entière  et  l'histoire  de  sa  vie  le  disent. 

137.  Supposez  un  jouvenceau  trop  hardi,  trop  sincère,  indis- 
cret, fringant,  prompt  à  se  lier  et  à  se  détacher,  toujours  amou- 
reux mais  non  pas  de  la  même  femme,  inconstant  parce  qu'il 
est  impulsif,  plus  délicat  dans  ses  discours  que  dans  ses  plaisirs, 
curieux  de  science  quoique  peu  savant,  tantôt  agressif  et  tantôt 
flatteur,  capable  de  se  jeter,  après  quelques  instants  de  prudence, 
en  plein  guêpier,...  et  vous  connaîtrez  le  vrai  héros  de  «  l'ado- 
lescence clémentine  ».  Les  années,  sans  doute,  et  les  malheurs 
ont,  à  cerains  égards,  modifié  ce  personnage.  Mais  les  traits 
essentiels  de  sa  nature,  il  les  a  —  et  comment  non  ?  —  conser- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  113 

vés.  Pareil  jusqu'à  la  mort  à  «  l'arondelle  »,  il  a  eu  non  seule- 
ment la  libre  allure,  l'essor,  les  caprices  apparents,  mais  encore, 
de  gré  ou  de  force,  la  destinée  qui  pousse  d'un  ciel  à  l'autre  ce 
rapide  oiseau  migrateur. 

138.  Il  nous  reste  quelques-unes  des  pièces  que  Marot  a  com- 
posées au  temps  où  il  était  page  chez  Nicolas  de  Neufville,  puis 
clerc  chez  le  procureur  Jean  Grisson.  La  première  des  œuvres 
qui  datent  de  cette  époque  est  une  traduction  [G.  II,  19]  de 
VÉglogue  I  de  Virgile.  Il  y  a  des  raisons  de  croire  que  ces  vers 
furent  écrits  en  1513.  Et,  certes,  si  l'on  songe  que  l'auteur  n'avait 
que  dix-sept  ans,  on  se  sentira  porté  à  l'indalgence,  et  l'on  ap- 
prouvera cet  essai.  Vous  y  chercheriez  inutilement,  à  vrai  dire, 
l'ampleur,  la  gravité  virgiliennes,  cet  air  de  mélancolie  voilée 
et,  pourtant,  poignante,  le  somptueux  déroulement  de  la  phrase 
musicale  qu'on  admire  dans  le  texte  latin.  Par  le  rythme  qu'il 
emploie,  l'usage  ou  l'abus  des  rejets,  maintes  expressions  mièvres 
et  de  trop  fréquents  diminutifs,  le  translateur  a  rendu  jolies  des 
choses  qui  étaient  belles.  Çà  et  là,  il  se  permet  aussi  des  addi- 
tions malheureuses.  Il  aurait  pu  se  dispenser,  par  exemple,  d'a- 
jouter au  menu  de  Tityre,  au  fromage,  aux  châtaignes  qu'il 
offre  à  Mélibée,  non  seulement  «  tout  plein  de  bon  fruictage  », 
mais  encore  de  l'ail,  des  pruneaux.  Et  il  ne  fallait  pas,  non  plus, 
traduire  par  cité  le  mot  villa. 

139.  Néanmoins,  la  version  de  ce  débutant  demeure  agréable. 
Le  style  est  coulant,  pittoresque,  et  ce  dialogue  vaut  mieux  que 
le  Jugement  de  Minos  [G.  II,  2g]  rimé,  l'année  suivante,  par  le 
même  auteur.  La  prose  de  Lucien  ne  l'a,  semble-t-il,  guère  ins- 
piré :  il  l'a  délayée,  chevillée  sans  scrupule,  et,  parce  qu'il 
s'agissait  de  faire  parler  de  grands  morts,  Alexandre,  Scipion, 
Hannibal,  il  a  multiplié  les  tournures  emphatiques,  les  épithè- 
tes,  les  périphrases.  En  outre,  comme  il  ignorait,  au  fond,  l'his- 
toire des  trois  héros  qui,  tour  à  tour,  réclamaient  en  ses  vers 
la  prééminence,  il  n'a  pas  évité  les  anachronismes,  et  s'est  livré, 
en  ce  qui  concerne  la  géographie,  à  des  fantaisies  malencontreu- 
ses. Chez  lui,  le  duc  Hannibal  se  vante  d'avoir  effrayé  les  Ro- 
mains«plusqueca;îo«soufouldroyants  tempestes  '  ; Sagonte,  Sara- 
gosse  et  Syracuse  sont  très  plaisamment  confondues  ;  la  Lydie 
se  change  en  Libye,  et  l'on  entend  Alexandre  raconter  com- 
ment il  anéantit  le  roi  «  Dare  »,  et  triompha  «  en  Inde  >>  du  pau- 
vre Pyrrhus...  Ces  erreurs  ne  proviennent  pas  de  Lucien  ;  Marot 
les  lui  prête  cavalièrement.  Que  les  détails  soient  faux,  il  s'en 
moque.  Seul,  le  sujet  l'intéresse.  Trouvant  sublimes  ce  conflit 
posthume,  ces  discours  qui  sonnent  comme  des  armures  et  où 
il  n'est  question  que  de  conquêtes,  il  pense  qu'il  y  a  là  un  thème 

Clément  Marot  et  soa  école  8 


114  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

cotisiile  dignus.  Et  c'est  pourquoi,  afin  d'obtenir,  le  moment 
venu,  ses  entrées,  une  place  à  la  cour,  il  dédie  son  Jugement  de 
Minos  à  François  d'Angoulême,  héritier  présomptif  de  la  cou- 
ronne. 

140.  A  la  même  période  appartient  l'Épistre  de  Maguelonne 
à  son  amy  Pierre  de  Provence  [G.  III,  5].  Les  éléments  de  cette 
lettre  en  vers  sont  empruntés  à  un  roman  qui  eut  une  grande 
et  longue  vogue.  Mais  la  prose  naïve  et  savoureuse  du  loman- 
cier  est  préférable  au  poème  qu'elle  a  inspiré.  Celui-ci  traîne  ; 
il  n'aboutit  pas,  et  s'écarte  par  trop  de  la  vraisemblance.  Sui- 
vant nos  idées  actuelles,  il  n'est  guère  raisonnable  d'écrire  à 
quelqu'un  pour  lui  demander  son  adresse.  En  outre,  Mague- 
lonne raconte  à  son  amant  des  choses  qu'il  sait  mieux  que  per- 
sonne et,  surtout,  mieux  qu'elle.  La  scène  qu'elle  juge  à  propos 
de  lui  rappeler  a  eu  lieu  tandis  qu'il  ne  dormait  pas  (tant  s'en 
faut  !  )  et  qu'elle,  tout  au  contraire,  dormait  fort,  ce  qui  prouve 
qu'elle  avait  le  sommeil  dur.  Tout  cela,  narré  par  un  autre, 
semblait  naturel  :  mais  ce  qui  était  bon  dans  un  récit  devient, 
dans  une  lettre,  presque  ridicule.  L'unique  moyen  d'éviter  cet 
écueil,  c'eût  été  que  la  lettre,  si  on  tenait  absolument  à  la  rédi- 
ger, fût  envo3'ée  par  Pierre  à  Maguelonne,  non  par  ]\Iaguelonne 
à  Pierre. 

141.  Marot  n'3^  regardait  pas  de  si  près.  Il  n'avait  qu'un  des- 
sein :  sui\Te  la  mode  du  jour,  imiter  à  la  fois  les  anciens  et,  parmi 
les  contemporains,  ceux  que  l'on  réputait  des  maîtres.  L'É pitre 
dont  nous  parlons  procède  —  qui  ne  le  voit  ?  —  d'Ovide,  et 
c'est  dans  un  recueil  d'héroïdes  que  sa  vraie  place  serait  mar- 
quée. L'auteur  a  voulu  donner  un  air  antique  à  cette  légende 
médiévale,  et  l'a,  en  conséquence,  chargée,  encombrée  de  my- 
thologie. Or,  l'emploi  de  «  la  fable  »,  le  goût  de  Vhéroïde  carac- 
térisent l'école  qui  triomphait  encore  vers  1515.  Et  qu'on  ne 
s'}'  trompe  point  :  Marot  n'a  pas  dégagé  sans  effort  ni  du  pre- 
mier coup  sa  saisissante  originalité.  Il  a  eu  (d'où  le  titre  de  ce 
chapitre)  ses  «  années  d'apprentissage  »,  une  période  de  tâton- 
nements, et  a  commencé,  comme  tous  les  jeunes,  par  prendre 
modèle  sur  les  hommes  qu'on  estimait,  autour  de  lui,  admira- 
bles. Ainsi  il  existe,  parce  que  chaque  créature  est  étroitement 
lice  au  passé,  un  Clément  ^larot  rhétoriqueur.  C'est  celui  que 
j'étudie  à  présent.  Il  s'avouait,  il  se  proclamait  disciple  de  son 
père  et  de  Guillaume  Crétin.  Ces  gens-là,  à  ses  yeux,  étaient  des 
aigles,  et  il  a  subi  longtemps  leur  influence.  Elle  s'afhrme  en  la 
plupart  de  ses  jiivenilia,  mais  jamais,  à  mon  sens,  plus  évidente 
que  dans  une  pièce  dont  il  faut  maintenant  nous  occuper,  le 
Temple  de  Cupido  [G   II,  63]. 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  115 

142.  Rimé  durant  l'année  1514  et  offert  au  roi  François  I^r 
très  peu  après  son  avènement,  ce  poème  s'intitulait  d'abord  la 
Qiieste  de  Ferme- Amour.  L'auteur  lui-même  nous  apprend  [G. 
II,  61]  que,  s'il  a  traité  ce  sujet,  ce  fut  par  le  «  commandement  « 
de  Nicolas  de  Neufville.  Cela  signifie  sans  nul  doute  que  le  page 
a  prié  son  patron  de  lui  commander  la  chose.  Mieux  eût  valu 
la  lui  défendre.  On  n'avait  pas  besoin  d'un  temple  de  plus,  et 
celui-ci  ressemble  à  tous  ceux  que  les  rhétoriqueurs  n'avaient 
cessé  de  bâtir.  Les  rhétoriqueurs  !  Il  suffit  de  lire  la  dédicace 
au  roi  [Ibid.,  65]  pour  reconnaître  aussitôt  leur  manière,  leurs 
manies.  Nous  voyons  là  Jeune-Hardiesse  qui  déploie  sa  «  jeune 
rhétorique  »  afin  de  décider  le  jeune  Clément  à  offrir  au  «  jeune 
prince  »  le  livret  qui  charmera  sa  jeunesse.  Très  joli  début,  et 
qui  promet. 

143.  De  fait,  Marot,  cherchant  Ferme-Amour,  marche  sur  les 
traces  de  ses  maîtres.  Il  nous  donne,  en  réduction,  un  Roman 
de  la  Rose  : 

Mais,  par  comparaison,  je  dis 
Que  celuy  Temple  est  une  Rose 
D'espines  et  ronces  enclose  ; 

il  cite  «  Jehan  de  Mehun,  plein  de  grand  sagesse  »  ;  il  lui  emprunte, 
à  lui  ou  à  Guillaume  de  Lorris,  plusieurs  des  personnages  qu'ils 
ont  créés.  Danger,  Bel-Accueil  et  Genius  ;  il  ressuscite  ou  invente 
Bon-Rapport,  Merci,  Bien-servir,  Bien-celer  et  Beau-parler.  Quant 
au  temple,  il  est  construit  selon  une  méthode  employée  déjà 
quantité  de  fois.  Elle  consiste,  répétons-le,  à  énumérer  et  à 
décrire  les  objets  du  culte  ou  les  rites  de  l'Église  catholique 
comme  s' appliquant,  non  plus  à  la  prière,  mais  à  des  fins  pro- 
fanes, à  la  chasse,  par  exemple,  ou  à  la  guerre,  surtout  à  l'amour. 
Dans  l'espèce,  c'est  de  l'amour  qu'il  s'agit.  L'adaptation  est 
facile,  et  il  suffit  d'établir  que,  dans  la  chapelle  de  Cupido,  les 
cloches  sont-  des  tamibourins  et  des  harpes  ;  les  missels,  les 
livres  de  Pétrarque  et  d'Alain  Chartier  ;  l'encens,  l'odeur  des 
passe-velours  et  des  œillets  ;  les  autels,  des  «  lictz  a  la  mode 
ordinaire  »  ;  V Ave  Maria,  le  caquet  des  dames  ;  les  processions, 
des  danses,...  et  ainsi  de  suite.  Quelle  misère  !  Ces  k^TÎelles 
d'analogies  ne  proviennent  pas  directement  de  Jean  de  Meung. 
Leur  source  est  moins  éloignée  ;  on  la  trouvera  chez  Lemaire, 
en  son  Temple  de  Vénus.  Mais  il  y  a,  entre  les  deux  ouvrages, 
un  abîme.  L'allégorie  de  Jean  Lemaire  cachait  un  sens  très 
riche  et  profond  :  celle  de  Marot  ne  cache  rien  ;  elle  n'est  guère 
qu'un  jeu  de  style. 

144.  Mais  de  quel  style  ?  On  se  le  demande.  La  pièce  ne  se 


116  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

laisse  pas,  à  cet  égard,  aisément  cataloguer.  Certaines  tirades 
visent  à  l'éloquence,  ont  de  la  tenue,  un  ton  sérieux  ;  d'autres 
—  et  nombreuses  —  sont  plutôt  souriantes,  et  l'on  rencontre 
même,  désobligeantes  et  inattendues,  quelques  polissonneries. 
On  ne  s'habitue  pas  sans  peine  aux  sautes  d'humeur  de  cette 
muse  parfois  sage,  parfois  dégrafée.  Il  faut  s'y  accoutumer  pour- 
tant, car  Marot,  en  cela,  ne  changera  point.  Ici,  manifestement, 
il  se  surveille  autant  qu'il  le  peut.  C'est  qu'il  travaille  pour  le  roi. 
L'intention  réelle  de  l'écrivain  apparaît  aux  derniers  vers,  lors- 
que, désespérant  presque  de  découvrir  Fenne-Amour,  il  l'aper- 
çoit enfin  trônant  au  fond  du  temple  de  Cupido,  entre  deux 
personnes  qu'abritent  ses  ailes  :  François  pr  et  Claude  de  France. 
A  l'instant  tout  s'éclaire,  et  nous  comprenons  que  le  page  du 
sire  de  Neufville  cherchait  moins  Ferme- Amour  qu'une  occasion 
de  flatter  le  prince.  Celui-ci  agréa  l'hommage  sans  s'étonner 
d'être  loué  comme  devant  être  fidèle  à  sa  femme.  Il  n'y  avait 
là  aucune  ironie  :  une  maladresse,  simplement. 

145.  Tout  en  essayant  de  marquer  sa  place  parmi  les  poètes 
courtisans,  Marot,  puisqu'il  se  trouvait  basochien,  ne  négligeait 
pas  la  Basoche,  et  cultivait  les  genres  qui  lui  étaient  propres. 
Trois  de  ses  ballades  appartiennent  à  l'époque  où  il  fréquentait 
les  clercs  du  Palais.  J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  signaler  l'une 
d'elles,  la  dernière  en  date,  celle  qui  dit  adieu  à  Jean  Grisson 
et  à  la  porte  Barbette.  Quoique  très  alertes,  les  deux  autres 
[J.  II,  61-3]  sont  peut-être  moins  intéressantes.  Les  Enfants 
sans  souci  prennent  la  parole  dans  la  première,  et  affirment 
qu'ils  méritent  leur  titre,  car 

De   froid   souc}^   ne    sentent   le    frisson. 

Répondant  à  leurs  ennemis  —  les  vieux,  je  suppose,  les  bour- 
geois, les  gens  qui  ont  l'air  de  corbeaux  en  cage,  de  hérissons 
sur  la  défensive  —  ils  se  vantent  de  ne  chercher  que  soûlas. 
«  Saulter,  danser,  chanter  »,  voilà  leur  programme.  Ils  boivent 
aussi,  et  c'est  même  par  là  qu'ils  commencent  la  journée.  A 
les  voir 

Trancher  du  brave  et  du  mauvais  garçon, 

vous  pourriez  les  croire  redoutables.  Point.  Ils  ne  cherchent 
noise  à  personne,  et  s'amusent  «  sans  mal  penser  ».  C'est  donc 
injustement  que  les  dénigre  la  race  des  jaloux  et  des  languards. 

146.  La  seconde  ballade,  qui  a  pour  titre  le  Cry  du  jeu  de 
l'Empire  d'Orléans,  est  une  sorte  d'affiche,  de  proclamation.  Il 
s'agissait  d'attirer  le  populaire  à  l'une  de  ces  soties  que  les  clercs 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  117 

donnaient  au  carnaval.  Le  boniment  allègue  plusieurs  raisons 
de  ne  pas  manquer  un  tel  spectacle  :  la  pièce,  d'abord,  sera 
spirituelle,  pleine  de  si  agréables  facéties  que  le  plus  maussade 
sera  déridé  ;  ensuite,  on  aura  là  une  revue  satirique,  un  lot 
d'anecdotes  dignes  d'êtres  sues,  une  censure  des  «  abusions  >* 
que  les  dames,  enfin,  ne  craignent  aucune  indiscrétion  :  posant 
en  principe  qu'elles  sont  vertueuses,  les  acteurs  ne  diront  rien 
qui  puisse  les  chagriner.  Ainsi  il  y  aura  du  plaisir  pour  tout  le 
monde. 

147.  Par  la  manière  dont  elle  est  annoncée,  les  promesses 
et  les  demi-menaces  du  programme,  on  voit  que  la  comédie 
en  question  était  certainement  un  pamphlet.  Marot  en  était-il 
l'auteur  ?  Nous  ne  répondrons,  faute  de  preuves,  ni  oui  ni  non. 
Mais  s'il  s'est  borné,  en  cette  circonstance,  à  rédiger  c  le  cri  » 
de  la  pièce,  il  a,  une  autre  fois,  rimé  <'  le  jeu  »  même  que  les  baso- 
chiens  devaient  jouer.  L'ouvrage  qu'il  a  donné  au  théâtre  des 
clercs  s'intitule  Dialogue  de  deux  amoureux  [G.  II,  103].  Il  ne 
vise  personne,  ne  contient  pas  la  moindre  allusion,  reste  en 
dehors  de  l'actualité  et  de  toute  politique.  Il  n'y  a  là  (une  phrase 
du  texte  nous  le  dit  [Ihid.,  126])  qu'un  divertissement  propre 
à  la  journée  du  mardi  gras.  De  quelle  année  ?  On  l'ignore.  Cette 
saynète  ne  paraît  pas  avoir  été  publiée  avant  1540.  Mais  pour- 
quoi serait-elle  de  cette  date  ?  J'imagine  qu'elle  avait  long- 
temps dormi  dans  les  archives  de  Clément  Marot  lorsqu'il  se 
décida  à  l'imprimer.  Elle  remontait,  je  pense,  à  l'époque  où  il 
n'était  encore  qu'un  débutant.  Au  surplus,  qu'on  lise  ces  quel- 
ques pages,  et  l'on  sentira  que,  pour  les  écrire,  il  ne  suffisait  pas 
d'avoir  du  talent,  mais  qu'il  fallait  aussi  de  la  jeunesse. 

148.  La  jeunesse,  l'inquiète  jeunesse,  riche  en  projets,  pleine 
de  désirs,  souvent  déçue,  joyeuse  pourtant,  à  la  fois  timide  et 
téméraire,  on  la  reconnaît  toute  en  ce  Dialogue,  véritable  gemme 
poétique.  Les  personnages  n'ont  pas  de  noms,  pas  même  un 
nom  de  baptême.  Ils  s'appellent  Premier,  Second.  Et  c'est  très 
bien  ainsi.  En  effet,  ils  ne  représentent  pas  tant  deux  caractères 
particuliers  que  deux  stades,  deux  moments  d'un  seul  âge,  l'âge 
de  l'espoir  et  de  l'amour.  Au  fond,  ils  se  complètent,  ils  se  con- 
tinuent, et  un  jour  viendra,  on  le  devine,  où  l'un  agira  et  par- 
lera comme  l'autre  agit  et  parle  à  présent.  Le  Second  sort  à  peine 
de  l'adolescence  ;  le  Premier,  au  contraire,  sans  être  un  homme 
mûr,  ne  compte  plus  parmi  les  conscrits.  Il  se  targue  d'avoir, 
en  ce  qui  concerne  les  choses  du  cœur,  l'expérience  d'un  vieux 
routier.  Ayant  soigneusement  étudié  l'arbre  de  la  science  amou- 
reuse, il  en  connaît  les  branches,  les  rameaux,  et  laisse  entendre 
qu'un  novice  aurait  intérêt  à  le  choisir  comme  avocat  consul- 


118  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

tant.  Son  camarade  lui  dit  aussitôt  :  Sois  mon  confident,  mon 
conseiller  !  et  il  lui  raconte  que,  pour  ses  débuts,  il  a  rêvé  non 
pas  une  conquête  facile,  mais  (c'est  dans  l'ordre  !)  celle  d'une 
femme  très  fière,  inaccessible,  plus  dure  qu'un  pommeau  de 
dague.  A  la  rigueur,  il  l'épouserait,  cette  dédaigneuse  Barthé- 
lemie  :  toutefois  il  préférerait  la  prendre,  déclare-t-il,  à  l'essai. 
Le  malheur  est  qu'elle  ne  veut  de  lui  ni  comme  mari  ni  comme 
amant.  Que  faire  ?  Il  a,  du  moins  il  le  croit,  épuisé  les  moyens 
de  séduction  :  cris,  soupirs,  billets  galants,  danses  et  gambades, 
visites  aux  sorcières,  stations  à  l'église,  devant  le  bénitier,  il 
n'a  rien  omis,  rien  négligé.  Nul  résultat.  En  vain  j'ai  joué  ds 
la  prunelle  au  point  que  mes  yeux  en  sont  lassés  ;  en  vain,  durant 
la  nuit,  j'ai  chanté  à  la  porte  de  la  belle...  Je  n'y  ai  gagné  que 
trois  pots  (et  il  précise  à  quoi  servaient  ces  pots-là)  qu'on  m'a 
cassés  sur  la  tête. 

149.  Mis  au  courant  de  la  situation,  l'ainé,  le  docteur  es  lois 
d'amour,  arrive  à  l'essentiel,  et  demande  :  Mais  qu'as-tu  donné  ? 
—  Des  fruits  nouveaux,  des  bouquets  de  roses.  —  Bagatelles  ! 
Il  fallait  offrir...  —  Quoi  ?  —  De  l'argent  !  Des  objets  de  prix, 
de  poids,  une  grosse  émeraude,  par  exemple.  Ta  cruelle,  alors, 
se  fût  apprivoisée  ;  tu  serais  parvenu  à  tes  fins...  Le  lecteur  va 
penser  que  l'homme  qui  rend  cet  oracle  a  perdu  toute  illusion. 
On  se  le  figure  blasé,  méfiant,  et,  parce  qu'il  sait  que  la  vertu 
des  femmes  est  à  vendre,  très  résolu  à  mourir  célibataire.  Eh 
bien,  non.  Ce  sceptique  nous  avoue  qu'il  aime.  Et  qui  ?  Une 
ingénue,  une  fillette  de  quatorze  ans,  à  laquelle  il  offre  «  de  bon 
sucre  et  de  la  dragée  »,  en  attendant  de  lui  offrir  «  corps  et  biens  ». 
Son  roman  finira  par  de  justes  noces,  car,  à  son  avis,  le  mariage 
est,  en  somme,  le  dénouement  naturel  des  fortes  inclinations. 
On  approuve,  certes,  une  telle  morale  :  mais  on  ne  l'espérait 
guère  ;  elle  étonne  sortant  d'une  bouche  qui  a  dit  :  Achète-la  ! 
Et,  ainsi,  le  plus  jeune  de  ces  jeunes  gens  n'aspire  qu'à  posséder 
per  fas  et  nefas  une  maitresse,  tandis  que  l'autre,  ayant  déjà 
vécu  et  couru,  a,  de  ses  aventures,  rapporté  la  conviction  qu'on 
ne  trouvera  joie  et  repos  qu'auprès  d'une  enfant  candide,  petite 
épouse  innocente,  et,  par  là,  digne  d'être  respectée. 

150.  La  pièce  de  Marot  est,  en  son  genre,  un  chef-d'œuvre, 
et  elle  nous  rappelle  deux  comédies  magistrales.  Le  vieux  rou- 
tier qui  prodigue  ses  conseils  subversifs  au  néophyte,  pendant 
qu'il  (c  mitonne  »  pour  lui-même  une  Agnès,  annonce  sinon  les 
outrances,  l'implacable  manie  d'Arnolphe,  du  moins  sa  théorie 
et  sa  conduite.  On  ne  lira  pas  non  plus  ce  Dialogue  du  XVP 
siècle  sans  songer  à  //  ne  faut  jurer  de  rien,  au  personnage  de 
Valentin  Van  Buck  qui,  après  avoir  voulu  corrompre  la  chaste 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  119 

Cécile,  tombe  dans  les  pièges  qu'il  avait  tendus,  et  proclame  : 
«  Lovelace  est  un  sot,  et  moi  aussi...  »  Que  les  vers  de  Marot 
vaillent  la  prose  de  Musset,  cela,  à  mon  sens,  ne  fait  pas  doute. 
Quelle  grâce  !  Quelle  gaieté  !  La  causerie  se  déroule  aisée,  ailée, 
scintillante.  Il  n'y  a  presque  point  de  «  littérature  ».  Les  ac- 
teurs vivent  devant  nous  ;  leurs  rôles  ne  sont  que  confidences 
et  qu'épanchements.  La  rime  ne  coûte  rien  au  poète  :  facile, 
mais  souvent  imprévue,  elle  soutient,  réveille  l'attention,  et  se 
pose  d'elle-même  à  sa  place.  Chaque  détail  est  signifiant,  cha- 
que peinture  est  plastique,  et,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  scène, 
règne  une  délicieuse  fantaisie.  A  cela  s'ajoute  le  charme  de  la 
musique.  Le  jeu  s'ouvre  par  un  refrain  populaire,  et  tout  finit 
par  une  chanson.  Elle  est  à  trois  voix,  et  les  deux  compagnons 
vont  renoncer  à  la  dire,  lorsque,  juste  à  point,  passe  «  un  qui- 
dam ».  Il  s'engage,  chantant  «  clair  comme  laiton  »,  à  bien  faire 
sa  partie.  Et  —  bras  dessus,  bras  dessous  —  nos  galants  s'ache- 
minent vers  la  coulisse  en  dégoisant  une  strophe  à  la  mode, 
notée  par  Claude  de  Sermisy  : 

Puisqu'en  amours  a  si  grant  passetemps, 
Je  vueil  aimer,  danser  et  rire... 

151.  Enfants  vraiment  sans  souci.  La  Basoche,  jamais,  n'en 
avait  connu  dont  l'enjouement  fût  de  cette  qualité-là,  et  elle 
devait  à  Clément  Marot,  qui  travaillait  si  bien  pour  elle,  beau- 
coup de  gratitude.  Plus  tard,  il  la  servit  encore  d'une  autre  ma- 
nière. François  I^"",  nous  le  savons,  n'était  pas  favorable  aux 
clercs  du  Palais,  et  il  lui  arrivait  d'interdire  leur  représentation 
annuelle.  Marot  eut  ainsi  l'occasion  (1540  ?)  de  plaider  leur 
cause  auprès  du  roi  et  de  s'engager,  parlant  au  nom  de  la  con- 
fréiie,  à  adoucir  l'aigreur  de  la  comédie  défendue  [G.  III,  624]. 
Cela  fait,  pourquoi  le  prince  ne  maintiendrait-il  pas,  comme  ses 
prédécesseurs,  les  «  libertez  et  droictz  »  des  basochiens  ?  Cette 
requête  semble  avoir  été  entendue.  Mais  l'institution  s'en  allait 
mourante  ;  les  beaux  jours  de  ce  théâtre  étaient  passés. 

153.  Si  elle  occupait  les  jeunes  poètes,  la  Basoche  ne  les  nour- 
rissait pas,  et  Marot  cherchait,  car  il  fallait  vivre,  un  plus  utile 
emploi  de  ses  talents.  En  conséquence,  dès  1517,  il  s'approche 
à  petits  pas  de  la  cour,  aspire  —  lui,  le  si  maigre  pastoiu-eau, 
—  à  servir  le  grand  Pan,  le  dieu  tutélaire  par  qui  foisonneront 
son  champ  et  sa  vigne  [G.  II,  290].  Cela  signifie,  en  prose,  que 
Clément  avait  envie  d'une  pension,  d'un  de  ces  offices  qu'on 
réservait  aux  gens  de  lettres.  Déjà,  on  s'en  souvient,  il  avait 
posé  sa  candidature  en  dédiant  au  maître  deux  pièces  de  vers. 


120  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

A  présent  il  insiste,  il  précise.  Disciple  de  Guillaume  Crétin, 
il  adresse  à  François  I^^  une  courte  épître  équivoquée  et  toute 
farcie  de  cakmbours  [G.  III,  21].  C'est  en  vain,  écrit-il,  qu'il 
rimaille  :  sa  rime  ne  lui  rapporte  (et  il  en  est  mar;'?)  maille  ; 
rimailleui  qui  tant  rimonna,  il  ignore  encore  quel  avantage  par 
rime  on  a,  et  il  supplie  le  prince  de  faire  en  sorte  que  le  pau\Te 
rimeur  tire  bientôt  de  sa  rime  heur.  Jeux  de  mots  pitoyables, 
mais  fort  clairs.  Traduisez  :  donnez-m-oi  une  place,  de  l'argent. 
Pourquoi  pas  ?  Vous  voyez  bien  que  je  suis  aussi  digne  de  vos 
gi  âces  que  les  rhétoriqueurs  payés  par  vous  ;  le  plus  fou  de  leur 
bande  ne  ferait  pas  mieux. 

153.  En  attendant  l'issue  de  ses  démarches,  j\Iarot  commence 
à  titie  gratuit,  et  pour  montrer  ce  dont  il  sera  capable  une  fois 
promu  poète  officiel,  à  traiter  des  sujets  en  rapport  avec  sa 
fonction  future.  C'est  ainsi  qu'il  déplore  [J.  II,  134]  la  mort 
d'un  gentilhomme,  M.  de  Chissay,  qui,  plein  de  vaillance  et  de 
force,  jeune  et  en  crédit,  fut  tué  dans  un  duel.  C'est  ainsi  encore 
qu'il  consacre  une  ballade  à  la  naissance  du  dauphin  François, 
dont  la  venue  au  monde  (28  fé\Tier  151S)  fut  saluée  en  strophes 
idolâtres  par  quiconque  avait  ou  espérait  des  gages.  Jean  Ma- 
rot,  pour  ce  concert,  avait  fourni  sa  part  d'hj'perboles.  Clément 
ne  songea  point  à  s'abstenir,  mais  ce  qu'il  produisit  ne  prouve 
que  son  lo5-alisme  et  le  désir  de  n'être  pas  oublié.  11  a  dû,  plus 
tard,  rougir  d'une  si  chétive  cotisation.  On  avait  déjà  l'églogue 
marine  :  c'est  la  ballade  marine  qu'il  invente,  lui.  Le  mot  dau- 
phin est  cause  de  tout  le  mal.  Où  loger  un  dauphin,  sinon  dans 
l'eau  ?  Et  que  prophétiser  touchant  ce  dauphin,  à  moins  de  pré- 
dire qu'il  va  calmer  les  tempêtes,  que,  lui  régnant,  la  baleine 
perdra  l'habitude  de  manger  les  sardines,  et  que  le  peuple  des 
mers  vivra  en  paix  ?  Agréable  perspective  !  Les  gros  poissons 
en  sautent  de  joie,  et  les  petits  chantent  d'une  voix  sereine  :  Bien 
sois-tu  venu,  beau  dauphin  !  [J.  II,  68.] 

154.  Franchement,  cette  allégorie,  trop  digne  de  feu  Jean 
Molinet,  n'était  pas  de  nature,  non  plus  que  le  Jugement  de 
Minos  ni  le  Temple  de  Cupido,  à  ouvrir  toute  large,  devant  l'écri- 
vain, la  porte  du  trésor  royal.  On  conçoit  que  François  I^^  ne 
s 3  soit  pas  pressé,  puisqu'il  ne  pouvait  deviner  l'avenir,  de 
prendre  à  sa  solde  un  solliciteui  qui  cachait  avec  tant  de  soin 
son  admirable  personnalité.  Et  puis  il  y  avait  déjà,  sur  l'état 
des  pensions,  un  Marot.  Deux,  c'eût  été  beaucoup.  Le  second 
n'avait  qu'à  patienter.  Néanmoins,  si,  pour  l'instant,  il  ne  vou- 
lait pas  de  lui,  le  roi  tenait  à  ne  pas  trop  l'éloigner,  et  il  le  recom- 
manda, en  conséquence,  à  sa  sœur,  alors  duchesse  d'Alençon. 
Aucun  doute,  à  cet  égard,  n'est  possible,  Clément  a3'ant  affirmé 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  121 

deux  fois  [G.  II,  185  et  III,  302]  qu'il  avait  été  «  donné  »  par 
François  à  Marguerite.  Encore  fallait-il  se  présenter,  prouver 
que  le  cadeau  valait  quelque  chose,  ne  pas  venir  les  mains  vides. 
Aussi  Marot  crut-il  bon  d'ajouter  au  poids  de  l'intervention 
roj'ale  celui  d'une  ballade  et  d'une  épître. 

155.  La  ballade  [J.  II,  66]  est  dans  le  genre  alerte  et  dégagé 
que  Villon  avait  mis  à  la  mode.  Elle  roale,  d'un  bout  à  l'autre, 
sur  un  jeu  de  mots.  Jusqu'ici,  constate  le  poète,  je  suis  resté 
assis  «  au  giron  de  triste  vie  »,  ou  exposé  au  vent  comme  un 
châssis,  ou  debout  comme  un  soldat  en  faction  :  maintenant, 
Madame,  je  désire  être  couché...  sur  la  liste  de  vo=  domestiques... 
Et  c'est  là  tout.  On  voit  que  la  trouvaille  n'a  pas  dû  exiger  un 
grand  effort.  —  L'épître,  au  contraire,  est  travaillée,  conscien- 
cieuse, étendue.  Est-elle  meilleure  pour  autant  ?  Non,  elle  est 
pire.  C'est  que,  en  l'écrivant,  Marot  ne  songe  plus  à  Villon  ;  il 
rivahse  avec  les  rhétoriqueurs,  imite  leurs  procédés  maudits, 
et  construit,  de  la  sorte,  une  œuvre  si  prétentieuse  et  si  faible 
qu'ils  l'auraient  signée.  Il  n'exprime  pas  ses  sentiments  :  il  les 
traduit,  il  en  fait  des  dieux,  des  créatures  métaphysiques.  Lui- 
même,  il  se  déguise,  il  change  de  nom,  et  s'appelle  le  Dépourvu. 
S'il  s'adresse  à  Marguerite  d'Angoulême,  c'est  que  Mercure  le 
lui  commande  (en  songe,  naturellement).  Faut-il  obéir  ?  Le 
doimeur  y  est  résolu,  et,  déjà,  il  va  écrire  «  en  un  souverain 
stile  ))  à  la  duchesse,  lorsqu'il  aperçoit  «  une  vieille  hideuse  », 
qui  n'est  autre  que  la  pâle  Crainte.  Rondeau  de  Crainte.  Ta 
hardiesse,  méchant  grimaud,  dépasse  les  bornes.  Oseras-tu, 
ignorant  que  tu  es,  offrir  à  celle  «  qui  de  sçavoir  toutes  aultres 
precelle  )>  tes  vers  sans  art  et  «  mal  bastys  »  ?  Dochire-moi  ton 
papier,  et  vite  !  Le  Dépourvu,  plus  dépourvu  que  jamais,  se 
hâte  de  ruer  jus  sa  plume  et  même  son  encre.  Il  éprouve  une 
telle  douceur  qu'il  a  besoin,  pour  la  peindre,  de  vingt-cinq  épi- 
thètes.  On  tremble  pour  lui  ;  on  a  pitié...  Heureusement  accourt 
(mais  nous  l'attendions)  un  aimable  vieillard  «  confortatif  )>. 
C'est,  «  atout  sa  barbe  grise  »  et  sa  riante  figure,  Bon-Espoir. 
Ballade  de  Bon-Espoir.  Il  commence  par  jeter  à  la  porte  Crainte 
et,  par-dessus  le  marché,  Doute  et  Souci  que  nous  ne  savions 
pas  là.  Ensuite,  il  affirme  que  la  duchesse  excuse,  «  tant  soyent 
ilz  innocents  »,  les  fautes  des  poètes  en  herbe,  et  qu'elle  consen- 
tira à  pourvoir  le  Dépourvu.  Celui-ci,  là-dessus,  se  réveille,  tout 
ragaillardi. 

156.  Rien  ne  manque,  n'est-ce  pas  ?  et  nous  retrouvons  ici 
le  rêve,  la  mythologie,  les  abstractions,  les  incidents  réglés 
comme  une  horloge,  bref,  le  système  entier  des  rhétoriqueurs. 
En  outre,  si  on  descendait  aux  détails,  on  pourrait,  dans  cette 


122  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

épître,  noter  des  rimes  qui  font  calembour  (courage  —  coup  rage, 
mensonger — mon  songer)  ou  des  vers  dont  tous  les  mots  ont  une 
même  lettre  initiale.  L'auteur,  par  exemple,  veut-il  nous  don- 
ner l'idée  du  chagrin  que  lui  a  causé  l'apostrophe  de  Crainte  ? 
Il  se  représente 

Mélancolie,  morne,  marry,  musant, 
Palle,  perplex,  paoureux,  pensif,  pesant, 
Foible,  faiily,  foulé,  fasché,  forclus... 

Si  la  requête  à  Marguerite  est  tombée  sous  les  yeux  de  maî- 
tre Guillaume  Crétin,  il  a  dû  se  dire  :  Ce  n'est  pas  mal.  Voilà 
un  bon  élève.  Je  me  reconnais...  Et  il  se  sera  d'autant  mieux 
reconnu  qu'il  avait,  personnellement,  en  1513,  écrit  à  monsei- 
gneur le  duc  de  Valois,  pour  lui  expliquer  comment  il  se  sentait, 
au  moment  de  rimer  pour  lui  quelque  chose,  tiré  en  arrière  par 
Crainte  et  poussé  en  avant  par  Désir.  Cette  Crainte  de  l'illus- 
tre Guillaume,  Marot  l'avait  adoptée,  mais,  cherchant  à  paraî- 
tre original,  il  avait  changé  Désir  en  Bon-Espoir. 

157.  Sa  lettre  en  vers,  le  Dépourvu  semble  l'avoir  remise  lui- 
même  à  la  destinataire,  lorsqu'il  vint  se  présenter  à  eUe,  escorté 
d'un  gentilhomme  que  le  roi  avait  chargé  de  l'introduire.  Cet 
introducteur,  le  poète  l'appelle  Pothon.  Mais  quel  Pothon  ?  Il 
y  en  a  au  moins  deux,  et  l'on  peut  hésiter  entre  Jean  Raihn, 
dit  Pothon,  capitaine  de  Marmande,  et  Antoine  Rafftn,  dit 
Pothon,  seigneur  de  Puy-Calvaire  et  sénéchal  d'Agenais.  Guiffrey 
ne  cite  que  le  second,  et  affirme  qu'il  s'agit  de  lui.  Je  le  croi- 
rais assez  volontiers,  car  Antoine  Raffin,  bien  vu  du  prince 
qu'il  ne  quittait  guère,  paraît  avoir  été  propre  à  ces  menues 
missions  qu'on  réservait  à  des  familiers.  —  Reste  à  fixer  l'an- 
née de  cette  épître,  mais  cela  ne  fait  pas  difficulté.  Le  titre  de 
duchesse  d'Alençon  et  de  Berry  donné  par  l'auteur  à  Marguerite 
prouve  que  la  pièce  n'est  pas  antérieure  au  4  février  1518,  date 
où  fut  enregistré  l'acte  par  lequel  François  pr  accordait  à  sa 
sœur  le  Berry  en  apanage.  D'autre  part.  Clément  rappelle,  en 
1535,  que,  depuis  le  moment  où  il  entra  chez  cette  princesse, 
«  quatre  et  douze  »  ans  se  sont  écoulés  [G.  III,  302].  Qu'on  fasse 
le  calcul,  et  l'on  verra  que  ce  fut  en  1518  ou,  peut-être,  au  com- 
mencement de  15 19  que  la  future  reine  de  Navarre  accueillit 
Marot.  Quelle  fonction  eut-il  auprès  d'elle  ?  Il  nous  apprend 
[G.  II,  185]  qu'il  fut  son  «  humble  valet  de  chambre  )\  Il  tou- 
chait —  du  moins,  en  1524  —  95  livres  de  gages,  soit  23  livres 
et  15  sous  par  quartier,  pas  tout  à  fait  8  livres  par  mois,  un  peu 
plus  de  5  sous  par  jour. 

158.  La  somme  est  faible...  Oui,  mais  le  premier  obstacle 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  123 

est  franchi.  Marot  possède  maintenant  une  position  sociale  ; 
le  choix  qu'on  a  fait  de  lui  atteste  qu'on  lui  croit  du  talent  ; 
il  est  quelqu'un...  En  réalité,  cette  protection  qu'il  se  réjouis- 
sait d'avoir  acquise  allait  orienter  sa  vie  entière  d'une  façon 
imprévue,  causer  la  plupart  de  ses  malheurs,  lui  assigner  un 
rôle,  des  opinions  et  un  genre  de  gloire  peu  en  rapport  avec  sa 
vraie  nature.  Évidemment,  Marguerite  n'était  pas  encore,  en 
1518,  ce  qu'elle  deviendra  plus  tard  :  portée  au  mysticisme,  à 
l'exégèse,  au  libre  examen,  conscience  troublée  et  non  révoltée, 
elle  cherchait  moins  à  réformer  le  catholicisme  qu'à  l'accom- 
moder, tel  quel,  à  ses  aspirations.  Mais,  peu  à  peu,  cette  âme  si 
fervente  tendra  à  secouer  davantage  le  joug  de  l'autorité  ro- 
maine. Quoique  reine  (ou  parce  que  reine),  Marguerite  n'ira 
pas  jusqu'au  bout  de  ses  idées  ;  elle  ne  s'avouera  point  luthé- 
rienne :  mais  elle  défendra  tous  ceux  qui  professeront  ouver- 
tement la  foi  cachée  dans  son  cœur.  Pour  les  persécutés,  pour 
les  prophètes,  sa  maison  sera  un  refuge,  une  auberge  du  Nouvel 
Évangile,  où  passeront,  se  rencontreront  et  ceux  qui,  à  leurs 
risques  et  périls,  vont  semer  par  le  monde  la  parole  de  Christ, 
et  les  blessés  de  l'apostolat,  ceux  qui,  sortant  des  prisons  ou 
fuyant  les  bûchers,  souhaitent,  avant  de  se  remettre  en  route, 
une  demeure  sûre,  quelque  repos.  Ces  hommes,  Marot  les  verra 
à  la  cour  de  Navarre  ;  il  les  entendra  proclamer  leur  doctrine 
ou  conter  ce  qu'ils  ont  souffert,  et  il  finira  par  vouloir  ce  qu'ils 
veulent,  par  lutter  à  côté  d'eux  avec  ses  armes  et  à  sa  manière. 
Donc,  ce  seront  l'influence,  l'exemple  de  sa  dame  et  maîtresse 
qui  jetteront  le  poète  dans  l'opposition,  et  le  pousseront,  ainsi, 
vers  une  voie  douloureuse. 

159.  Mais  nous  n'en  sommes  pas  encore  là.  Pour  le  moment 
la  fonction  de  Marot  ne  l'induisait  à  produire  rien  de  hardi, 
rien  de  dangereux.  Il  n'avait  qu'à  suivre,  en  leurs  déplacements, 
le  duc  et  la  duchesse  d'Alençon,  et  il  a  dû  se  trouver  bien  sou- 
vent sur  les  chemins,  puisque  la  duchesse  et  le  duc  eux-mêmes 
voyageaient  derrière  François  pr,  le  plus  nomade  des  souve- 
rains. Il  y  a  lieu  d'admettre  que  Marguerite  et  son  mari,  lors- 
qu'ils se  rendirent  (juin  1520)  au  Camp  du  drap  d'or,  y  ame- 
nèrent leur  valet  de  chambre,  car  il  a  consacré  à  cette  rencon- 
tre du  roi  de  France  et  de  Henri  VIII  une  ballade  et  un  ron- 
deau [].  II,  70,  145],  dont  le  ton  semble  révéler  un  témoin  ocu- 
laire. Pièces,  d'ailleurs,  officielles,  c'est-à-dire  très  fausses,  très 
creuses.  Elles  glorifient,  comme  si  le  luxe  des  princes  consolait 
le  peuple  d'être  sans  pain,  la  pompe  ruineuse  de  ces  fêtes,  et 
annoncent  que,  maintenant,  la  concorde  régnera.  Aussi  vieille 
que  la  littérature  de  cour,  cette  prédiction  ne  leurrait  personne. 


124  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

mais  on  ne  se  fatiguait  ni  de  la  répéter  ni  de  l'entendre.  L'illu- 
sion fait  vivre.  La  réalité,  cette  fois  encore,  devait  démentir 
l'agréable  prophétie,  et  Henri  VIII  allait,  deux  ans  plus  tard 
(29  mai  1522),  déclarer  la  guerre  à  son  bon  frère  du  Camp  du 
drap  d'or.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'avaient  songé  au  bien  public 
lorsqu'ils  s'étaient  reçus  avec  un  tel  faste,  de  si  folles  dépenses, 
tant  de  poudre  aux  yeux.  JMais,  eût-il  senti  le  vide  de  cet  appa- 
rat, il  fallait  que  Marot  eût  l'air  dupe.  Il  se  borna  donc  à  écrire 
ce  qu'aurait  écrit  tout  autre  pensionnaire,  et,  appelant  à  son 
aide  la  mythologie  et  la  rhétorique,  il  plaça  cette  entrevue  d'Ar- 
dres  et  de  Guines  sous  la  présidence  de  tiois  divinités  :  Amour 
Beauté  et  Triomphe. 

160.  Dans  l'année  qui  suivit  cette  parade  royale,  Charles, 
duc  d'Alençon,  obtint,  malgré  son  incapacité  militaire,  le  com- 
mandement d'une  armée  que  l'on  avait  réunie  contre  les  Impé- 
riaux. Les  troupes  en  question,  qu'il  s'agissait  d'exercer  avant 
de  les  conduire  à  la  bataille,  se  trouvaient  concentrées  à  quel- 
ques lieues  de  Sedan,  autour  de  la  petite  ville  d'Attigny,  au 
bord  de  l'Aisne.  Ce  fut  là  que  le  duc,  usurpant  une  fonction 
que  le  connétable  de  Bourbon  aurait  pu  revendiquer,  alla  éta- 
blir son  quartier  général  (15  juin  1521).  Marot,  bien  qu'il  fût 
au  service  plutôt  de  Marguerite  que  de  Charles,  accompagna  ce 
dernier,  et  s'installa  au  camp,  parmi  les  soldats.  Soldat,  lui,  il 
ne  l'était  point,  mais  valet  de  chambre,  courtisan,  poète.  On 
n'exigeait  pas  qu'il  apprît  à  manier  la  demi-pique  ni  l'arque- 
buse. Son  rôle  consistait  à  louer  les  chefs,  à  décrire  les  choses 
qu'il  voyait,  à  prétendre  que  tout  allait  bien.  En  somme,  sa 
situation  rappelait  celle  que  son  père  avait  eue  à  l'époque  où, 
spectateur  des  chevauchées  de  Louis  XII,  il  rédigeait,  pour 
Anne  de  Bretagne,  le  Voyage  de  Gènes,  le  Voyage  de  Venise. 
C'était  un  Voyage  de  Hainaut  qu'il  s'agissait  maintenant  de 
raconter.  Mais  Clément,  qui  aimait  les  œuvres  brèves,  procéda 
autrement  que  Jean  Marot.  Au  lieu  de  composer  une  relation 
complète,  un  bulletin,  étape  par  étape,  de  la  campagne,  il  ne 
consacra  aux  préparatifs  de  la  guerre,  à  la  guerre  elle-même 
que  de  courtes  pièces.  Les  deux  principales  furent,  bien  enten- 
du, adressées  à  M™^  d'Alençon.  Elles  paraissent  plus  soignées 
que  les  autres  ;  mais  c'est  en  vain  qu'on  y  chercherait  l'ordre 
et  la  gravité  de  l'Histoire. 

16L  Le  premier  de  ces  récits  envoyés  à  la  duchesse  se  pré- 
sente sous  la  forme  d'une  jolie  lettre  en  vers  [G.  III,  39].  Le 
but  réel  du  narrateur  est  de  plaire  à  Marguerite  en  lui  repré- 
sentant son  mari  comme  admirable.  Monseigneur,  à  la  vérité, 
n'a  rempoité  aucune  victoire  :  mais  il  a  déjà  conquis...  les  cœurs 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  125 

des  gentilshommes  français.  Le  voilà,  avant  même  qu'il  ait 
déconfit  ses  ennemis,  parvenu  «  en  hault  honneur  et  triumphe 
sublime  ».  C'est  beaucoup,  penseront  les  envieux.  Eh,  c'est  à 
peine  assez,  étant  donnés  les  mérites  de  ce  capitaine  :  il  songe 
à  son  affaire  ;  ni  lui  ni  les  siens  ne  parlent  de  chasse  ni  de  danse, 
mais  seulement  de  salpêtres  et  de  bombardes  ;  il  a  tant  de  bonne 
volonté,  une  âme  si  excellente  que  chacun  se  plaît  à  lui  obéir  ; 
jamais  personne  ne  fut  à  ce  point  «  libéral  et  large  »  ;  grâce  à 
lui  régnent  la  justice,  la  police,  la  consigne,  et,  depuis  «  César 
dict  Auguste  »,  il  n'a  pas  existé  de  plus  équitable  prince...  Marot 
gagne  loyalement  son  argent,  et  l'on  ne  saurait,  à  cinq  sous 
par  jour,  flatter  davantage.  Ce  n'est  pas  cher.  Heureusement 
pour  nous,  l'épître  renferme  autre  chose,  une  partie  descrip- 
tive, un  tableau  de  la  vie  au  camp. 

162.  Qu'ils  étaient  donc  féroces,  les  piétons  et  aventuriers 
de  jadis  !  L'auteur  nous  les  montre  terminant  par  des  luttes  à 
outrance  leurs  moindres  querelles  et,  pour  se  faire  un  peu  la 
main  en  attendant  l'ennemi,  se  massacrant  les  uns  les  autres 
et  «  s' entrenavrant  »  de  façon  étrange.  Afin  de  calmer  cette  ma- 
nie, Charles  le  Juste  décide  que  quiconque  se  battra  en  duel 
aura  aussitôt  le  poing  coupé.  Les  bretteurs,  dès  lors,  se  tien- 
nent tranquilles,  c'est-à-dire  qu'ils  renoncent  à  tirer  le  fer,  et 
se  contentent  de  se  traîner  mutuellement  par  la  barbe  et  les 
cheveux.  Ces  mœurs  nous  donnent  à  réfléchir.  De  tels  sauvages, 
une  fois  licenciés,  vont  devenir  «  les  mauvais  garçons  »,  «  les 
mille  diables  »,  les  compagnons  du  roi  Guillot.  Mais  Marot  ne 
pense  pas  à  demain  ;  il  est  confiant,  optimiste.  D'ailleurs,  lors- 
qu'ils marchent  en  rang  et  sous  l'étendard,  ils  ont  bonne  mise, 
les  soldats-brigands.  Ce  sont  de  fameux  gaillards.  Quelle  «  cor- 
pulence »  !  Quelle  «  facture  »  !  Le  poète  passe  en  revue,  à  la  ma- 
nière homérique,  les  différents  corps  d'armée  :  la  bande  de 
Charles  de  Mouy  composée  d'hommes  «  pompeux  et  diligents  »  ; 
les  «  mille  puissants  souldardz  »  que  mène  en  bel  ordre  Charles 
de  Refuge  ;  les  fantassins  de  Jacques  de  Montgommery,  sei- 
gneur de  Lorges  :  des  gars  superbes,  couverts  de  corselets,  et 
qui  s'avancent  «  roydes  comme  éléphants»...  On  se  sent  réjoui 
quand  on  assiste  aux  manœuvres  de  ces  gens.  Enseignes  dé- 
ployées, la  plume  au  vent  et  les  épées  nues,  ils  défilent  d'une 
fière  allure,  tandis  que  résonnent  les  «  gros  tabours  »,  que  siffle 
le  fifre  aigu,  et  que  les  canons  tonnent  si  fort  qu'on  croirait  à 
un  conflit  de  notre  terre  et  du  ciel. 

163.  Le  spectacle  vaut  bien  qu'on  se  dérange  pour  l'admi- 
rer. Et  donc,  au  petit  pas  de  leurs  mules,  paisibles  montures, 
les   bourgeois   d'Attigny   viennent    contempler   ces   fêtes   mar- 


126  CLÉMENT    AtAROT    ET    SON    ÉCOLE 

tiales.  Clément,  en  un  rondeau[J.  II,  146],  a  raillé  ces  marchands 
et  citadins,  qui,  très  éloignés  d'avoir  l'âme  héroïque,  se  plai- 
saient, parce  qu'on  ne  risquait  rien,  à  des  simulacres  de  ba- 
tailles. Vous  autres,  leur  dit  le  poète,  qui  arrivez  sur  vos  mules 
comme  des  moines  ou  des  capelans,  et  semblez  vous  divertir 

En  cestuy  camp  ou  la  guerre  est  si  doulce, 

vous  seriez,  au  milieu  d'une  véritable  mêlée,  moins  à  l'aise,  et 
penseriez  alors  :  Je  voudrais  être  à  Jérusalem. 

164.  L'armée  royale  une  fois  instruite,  on  se  décida  à  s'avan- 
cer du  côté  de  l'ennemi.  L'heure  n'était  plus  aux  jeux  mili- 
taires, mais  aux  luttes  réelles.  Marot,  qui  savait  son  métier, 
avait,  par  anticipation,  chanté  la  victoire  et  consacré  une  bal- 
lade [J.  II,  71]  aux  futurs  succès  du  «  bon  duc  d'Alençon  ». 
Conduits  par  lui,  nos  soldats  allaient  frapper  d'un  bras  si  ■  gla- 
diatoire  »  et  même  si  «  fulminatoire  »  que  les  Allemands  seraient 
condamnés  à  fondre  ainsi  qu'au  soleil  «  blanche  neige  et  gla- 
çon »...  En  fait,  dès  qu'il  fut  question  d'hostilités  effectives,  le 
duc  Charles  s'effaça,  et  les  opérations  furent  dirigées  par  le 
roi  lui-même,  assisté  de  La  Palisse,  de  La  TrémoïUe  et  du  con- 
nétable. Les  Français  descendirent  l'Escaut  jusqu'à  Bouchain, 
et,  voulant  s'acheminer  vers  Valenciennes,  jetèrent  un  pont  sur 
le  fleuve.  Inutilement,  le  comte  de  Nassau  essaya  de  s'opposer 
au  passage  (mercredi,  23  octobre  1521).  Contraint  de  battre 
en  retraite,  il  aurait  vu,  si  les  nôtres  avaient  osé  poursuivre 
leur  offensive,  se  changer  en  désastre  son  revers.  ]\Iais  François 
l^^,  écoutant  les  timides  conseils  du  maréchal  de  Châtillon, 
laissa  aux  Impériaux,  qu'il  lui  eût  été  facile  d'anéantir  ce  jour- 
là,  le  temps  de  respirer  et  de  se  refaire.  Irréparable  faute.  La 
campagne,  depuis,  traîna  en  longueur,  et  l'on  ne  retira  aucun 
profit  d'un  avantage  qui  aurait  pu  être  décisif. 

165.  Marot,  néanmoins,  tailla  sa  plume,  et  envoya  à  sa  k  sou- 
veraine dame  »  une  épître  en  prose  [G.  III,  53]  tendant  à  exal- 
ter le  roi,  c(  la  rusée  conduicte  »  des  vieux  capitaines  et,  bref, 
«  le  triumphe  gênerai  de  l'armée  gailicane  ».  Elle  n'a  eu,  cette 
armée,  qu'à  paraître  ;  semblable  au  basilic,  elle  a  tué,  d'un  seul 
regard,  le  Hainaut...  Adulation  !  Rhétorique  !  L'auteur  de  ces 
gentillesses  croyait  peu  au  «  triumphe  gênerai  »  qu'il  annonçait. 
Nous  le  voyons,  vers  cette  même  date,  rimer  une  ballade  [J. 
II,  72]  qui  n'est  certes  pas  un  hymne  de  \'ictoire.  La  victoire, 
il  ne  la  célèbre  plus  :  il  l'appelle,  il  la  souhaite,  et,  pour  le  cas 
où  elle  s'abstiendrait  d'accourir,  il  demande,  du  moins,  la  paix. 
A  son  a\-is,  cette  guerre  a  rapporté  moins  d'honneur  qu'elle 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  127 

n'a  causé  de  maux.  Où  sont  les  profits  ?  Il  n'en  sait  rien.  Il 
constate,  par  contre,  que  la  famine  menace  Labeur,  c'est-à-dire 
le  paysan,  l'artisan,  et  que  mainte  dame  pleure  son  mari  qui 
dort  là-bas,  sous  la  terre.  Il  serait  temps  de  noyer  la  Discorde 
et  de  renoncer  à  payer  si  cher  une  gloire  qui  se  fait  tant  atten- 
dre. Ces  vers  reflètent  l'opinion  publique.  Le  roi  s'était  décou- 
ragé, lui  aussi.  Dès  la  fin  de  novembre,  il  se  rendait  à  Compiè- 
gne,  et,  le  9  décembre,  i'  rentrait  à  Paris.  Marot,  je  pense,  revint 
avec  la  cour.  Il  ne  rapportait  ni  trophées  ni  dépouilles,  et  n'avait 
lien  gagné  sur  les  ennemis.  Cela  est  si  vrai  qu'il  lui  fallut,  au 
moment  de  quitter  Reims,  adresser  un  rondeau  à  François  I«^ 
[J.  II,  146]  pour  avoir  de  quoi  se  remettre  en  route.  Sa  mon- 
ture ne  voulait  pas  le  suivre.  Entendez  que  l'aubergiste,  un 
homme  rude,  avait  déclaré  que,  le  voyageur  étant  sans  le  sou, 
il  garderait  le  mors,  la  selle  et,  au  besoin,  le  cheval...  Mais  on 
ignore,  avouons-le,  si  cet  incident  a  eu  lieu  à  l'aller  ou  au  retour. 

166.  Cette  vie  d'aventures  quasi  guerrières  n'avait  pas  empê- 
ché Marot  de  rimer,  pour  le  concours  annuel  ouvert  au  puy  de 
Rouen,  un  chant  royal  à  la  louange  de  l'Immaculée  Concep- 
tion. Jean  Marot,  ayant,  de  son  côté  et  juste  au  même  moment, 
traité  ce  thème  traditionnel,  se  trouva,  en  conséquence,  le  rival 
de  son  fils.  L'un  et  l'autre,  dit-on,  étaient  entrés  dans  la  lice 
afin  de  complaire  à  Guillaume  Crétin  qui,  après  avoir,  en  per- 
sonne et  sans  relâche,  célébré  la  pureté  de  Marie,  poussait  les 
gens  de  lettres  à  aborder  ce  sujet.  Par  là,  on  risquait  d'attra- 
per une  médaille  ou  une  tasse  d'argent,  et  l'on  était  sûr  de  ga- 
gner le  ciel.  Ainsi,  on  faisait,  vaincu  ou  non,  un  bon  placement. 
Mais,  tandis  que  son  père  obtenait  le  double  avantage.  Clé- 
ment n'eut  que  le  profit  spirituel.  En  effet,  le  15  décembre, 
jour  de  la  distribution  des  récompenses,  le  «  prince  »  de  la  pieuse 
confrérie,  F»  honorable  homme  »  Guillebert  Lefèvre,  «  bour- 
geois et  marchant  »  de  Rouen,  adjugea  la  palme,  le  premier 
prix  à  maître  Guillaume  Sber  et  le  second  prix,  le  lis,  à  «  mais- 
tre  Jehan  Marot  ».  Clément  ne  fut  point  couronné  ;  on  ne  lui 
donna  pas  même  un  accessit.  Son  exclusion  nous  paraît  ini- 
que :  les  vers  qu'il  avait  envoyés  étaient  aussi  ridicules  qu'ils 
devaient  l'être  pour  triompher. 

167.  Se  pliant  à  la  désastreuse  règle  palinodique,  il  a  voulu, 
en  son  chant  royal  [J.  II,  80],  expliquer,  au  moyen  d'un  sym- 
bole, la  parfaite  candeur  de  Celle  qui  fut  conçue,  qui  a  conçu 
sans  péché.  Il  ne  se  charge  pas  de  pénétrer  un  tel  mj-stère  :  il 
l'illustre,  il  lui  donne  la  forme  d'une  image  capable,  à  son  avis, 
de  le  rendre  clair...  Et,  d'abord,  un  récit  :  Il  y  avait  une  fois 
un  roi  (quel  roi  ?  on  le  saura  plus  tard)  dont  les  sujets,  enfer- 


128  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

mes  par  l'Ennemi  au  fond  d'une  prison,  y  souffraient  mille 
tortures.  Résolu  à  déli\Ter  ces  captifs,  le  roi  en  question  déclare 
la  guerre  à  leur  geôlier,  et  se  met  aussitôt  en  chemin,  se  diri- 
geant vers  la  Judée.  ]\Iais,  au  préalable  et  pour  avoir  où  loger 
à  son  arrivée  chez  les  Juifs,  il  enjoint  à  ses  fourriers  de  lui  pré- 
parer un  «  exquis  domicile  ».  L'ordre  est  exécuté,  et  le  prince 
trouve,  en  débarquant,  un  beau  pavillon  déjà  tendu,  un  lit 
sous  le  pavillon...  Ici  se  termine  —  laborieux  !  — l'acte  pre- 
mier de  la  pièce.  Le  reste,  tout  le  reste  est  consacré  à  la  pein- 
ture du  lit,  qui  est,  l'auteur  y  insiste,  un  «  lict  de  camp  ». 

168.  Bon  lit,  néanmoins,  et  remarquable.  Les  fourriers  ne 
l'ont  pas  fait  seuls,  et  ont  eu  recours  à  la  collaboration  d'ar- 
tistes très  distingués.  Nature  en  personne  a  fabriqué  le  bois  ; 
«  le  Grand  Ouvrier  »  a  mis  dans  le  coussin  les  plumes  d'une 
colombe  ;  dame  Innocence  a  filé,  de  sa  quenouille,  la  toile  des 
draps  ;  Divinité  a  posé  les  rideaux  ;  le  «  Grand  Pasteur  «,  parent 
fort  proche  du  «  Grand  Ou\Tier  »,  a  offert,  pour  la  couverture, 
la  laine  si  blanche  de  ses  agneaux.  Quant  au  ciel  de  ce  lit,  ce 
n'est  pas  un  ciel  de  lit  comme  on  en  voit  aux  maisons  des  hom- 
mes :  c'est  le  ciel  lui-même,  «  le  hault  ciel  »,  le  ciel  immense, 
lumineux  et  rond.  Bref,  cette  couche  est  à  ce  point  respectable 
que  la  «  vermine  »  n'oserait  l'habiter  et  que  «  l'aspic  hostile  » 
craindrait  d'3'  aller  dormir...  Et  puis  ?  Et  puis,  c'est  tout  ;  c'est 
fini.  L'auteur,  cependant,  demeure  inquiet  ;  il  a  peur  qu'on  ne 
comprenne' pas,  et  se  résout  à  allumer  sa  lanterne.  S'il  nous 
laisse  le  plaisir  de  de\'iner  que  l'Ennemi  représente  le  diable, 
et  que  la  prison  n'est  autre  chose  que  l'enfer,  il  nous  révèle  les 
trois  points  suivants  :  le  roi,  c'est  Dieu  ;  le  pavillon  (pour- 
quoi ?)  figm*e  sainte  Anne  ;  le  lit  de  camp...  eh  bien,  le  lit  de 
camp,  c'est  ^larie.  Jolie  comparaison  appliquée  à  une  vierge  ! 
Voilà,  conclut  l'écrivain,  ce  que  j'ai  inventé  avec  «mon  sens 
puérile  ».  Très  puéril,  assurément.  Le  véritable  miracle,  ce  n'est 
ni  Dieu  ni  ses  fourriers  qui  l'ont  fait,  mais  l'académie  de  Rouen  : 
elle  a  réussi,  en  instituant  un  concours  d'âneries,  à  changer, 
pour  un  instant,  en  sot  un  homme  d'esprit. 

169.  Et  l'on  s'étonne  de  voir  Marot  embarqué  dans  cette 
maudite  galère.  J'observe,  en  effet,  que  plus  le  temps  passe, 
plus  les  gens  de  valeur  s'éloignent  de  ce  puy  d'ignorance.  Les 
listes  de  ceux  qui  ont  cueilli  les  palmes  ou  décroché  les  tim- 
bales de  vermeil  proposées  par  la  \ille  normande  à  l'ambition 
des  lettrés,  ne  contiennent  presque,  durant  le  règne  de  Fran- 
çois I^r,  que  des  noms  obscurs  et  sans  prestige.  Citons,  pour 
mémoire,  en  suivant  l'ordre  alphabétique  :  Baillehache  ;  Robert 
Becquet,  charpentier  du  roi,  auteur,  en  1545,  d'une  ballade  de 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  129 

la  Conception  et,  ce  qui  vaut  mieux,  de  «  la  pyramide  »  de  la 
cathédrale  de  Rouen  ;  Florent  Coppin,  l'un  des  plus  assidus 
au  Palinod  ;  Coquerel  ;  Thomas  Cossart,  qui  concourut  en  fran- 
çais et  en  latin  ;  Léonard  Coste,  qui  présenta  un  chant  royal 
dont  le  refrain  était  :  Femme  entre  les  humains  sans  première 
ou  seconde  !  ;  Jean  Couppel  ;  Jacques  Crespin  ;  Jean  Dufour  ; 
Nicole  Gaudin  ;  Jean  du  Hamel  ;  Raoul  des  Hommets,  auquel 
on  doit  une  pièce  où  l'on  entend,  discutant  ensemble,  Loi  de 
nature,  Loi  écrite,  Loi  prophétique  et  Loi  de  grâce  ;  Pierre  Lan- 
glois  ;  Richard  Louvel  ;  Jacques  et  Joachim  Minfant,  de  Diep- 
pe ;  Louis  Osmont  ;  Martin  Picard  ;  Pierre  le  Roy,  qui  rima, 
outre  un  rondeau  sur  «  le  cèdre,  arbre  aromatisant...  »,  une 
ballade  «  sur  un  chou  qui  ne  fut  point  gelé  »  ;  Jean  Savalle  ; 
Guillaume  de  Senynghen...  Ce  ne  sont  guère  là,  répétons-le, 
que  des  poètes  mineurs,  des  inconnus.  Ils  concoururent,  pour 
la  plupait,  en  1544  et  en  1545.  Le  puy,  à  cette  date,  déclinait 
déjà  ;  sa  meilleure  époque  était  passée,  et  bientôt  Du  Bellay, 
sur  un  ton  hautain,  méprisant,  va  le  mettre  à  l'index,  lui,  ses 
chants  royaux,  ses  ballades  et  toutes  ses  «  episseries  '>. 

170.  Mais  l'institution  a  la  vie  dure.  Quoique  battant  de 
l'aile,  quoique  languissante,  elle  subsiste,  et,  pendant  deux  siè- 
cles, elle  s'acharnera  à  ne  point  mourir.  Seulement,  elle  aura 
beau  convoquer  les  champions,  elle  n'aura  plus  à  couronner 
que  les  Muses  du  département,  des  gens  qui  se  croient  du  génie 
parce  qu'ils  ont  fait  leurs  classes,  les  Orphées  de  la  bourgeoisie 
ou  de  la  magistrature.  Les  lauréats  du  palmarès,  ce  sont  les 
chanoines  de  Rouen,  les  curés  de  Bolbec,  un  tas  de  célestins, 
de  franciscains  ou  d'eudistes,  un  lot  de  jésuites,  ces  messieurs 
de  l'Université  de  Caen  et  bon  nombre  de  régents  de  collège, 
les  uns  en  activité  et  les  autres  émérites.  Quant  aux  sujets  que 
traitent  ces  savants  de  province  et  ce  bataillon  sacré,  ils  ont, 
en  apparence,  «  quelque  chose  de  rare  »,  mais,  au  fond,  ils  va- 
rient peu.  Voici  des  échantillons  :  la  Grenade  ;  le  Papier  ;  l'Ar- 
bre qui  ne  peut  pas  brûler  et,  en  compensation,  le  Buisson  ar- 
dent ;  l'Anatomie  de  l'œil  ;  le  Saxifrage  ;  trois  ou  quatre  Vers 
luisants  ;  item,  le  Ver  à  soie  et  la  Soie  ;  un  bouquet  de  Roses 
de  Jéricho  ;  tout  un  vol  de  Papillons  ;  le  Péché  originel  (1650)  ; 
deux  Scapulaires  ;  un  Arbre  de  l'Ile  de  Fer  ;  «  une  Fontaine 
d'eau  douce  qui  jaillit  à  vingt  coudées  dans  la  mer,  près  la  Ja- 
maïque »  (1669)  ;  beaucoup  de  Vaisseaux  de  saint  Xavier  (une 
vraie  flotte  !)  ;  l'Os  qui  ne  pourrit  pas  dans  le  corps  humain  ; 
■le  Perce-neige  ;  l'Arche  de  Noé  ;  Saint  Polycarpe  ;  une  Croix 
respectée  par  les  flammes  ;  V Ècusson  du  Roi  respecté  du  tonnerre 
à  Moulins  (1681)... 

Clément  Marot  et  son  école  9 


130  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

171.  Et,  autant  qu'autrefois,  sans  pitié  ni  trêve,  l'Imma- 
culée Conception.  —  D'ailleurs,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que 
les  thèmes  énumérés  ci-dessus  fussent  développés  pour  eux- 
mêmes.  Ils  sont,  infailliblement,  allégoriques,  et  l'on  ne  tarde 
pas  à  s'apercevoir,  quand  on  lit  la  Grenade,  le  Ver  à  soie,  l'Arbre 
de  l'Ile  de  Fer,  le  Perce-neige,  l'Os  qui  ne  -pourrit  /)as...,que  cette 
zoologie  et  cette  botanique  tendent  ad  majorent  Dei  gloriam, 
et  que  chacun  des  auteurs  s'est  efforcé  de  découvrir  une  affi- 
nité entre  (authentiques  ou  non)  les  phénomènes  de  la  nature 
et  tel  ou  tel  article  de  la  foi.  Ainsi,  fondées  sur  une  pseudo- 
science, ces  niaiseries  recèlent,  en  outre,  un  enseignement  éso- 
térique,  et,  comme  si  tout  cela  ne  produisait  pas  encore  un  assez 
pesant  ennui,  l'écrivain,  qu'il  soit  professeur,  eudiste  ou  juge 
au  tribunal,  n'use  que  du  style  noble,  de  l'affreux  style  noble 
qui  étale,  d'un  bout  à  l'autre  de  ce  recueil,  ses  grâces  écœu- 
rantes, ses  prétentions,  sa  monotonie.  Le  puy,  en  somme,  était 
devenu  ce  que  les  Jeux  floraux  allaient,  pour  un  temps,  devenir  : 
une  sorte  d'école  où,  sous  prétexte  de  concilier  la  dévotion  et 
le  bel  esprit,  on  parlait  une  langue  artificielle  et  l'on  outra- 
geait le  sens  commun.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  d'étudier,  au  delà 
de  1550,  l'histoire  de  cette  académie  où  ne  parurent  en  trois 
cents  ans  que  deux  vrais  poètes,  Jean  Parmentier  et  Clément 
Marot. 

172.  Ce  dernier,  après  son  insuccès  au  Palinod,  échappe,  pour 
trois  ans,  à  nos  recherches,  et  nous  ne  savons  ni  où  il  résida 
ni  quelles  œuvres  il  a  créées  en  1522-1524.  Il  a  pu  si:ivre,  en 
leurs  si  nombreux  déplacements,  le  duc  et  la  duchesse  d'Alen- 
çon  ;  il  a  pu,  aussi,  ou  ne  pas  les  suivre,  ou  les  suivre  parfois, 
non  toujours.  Rien  ne  serait  plus  facile  que  de  raconter,  pour 
cette  période,  les  voyages  de  Marguerite  et  de  son  mari,  car  la 
correspondance  publiée  par  M.  Génin  fournirait  un  exact  iti- 
néraire. Mais  retrouver,  en  cet  itinéraire,  la  part,  si  j'ose  cire, 
de  Marot,  voilà  ce  que  l'absence  de  toute  mention  le  concer- 
nant ne  permet  pas  d'essaj'er.  De  même,  parmi  les  pièces  de 
lui  qui  se  laissent  dater  sûrement,  aucune  (ou  presque  aucune) 
n'appartient  à  l'époque  en  question.  Il  a  dû,  pourtant,  travail- 
ler, produire.  Il  y  a  lieu  de  conjecturer  que  certains  de  ses  vers 
d'amour  ont  été  composés  alors,  mais  on  ne  parvient  guère  à 
les  distinguer  de  ceux  qu'il  rima  plus  tard.  Lorsque,  en  consé- 
quence, on  aura  signalé,  comme  écrites  en  ces  trois  ans,  quel- 
ques épitaphes,  celles,  par  exemple,  de  Christophe  de  Longueil 
(t  Padoue,  11  septembre  1522)  et  de  Claude  de  France  (juillet 
1524),  il  faudra  passer  directement  à  1525. 

173.  Ce  fut  le  24  février  de  cette  année-là  qu'eut  lieu  le  désas- 


CLÉMENT    MAfiOT    ET   SON    ÉCOLE  131 

tre  de  Pavie.  Tous  les  biographes  de  Marot  ont  cru,  et  moi  avec 
eux  [I,  §  502],  qu'il  avait  assisté  à  cette  bataille  et  même  qu'il 
y  avait  été  blessé.  Cette  erreur,  s'il  y  a  eneur,  n'est  pas  sans 
excuse,  puisque  Clément,  en  sa  première  Élégie  [J.  II,  5],  dé- 
clare, s' adressant  à  une  «  dame  chérie  »,  non  seulement  qu'il 
fit  son  devoir  en  cette  rigoureuse  journée,  mais  encore  qu'il  eut 
le  bras  gauche  percé  «  tout  oultie  »,  très  «  rudement  »,  et  qu'il 
se  vit,  «  avec  le  Roy  son  maistre  »,  conduit  en  captivité.  Quoi 
de  plus  clair,  de  plus  décisif  ?  Cependant  M.  Becker,  soumettant 
ce  texte  à  une  critique  pénétrante,  arrive  à  se  persuader,  à  nous 
persuader  aussi  que  l'auteur  ne  parle  pas  ici  pour  son  propre 
compte,  mais  qu'il  prête  —  chose  assez  ordinaire  —  sa  plume, 
son  talent  à  l'un  des  gentilshommes  de  l'armée.  Cette  opinion 
s'appuie  sur  trois  motifs  qui  ne  sont  pas  sans  valeur.  Je  rap- 
pelle, d'abord,  que  les  gens  de  lettres  accompagnaient  leurs 
patrons  à  la  guerre  comme  témoins  et  non  comme  acteurs,  en 
sorte  qu'il  paraît  douteux  qu'un  poète  ait  eu  à  «  manier  la  lan- 
ce ».  D'autre  part,  si  c'était  lui-même  qui  eût  été  fait  prisonnier, 
on  l'aurait  tout  aussitôt  relâché,  attendu  que,  peu  après  leur 
victoire,  les  ennemis  ordonnèrent  de  «  vuider  le  camp  »  à  qui- 
conque ne  pouvait  payer  rançon.  Enfin,  le  personnage  qui  envoie 
l'Élégie  à  son  amante  lui  dit  qu'il  ne  veut  pas  s'appesantir  sur 
le  récit  de  la  catastrophe,  et  qu'il  préfère,  pour  dissiper  un  si 
cruel  souvenir  : 

Voiler  en  plaine  et  chasser  en  forests, 
Descoupler  chiens,  tendre  toilles  et  rhetz. 

Or,  qui  a  le  droit  de  prétendre  à  de  tels  divertissements  ? 
Est-ce  un  valet  de  chambre  aux  gages  infimes,  le  fil?  de  Jean 
Marot,  ce  pauvre  diable  ?  Ou,  plutôt,  ne  serait-ce  pas  quelque 
gros  seigneur  terrien,  possédant  de  grands  bois  patrimoniaux, 
des  veneurs  et  une  meute  ? 

174.  Ces  arguments  valent,  je  le  répète,  qu'on  ne  les  rejette 
pas  à  la  légère,  et  s'il  est,  certainement,  pénible  de  priver  l'écri- 
vain de  ce  coup  de  «  haquebute  »  qui  l'aurait  si  glorieusement 
«  navré  »,  peut-être  sera-t-il  plus  raisonnable  de  se  résigner  à 
perdre  cette  illusion.  La  légende  est  plus  belle,  plus  riche  que 
l'histoire,  mais,  néanmoins,  il  importe  de  la  sacrifier,  tant  la 
moindre  vérité  a  de  prix  !  Avouons  donc  qu'il  n'est  pas  évident, 
qu'il  n'est  pas  prouvé  que  Marot  ait  combattu  à  Pavie.  Rien 
n'empêche  de  croire  qu'il  se  trouvait,  tandis  que  se  jouait  le 
terrible  drame,  tranquillement  à  Lyon  avec  les  dames  de  la 
cour,  la  duchesse  Marguerite.  Son  repos,  d'ailleurs,  ne  devait 


132  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

pas  durer  ;  l'heure  du  péril,  pour  lui  aussi,  était  assez  proche, 
et  il  allait  connaître,  quelques  mois  après  son  retour  à  Paris, 
des  épreuves  moins  nobles  mais  plus  redoutables  que  celles  de 
la  guerre. 

BIBLIOGRAPHIE    ET   RÉFÉRENCES 

130.  C'est  Sagon  qui  nous  apprend  que  Jean  Marot  [cf.  G.  r,  3]  avait  été,  à  Caen, 
marchand  de  bonnets.  Il  ajoute  même  (mais  son  odieuse  malveillance  nous  rend  suspec- 
tes toutes  ses  allégations)  que  les  affaires  ne  marchaient  pas  fort,  et  que  la  corporation 
des  bonnetiers  «  révoqua  »  à  la  fia  ce  confrère  maladroit. 

131.  <[  Notez,  jeunes  gens  !  »  Cf.  G.  III,  363,  n.i. 

132.  Pasquier,  Rech.  de  la  Fr.,  VII,  V.  [Joachim  Du  Bellay  songe  à  Marot  lorsqu'il 
écrit  :  k  Qu'on  ne  m'allègue  point...  quelques-uns  des  nostres,  qui  sans  doctrine,  à  tout 
le  moins  non  autre  que  médiocre,  ont  acquis  grand  bruyt  en  nostre  vulgaire...  Je  sçay 
bien  que  les  sçavans  ne  les  mettront  en  autre  ranc  que  de  ceux  qui  parlent  bien  fran- 
çoys,  et  qui  ont...  bon  esprit  mais  bien  peu  d'artifice.  »Dt;/.  e////.  [Chamard],  196-7.]^ 
«  Quant  a  moy,  je  dy  bien  souvent  j  que  Marot  n'est  pas  si  sçavant  |  que  Sagon  en 
langue  latine.  |  Aussi  la  veine  sagontine  |  N'a  la  doulceur  de  nostre  langue,  1  Soit  en 
epistre  ou  en  harangue,  ]  Telle  que  Marot...  ï  (G.  III,  572,  n.  i.)  Cet  avis  est  partagé 
par  un  autre  rimeur  qui  se  cache  sous  le  pseudonyme  de  Nicole  de  Glotelet.  Il  apos- 
trop  le  Sagon,  et  lui  demande  :  «  Est-il  requis  par  quelz  motz  on  exprime  1  ung  bon 
sçavoir  ?..,  «Réponds  à  cela,  «  mordant  mastin  »  !  [Revue  d'hist.  litt,  de  la  Fr.,  1894, 
p.  122.)  —  «  Marotus  latine  nescivit.  »  Ces  mots  bien  des  fois  cités  [voir,  par  exemple, 
G.  1 1,  20,  n.  i]  se  trouvent  dans  une  lettre  de  Boissonné  (Chambéry,  i*'  mars  1547). 

133.  Parlant  de  sa  traduction  de  VEgh^ue  1  de  Virgile,  Marot  observe  qu'il  l'a  «  trans- 
latée... en  grande  jeunesse  »,  et  il  ajoute  :  «  comme  pourrez  en  plusieurs  sortes  con- 
gnoistre,  mesmement  par  les  couppes  féminines,  que  je  n'observois  encor  alors, 
dont  Jehan  I.emaire  de  Belges  (en  les  m'aprenant)  me  rcprint  ».  (J.  IV,  189.) 

\34.  Nicolas  de  Neufville:  et.  Anselme  {172S),  IV,  639;— G.  I,  20  et  II,  61-62,  le  texte 
etlesuotes;  —  Becker,  Marots  Leben  [ZeitschriH  fur  fy.  Spr.  u.  Litt.,  XLI,  189). 

136.  G.  11,286-7;  IIî,  98. 

143.  Cy  commence  listoyre  du  vaillant  cheualier  Pierre  de  Prouence  et  de  la  belle 
Maguelonne  fille  du  roy  de  Xaples.  —  Cy  finist  le  Hure  du  noble  filz  du  conte  de  Pro- 
wnce...  Et  fut  acheue  le  mardi  VI  iour  de  ianuier.  L'an  mil  quatre  cens  quatre  vintz  et 
dix  {V.  S).  Petit  in-40  goth.  de  35  ff.  avec  figures  sur  bois.  (On  connaît  plusieurs  édi- 
tions antérieures,  mais  celle-ci  est  la  première  qui  soit  datée.  Le  romana  été,  ensuite, 
réimprimé  et  traduit  bien  des  fois.) 

143.  G.  II,  94-5  ;  82  ;  79  ;  91  ;  83  ;  86-93. 

155-157.  G.  111,24-33- 

156.  Les  Poésies  de  Guill^iutne  Crétin  [1723],  pp.  182-4. 

157.  Sur  Antoine  Raffin,  Cf.  G.  III,  32,  n.  i  ;  Becker,  Zeitschrift  fur  fr.  Sp.  u.  Litt., 
XLI,  197,  n.  10  ;  J.  II,  134.  —  Gages  de  Marot  :  Comptes  de  Louise  de  Savoie  et  de  Mar- 
guerite d'Angottléme  publiés  par  A.  Lefranc  et  J.  Boulenger  (Paris,  Champion,  1905). 
pp.  54  et  65. 

166.  G.  I,  65-66. 

169-170.  Voiries  références  des  §§85-87  du  t.  I. 

172.  Christophe  de  Longueil  :  J.  II,  222  ;  Claude  de  France  :  Ibid.,  223.  Je  rappelle 
que  Jean  Marot  a  écrit  une  déploration  et  une  épitaphe  de  la  reine  Claude  [  I,    §   500]. 

173.  Becker,  Zeitschrift  fiir  fr.  Spr.  m.  Litt.,  XLI,  203-5.  —  Sur  les  prisonniers  que 
les  Impériaux  jetèrent  hors  de  leur  camp,  cf.  G.  I,  87. 


II 

LES    PRISONS    DU    POÈTE 
ET    SON    ENTRÉE    AU    SERVICE   DU   ROI 


175.  Épitaphes  de  François  d'Allègre  et  de  Guillaume  Crétin.  — 
176.  Chanson  de  Marot  contre  une  maîtresse  inconstante.  — 
177-178.  Dénoncé  par  elle  (mais  qui  était-elle  ?),  il  se  voit  con- 
duit au  Châtelet.  —  179-180.  Gravité,  en  ce  temps,  du  crime 
dont  on  l'accuse  :  il  a  rompu  le  carême.  —  181-183.  Pourquoi 
l'a-t-il  rompu  ?  —  184-186.  Ses  complices.  —  1S7-188.  Sa  posi- 
tion, pour  deux  raisons,  est  très  périlleuse.  —  189.  //  compare 
à  l'enfer  le  Châtelet.  —  190-191.  Minos  ci  Rhadamante  :  Jean 
de  la  Barre  (?)  et  Jean  Morin.  —  192.  Épître  au  docteur 
Bouchart.  —  193-196.  Lyon  Jamet  ;  son  rôle  dans  cette  affaire. 
—  197-198.  Intervention  de  Louis  Guillard  :  le  poète  est  trans- 
féré à  Chartres.  —  199.  François  I^^  ordonne  sa  mise  en  liber- 
té. —  200-202.  Quoique  relâché,  il  n'est  pas  absous.  Ni  ses 
ennemis  ni  lui-nh'me  ne  songent  à  désarmer.  —  203.  Mort  de 
Jean  Marot  ;  Clément  demande  à  lui  succéder,  et  obtient  une 
promesse  formelle.  —  204-205.  Mais  on  oublie  d'inscrire  son 
nom  sur  l'état,  et  il  adresse  une  plainte  au  roi.  —  206-207. 
Marot  obtient  un  acquit  de  comptant.  —  208-209.  Démarches 
auprès  du  chancelier  et  du  trésorier  :  ils  finissent  par  consentir 
l'un  à  sceller,  et  l'autre  à  payer.  —  210-211.  L'écrivain  arrive, 
non  sans  peine,  à  figurer  sur  les  rôles  de  la  maison  royale.  — 
212-217.  Jacques  de  Beaune,  seigneur  de  Semblançay,  et  les 
vers  que  son  supplice  a  inspirés  à  Marot.  —  218.  Il  a  eu,  en 
cette  circonstance,  l'honneur  de  ne  pas  se  montrer  courtisan.  — 
219-222.  Détenu  à  la  Conciergerie,  il  ne  reste  en  prison  que  peu 
de  jours.  —  223-225.  Mort  et  Déploration  de  Florimond  Ro- 
bertet.  —  226.  Les  deux  chants  de  l'Amour  fugitif.  ■ —  227.  Le 
mariage  de  Renée  de  France  ;  épithalame  qui  lui  est  offert. 

175.  Parmi  les  poèmes  que  Marot  a    composes  en  1525,  on 
peut  citer  quelques  épitaphes,  celles,  notamment,  de  François 


134  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

d'Allègre,  seigneur  de  Précy,  chambellan  du  roi,  grand  maître 
des  eaux  et  forêts  [J.  II,  224],  et  de  Guillaume  Crétin  [Ihid.. 
229].  La  première,  simple  résumé  biographique,  est  en  vers 
alexandrins,  et  nous  prouve  que  l'auteur  ne  savait  pas  se  ser- 
vir de  ce  mètre.  Rien  de  plus  prosaïque,  en  effet,  que  les  louan- 
ges posthumes  de  ce  gentilhomme 

Qui  soubz  Charles  huictiesme  a  Naples  se  trouva... 
Et  en  tous  les  perilz  et  grans  guerres  d'adoncques 
Alla  et  retourna  sans  reproches  quelzconques. 

Et  il  faut  avoir  bien  besoin  d'un  mot  qui  rime  avec  paradis 
pour  se  résigner  à  écrire  que  François  d'Allègre  «  mourut  aagé 
d'ans  soixante  cinq  et  dix  ».  —  Quant  à  la  seconde  épitaphe, 
calquée  sur  divers  modèles  antiques,  elle  se  borne  à  constater 
que  feu  Guillaume  Crétin  n'est  pas  honoré  par  son  tombeau, 
puisque  son  tombeau  «  n'est  ne  painct,  ne  poly,  ne  doré  »,  mais 
que  c'est,  au  contraire,  maître  Guillaume  qui  illustre  la  pierre 
dont  il  est  couvert.  Que  la  terre  se  contente  de  posséder  le  corps  ! 
Elle  n'aura  pas  les  œuvres...  Vieille  idée  et  peu  intéressante 
par  elle-même.  L'éloge,  toutefois,  semble  sincère,  et  ce  n'est  pas 
avec  ironie  que  les  travaux  du  pauvre  rhétoriqueur  maniaque 
nous  sont,  ici,  donnés  comme  une  «  chose  éternelle  ». 

176.  En  cette  année  1525,  Marot  a  dû,  outre  ces  pièces  funè- 
bres, rimer  aussi  quelques  vers  pour  et  puis  contre  une  maî- 
tresse qu'il  avait  alors.  11  y  a  des  raisons  de  croire,  sans  qu'on 
puisse  l'afhrmer,  qu'elle  s'appelait  Isabeau.  On  a  essayé  de 
connaître  les  noms  de  son  mari  et  de  son  père.  En  vain.  Cette 
enquête,  jusqu'à  présent,  n'a  fourni  aucun  résultat  accepta- 
ble ;  le  problème  reste  ouvert,  et  nous  ne  savons  rien  de  cette 
femme,  sinon  que  son  cœur  était  «  muable  »,  et  que  ses  infidé- 
lités rendaient  le  poète  malheureux.  A  la  longue,  il  se  fatigua, 
s'indigna,  et,  selon  la  méthode  des  gens  de  lettres,  crut  adoucir 
sa  peine  en  l'exprimant.  Il  fit  donc  une  chanson  [J.  II,  183]  ou, 
mieux,  une  chansonnette,  deux  petites  strophes  pas  trop  mé- 
chantes, modérées.  Après  un  début  fondé  sur  un  jeu  de  mots 
populaires  : 

Ma  dame  ne  m'a  pas  vendu, 

Elle  m'a  seulement  changé,... 

il  explique  ce  changement  au  mo^^en  d'un  symbole.  Celle  qui 
l'a  trahi  est  incapable  de  se  tenir  à  une  même  couleur  :  le  noir 
lui  plaît,  ensuite  le  blanc  ;  elle  ne  souffre  «  bleu  ny  orengé  »,  et, 
bref,  ce  qu'elle  préfère,  c'est  la  teinte  changeante,  «  couleur 
infâme  ».  L'adjectif  est  rude,  mai.«,  à  cela  près,  on  ne  trotive. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  135 

en  ces  couplets  si  brefs,  nul  déchaînement  de  rage,  rien  de  bien 
amer,  rien  d'outrageant.  Il  y  a  un  abîme  entre  cette  mélancolie 
voisine  du  badinage  et  les  invectives,  les  anathèmes,  les  cris  de 
colère  de  nos  lyriques  dès  que  les  a  quittés  une  Dali  la.  On  ne 
peut  rompre  avec  moins  de  bruit.  L'amant  d'hier  garde  le  sou- 
rire ;  il  s'en  va  sans  taire  claquer  la  porte,  et  n'use  pas  du  droit 
qu'il  aurait  de  se  répandre  en  imprécations. 

177.  Et,  pourtant,  ce  fut  à  cause  de  cette  chanson  peu  cruelle 
que,  brusquement,  fut  incarcéré  Marot  (février  1526).  Une  demi- 
douzaine  de  «  pendars  »,  c'est-à-dire  de  sergents,  envahirent  en 
plein  jour  son  domicile.  Le  chef  de  la  bande,  «  un  gros  pail- 
lard »,  cria  :  «  Voilà  Clément  !  Prenez-le  !  »  On  s'empara  de  lui 
aussitôt,  et  on  le  conduisit  au  Châtelet  [J.  II,  78].  Il  devina 
d'où  venait  le  coup,  et  reconnut  la  main  d'Isabeau  (?).  Par  deux 
fois  il  a  avoué  que,  s'il  avait  tenu  secrets  les  caprices  de  la  belle, 
il  eût  évité  cette  affaire,  la  prison,  un  procès  qui  risquait  de 
le  mener  loin.  Dans  la  ballade,  d'abord,  où  il  raconte  son  arres- 
tation, il  l'attribue  expressément  «  a  s'amye  »  qui  voulait  se 
venger  et  le  punir  d'avoir  rendu  notoire  son  inconstance.  Puis, 
au  cours  d'un  Coq-à-l'âne  [G.  III,  233],  non  seulement  il  indi- 
que le  rapport  qui  existe  entre  son  séj  our  au  Châtelet  et  la  pièce 
relative  à  sa  volage  maîtresse,  mais  il  cite  le  commencement 
de  cette  pièce  :  Ma  dame  ne  m'a  pas  vendu...  Il  ajoute  peu  après 
qu'on  a  tort  de  courroucer  les  fées,  attendu  que 

Toutes  choses  qui  sont  coiffées 
Ont  moult  de  lunes  en  la  teste. 

Les  «  choses  qui  sont  coiffées  »,  c'est  la  gent  qui  porte  coiffe, 
les  femmes.  Et  elles  ont  «  moult  de  lunes  en  la  teste  »  parce 
qu'elles  sont  sujettes  à  varier  comme  la  lune,  lunatiques,  sou- 
vent mal  lunées,  fantasques.  Cela  étant,  pourquoi  ne  pas  bap- 
tiser <(  Luna  )j  une  personne  aux  goûts  instables,  ce  compagnon 
dont  le  cœur  n'est  pas  sûr  ?  Marot,  en  son  Enfer  [G.  II,  161],  use 
de  ce  terme  imagé  lorsque,  rappelant  aux  lecteurs  ce  qu'il  a 
souffert,  il  leur  dit  : 

Bien  avez  leu,  sans  qu'il  s'en  faille  un  A, 

Comme  je  fu,  par  l'instinct  de  Luna, 

Mené  au  lieu  plus  mal  sentant  que  soulphre. 

178.  Cette  «  Luna  »  a  beaucoup  étonné  les  érudits,  et  ils  ont 
interprété  le  mot  de  différentes  façons.  «  Luna  »,  prétendent  les 
uns,  c'est  la  Sorbonne.  Non,  répondent  les  autres,  «  Luna  », 
c'est  la  lune.  A  quoi  ils  ajoutent  :  Or,  la  lime,  n'est-ce  pas  Diane, 


136  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

et  de  quelle  Diane  serait-il  ici  question,  sinon  de  Diane  de  Poi- 
tiers ?  Constructions  habiles,  fragiles.  Marot,  quand  il  a  voulu 
parler  de  la  Sorbonne,  n'a  jamais  eu  recours  à  l'allégorie.  Quant 
à  faire  de  lui  l'amant  de  celle  qui  deviendra,  un  jour,  plus  que 
reine,  c'est  prêter  de  trop  hautes  relations  à  un  valet  de  cham- 
bre. Laissons  à  Ruy  Blas  de  telles  fortunes.  «  Luna  »  ne  repré- 
sente ni  la  Sorbonne,  dont  la  sottise  était  sans  phases  comme 
sans  éclipses,  ni  certes,  Diane  de  Poitiers.  «  Luna  »,  c'est  sim- 
plement la  femme  qui  change  et  trompe  ;  c'est  une  quelconque 
Isabeau. 

179.  Mais  cette  dénonciation  qui  conduisit  l'écrivain  au  Châ- 
telet  sur  quoi,  enfin,  portait-elle  ?  Il  nous  l'explique  de  façon 
très  claire  :  la  dame  qui,  d'abord,  l'avait  changé  sans  le  vendre 
et  qui,  cette  fois,  ne  l'a  que  trop  vendu,  s'est  avisée  de  tenir 
«  parlement  a  je  ne  sçay  quel  papelard  »  et  de  lui  révéler  que 
maître  Clément  avait  mangé  du  lard  en  carême  [J.  II,  77].  Si 
c'est  là  un  crime,  tant  d'entre  nous  le  commettent  aujourd'hui 
qu'il  a  beaucoup  perdu  de  sa  noirceur,  et  qu'on  se  refuse  à  pren- 
dre une  pareille  inculpation  au  tragique  ou  même  au  sérieux. 
]\Iais  il  n'en  allait  pas  ainsi  au  XVI^  siècle.  Le  cas  de  Marot 
était  un  mauvais  cas.  Pour  n'avoir  pas  fait  maigre  en  temps  dû, 
c'était  sa  vie  que  l'on  risquait,  et  la  foule  des  fidèles  vous  con- 
sidérait comme  un  monstre.  Quiconque  voudra  regarder  ces 
choses  du  point  de  vue  actuel  n'y  entendra  jamais  rien  :  il  faut 
les  replacer  dans  leur  milieu  et  montrer,  par  des  exemples, 
combien  nos  pères  respectaient  les  jeûnes  fixés  par  l'Église 
et  ce  qu'ils  pensaient  des  gens  —  fort  rares  —  qui  ne  jeûnaient 
pas. 

180.  Joinville  raconte  qu'il  lui  arriva,  étant  prisonnier  en 
Egypte,  de  recevoir,  tandis  qu'il  dînait,  la  visite  d'un  bourgeois 
de  Paris.  Celui-ci,  à  peine  entré,  s'écria  :  «  Sire,  que  faites-vous  ? 
—  Que  faiz-je  donc  ?  feiz-je.  —  En  nom  Dieu,  fist-il,  vous 
mangez  char  au  vendredi  ?  )>  Voilà  le  dîneur  tout  bouleversé. 
D'un  geste  brusque,  il  honte  son  escuèle  arières,  ensuite  il  pro- 
teste qu'il  n'a  enfreint  la  règle  que  par  ignorance  et  qu'il  ne 
l'a  pas  ((  fait  a  escient  )>.  Cependant,  la  pureté  de  son  intention, 
si  elle  le  rassure  à  demi,  ne  le  décide  pas  à  s'estimer  innocent  : 
il  veut  réparer  ;  il  trouve  juste  de  se  punir,  et  se  condamne, 
pour  «  touz  les  vendredis  de  quaresme  après  »,  à  jeûner  «  en 
pain  et  en  j^aue  ».  —  Passons  à  un  texte  plus  récent  (1432- 
1444).  L'auteur  du  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne 
de  Charles  VII  relate  à  chaque  instant,  avec  une  indignation 
bien  naturelle,  les  excès,  la  tyrannie,  les  actes  abominables, 
«  énormes  »  des  Ecorcheurs.   Il  les  appelle  des  loups  enragés. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  137 

énumère  leurs  maies  œuvres  :  marchands  mis  à  rançon,  voya- 
geurs tellement  dépouillés  qu'ils  demeurent  nus,  filles  et  non- 
nains  violées,  prud'hommes  enfermés  dans  des  huches,  récoltes 
livrées  aux  flammes,  enfançons  ravis  à  leurs  mères...  Est-ce 
là  tout  ?  Non.  Après  nous  avoir  montré  de  quoi  étaient  capa- 
bles ces  «  murdriers  »,  ces  «  boute-feux,  efforceurs  de  touttes 
femmes  »,  l'annaliste  parisien  va  leur  imputer  un  forfait  nou- 
veau :  «  Item...  y>  Cet  item  est  admirable  !  «  Item,  ils  mangeoient 
char  en  Karesme,  fromaige,  lait  et  œufs  comme  en  autre  temps.  » 

181.  Notre  homme  range  sur  un  même  plan  pillage,  incendie, 
assassinat  et  le  péché  de  non-abstinence.  Le  document  a  son 
intérêt  :  il  prouve  que  Marot,  avec  son  lard,  (ne  prenez  pas  le 
mot  au  sens  propre  ;  «  manger  le  lard  »  signifie  «  faire  gras  ») 
a  dû  causer  un  scandale  horrible...  Soit  !  Mais  ce  lard,  l'a-t-il 
mangé  ?  A-t-il,  devant  témoins,  vraiment  rompu  le  carême  ? 
—  Il  n'en  faut  pas  douter  un  seul  instant,  et  il  ne  reste  qu'à  se 
demander  comment  le  poète  a  pu  vouloir,  au  risque  d'ameuter 
l'opinion,  d'être  brûlé  ou  pendu,  transgresser  une  loi  à  laquelle 
le  monde  catholique  se  pliait.  Était-ce  gourmandise  ?  Évidem- 
ment non.  Un  gourmand  se  serait  caché.  Et  puis,  à  ce  prix-là, 
existe-t-il  des  gourmands  ?  La  raison  qui  a  décidé  Marot  à  bra- 
ver l'un  des  dix  commandements  de  l'Église  est  moins  vulgaire. 
Il  faisait,  par  ce  repas  qui  lui  causa  tant  d'ennuis,  une  sorte 
de  profession  de  foi  ;  il  s'avouait  ou  Réformé  ou  sur  le  point 
de  le  devenir.  Cet  épisode,  bien  qu'il  en  ait  toujours  parlé  sur 
le  ton  de  la  plaisanterie,  marque  une  date  capitale  de  son  his- 
toire. Dès  ce  moment,  il  n'appartient  plus  à  l'Église  romaine  : 
il  compte  parmi  les  dissidents,  et,  à  supposer  qu'il  n'ait  pas 
encore  entièrement  adhéré  à  leur  credo,  il  ressent  au  moins, 
pour  eux,  une  vive,  une  agissante  sympathie. 

182.  Les  luthériens,  en  effet,  sans  nier  les  avantages,  la  beau- 
té, si  l'on  veut,  de  l'abstinence,  n'approuvaient  nullement  qu'on 
fût  contraint,  à  jour  fixe,  de  la  pratiquer,  ni  qu'on  forçât  les 
chrétiens  à  choisir  entre  la  mort  suivie  de  l'enfer  et  l'exercice 
intermittent  de  cette  vertu.  Voici,  à  cet  égard,  l'opinion  du  do- 
minicain Aimé  Meigret,  qui  avait  plutôt  la  robe  que  l'esprit 
de  son  ordre  :  «  Jeûner,...  ne  manger  chair  le  vendredy...  sont 
d'elles  mesmes  très  belles  choses.  Mais  qui  les  nous  commande 
sur  peine  d'éternelle  damnation...  nous  oste  la  liberté  que  Jésus 
Christ  nous  a  donnée,  et  nous  mect  en  intolérante  servitude.  » 
Chacun,  selon  ce  que  lui  suggère  sa  conscience,  peut  donc  jeû- 
ner ou  ne  pas  jeûner.  Celui  qui  jeûne  a  raison  ;  celui  qui  ne  jeûne 
point  n'a  aucun  tort.  Le  jeûne  n'est  pas  «  de  praecepto  ».  Sa- 
luons ici  l'âge  d'or  du  protestantisme.  Le  temps  viendra  bien- 


138  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

tôt  OÙ  la  grâce  écrasera  de  nouveau  la  liberté,  et  où,  renonçant 
à  combattre  Érasme  avec  de  bonnes  et  loyales  laisons,  Luther 
finira  par. dire  (1528)  :  «  Je  rejette  et  condamne  comme  pure 
erreur  toute  doctrine  qui  parle  du  libre  arbitre.  »  Aimé  Meigret 
était  plus  humain.  Il  comprenait  que  la  qualité  des  «  œuvres  » 
varie  avec  les  causes  qui  les  déterminent,  et  que  «  mérite  «  et 
«  servitude  »  ne  peuvent  j  amais  aller  ensemble.  Cette  idée  sem- 
blait trop  juste  pour  ne  pas  se  répandre  peu  à  peu.  On  pressent 
les  conscquences.  La  question  du  carême,  notamment,  va  se 
présenter  sous  un  jour  imprévu,  et  il  ne  s'agira  plus  de  savoir 
si  l'on  apprêtera,  avec  ou  sans  lard,  les  pois  gris  chers  à  Qua- 
resmeprenant,  seigneur  de  l'île  de  Tapinois,  mais  s'il  faudra, 
en  ce  qui  concerne  la  pénitence,  les  mortifications,  suivre  sa 
volonté  propre  ou  bien  obéir  au  prêtre. 

183.  Cela  posé,  l'acte  de  maître  Clément  reprend  son  véri- 
table sens,  et  l'on  est  conduit  à  avouer  que  le  poète  n'a  pas 
dû  faire  gras  par  haine  du  maigre  ni  s'attabler,  à  portes  closes, 
devant  des  aliments  défendus.  Ce  repas  qu'on  lui  reprochait 
ayant,  je  le  répète,  le  caractère  d'une  manifestation,  il  en  ré- 
sulte que  le  coupable  n'a  commis  son  crime  ni  à  la  dérobée, 
ni  seul.  Sagon,  qui  détaille  avec  joie  et  colère  les  imprudences, 
les  infortunes  de  Marot,  lui  rappelle  qu'il  mangeait 

en  karesme  du  lard, 
Non  pas  caché,  mais  devant  tout  le  monde. 

Et  voilà  poiu"  la  publicité.  Quant  aux  «  complices  »,  ils  nous 
sont  connus.  Ce  n'est  pas  que  nous  les  trouvions  cités  dans  les 
documents  relatifs  au  procès  de  1526  :  mais  il  a  été,  ce  procès, 
repris,  réveillé  en  1532,  et,  cette  fois,  on  nous  livre  le  nom  des 
personnages  qui  avaient  eu,  en  un  temps  d'abstinence  univer- 
selle, l'audace  ou  le  courage  d'organiser  ces  agapes  en  l'honneur 
du  libre  arbitre,  ce  banquet  de  protestation.  Les  convives,  sans 
doute,  étaient  nombreux.  Six,  au  moins,  furent  poursuivis, 
savoir  :  Laurent  et  Louis  Meigret,  Mery  Deleau,  André  Leroy, 
Clément  Marot  et  ^Martin  de  Villeneuve. 

184.  Quelques-uns  de  ces  noms  ne  nous  disent  rien  ou  pres- 
que rien.  Par  contre,  les  Meigret  ont  une  histoire,  et  forment 
un  groupe  qu'on  aimerait  à  étudier.  Antoine  Meigret,  qui  vivait 
à  Lyon,  eut  plusieurs  fils.  Lambert,  que  ]\L  Guiffrey  donne 
comme  l'aîné,  obtint  les  charges  de  conseiller  du  roi  et  de  con- 
trôleur général  des  guerres.  C'étaient  là  des  places  très  envia- 
bles :  mais  il  faut  croire  qu'il  songea  beaucoup  moins  à  con- 
trôler qu'à  s'enrichir,  car  il  fut,  en  1528,  «  condamné  en  quinze 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  139 

mil  livres  »  et  mis  en  prison.  Délivré,  il  s'expatria,  et  mourut  à 
Soleure  le  14  juin  1533. — Jean  Meigret  (f  1557),  conseiller 
puis  président  à  mortier  au  parlement,  rendit  d'assez  notables 
services,  et  eut  une  carrière  brillante.  Pourtant  la  fatalité,  qui 
avait  prédestiné  les  membres  de  cette  famille  à  être  incarcérés 
tour  à  tour,  ne  l'épargna  pas  non  plus,  et,  pour  être  allé,  «  sans 
le  congé  du  Roy  «,  recueillir  l'héiitage  de  Lambert,  il  logea  un 
certain  temps  au  Châtelet.  —  Louis  Meigret,  frère,  je  pense, 
des  précédents,  n'a  laissé  aucune  trace,  et  s'il  n'avait  été  impli- 
qué dans  le  procès  fait  à  Marot,  on  ignorerait  son  nom. 

185.  Laurent,  en  revanche,  qu'on  appelait  ironiquement  le 
Magnifique  (Lorcnzo  il  Magnifico),  a  eu,  mais  plutôt  en  mal 
qu'en  bien,  une  petite  réputation.  Valet  de  chambre  du  roi, 
alchimiste  à  ses  heures  [J.  III,  61],  il  ne  cachait  guère  ses  ten- 
dances luthériennes,  et  ne  connaissait  point  de  jours  maigres. 
Cela  lui  valut,  en  mai  ou  en  juin  1532,  d'être  arrêté  à  Château- 
briant  et  conduit  à  Paris.  Son  affaire  eut  une  pénible  issue.  Le 
30  août  1534,  on  amena  le  pauvre  Magnifique  au  parquet  civil 
de  la  cour,  sur  la  pierre  de  m.arbre,  puis  «  devant  la  grande  église 
Nostre  Dame  »,  et  il  dut  faire  amende  honorable,  «  la  torche 
de  cire  ardante  au  poing  et  en  chemise,...  parce  qu'il...  men- 
geoit  de  la  chair  en  caresme  et  aux  vendredys  et  samedys  ». 
Ses  biens  furent  confisqués,  et  on  le  bannit  pour  cinq  ans  du 
royaume.  Tous  ceux  qu'on  exilait  en  qualité  d'hérétiques  se 
réfugiaient  en  Suisse  ou  en  Allemagne.  Lui,  il  choisit  Genève. 
Bien  accueilli  dans  cette  ville  et  pensionné  par  les  Genevois,  il 
les  trahit,  à  ce  qu'on  prétend,  et  joua  au  milieu  d'eux,  pour  le 
compte  et  aux  frais  du  roi  de  France,  le  rôle  d'espion.  Ce  pros- 
crit demeurait  valet  de  chambre.  Mais  on  finit  par  éventer  ses 
manœuvres  et  par  exercer  contre  lui  des  poursuites.  L'homme 
au  double  visage  se  défendit  souplement  :  il  évita  donc  les  sanc- 
tions effectives,  et  ne  perdit  que  l'estime  de  ses  hôtes.  Il  vivait 
encore  en  1552. 

186.  M.  Becker  pense  que  ce  personnage  était  le  frère  (mais 
que  de  frères  !)  du  dominicain  Aimé  Meigret  qui,  au  nom  du 
libre  arbitre,  réprouvait  l'abstinence  obligatoire.  Si  cette  hypo- 
thèse se  trouve  juste,  on  sera  amené  à  conclure  que  le  Magni- 
fique se  bornait,  en  rompant  le  jeûne  publiquement,  à  mettre 
en  pratique  la  théorie  du  R.  P.  Aimé  Meigret.  Pourquoi  non  ? 
Les  dates,  à  cet  égard,  concordent  bien.  De  ce  que  Clément  Ma- 
rot et  consorts  ont  été  arrêtés  en  février  1526,  il  n'en  résulte 
pas  nécessairement  que  le  festin  incriminé  ait  eu  lieu  durant 
le  carême  de  cette  année-là.  Une  phrase  de  Sagon  nous  apprend 
que  le  scandale  fut  connu  «  trop  tard  »,  et  ces  mots,  qui  peuvent 


140  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

avoir  plus  d'un  sens,  offrent,  si  l'on  veut,  celui-ci  :  entre  le  repas 
et  le  procès  des  hérétiques,  il  s'est  écoulé  beaucoup  de  temps.  Com- 
bien de  temps  ?  Un  an  ou  deux.  Sans  rien  affirmer  (car  toutes 
les  solutions  de  ce  problème  se  heurtent  à  de  grosses  difficul- 
tés), disons  que  le  banquet  en  question  semble  remonter  au 
carême  de  1525  ou  même  de  1524.  Or,  ce  fut  précisément  en 
1524  que  le  moine  Meigret,  prêchant  à  Lyon,  avait  opposé  les 
droits  de  la  conscience  individuelle  au  commandement  de  ne 
«  manger  chair  »  à  certains  jours.  L'analogie  des  deux  faits 
paraît  frappante,  et  l'on  se  sent  d'autant  plus  enclin  à  regarder 
comme  des  actes  connexes  le  repas  et  le  sermon,  que  le  sermon 
valut  à  son  auteur  non  moins  d'ennuis  que  le  repas  aux  con- 
vives. Le  17  décembre  1524,  Anemond  de  Coct  écrit  à  Farel  : 
«  Maigret  est  prins  a  Lion,  7nais  Madame  d'Alençon  y  est  :  loué 
soit  Dieu  !  »  Touchant  témoignage  de  confiance.  Je  souligne  ce 
«  mais  »  si  éloquent.  Pour  ces  novateurs,  Margueiite  remplaçait 
la  Providence,  et,  tant  qu'elle  était  là,  ils  gardaient  l'espoir. 
A  tort,  cette  fois.  Le  dominicain  fut  traîné  à  Paris  (i^^  février 
1525),  détenu  «  en  la  cou  -  d'Eglise  »,  puis  condamné  à  l'amende 
honorable,  «  a  soy  desdire,  et  son  sermon  estre  bruslé  ».  Le  ser- 
mon seul  !  Le  sermonnaire  s'en  tirait  à  bon  compte.  Cependant, 
il  fit  appel,  et  l'Inquisiteur  aussi.  La  sentence  finale  nous  échap- 
pe. Élargi  en  1527,  Aimé  Meigret  se  réfugia  à  Strasbourg,  et  y 
mourut  l'an  d'après. 

187.  La  doctrine  qu'il  avait  professée  à  Lyon,  et  qui  déniait 
à  rÉghse  le  droit  de  léglementer  l'abstinence,  de  l'exiger  de 
tous  au  même  moment,  causa,  dans  le  monde  catholique,  une 
vive  émotion,  indigna,  effraya  la  cour  romaine.  Clément  VII, 
le  29  décembre  1524,  envoya  à  la  régente  Louise  de  Savoie  un 
bref  qui  exprimait  son  ressentiment,  ses  craintes.  Non  content 
d'avoir  ainsi  protesté,  il  revint  à  la  charge,  le  17  mai  1525.  La 
bulle  qu'il  promulgua  alors  était  une  sorte  de  cri  de  guerre  : 
elle  invitait  les  pouvoirs  publics  à  empêcher  les  progrès  de  l'hé- 
résie, à  la  réprimer  avec  vigueur,  ultrice  justitia,  et  à  punir  les 
téméraires  qui  oseraient,  spiritu  maligno  imbuti,  se  nourrir,  en 
carême,  d'aliments  gras,  carnibus  vesci.  Louise  de  Savoie,  à 
cette  époque,  avait  intérêt  à  ménager  le  pape,  et,  plus  soucieuse 
de  lui  complaire  que  de  garder  les  libertés  gallicanes,  elle  pro- 
clama, par  lettres  patentes  (10  juin),  que  la  bulle  aurait  force 
de  loi  dans  le  royaume.  On  s'expHque,  cela  étant,  que  Marot 
ait  pu,  une  fois  dénoncé  par  sa  dame,  se  voir  poursuivi  en  rai- 
son d'un  fait  qui  n'avait  pas  eu  lieu  récemment.  La  situation 
de  l'écrivain  et  de  ses  amis,  les  convives  du  hardi  banquet, 
s'annonçait  mauvaise,  périlleuse  :  leurs  adversaires  allaient  se 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  141 

servir  contre  eux  des  armes  que  le  saint-siège  avait  fournies, 
et  les  juges,  certains  de  ne  pas  être  désavoués,  comptaient, 
en  se  montrant  sévères,  prouver  leur  zèle  et  se  rendre  agréa- 
bles. 

188.  Mais,  plus  que  la  bulle  de  Clément  VII,  l'absence  du 
roi,  alors  prisonnier  en  Espagne,  donnait  du  courage  aux  ma- 
gistrats, aux  docteurs  de  Sorbonne,  et  les  engageait,  puisque  les 
luthériens  avaient  perdu  leur  principal  défenseur,  à  les  oppri- 
mer sans  pitié  ni  délai.  Rien  n'est  aussi  honorable  pour  Fran- 
çois I^r  que  cette  hâte  des  chats  fourrés  et  des  théologiens  ex- 
ploitant la  circonstance  qui  le  mettait  hors  d'état  de  régner, 
et  se  dépêchant,  avant  son  retour,  d'accomplir  les  actes  vio- 
lents auxquels  il  n'aurait  pas  consenti.  Sa  captivité,  douleur 
et  malheur  aux  yeux  du  public,  paraissait  à  ces  gens-là  une 
bonne  occasion  qu'il  fallait  saisir.  Et  ils  en  profitaient  de  leur 
mieux.  Le  temps  oij,  réduit  à  l'impuissance,  le  vaincu  de  Pavie 
languissait  en  terre  étrangère  fut  très  funeste,  chez  nous,  aux 
hérétiques.  11  y  eut  une  sorte  de  Terreur  blanche.  Les  dissidents 
furent  inquiétés,  persécutés,  et  quelques-uns  succombèrent.  Une 
commission  instituée  «  pour  faire  et  parfaire  le  procès  de  ceux 
qui  se  trouveroient  entachés  de  la  doctrine  de  Luther  »  décide 
que  la  version  française  du  Nouveau  Testament  (par  Jacques 
Lefèvre  d'Étaples)  sera  brûlée.  Ces  mêmes  commissaires  pu- 
blient, le  3  octobre  1525,  l'ordre  de  «  prendre  au  corps  »  le  cor- 
delier  Jean  Prévost,  Lefèvre,  Nicolas  Mangin,  Pierre  Car  oh, 
chanoine  de  Sens,  et  Gérard  Roussel  :  celui-ci  et  Lefèvre  s'en- 
fuient à  Strasbourg  ;  Caroli,  l'homme  des  palinodies  et  des  revi- 
rements, proteste  de  son  orthodoxie,  rentre  dans  le  parti  qui 
triomphe,  puis  devient,  grâce  à  Marguerite,  curé  d'Alençon. 
Berquin,  pareillement,  ne  doit  son  salut  qu'à  la  sœur  du  roi. 
Mais  les  événements  sont  plus  forts  qu'elle,  et  l'ère  des  suppli- 
ces va  s'ouvrir.  Duprat,  Béda,  Lizet  se  déchaînent,  et  le  char- 
treux Pierre  Cousturier  (Sutor)  ne  demande  qu'à  sévir.  Guil- 
laume Briçonnet  tremble,  recule,  trahit  ;  Michel  d'Arande  s'é- 
chappe ;  Jean  Leclerc,  par  contre,  n'évite  pas  son  destin,  et 
périt  au  milieu  des  flammes  ;  Jacques  Pavanne  (c'est  que  la 
bonne  duchesse  n'est  plus  là,  et  chemine  vers  Madrid)  subit 
un  semblable  sort,  et  monte,  en  Grève,  sur  le  bûcher.  Au  feu, 
aussi,  l'ermite  de  la  forêt  de  Livry,  et  Guillaume  Hubert,  «licen- 
tié  es  loix  »  (17  février  1526),  et  François  Moulin,  et  Antoine  du 
Blet,  l'ami  de  Farel  !...  Exemples  terribles,  noirs  présages.  Maî- 
tre Clément  pouvait  les  méditer  et  les  craindre,  tandis  qu'on  le 
menait,  comme  très  suspect  d'avoir  adopté  la  Réforme,  au 
«  gouffre  »,  à  l'enfer,  au  Châtelet. 


142  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

189.  Enterré  là,  Marot  fut  saisi  d'horreur  et  de  dégoût.  Le 
lieu,  manifestement,  l'épouvanta,  et  il  ne  cache  pas  qu'il  a  frémi 
en  tombant  au  fond  de  cette  trappe,  en  voyant  ces  murs  tragi- 
ques, ces  portes  difficiles  à  repasser.  Mais  si  l'aspect  sordide  et 
funèbre  du  logis  lui  causa  une  révolte  physique  et  fit  défaillir 
son  cœur,  il  éprouva  une  répulsion  encore  plus  vive  lorsqu'il  se 
trouva  en  face  des  juges  de  ce  Tartare,  et  qu'il  lui  fallut  répondre 
à  des  hommes  payés  pour  confondre  l'innocence  et  jouissant 
du  droit  abominable  de  forcer  l'âme,  en  brisant  le  corps,  à  se 
trahir,  à  se  démentir.  Les  magistrats  chargés  de  son  affaire, 
le  poète  n'a  pas  cru  pouvoir  les  désigner  par  leurs  vrais  noms, 
et  il  les  appelle,  puisqu'il  compare  à  l'enfer  le  Châtelet,  l'un 
Minos  et  l'autre,  qui  procéda  à  son  interrogatoire,  Rhadamante. 

190.  Minos,  d'après  une  hypothèse,  exacte  ou  non,  de  M.  Guif- 
frey,  serait  Jean  de  la  Barre.  Ce  personnage,  né  «  de  pauvres 
gens  »,  eut  néanmoins  une  carrière  brillante  :  devenu,  on  ne 
sait  par  quels  moyens,  mignon  du  roi,  il  obtint  gratis  (février 
1523)  l'office  de  bailli  de  Paris  créé  à  son  intention.  Il  assista 
au  désastre  de  Pavie,  fut  fait  prisonnier  par  les  Impériaux,  puis 
se  distingua  parmi  ceux  qui  négocièrent  la  délivrance  de  Fran- 
çois i^r.  Celui-ci,  à  son  retour,  ne  se  montra  pas  ingrat.  Outre 
le  comté  d'Étampes  (3  avril  1526),  il  accorda  à  Jean  de  la  Barre 
(18  avril)  la  prévôté  de  Paris,  et  le  nomma,  au  mois  de  juin, 
((  son  lieutenant  général...  en  l'Isle  de  France  et  Vermandois, 
voulant  qu'on  luy  obeist  comme  a  luy  mesme  ».  Jean  de  la  Barre 
mourut  en  mars  1534,  et  il  y  eut  «  grand  triorriphe  a  son  obsèque  ». 

191.  Rhadamante,  ce  Rhadamante  tellement  odieux  à  Marot 
que  la  haine  lui  donna  du  génie,  se  laisse  plus  sûrement  identifier. 
C'est  que  Sagon  déclare,  dans  son  Coup  d'essay,  que  le  «  Rha- 
damantus  »  de  Clément  n'est  autre  que  Jean  Morin.  D'abord 
avocat  au  parlement,  Jean  Morin  soigna  ses  intérêts  et  s'éleva 
assez  vite.  Lieutenant  du  bailli  Jean  de  la  Barre  lors  de  l'insti- 
tution du  bailliage  de  Paris,  ensuite  prévôt  des  marchands, 
il  sut,  outre  cela,  attraper  la  seigneurie  de  Paroiz-en-Brie,  le 
titre  de  conseiller  du  roi  et,  à  la  mort  de  Guillaume  (ou  Gilles) 
Maillart,  immortel  grâce  à  notre  Marot,  la  charge  de  lieutenant 
criminel  au  Châtelet.  C'était  un  homme  à  la  fois  doucereux  et 
cruel,  ami,  à  l'occasion,  des  promptes  et  rudes  sentences.  Les 
idées  nouvelles  le  chagrinaient,  et  les  luthériens  n'avaient  pas 
à  compter  sur  sa  clémence.  Il  les  brûlait  volontiers,  et  ils  ont, 
eux,  déchiré  sa  mémoire.  Théodore  de  Bèze  ne  le  ménage  pas. 
Henri  Estienne  traîne  dans  la  boue  ce  lieutenant  qui  «  meritoit 
en  deux  sortes  d'estre  nommé  criminel  »,  et  nous  raconte,  avec 
beaucoup  d'entrain  et  de  joie,  ses  derniers  jours,  les  remords 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  143 

qui  l'assaillirent,  la  démence  qui  en  résulta.  Si  nous  en  croyons 
l'auteur  de  l'Apologie  pour  Hérodote  (mais  il  invente  ou,  du 
moins,  il  arrange,  il  exagère),  la  monomanie  de  Jean  Morin  con- 
sistait en  ceci  qu'il  se  figurait  être  condamné  à  la  potence.  Et 
il  ne  s'en  étonnait  nullement.  Bien  au  contraire  !  Se  rappelant 
ses  pilleries,  ses  extorsions,  le  nombre  de  fois  qu'il  avait  vendu 
sa  conscience,  les  innocents  traités  par  lui  en  coupables,  les  cou- 
pables mis  hors  de  cause  moyennant  finance,  il  jugeait  naturel 
et  nécessaire  d'«  estre  pendu  et  estranglé  ».  Il  s'imaginait,  à 
chaque  coup  frappé  à  sa  porte,  qu'il  allait  voir  paraître  les  bour- 
reaux, et  il  succomba  parmi  ses  transes  (8  avril  1548),  changeant 
«  ceste  tant  misérable  vie  a  une  plus  misérable  mort  )>.  Les 
satiriques  composèrent  son  épitaphe  et  son  testament.  Je  meurs, 
y  disait-il,  aussi  «  pourry  que  vieil  lard  »,  et  j'ai  fait,  je  l'avoue, 
tout  ce  qu'il  fallait  pour  cela.  Je  lègue  ma  rage  aux  bigots  et 
ma  cervelle  à  Pierre  Lizet...  Ce  trait  s'explique  aisément  :  Lizet 
était  féroce,  mais  sot. 

192.  Dés  qu'il  se  vit  sous  la  griffe  de  Morin-Rhadamante, 
Marot  comprit  sans  peine  qu'il  n'avait  rien  à  attendre  d'un  tel 
homme,  qu'il  ne  trouverait  au  Châtelet  ni  sympathie  ni  pitié, 
et  que  le  salut,  s'il  devait  venir,  lui  viendrait  du  dehors.  Il  eut 
donc,  après  cinq  ou  six  jours  de  captivité,  l'idée  d'envoyer  une 
lettre  en  vers  à  «  monsieur  Bouchart,  docteur  en  théologie  ». 
Que  l'arrestation  de  l'écrivain  ait  eu  lieu  par  les  soins  et  à  la 
requête  de  ce  docteur,  l'épître  à  lui  destinée  le  dit,  le  répète 
clairement,  et  cela  nous  oblige  à  reconnaître  en  sa  personne  le 
«  papelard  »  auquel  Luna  s'était  adressée.  Elle  avait  choisi  là 
un  bon  confident,  et  sa  détlaion,  placée  ainsi,  ne  pouvait  que 
produire  son  plein  effet.  Comment  non  ?  Nicolas  Bouchart  n'ap- 
partenait-il pas  à  la  Sorbonne,  et  n'avait-il  pas,  en  1524,  tra- 
vaillé à  perdre  Pierre  Caroli  ?  Pourquoi,  cela  étant,  eût-il  épargné 
Marot  ?  On  s'étonne  que  celui-ci  ait  conçu  l'espérance  d'atten- 
drir, de  désarmer  un  adversaire  de  cette  trempe.  D'où  vient, 
lui  demande-t-il,  que  tu  as  fait  mettre  en  prison  «  un  tien  amy  »  ? 
Quel  est  mon  crime  ?  Quand  t'ai-je  offensé  ?  Je  ne  suis  ni  luthé- 
riste,  ni  anabaptiste,  ni  zwinglien.  Mes  œuvres  célèbrent  Christ 
«  et  sa  mère  tant  pleine  de  grâce  ».  Tout  ce  que  professe  et  honore 
«  la  saincte,  vraye  et  catholique  Eglise  »,  je  l'honore,  moi  aussi, 
et  le  professe.  On  t'a  dit,  je  le  vois  bien,  le  contraire  :  mais  sache 
qu'on  t'a  menti,  et  ne  m'afflige  pas  pour  plaire  à  quelque  autre... 
Le  ton  est  à  la  fois  cavalier  et  péremptoire.  N'ayant  ni  la  fer- 
meté d'un  apôtre  ni  le  moindre  goût  pour  le  martyre,  l'inculpé 
feint  d'ignorer  la  chose  précise  dont  on  l'accuse,  ne  parle  pas  de 
banquet  ni  de  carême,  et  pense  acheter  la  clef  des  champs  au 


144  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

prix,  vaille  que  vaille,  d'un  acte  de  foi.  Il  y  a  là  beaucoup  de 
naïveté.  Le  théologien  a  dû  sourire  en  lisant  cette  pièce  en  appa- 
rence très  catégorique,  mais,  au  fond,  trop  vague,  trop  à  côté. 
Si  un  homme  avisé  a  pu  l'écrire,  c'était  par  une  sorte  de  geste 
instinctif,  le  geste  de  ceux  qui  se  noient  et  se  raccrochent  à  un 
brin  de  paille. 

193.  Marot  ne  tarda  guère  à  comprendre  l'inutilité,  l'impru- 
dence de  sa  démarche,  et,  sentant  bien  que  son  épître  à  Bouchart 
resterait  sans  action  ou  tournerait  contre  son  auteur,  il  frappa 
vite  à  une  autre  porte.  Mieux  inspiré  cette  fois,  il  s'adressa  à 
quelqu'un  de  son  bord,  au  loyal  et  jovial  Lyon  Jamet.  Ces  deux 
hommes,  par  leur  amitié,  justifiaient  le  proverbe  Qui  se  ressemble 
s'assemble.  Je  n'aperçois  entre  eux  qu'une  différence  :  le  premier 
avait  beaucoup  moins  de  circonspection  que  de  talent  ;  le  second, 
médiocre  poète,  menait  plus  adroitement  sa  barque,  en  sorte 
qu'il  n'eut  pas  à  subir  autant  de  revers.  Mais,  à  cela  près,  leui 
vie,  leur  caractère,  leurs  opinions  offraient  de  nombreuses  ana- 
logies :  même  situation  chez  les  grands,  même  adhésion  aux 
idées  de  la  Réforme,  même  désir  de  combattre  et  d'abattre  la 
Sorbonne,  pareille  disgrâce  lors  de  l'affaire  des  Placards,  gaieté 
égale  parmi  les  épreuves,  conformité  entière  de  goût  en  ce  qui 
concernait  la  satire,  le  coq-à-l'âne...  Et  voilà  plus  de  liens  qu'il 
n'en  fallait  pour  nouer  une  affection  capable  de  durer  jusqu'à 
la  mort. 

194.  Lyon  Jamet  naquit  à  Sanxay,  dans  le  Poitou.  Le  titre 
de  seigneur  de  Chambrun  que  lui  conteste  M.  Guiffrey,  Charles 
Fontaine,  son  contemporain,  le  lui  donne  très  expressément 
en  tête  des  deux  pièces  de  vers  qu'il  lui  dédie.  Mais,  quoique  de 
bonne  famille,  Jamet  ne  devait  pas  être  riche,  puisqu'il  consentit 
à  occuper  des  charges  assez  modestes.  Il  paraît  avoir  vécu  plu- 
sieurs années  à  Paris,  et  ce  fut  là,  je  pense,  qu'il  fréquenta  le 
groupe  des  Réformateurs,  et  se  laissa  convaincre  par  eux.  Con- 
vaincre et  compromettre.  Son  nom  figure,  le  quarante  et  unième, 
sur  la  liste  des  soixante-treize  luthériens  qui  furent,  après  le 
drame  des  Placards,  sommés,  le  25  janvier  1535,  de  «  comparoir 
en  personne  ».  Cette  liste  nous  apprend  qu'il  était  clerc  de  finan- 
ces, et  le  signale,  en  outre,  comme  «  compaignon  a  Clément 
Marot  ».  Mots  pleins  de  sens,  pleins  de  menaces.  Jamet,  heu- 
reusement, était  déjà  loin  ;  il  courait  vers  Ferrare,  vers  la 
duchesse  Renée  qui  allait  offrir  un  asile  et  à  son  «  compaignon  » 
et  à  lui-même.  Il  trouva  chez  elle  mieux  qu'un  abri  :  une  fonc- 
tion qu'il  garda  longtemps,  le  titre  et  les  gages  de  secrétaire. 

195.  Réussir  à  la  cour  de  Ferrare,  entre  la  duchesse  toute 
protestante  et  son  mari  tout  cathohque  et  romain,  c'était  chose 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  145 

difficile,  car  il  suffisait  de  plaire  à  la  maîtresse  de  la  maison  pour 
devenir  odieux  au  maître,  et  réciproquement.  Néanmoins,  sans 
trahir  personne,  Lyon  Jamet  sut  accomplir  le  miracle  de  gagner  à 
la  fois  la  faveur  de  ces  ennemis  intimes  et  d'entrer  si  avant  dans 
leur  confiance  qu'il  servit  à  l'un  et  à  l'autre  d'agent,  d'émis- 
saire. Le  duc  Hercule  —  nous  le  savons  par  Rabelais  —  l'envoya, 
en  janvier  1536,  auprès  du  pape,  et  Renée,  beaucoup  plus  tard 
(1554),  le  chargea  de  se  rendre  à  Genève  pour  y  conférer  avec 
Calvin.  De  retour  à  Ferrare,  il  semble  y  être  resté  jusqu'en  sep- 
tembre 1560,  date  où,  devenue  veuve  (3  octobre  1559),  sa  pro- 
tectrice rentra  en  France.  Il  l'y  suivit  ;  mais  ses  jours  étaient 
comptés,  et  il  mourut  en  1561.  Fermement  attaché  à  la  Réfoime, 
il  tâchait  de  faire  des  prosélytes.  Robert  de  Fuchis,  «  serviteur 
du  maître  d'hôtel  de  Madame  Renée  »  et  natif  d'Arras,  cité,  en 
1568,  comme  suspect  d'hérésie,  devant  le  tribunal  du  Saint- 
Office,  avoue  le  crime  qu'on  lui  reproche,  puis  s'excuse  en  disant 
qu'il  a  suivi  les  leçons  et  les  conseils  du  secrétaire  de  la  duchesse, 
Leone  Giametto.  Ainsi,  l'ami  de  Clément  propageait,  semait 
l'Évangile.  Apôtre,  d'ailleurs,  souriant,  peu  austère,  nullement 
ascète.  Il  écrivait  non  des  homélies,  mais  des  coq-à-l'âne,  et  ils 
lui  valurent,  aussi  bien  que  son  long  exil  et  la  solidité  de  sa  foi, 
une  certaine  renommée.  Etienne  Dolet,  en  lui  offrant  l'édition 
de  VEnfcr,  l'appelle,  calembour  flatteur  :  «  Jamet  a  tout  jamais 
louable...  » 

196.  Revenons  maintenant  en  arrière...  Ce  fut  donc  à  cet  ami 
si  fidèle  que  Marot  songea  dans  sa  prison,  l'estimant  assez  habile 
et  assez  dévoué  pour  découvrir  quelque  moyen  de  salut.  L'épître 
qu'il  lui  adressa  [G.  III,  75]  compte  parmi  les  plus  illustres.  La 
manie  des  rhétoriqueurs,  qui  jouent  volontiers  sur  les  noms  pro- 
pres, a  produit,  cette  fois,  un  excellent  résultat.  Négligeant  le 
«  Jamet  »  dont  il  eût  pu,  lui  aussi,  faire  un  «  jamais  »,  notre  poète 
remarque  le  «  Lyon  »  et  s'y  attache.  Ce  mot  lui  remet  en  mémoire 
la  fable  du  lion  et  du  rat  ;  il  la  raconte  aussitôt  à  sa  façon,  et  sa 
façon  est  exquise.  Le  pauvre  petit  rat  qui  languit  et  tremble 
dans  la  ratière,  parce  qu'il  a  voulu  manger  «  le  lard  et  la  chair 
toute  crue  »,  représente  Marot  expiant,  au  Châtelet,  son  peu  de 
respect  pour  le  carême.  Quant  à  la  «  grand  beste  »  qui  délivrera, 
à  charge  de  revanche,  «  le  filz  de  souris  »,  l'humble  «  verminière  » 
prise  au  piège,  c'est,  naturellement,  Lyon  en  personne.  La  fin 
de  la  lettre  : 

Or,  viens  me  veoir  pour  faire  le  Lion  ... 

résume  l'intention  de  l'auteur  et  indique  à  merveille  ce  qu'il 
attend  de  son  compagnon. 

Clément  Marot  et  son  école  iU 


146  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

197.  Mais  entre  le  Lyon  de  l'écrivain  et  l'autre  lion,  celui  de 
l'apologie,  quelle  différence  !  Le  premier  n'avait  pas-  la  force  de 
l'animal-roi  qui  brisait  d'un  coup  d'ongle  une  prison,  et  l'on  ne 
se  figure  pas  comment  un  simple  clerc  de  finances  aurait  pu, 
sans  aide,  ariacher  une  proie  au  parlement,  à  la  Sorbonne.  Il 
faut  donc,  puisqu'il  y  parvint,  conclure  que,  loin  d'affronter 
de  telles  puissances  directement,  il  a  cherché,  trouvé  des  inter- 
médiaire?, des  gens  en  crédit  et  d'importance,  parlant  avec  auto- 
rité et  de  haut.  Quels  furent  les  personnages  qu'il  mit  en  mou- 
vement ?  On  l'ignore.  Nous  ne  voyons  que  le  dernier  anneau 
de  la  chaîne,  l'heureux  dénouement  de  cette  intrigue.  Un  prélat 
qui  devait,  par  la  suite,  persécuter  avec  beaucoup  de  zèle  les 
protestants,  Louis  Guillard,  fils  d'un  second  président  du  par- 
lement de  Paris,  évêque  de  Tournay  puis  (juillet  1525)  de  Char- 
tres, se  prêta,  pour  des  motifs  qui  nous  échappent,  à  une  comé- 
cie  juridique,  à  une  sorte  de  manège  libérateur  que  le  reste  de 
sa  vie  n'explique  en  rien.  Prétextant,  avec  une  feinte  sévérité, 
dans  un  acte  du  13  mars  1526,  que  Marot,  à  sa  connaissance, 
avait  perpétré,  contre  l'orthodoxie,  plusieurs  excès,  crimes  et 
délits,  il  commanda,  en  mauvais  latin,  aux  officiers  de  sa  cour 
épiâcopale  d'amener  le  coupable  en  ses  cachots,  carceribus 
nostris,  afin  qu'on  lui  fît  son  procès,  ut  per  nos  contra  eum 
procedatur.  Une  lettre,  datée  du  même  jour,  invitait  les  baillis 
et  les  prévôts  de  Paris,  de  Tours  et  de  Blois  à  bien  vite  expédier 
Marot  à  Chartres  si,  par  hasard,  ils  pouvaient  l'attraper.  Je  crains, 
disait  Guillard,  qu'il  ne  s'enfuie,  duhitamus  ne  se  ahscntet,  et 
qu'il  évite  ainsi  le  châtiment.  Qui  n'aurait  cru,  à  la  lecture  de 
telles  missives,  maître  Clément  perdu  sans  remède  ?  Il  était 
sauvé.  Toutes  ces  injonctions  véhémentes  ne  tendaient  qu'à  le 
soustraire  à  la  justice  laïque  :  il  ne  s'agissait  pas  de  le  prendre 
(il  n'était  que  trop  pris,  hors  d'état  de  s' absenter)  ;  on  voulait, 
au  contraire,  lui  ménager  une  captivité  presque  agréable,  le 
tirer  au plustôt  de  son  enfer,  empêcher  Rhadamante  de  le  dévorer. 

198.  Ce  sentiment  de  joie  et  de  détente  qui  accompagne  la  fin 
d'un  cauchemar.  Clément,  transféré  à  Chartres,  l'éprouva.  On 
le  traita  avec  beaucoup  d'égards  et  de  bienveillance,  et  il  n'est 
même  pas  sûr  qu'il  ait  été,  au  sens  propre,  incarcéré.  Le  nom  de 
son  logis  nous  est,  en  effet,  connu  :  il  s'appelait  l'Aigle.  Or,  nul 
lieu  de  détention  n'était,  à  Chartres,  ainsi  désigné,  tandis  qu'il 
existait,  en  cette  ville,  une  hôtellerie  de  l'Aigle.  Il  paraît  donc 
assez  raisonnable  de  supposer  que  Marot  n'était  pas  sous  les 
verrous,  mais  que,  sans  cesser  pour  autant  de  le  surveiller,  on 
lui  avait  permis  de  vivre  à  l'auberge.  Une  chose,  en  tout  cas, 
reste  certaine  :  c'est  qu'il  se  trouvait  bien  là  où  il  était.  Je  ne 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  147 

sais  (le  vers  Et  par  dedans  ne  vy  jamais  prison  convient  mal  à 
un  homme  qui  sortait  du  Châtelet)  s'il  faut  faire  état  du  ron- 
deau XXIV  [J.  II,  140],  où  le  poète  se  représente,  afin  de  ras- 
surer ses  intimes,  allant  et  venant  à  sa  guise,  riant  et  chantant 
«  en  joye  solennelle  ».  Cette  pièce  se  rapporte,  peut-être,  à  quel- 
que autre  circonstance.  Mais  nous  avons  deux  textes  décisifs. 
L'un  [Ihid.,  i66]  contient  cette  phrase  : 

A  Chartres  fuz  doulcement  encloué  ; 

dans  l'autre  [G.  II,  159-160],  il  parle  avec  attendrissement  de 
«  la  prison  claire  et  nette  de  Chartres  »,  où  il  recevait  maintes 
visites  qui  lui  procuraient  «  passetemps  et  consolations  ».  Sa 
muse,  aussi,  le  consolait  ;  elle  lui  dictait,  contre  les  juges  de 
Paris,  une  satire  vengeresse,  l'Enfer  qu'il  rima  à  l'Aigle,  et  qui 
compte  parmi  les  plus  belles,  les  plus  fortes  œuvres  que  la  Renais- 
sance nous  ait  transmises. 

199.  Et,  de  la  sorte,  les  heures  passaient,  rapprochant  le  jour 
de  la  délivrance.  Il  ne  se  fit  pas  trop  attendre,  et  la  captivité  de 
l'écrivain  cessa  peu  après  celle  du  roi.  A  peine  rentré  en  France 
(18  mars  1526),  François  i^r  comme  pour  se  prouver  à  lui-même 
qu'il  avait  recouvré  sa  puissance,  combla  de  faveurs  ceux  qu'il 
aimait,  et  prit,  à  l'égard  des  gens  qu'en  son  absence  en  avait 
lésés,  des  mesures  réparatrices.  Son  intervention  dénoua  les 
nœuds  qui  serraient  encore  Marot,  lui  ouvrit  la  porte  de  l'Aigle, 
et  le  ramena  —  libre  —  à  Paris.  Dans  un  «  rondeau  parfaict  » 
qu'il  composa  «  le  premier  jour  de  la  verte  semaine  »  (i^r  mai 
1526),  il  annonça  la  bonne  nouvelle  à  ses  amis  [J.  II,  165].  Rien 
n'est  plus  sincère  ni  plus  précis  que  cette  petite  pièce.  L'auteur, 
en  six  courtes  strophes,  résume  «  d'un  cueur  bien  enjoué  ^^  sa 
peu  joyeuse  aventure  ;  il  en  marque  chaque  phase  d'un  trait 
vif  et  plastique,  et  exprime  on  ne  peut  mieux,  sans  effort  ni 
recherche,  le  ravissement  qu'on  doit  éprouver,  lorsque,  échappé 
aux  pattes  des  geôliers,  on  se  revoit  maître  de  soi,  au  grand  air. 
Le  vers  si  nu  et  si  simple  qui  commence  le  rondeau  : 

En  liberté  maintenant  me  pourmaine  ... 

me  semble  riche,  complet  ;  toute  addition  le  rendrait  faible,  car 
son  excellence  dépend  moins  des  mots  que  de  la  vérité,  de  la 
naïveté  du  sentiment.  Voilà  ce  qu'on  reconnaîtra  à  coup  sûr 
pourvu  qu'on  se  mette  un  instant  à  la  place  de  celui  qui  parle, 
et  que  l'on  attache  à  l'idée  et  à  l'acte  de  se  promener  où  et  comme 
on  veut  le  sens,  le  prix  que  leur  donne  un  homme  naguère  enfermé 
et    «  cloué  ». 


143  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

200.  Ici  se  termine  — en  apparence  —  ce  cruel  épisode... 
L'issue  remplissait  le  poète  d'orgueil,  d'allégresse  :  mais,  en  réa- 
lité, sa  position  n'était  pas  aussi  bonne  qu'il  se  le  figurait.  On 
l'avait  relâché,  non  pas  absous.  Ses  adversaires  le  laissaient 
courir  avec  l'espérance  de  le  faire  choir,  et  tenaient  toujours  le 
bout  de  la  corde.  Pour  déjouer  leur  calcul,  il  eût  fallu  une  vie 
à  l'écart,  sage  et  muette.  Or,  Marot  ne  pouvait  s'astreindre  ni 
à  la  prudence  ni  au  silence  ;  loin  de  fuir  les  périls,  il  les  cherchait, 
les  provoquait,  et  son  récent  malheur,  qui  aurait  dû  lui  servir 
de  leçon,  ne  sut  le  rendre  moins  téméraire.  Il  n'alla  pas,  à  vrai 
dire,  jusqu'à  imprimer  immédiatement  le  pamphlet  qu'il  avait 
écrit  à  Chartres,  cet  admirable  Enjer  qui  accablait  et  jugeait  ses 
juges  :  mais  il  le  laissa  bientôt  circuler  de  main  en  main,  et  trouva 
bon  de  le  lire  au  roi.  De  là,  comme  il  nous  le  dit  lui-même  [G.  III, 
286-7],  une  haine  qui  ne  finira  point,  toute  une  corporation  coa- 
lisée contre  lui.  Que  de  nuages  il  a  rassemblés  !  Le  voici,  à  la 
fois,  en  butte  et  aux  rancunes  ecclésiastiques,  les  plus  tenaces 
qui  soient,  et  à  la  colère  des  magistrats.  Les  uns  et  les  autres 
rêvent  de  se  venger  :  ils  attendent  leur  heure,  et  n'oublient  pas. 

201.  Le  poète,  lui  aussi,  se  souvient.  Son  humiliation,  ses 
angoisses  remontent  à  sa  mémoire,  et  l'air  de  désinvolture  qu'il 
affecte  en  rappelant  sa  disgrâce  cache  mal  l'amertume  qu'il 
conservait.  Un  coq-à-l'âne  envo3'é  (automne  1526  ?)  à  L3^on 
Jamet  retrace  à  mots  couverts  cette  si  pénible  affaire  [G.  III, 
233],  et  attaque,  en  passant  et  sans  insister,  le  trafic  romain 
des  indulgences,  les  chanoines,  les  gens  de  justice,  les  sergents 
qui  se  mettent  douze  pour  battre  «  un  homme  seulet  »,  les  moi- 
nes qui  «  ne  font  rien  »,  et  les  personnages  qu'on  suppose  rem- 
plis de  raison  et  de  vertu  à  cause  de  leurs  «  bonnets  carrez  ou 
rondz  ».  Dans  sa  réponse  (a\Til  ou  mai  1527  ?),  Jamet  prodigue 
les  plaisanteries  très  poivrées,  et  n'épargne,  lui  non  plus,  ni  les 
<(  gras  moynes  »  paillards,  ni  les  sergents  si  hardis  tant  qu'ils 
n'ont  rien  à  risquer,  ni  le  saint-père  marchand  de  pardons... 
Mais  aux  vers  relatifs  à  Luna  et  à  son  complice,  le  papelard, 
nulle  allusion  n'est  faite  par  l'ami  Lyon.  C'eût  été,  pourtant, 
le  point  essentiel. 

202.  Un  dernier  mot  sur  ce  procès  de  1526  :  si  la  femme  qui 
l'avait  vendu  s'appelait  vraiment  Isabeau,  Clément  s'est  efforcé 
de  la  punir  en  lui  décochant,  plus  tard,  des  épigrammes.  Nous 
trouvons,  en  effet,  dans  ses  œmTes,  cinq  petites  pièces  contre 
une  dame  nommée  Isabeau.  Non  content  de  lui  reprocher,  et 
deux  fois  plutôt  qu'une,  son  inconstance,  il  déclare,  en  des  vers 
empruntés  à  Martial,  qu'elle  s'abuse  si  elle  se  croit  belle,  puis  il 
la  dépeint  à  Etienne  Clavier  comme  louchant  d'une  façon  tel- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  149 

lement  horrible  qu'elle  gagnerait  beaucoup  à  être  aveugle  «  tout 
outre  ».  Vengeance  bien  cruelle  ou  trop  faible  :  cruelle,  si  Isabeau 
n'a  été  que  volage  ;  faible,  si  elle  a  voulu  hAve  moui  ir  son  amant 
—  de  quelle  mort  ! 

203.  Cette  même  année  1526,  qui  l'avait  vu  au  Châtelet  puis 
à  l'Aigle,  apporta  encore  à  Marot  un  chagrin  d'une  autre  nature  : 
il  perdit  son  père.  Après  une  carrière  sans  joie  ni  gloire,  le  vieux 
rhétoriqueur  quitta  le  monde  aussi  nu  qu'il  y  était  entré  et  ne 
laissant,  pour  toute  fortune,  qu'une  place  vide,  sa  petite  charge 
à  la  cour.  C'était  l'unique  bien  temporel  qu'il  eût  jamais  possédé, 
et  il  léguait  à  son  enfant  non  la  certitude,  mais  l'espoir  de  l'occu- 
per à  son  tour.  Si  la  survivance  de  cette  fonction  ne  pouvait 
être  réclamée  comme  un  droit,  il  y  avait  des  chances  poui  que, 
sollicitée  comme  une  faveur,  elle  ne  fût  pas  refusée.  Clément 
fit  aussitôt  la  démarche  nécessaire.  Le  pau\Te  Jean,  à  sa  dernière 
heure,  la  lui  avait  conseillée.  Fils,  avait-il  dit,  adresse-toi  au 
roi  ;  demande-lui  que, 

par  sa  grand  doulceur, 

De  mon  estât  te  face  successeur, 

et,  afin  de  lui  prouver  que  tu  mérites  une  telle  grâce,  offre-lui 
«quelque  œuvre»  de  ta  façon  [G.  III,  92]...  Le  moyen,  au 
reste,  d'agir  autrement  ?  L'intéressé  eût  trouvé  cela  tout  seul. 
Donc,  il  courut  à  Amboise  (août  ou  septembre  1526),  et,  après 
avoir  lu  à  François  i^r  le  commencement  de  sa  version  des 
Métamorphoses  [G.  II,  302],  il  exposa  sa  requête,  supplia  qu'on 
lui  transmît  l'héritage  paternel.  François  écouta  avec  bonté 
cette  prière,  l'exauça  à  l'instant  et  d'une  manière  si  libérale  qu'il 
semblait  beaucoup  plus  heureux  d'accorder  que  l'impétrant 
d'obtenir.  Et  voilà  un  homme  qui  croit  n'avoir  plus  rien  à 
souhaiter.  Comptant  sur  la  parole  royale,  il  se  regarde  déjà 
comme  au  port,  et  s'imagine  qu'il  a,  cette  fois,  réalisé  le  rêye 
de  toute  sa  jeunesse  :  être  au  service  du  prince.  Une  promesse 
de  lui  vaut  un  acte  notarié  ;  les  prochains  états  porteront,  sans 
nul  doute,  le  nom  du  nouveau  valet  de  chambre,  et  il  pourra 
toucher,  à  ce  moment,  le  terme  échu  de  ses  gages. 

204.  Or,  lorsque  paraît  la  liste  annuelle,  le  «  roolle  et  estât 
des  officiers  de  l'hostel  du  roy  »,  le  poète  n'y  figure  point.  Aucune 
mention  de  lui.  On  l'a  oublié.  Pourquoi  ?  Est-ce  à  dire  que 
François  i^^  n'ait  pas  voulu  remplir  ses  engagements  ?  Comme 
on  aurait  tort  de  le  penser  !  Il  a  donné  ses  ordres  en  temps  utile  : 
mais  on  ne  lui  a  pas  obéi.  Était-ce  négligence  ou  malveillance  ? 


150  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Plutôt  malveillance  que  négligence.  Marot,  qu'on  réputait,  non 
sans  cause,  turbulent  et  hérétique,  avait  des  ennemis  dans  la 
place,  et  ils  ont  pu  croire  que  lui  nuire  était  faire  une  œuvre  pie. 
Rappelons-nous  que  le  sort  des  domestiques  et  de  quiconque 
aspirait  à  un  emploi  dépendait,  chez  les  souverains,  en  partie 
du  Grand-Maître  de  l'hôtel.  Et  qui  donc,  en  1526,  était  Grand- 
Maître  à  la  cour  de  France  ?  Anne  de  Montmorency  (depuis  le 
23  mars),  et  l'on  sait  que  cet  homme  autoritaire  haïssait  les 
luthériens.  Donc,  nous  avons  le  droit  de  présumer  qu'il  a  différé 
autant  que  possible  l'inscription  régulière  de  Marot.  Celui-ci 
ne  fut  pas  dupe.  Il  sentit  bien  cette  résistance,  et,  loin  d'attri- 
buer sa  déconvenue  à  quelque  circonstance  fortuite,  il  résolut 
de  se  plaindre,  et,  bravement,  s'adressa  au  roi. 

205.  L'épître  qu'il  lui  écrit  [G.  III,  Sy]  n'a  pas  l'entrain,  la 
gaieté,  la  feinte  insouciance  qu'il  montrait  jusqu'alors  et  qu'il 
reprendra  bientôt.  On  voit,  cette  fois-ci,  qu'il  a  souffert  ;  la 
déception  lui  a  semblé  rude  ;  manifestement,  le  méchant  tour 
qu'on  lui  a  joué  l'irrite,  la  peine,  l'humilie,  et  —  valet  de  cham- 
bre non  titulaire,  omis  sur  le  registre  officiel,  —  il  demeure 
inconsolable.  Avoir  une  fonction  rétribuée  et  peu  s'en  faut  ina- 
movible est  une  si  belle  et  bonne  chose  que,  pour  nous  la  dépein- 
dre, Marot  emprunte  des  images  à  l'idylle.  La  liste  des  officiers, 
cette  liste  où  son  nom  ne  se  lit  point,  il  la  compare,  ici  et  ailleurs, 
à  un  asile  inviolable,  à  un  parc  où  le  troupeau  s'endort  à  l'abri 
des  loups,  à  un  bercail  tiède  et  bien  clos.  Qui  n'envierait  les 
ouailles  qui  logent  là  ?  Quant  à  celles  qui  bêlent  à  la  porte  et 
qui  n'ont  k  toyson  ne  laine  sur  la  peau  »,  le  pasteur  en  chef  ne 
remplit  pas  son  rôle  si,  au  lieu  de  leur  ouvrir  la  bergerie,  il  les 
laisse  à  la  froidure...  Touchante  allégorie,  mais  puérile.  Heu- 
reusement, l'auteur  tient  en  réserve  de  mioins  bucoliques  argu- 
ments, et  il  va  inviter  le  Grand  Pan  à  accueillir,  pour  trois  justes 
raisons,  en  ses  étables  la  brebis  oubliée  dehors.  Serait-il  équita- 
ble, d'abord,  de  refuser  cette  joie  posthume  aux  mânes  du 
bonhomme  Jean,  de  cet  humble  serf  qui  comptait,  à  force  de 
panég\Tiques,  préparer  la  voie  à  son  fils  ?  Ce  fils,  ensuite,  n'est-il 
pas  digne  de  la  grâce  qu'il  sollicite  ?  Rimeur  habile,  esprit  très 
inventif,  il  saura  payer  en  vers  de  bon  aloi  l'hospitalité  qu'il 
recevra.  Commandez-lui  soit  de  fabriquer  des  lais  ou  des  épîtres, 
soit  de  traduire  «  les  volumes...  des  vieulx  Latins  »  ,  soit,  aussi, 
de  décrire  (salut  à  l'entendeur  !)  le  bruit  resplendissant  de  quel- 
que prince,  il  fera  en  conscience  la  besogne,  et  son  travail,  certes, 
plaira  au  patron.  Enfin,  quand  il  serait  vrai  que  le  roi  ne  dût 
rien  à  Jean,  rien  à  Clément,  du  moins  il  se  doit  à  lui-même  de 
ne  pas  manquer  à  sa  parole,  de  ne  pas  tolérer   que  ceux  qui 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  151 

l'entourent  décident  contre  ses  décisions,  et  de  montrer,  par 
ses  actes,  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  maître  :  lui.  J'ignore  si  toutes 
les  parties  de  ce  discours  ont  ému  François  i®*"  ;  mais  la  troi- 
sième frappait  à  une  place  sensible.  Il  ne  souffrait  pas  qu'on  lui 
désobéît,  et  il  envoya  de  nouveaux  ordres  pour  qu'on  cessât 
d'oublier  Marot. 

206.  Mais  il  fallait  attendre  les  prochains  états,  c'est-à-dire 
une  année  entière.  A  cela  nul  remède,  sinon  la  patience.  Eh  bien, 
le  poète  patientera  à  condition  qu'on  lui  donne  de  quoi  vivre. 
Au  fond,  s'il  désire  la  qualité  de  valet  de  chambre,  il  tient  encore 
plus  aux  honoraires,  et  l'on  conçoit  qu'il  se  résignera,  pourvu 
que  les  émoluments  lui  demeurent,  à  se  voir  contester  la  fonc- 
tion. En  droit,  on  ne  lui  doit  rien  ;  en  fait,  qu'on  se  rassure,  il . 
touchera.  Ses  gages  vont  lui  revenir  par  une  route  détournée, 
et,  bien  qu'il  semble  les  avoir  perdus  faute  d'un  titre  authenti- 
que, il  lui  sera  possible  de  les  recevoir  sous  la  forme  d'un  acquit 
au  comptant  (ou  de  comptant). 

207.  Au  moyen  de  ces  acquits,  le  bon  plaisir,  l'arbitraire, 
ennemis-nés  des  règles  et  des  contrôles,  se  glissaient  dans  les 
finances  de  l'ancienne  monarchie.  Ce  qui  n'était  prévu  sur 
aucun  budget,  les  dépenses  sans  caractère  fixe,  les  «  bienfaits  » 
du  prince,  les  sommes  que  les  favoris  soutiraient,  les  indemnités 
pour  un  service  occulte,  tout  cela  se  soldait  le  plus  souvent  par 
acquit.  D'où  ces  surprises,  ces  fuites  qui  rendaient  les  projets 
d'économie  illusoires,  et  amenaient,  au  bout  de  chaque  exercice, 
très  infailliblement,  le  déficit.  Il  n'importe.  Le  souci  du  bien 
public  n'arrêtait  pas  les  quémandeurs,  et  Marot  n'allait  pas 
négliger  une  ressource  que  personne,  à  sa  place,  n'aurait  dédai- 
gnée. De  nouveau,  il  écrivit  au  roi  [J.  III,  12],  et  le  pria,  en  dix- 
huit  vers  badins,  de  lui  bailler  «  un  bel  acquict  »  représentant 
ses   gages 

Dès  le  jour  du  trespas 

De  Jehan  Marot,  son  père. 

Et  ainsi,  ajoutait-il  plaisamment,  moi  qui  suis  né  dans  la  misère, 
je  me  trouverai  riche...  tant  que  l'argent  durera.  François  I^r 
accueillit  cette  requête,  et  délivra,  dûment  libellée  sur  parche- 
min, une  ordonnance  de  payement.  J'ignore  si,  nanti  de  cette 
pièce.  Clément  fut  assez  naïf  pour  croire  qu'il  n'avait  plus  qu'à 
passer  à  la  caisse.  S'il  l'a  pensé,  quelle  erreur  !  Hélas,  entre  lui 
et  ses  écus,  s'élèvent  encore  des  obstacles,  et  il  lui  faudra,  pour 
les  franchir,  déployer  tout  son  talent  et  se  remuer  beaucoup. 
On  se  sent,  à  le  voir  faire,  non  moins  attendri  qu'amusé,  car, 
tandis  qu'il  s'efforce  de  sourire,  il  «  n'a  maille  »,  de  son  propre 


152  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

aveu,  et  cette  bonne  humeur  qu'il  affecte  cache  mal  (réalité 
navrante)  la  sourde  révolte,  l'angoisse  du  pau\Te. 

208.  A  cet  acquit  dont  nous  parlons  il  manquait  une  chose  : 
le  sceau.  Il  appartenait  au  chancelier  de  l'apposer,  et  le  chancelier, 
c'était,  depuis  le  mois  de  janvier  1515,  «  bipedum  omnium  nequis- 
simus  »,  un  homme  dévoré  d'ambition  et  toujours  inassouvi, 
habile,  cynique,  rapace  et  plein  de  vices,  l'archevêque  de  Sens, 
Antoine  Duprat,  sieur  de  Xantouillet.  Vers  la  date  où  nous 
sommes,  il  Venait  (août  1527)  d'apprendre  la  nouvelle  de  sa 
promotion  au  cardinalat,  et  bien  qu'il  ne  dût  recevoir  le  chapeau 
qu'au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante,  on  pouvait,  dès  cette 
heure,  le  féliciter.  Que  d'affaires  il  avait,  ce  Panurge  de  la  cour 
et  de  l'Église  !  Les  siennes  d'abord,  si  compliquées.  En  consé- 
quence, il  ne  s'occupait  guère  de  Marot,  et  ne  songeait  pas  à 
sceller  son  acquit.  L'écrivain,  fatigué  d'attendre,  se  décida  à 
réclamer,  et  adressa  au  chancelier  une  lettre.  Il  y  prodigue  les 
compliments  ingénieux,  les  coquetteries  d'une  muse  enjouée, 
les  vers  à  maintes  facettes  et,  malheureusement,  à  la  manière 
des  rhétoriqueurs,  les  calembours  et  les  équivoques.  Presque 
jamais  il  n'a  réussi  de  plus  variées,  de  plus  souples  courbettes. 
Les  souverains,  dit-il  à  Duprat,  ont  l'habitude,  en  montant  sur 
le  trône,  de  délivrer  les  captifs  qui  vivent,  ainsi  que  moi,  d'espé- 
rance. Agissez  de  même,  et, puisque  vous  voilà  cardinal,  mettez- 
moi,  à  votre  «  rouge  advenement  »  (l'expression  est  belle),  hors 
des  prisons  de  mon  ennemie,  Faiite-de-pécunc.  Derechef,  il  com- 
pare, en  cette  épître,  l'état  des  officiers  à  un  bercail.  Ce  bercail, 
on  l'a  fermé  juste  au  moment  où  il  se  flattait  d'y  pénétrer.  Mais 
le  roi-berger,  néanmoins,  a  donné  à  Clément  licence  de  «  pasturer  » 
(ceci  désigne  l'acquit  de  comptant),  et  il  ne  reste  plus  qu'à 
trouver  un  pré.  Or,  ce  pré,  vous  n'avez  qu'à  parler  gascon  pour 
le  découvrir  dans  le  mot  Duprat.  Duprat  va  figurer,  dès  lors, 
le  pré  ou  le  prat  qui  fournira  l'herbe  fraîche,  «  franche  et  bonne  >. 
Quelle  est  cette  herbe  ?  L'argent  de  l'acquit.  Lorsqu'on  l'aura 
scellé,  ce  parchemin,  le  poète  aura  de  quoi  brouter.  Ici,  en 
guise  de  conclusion,  il  multiplie,  imitant  peut-être  Guillaume 
Crétin,  des  phrases  où  abonde,  très  diversement  orthographiée, 
la  syllabe  scel  :  Assez  de  retard  !  Scellons  sans  faire  procès  longs  ! 
Si  jamais  on  scella,  c'est  le  moment  de  sceller.  Je  bénirai  «  des 
foys  plus  de  sept  l'heure  »  de  cette  scellure.  Autant  vaudraient 
un  potage  sans  sel,  un  cheval  sans  selle  qu'un  acquit  non  scellé. 
Vous,  donc,  qui  «  tous  aultres  -precellez  ^>,  monseigneur,  mettez 
là  votre  Sceau,  et  je  prierai  Dieu   et  son  smcelle 

Que  dans  cent  ans,  en  santé  excellent, 

Vous  puisse  veoir  de  mes  deux  yeulx  scellant. 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  153 

209.  Malesuada  famés...  Voilà  à  quoi  entraîne  la  pauvreté. 
Ces  derniers  vers  gâtent  un  peu  le  reste,  et  semblent  aujour- 
d'hui fort  étranges.  Mais  les  contemporains  les  approuvaient, 
et  ils  ont  sans  doute  amusé  Duprat.  Puisqu'on  l'y  conviait  avec 
un  tel  luxe  d'allitérations,  il  consentit  enfin  à  sceller,  et  Marot, 
qui  croyait  toucher  au  but,  courut  chez  le  trésorier  maître  Guil- 
laume Preudhomme.  D'abord,  simple  receveur  à  Lisieux,  puis, 
en  1515,  receveur  général  de  Normandie  et  conseiller  du  roi, 
ce  personnage  allait  devenir  ensuite  trésorier  de  l'épargne  (1529) 
et  (1530)  seigneur  de  Fontenaye-en-Brie.  On  le  disait  favorable 
aux  artistes,  aux  gens  de  lettres  ;  c'était  une  sorte  de  petit  Mé- 
cène ;  il  connaissait  les  œuvres  des  anciens  «  facteurs  »,  et  se 
délectait,  «  en  lieu,  temps  et  loisir  »,  à  les  réciter.  Cela  étant. 
Clément,  qui  devait  plus  tard  le  célébrer  comme  un  demi-dieu, 
avait,  certes,  le  droit  de  supposer  que  la  somme  si  longtemps 
attendue,  il  la  lui  verserait  sans  retard...  Non.  Le  trésorier, 
nous  ne  savons  pourquoi,  refusa.  Que  faire  ?  Une  fois  de  plus, 
l'infortuné  prit  sa  bonne  plume,  et  tourna  en  rimes  sa  protes- 
tation. S'adressant  au  chancelier,  il  se  plaignit  de  l'incroyant 
Guillaume  qui  ne  voulait  croire  ni  à  la  cire  du  sceau,  ni  à  la 
signature  du  roi,  ni  au  contreseing  de  Claude  Robertet.  J'ai 
envie,  ajoutait  le  poète,  de  faire  peindre  le  Père  éternel  sur 
mon  acquit.  Preudhomme,  s'il  est  aussi  prud'homme  (toujours 
les  jeux  de  mots  !)  qu'on  l'assure,  croira,  je  l'espère,  en  Dieu. 
Tandis  que  Duprat  était,  de  la  sorte,  invité  à  agir,  un  joli  dizain 
arrivait  au  trésorier  lui-même.  «  Va  tost,  Dixain,  solliciter...  » 
Parle  à  cet  «  amateur  d'Apollo  »,  au  double  Preudhomme  (et 
encore  !).  Je  souhaite  que  tu  sois  si  bien  reçu  que  je  puisse  rece- 
voir... Le  vœu  fut  exaucé  à  ce  coup,  et  l'écrivain  eut  son  argent. 
Il  l'avait  gagné,  n'est-ce  pas  ? 

210.  Pour  la  clarté  du  récit,  j'ai  présenté  comme  se  suivant 
à  peu  d'intervalle  les  pièces  relatives  à  l'acquit.  Cependant  il 
est  possible  qu'elles  se  rapportent,  en  fait,  à  deux  exercices 
financiers,  car  nous  ne  sommes  pas  certains  que  Marot  ait  été 
payé  une  seule  fois  au  moyen  d'un  acquit  de  comptant.  Mais 
qu'il  ait  eu,  deux  années  ou  rien  qu'une,  à  toucher,  à  arracher 
plutôt  ses  gages  de  cette  façon,  on  devine  que  tant  de  difficul- 
tés ont  nécessairement  accru  son  désir  de  figurer  sur  les  rôles 
de  l'hôtel.  L'épître  envoyée  au  roi  dans  ce  sens,  et  dont  il  a 
été  question  plus  haut,  ne  resta  pas  inutile,  et,  le  25  mars  [1527], 
François  pr  déclara  au  Grand-Maître,  en  quelques  lignes  très 
souvent  citées,  qu'il  voulait  et  entendait  que  Clément  eût,  dans 
sa  maison,  une  position  enfin  régulière.  «  A  quoy,  concluait-il, 
je  vous  prye  ne  faire  faulte.  »  De  son  côté,  Marguerite  deman- 


154  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

dait,  le  même  jour,  au  même  Montmorency  de  mettre  le  poète 
«  en  Testât  de  ceste  présente  année  ».  Ce  faisant,  «  me  ferez, 
disait  l'aimable  reine,  bien  grant  plaisir,  estimant  que  l'aurez 
traicté  comme  l'un  g  des  miens  ».  Le  ton  de  ces  deux  lettres  dif- 
fère, mais  elles  sont  également  pressantes.  Qui  donc,  ainsi  re- 
commandé, chercherait  ailleurs  d'autres  appuis  ?  Deux  sou- 
verains travaillant  de  concert  à  obtenir  une  faveur  pour  un 
valet  de  chambre,  voilà,  semble-t-il,  qui  doit  suffire...  Marot, 
néanmoins,  demeure  inquiet,  et  continue  à  plaider  en  personne 
sa  propre  cause.  Directement,  il  rappelle  au  Grand-Maître  ce 
qu'il  attend  de  lui,  et  compose,  à  son  intention,  un  dizain  : 
quand  l'argent  vous  est  assigné  «  par  acquitz  »,  on  se  sent  tout 
fâché  et  tout  malade.  Quel  remède  ?  Oh,  pas  de  drogues  !... 
Il  faut  simplement  être  bien  couché  (sur  l'état).  Couchez-moi 
donc,  noble  seigneur,  et  de  telle  manière  «  que  relever  n'en 
puisse  de  ma  vie  ».  L'auteur  ne  s'est  pas  donné  beaucoup  de 
peine,  et  s'est  contenté  de  nous  servir  l'un  de  ses  vieux  calem- 
bours. Mais  il  soigne  davantage  une  épître  qu'il  destine,  souhai- 
tant qu'il  prenne  en  main  ses  intérêts,  au  cardinal  de  Lorraine, 
et  bien  qu'il  n'ait,  au  fond,  rien  à  lui  dire  sinon  Parlez  de  moi 
à  Montmorency,  il  trouve  moyen  d'aligner  74  vers,  parce  qu'il 
évoque  Bon-Espoir  et  Mercure,  avoue  fièrement  sa  misère, 
consacre  quelques  phrases  à  la  déesse  Fortune,  puis  chante  les 
mérites  du  prélat,  sa  bonté,  son  savoir,  l'éloquence  de  sa  «  bou- 
che exquise  ». 

211.  Enfin,  Marot  eut  gain  de  cause,  et  son  insistance,  ses 
nombreuses  requêtes  lui  valurent  d'échapper  aux  lenteurs  et 
à  l'incertitude  des  acquits.  Il  y  a  lieu  de  penser  qu'il  fut  inscrit 
sur  l'état  de  1527-1528  :  mais  on  ne  saurait  l'affirmer  parce  que 
le  registre  de  cette  année-là  n'existe  plus.  C'est  au  rôle  de  l'an- 
née suivante,  «  commençant  le  premier  jour  de  janvier  mil  cinq 
cent  vingt  huict  et  finissant  le  dernier  jour  de  décembre  mil 
cinq  cent  vingt  neuf  »,  que,  pour  la  première  fois,  se  lit  (au  fo 
XII)  le  nom  de  notre  poète.  Sous  la  rubrique  Aultres  varletz  de 
chambre,  on  trouve  l'article  qui  le  concerne  :  «  Clément  Marot, 
deux  cents  livres  »,  et  nous  apprenons,  par  cette  même  source, 
qu'il  a  touché,  le  21  décembre  1530,  ses  gages  de  1529...  Et 
le  voici  donc,  après  beaucoup  de  retards  et  d'aventures,  entré 
au  port  si  désiré  ou,  pour  employer  son  style,  dans  la  bonne  et 
sûre  bergerie.  Quoiqu'il  cesse,  alors,  de  servir  Marguerite,  il  ne 
sera  ni  ingrat  ni  oublieux.  Il  ne  se  détache  qu'en  apparence. 
Jusqu'à  la  mort,  il  regardera  la  sœur  de  son  maître  comme  sa 
maîtresse  à  lui,  sa  dame,  sa  protectrice,  sa  vraie  providence, 
l'amie  des  mauvais  jours,  celle  qui  approuve  et  comprend    ses 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  155 

idées.  D'instinct,  il  se  tournera  vers  elle  à  chaque  crise,  et,  afin 
de  montrer  qu'il  lui  appartient  encore,  il  appellera  volontiers 
Henri  de  Navarre  son  second  roi.  Plus  que  celle  de  France,  Mar- 
guerite va  rester  sa  reine,  et  il  regrettera,  peut-être, d'avoir 
quitté  sa  maison,  car  le  bonheur  tranquille  et  solide  qu'il  espé- 
rait avoir  à  la  cour  de  François  I^^,  il  ne  l'y  trouvera  jamais. 
Le  prétendu  bercail  abritait  des  loups  ;  la  paix  qu'il  semblait 
promettre  n'était  qu'un  leurre  ou  qu'un  mirage. 

212.  Les  pièces  qui  forment  ce  qu'on  pourrait  nommer  le 
cycle  de  Vétat  et  de  l'acquit  ne  sont  pas  les  seules  que  Marot 
ait  écrites  durant  les  années  1527-1528,  et  il  a  été  amené,  par 
diverses  circonstances,  à  produire  d'autres  poésies,  celles,  no- 
tamment, qui  se  rapportent  à  la  mort  du  célèbre  Semblançay. 
Jacques  de  Beaune,  seigneur  (depuis  le  9  décembre  1515)  de 
Semblançay,  a  fourni  un  saisissant  exemple  des  périls  qui  ac- 
compagnent les  hautes  fortunes,  et,  en  achevant  au  gibet  une 
carrière  presque  triomphale,  il  a  prouvé  une  fois  de  plus  aux 
humbles  l'avantage  de  la  médiocrité.  D'abord,  au  service  de 
la  reine  Anne  de  Bretagne,  puis,  successivement,  «  général  »  de 
Languedoc  (1495),  membre  du  conseil  des  finances,  chevalier 
(1509),  promu,  vers  le  même  temps,  à  la  «  grand  charge  »,  c'est- 
à-dire  au  «  généralat  »  de  Languedoïl,  gouverneur  et  bailli  de 
Touraine  (novembre  1516),  chambellan,  Jacques  de  Beaune 
administre  le  domaine  de  Louise  de  Savoie,  est  traité  (mais 
attendez  la  fin  !)  par  cette  avare  princesse  en  confident,  en 
ami,  acquiert  assez  honnêtement  l'opulence,  et,  peu  à  peu,  se 
rend  indispensable  à  François  I^*". 

213.  Elle  sort  de  l'ordinaire,  certes,  la  destinée  de  cet  homme 
qui,  né  dans  une  famille  de  drapiers,  arrive  non  seulement  à 
occuper  des  places  éminentes,  à  faire  de  ses  fils  des  prélats  ou 
bien  à  leur  résigner  en  partie  ses  emplois,  mais  encore  à  «  gou- 
verner ))  [Bourgeois  de  Paris]  trois  princes  :  Charles  VIII,  Louis 
XII  et,  surtout,  leur  successeur.  Ce  dernier  lui  livre,  en  effet, 
les  finances,  l'autorise  (15 18)  à  rester  «  prouchain  de  sa  per- 
sonne »,  à  signer  pour  lui,  à  payer  ou  à  percevoir  presque  sans 
contrôle,  sur  un  simple  «  commandement  verbal  ».  Quoiqu'il  ne 
soit  pas,  à  proprement  parler,  surintendant,  et  qu'il  faille  plu- 
tôt voir  en  lui  un  banquier  de  la  cour,  un  ordonnateur  officieux 
et  un  ministre  sans  portefeuille,  Jacques  de  Beaune  préside 
au  maniement  des  deniers  publics,  négocie  les  emprunts,  ac- 
quitte les  dons,  subvient  aux  frais  des  ambassades,  tâche  d'en- 
tretenir les  armées,  et  dirige,  en  outre,  le  département  des  menus 
plaisirs.  Visant  à  obliger  tout  le  monde,  accueillant,  «  gracieux  », 
il  se  vante  de  n'être  jamais  «  incompatible  »  et  de  n'avoir  guère 


156  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

d'ennemis.  Il  en  a,  pourtant,  et  des  envieux.  Duprat  le  guette 
et  le  calomnie.  Louise  de  Savoie,  quand  elle  apprend  qu'il  a 
regardé  ses  biens  (1521)  comme  communs  avec  ceux  du  roi, 
oublie  les  services  passés,  réclame  âprement,  veut  se  venger, 
et  ne  cache  pas  sa  haine.  François,  à  son  ordinaire,  se  montre 
bon  fils  et  mauvais  maître.  Plusieurs  motifs  l'y  poussent  :  Sem- 
blançay  est  très  âgé  ;  il  a  fait  son  temps  ;  puisqu'il  laut  impu- 
ter à  quelqu'un  le  désordre  du  trésor,  il  jouera  utilement  le 
rôle  de  bouc  émissaire  ;  Duprat  sera  content,  «  Madame  »  aussi. 
D'ailleurs,  ce  vieillard  qu'il  s'agit  de  perdre  est,  pour  une  somme 
énorme,  créancier  de  la  couronne.  Lui  pendu,  la  dette  est  étein- 
te, et  l'on  pourra  même  confisquer  l'héritage,  se  partager  la 
dépouille. 

214.  Il  faudrait  bien  des  pages  pour  raconter  le  long  procès 
ou,  plutôt,  les  procès  de  Jacques  deBeaune.  Contraint,  d'abord, 
à  rendre  ses  comptes  devant  une  commission  instituée  le  11 
mars  1524,  c'est  seulement  à  la  fin  de  1526  qu'une  action  cri- 
minelle lui  est  intentée,  ce  qui  permet  (13  janvier  1527)  de 
l'enfermer  à  la  Bastille.  Son  sort,  dès  cet  instant,  est  fixé,  et 
il  ne  lui  reste  aucune  chance  de  salut.  On  lui  a  donné  comme 
juges  (26  mai)  des  gens  qui  tiennent  à  le  trouver  coupable,  et, 
parmi  eux,  siège  Jacques  de  Minut,  premier  président  à  Tou- 
louse, un  lettré,  un  Mécène  dont  nous  aurons  plus  tard  à  par- 
ler. Le  chancelier,  derrière  la  coulisse,  anime  le  zèle  du  tribu- 
nal :  on  ne  permit  pas  à  l'accusé  de  consulter  ses  papiers  ;  on 
lui  desnya  tout  conseil,  et  il  fut,  le  9  août,  condamné  à  mort. 
L'exécution  eut  lieu  le  lundi,  11.  Semblançay  montra  un  grand 
courage,  une  résignation  presque  souriante.  On  le  promena, 
monté  SUT  une  mule,  à  travers  Paris.  Il  était  vêtu  d'<c  une  saye 
de  veloux  noir  »  et  d'  «  une  robbe  de  drap  frizé  de  couleur  tan- 
née »  ;  il  avait  à  la  main  «  une  croix  de  boys  paincte  de  rouge  ». 
A  côté  de  lui  marchaient  Gilles  Maillart,  lieutenant  criminel 
au  Châtelet,  et  «  tous  les  archers,  arbalestiers  et  hacquebutiers  » 
de  la  ville.  Cortège  fort  imposant.  Il  y  avait,  pour  le  voir,  «  moult 
de  peuple  »,  des  spectateurs  «  en  gros  nombre  ».  Le  supplice 
d'un  homme  «  aiant  environ  soixante  et  quinze  ans  »,  si  riche 
et  si  puissant  autrefois,  méritait  qu'on  se  dérangeât.  Jacques 
de  Beaune  ne  se  troublait  point  ;  il  prenait  «  moult  saigement 
sa  mort  et  fortune  en  patience  »,  et  saluait,  les  remarquant 
dans  la  foule,  «  plusieurs  gens  de  sa  cognoissance  ».  On  le  fit 
attendre  six  heures  à  Montfaucon.  Il  priait  doucement  au  pied 
de  l'échelle.  Finalement,  il  fut  «  étranglé  ».  Et  voilà  le  hon  vieux 
temps...  Le  cadavre,  au  bout  de  quelques  jours,  fut  nuitamment 
emporté.  Duprat  écrivit  à  Montmorency  pour  se  plaindre,  ré- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  157 

clama  le  corps,  demanda,  le  supposant  enseveli,  qu'il  fût  dé- 
terré et  rependu.  Les  biens  du  défunt  profitèrent  surtout  à  ses 
juges.  Pourtant  Louise  de  Savoie  rafla  les  meubles,  et  les  fit 
voiturer  au  château  d'Amboise.  Quant  à  Maillart,  l'un  des  ac- 
teurs de  ce  drame,  son  histoire  se  termine  à  peu  près  là  :  il  mou- 
rut en  décembre  1529,  et  fut  inhumé  en  l'église  de  Saint-Ger- 
vais,  «  d'où  il  estoit  paroissien  ». 

215.  Il  y  a,  dans  l'âme  du  peuple,  un  instinct  de  justice  qui 
l'engage  à  réprouver  souvent  les  iniquités  de  ses  maîtres,  à 
ne  pas  être  complice  de  leurs  coups  de  force.  Sacrifié  par  ce  roi 
qui  l'avait  longtemps  appelé  son  père,  Semblançay  fut  absous 
par  la  voix  publique  et  même,  écrit  Versoris,  «  plaint  et  regret- 
té ».  Ceux  qui  le  virent  aller  au  supplice  eurent  «  marvileuse 
pitié  et  compation  dudit  sieur  ».  Mais  ce  sentiment,  presque 
personne  n'osa  l'exprimer.  Silnit  terra.  On  se  borna,  prudem- 
ment, à  un  blâme  tacite,  intérieur.  La  plupart  des  poètes  res- 
tèrent muets  ou,  s'ils  parlèrent,  ce  fut  en  ayant  soin  de  ne  pas 
se  compromettre  ou  pour  approuver  —  car  il  faut  vivre  !  — 
les  redoutables  auteurs  du  meurtre.  Charles  Fontaine,  sans 
prendre  parti,  cite  pêle-mêle  Hannibal,  Pompée,  César,  Jac- 
ques de  Beaune  et  Jonas  comme  autant  d'exemples  propres 
à  démontrer  que  tout,  en  ce  monde,  n'est  qu'heur  et  malheur. 
Soit  !  La  victime  de  Duprat  se  trouve,  au  moins,  en  bonne  com- 
pagnie, et  l'intention,  ici,  n'a  rien  d'hostile.  Mais  cette  même 
catastrophe  dont  Charles  Fontaine  parle  sans  irrévérence,  elle 
n'inspire  au  plat  et  médiocre  Germain  Colin  Bûcher  qu'une  très 
pauvre  plaisanterie.  Interrogé  par  Semblançay,  Apollon  lui 
déclare  : 

Fortune  tant  t'eslevera 

Que  tu  vivras  et  mourras  haultement. 

Germain  Colin  estime  «  moult  subtil  »  l'oracle  du  dieu  :  belle 
finesse,  en  vérité,  et  quelle  sécheresse  de  cœur  ! 

216.  Comparez,  à  présent,  notre  Marot...  Qui  lui  refuserait 
admiration  et  sympathie  ?  Il  n'est  pas  réservé,  lui  ;  il  n'est  pas 
«  sage  »  ;  il  ne  hurle  jamais  avec  les  loups  ;  il  se  range  du  côté 
des  vaincus  ;  la  flèche  si  acérée  de  son  esprit  épargne  pieuse- 
ment l'opprimé,  et  vise  ceux  qui  abusent  du  pouvoir.  En  cela, 
il  représente  l'opinion  des  masses  ;  il  est  peuple.  L'épigramme 
où  il  nous  peint  Maillart  menant  Semblançay  à  la  potence 
[J.  III,  ig]  me  semble  plus  que  jolie  :  profonde,  très  honorable. 
Rien  que  huit  vers,  et  tant  de  sens  !  La  malice  de  l'auteur  se 
fonde  sur  le  respect  du  droit,  sur  un  sentiment,  aussi,  d'humanité. 
Clément  compatit,  et  il  répare.  Grâce  à  lui,  à  ses  huit  petits 


158  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

vers,  Jacques  de  Beaune  gardera,  et  pour  toujours,  le  beau 
rôle  ;  on  aimera  son  caractère  ;  ses  infortunes  paraîtront  tou- 
chantes ;  coupable  ou  innocent,  on  le  préférera  à  ses  bourreaux, 
et  l'histcire,  malgré  sa  longue  carrière  mêlée  et  complexe,  ne 
verra  en  lui  que  le  «  ferme  vieillart  »  qui  sut  mourir.  Quant  à 
l'autre,  l'homme  de  l'Enfer,  c'est-à-dire  du  Châtelet,  le  pâle 
Gilles  Maillart,  sa  figure  ravagée,  sa  démarche  défaillante,  son 
air  de  criminel  qui  va  expier  révèlent,  dénoncent  le  trouble 
de  sa  conscience,  la  honte,  la  peur,  le  remords.  Et  ce  n'est  pas 
Maillart  seul  que  l'épigramme  stigmatise  :  c'est  le  corps  entier 
des  magistrats,  tous  les  avides,  tous  les  complaisants.  Maillart, 
triste  symbole,  les  représente  tant  qu'il  y  en  a,  en  sorte  que 
Semblançay  est  conduit  à  Montfaucon  non  par  les  juges  qui 
l'ont  trahi,  mais  bien  par  la  Justice  elle-même,  repentante  et 
consternée. 

217.  Sous  le  titre  du  Riche  infortuné,  Marot  a  consacré  à 
celui  qu'il  nomme  le  «  roy  de  Tours  »  une  seconde  pièce,  une 
élégie.  Elle  ne  vaut  pas,  il  s'en  faut,  le  huitain,  car,  outre  que 
les  lieux  communs  y  abondent,  elle  semble  trop  artificielle, 
et  tombe  dans  les  inconvénients  du  doctrinal  et  de  la  prosopo- 
pée.  Ce  n'est  plus  le  poète  qui  parle,  mais  l'ombre  de  Jacques 
de  Beaune,  et  elle  exprime  des  vérités  banales,  à  savoir  que  la 
roue  de  dame  Fortune  tourne  vite,  et  que  l'argent  ne  fait  pas 
le  bonheur.  Qui  en  doute  ?  Pour  ne  leur  enseigner  que  cela, 
était-ce  la  peine  de  revenir  chez  les  vivants  ?  Mais  Semblançay 
ne  se  borne  pas  à  tirer  la  morale  de  son  aventure  :  cette  fois, 
il  avoue  ses  torts,  son  «  vice  »,  tout  en  persistant  à  dire  que 
ses  «  ans  vieulx  »  et  sa  constance  lui  donnent  des  droits  à  la 
pitié.  Il  s'attendrit  sur  lui-même,  et  nous  dépeint  (voici  l'endroit 
notable  de  l'élégie)  son  corps  accroché  à  Montfaucon,  ses  yeux 
«  jadis  vigilans  »  aujourd'hui  mangés  par  les  corbeaux,  ses  che- 
veux blancs  que  le  vent  agite  «  ne  plus  ne  moins  »  qu'une  feuille 
d'arbre.  Visiblement,  le  poète  a  eu  horreur  du  spectacle  offert 
par  les  gibets,  et  il  ne  pensait  pas  sans  émotion  à  ces  squelettes 
punis.  Tandis  que  le  cardinal  Duprat  cherchait  à  pendre  deux 
fois  sa  victime,  Clément  eût  trouvé  bon  qu'on  laissât  les  morts 
en  paix  :  ayant  déjà  souffert,  il  respectait  la  misère  humaine. 

218.  Il  a  montré,  en  plaignant  celui  que  les  grands  de  la 
terre  avaient  accablé,  une  indépendance  très  rare  chez  les  ri- 
meurs  officiels.  Tandis  que,  souvent,  ils  approuvent  les  actes 
t^Tanniques  et  plaident  contre  les  proscrits,  lui,  oubliant  qu'il 
touchait  des  gages  pour  être  de  l'avis  de  ses  patrons,  il  a  parlé 
non  comme  un  courtisan,  mais  en  homme  libre  et  sincère.  Au 
reste,  qu'il  ait,  ou  non,  connu  les  deux  pièces  relatives  à  Jac- 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  159 

ques  de  Beaune,  François  I^""  ne  garda  point  rancune  à  l'auteur, 
et,  loin  de  lui  enlever  ses  bonnes  grâces,  il  lui  donna,  peu  après 
l'événement  qui  vient  d'être  raconté,  une  nouvelle  preuve  de 
sa  faveur  en  le  tirant,  une  fois  encore,  d'un  mauvais  pas. 

219.  Voici  de  quoi  il  s'agissait  :  vers  le  milieu  du  mois  d'oc- 
tobre 1527,  Marot,  soit  par  hasard  soit  à  dessein,  se  trouva 
sur  le  passage  d'un  quidam  conduit  en  prison  par  plusieurs  ser- 
gents auxquels  il  s'efforçait  d'échapper.  Le  poète  était-il  l'ami 
du  captif  ?  Le  croyait-il,  le  savait-il  injustement  arrêté  ?  Nous 
l'ignorons.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  résolut  de  le  délivrer, 
et  que,  s'élançant  —  non  pas  tout  seul,  je  pense,  —  contre  les 
agents  de  la  prévôté,  il  voulut  les  contraindre  à  lâcher  prise. 
De  là,  horions,  bousculade,  bagarre.  Le  résultat  fut  peu  bril- 
lant. La  police  demeura  maîtresse  du  champ  de  bataille  ou, 
du  moins,  se  replia  en  bon  ordre  sans  abandonner  sa  proie. 
Maître  Clément  s'en  alla  de  son  côté  :  mais  ceux  qu'il  avait 
chargés  avec  tant  d'entrain  et  de  violence  ne  le  perdaient  pas 
de  vue,  et  comptaient  lui  faire  payer  cher  son  agression,  sa 
rébellion.  Lui,  il  se  figurait  que  l'incident  était  clos,  et  même, 
à  l'entendre,  il  pensait  à  bien  autre  chose,  lorsque,  très  peu  de 
jours  après  cette  fâcheuse  «  rescousse  »,  arrivèrent  «  trois  grandz 
pendardz  »,  qui,  l'ayant  saisi  brutalement,  l'enfermèrent  dans 
la  Conciergerie  du  palais.  Et  le  voilà  donc,  pour  la  seconde 
fois,  confrère  en  l'église  Saint-Pris,  au  diocèse  de  Saint-Marry. 

220.  Moins  marri,  en  vérité,  que  pris.  Sa  position,  en  effet, 
ne  semble  pas  dangereuse,  car  il  lui  sera  facile  d'amadouer  les 
adversaires  qu'il  a,  c'est-à-diie  le  roi  et  les  sergents.  Deux  ac- 
tions, dans  le  cas  où  il  se  trouve,  s'exercent  ensemble  contre 
lui  :  une  action  civile,  parce  qu'il  a  lésé,  maltraité  des  individus, 
et  qu'il  lui  faut  réparer  le  dommage  ;  une  action  publique,  parce 
qu'il  a,  en  entravant  le  cours  de  la  justice,  violé  la  loi.  Or,  comme 
la  loi  émane  du  roi,  qu'il  la  représente  et  la  conserve,  c'est  lui 
qui,  théoriquement,  introduit  l'action  publique,  ou  qui  confère 
aux  juges,  dans  la  pratique,  le  privilège  de  le  remplacer  à  cet 
égard.  Marot,  donc,  ne  se  trompe  nullement  lorsqu'il  affirme 
[G.  III,  85]  que  le  roi  est  sa  partie,  et  qu'il  peut,  s'il  lui  plaît, 
tenir,  en  ce  qui  concerne  son  droit  souverain,  le  délit  pour  non 
avenu.  Mais  ce  désistement  du  prince  ne  paraît  pas  douteux, 
et  il  sera  temps  de  le  demander  quand  les  sergents  auront,  au 
préalable,  retiré  leur  plainte. 

221.  Que  faut-il  pour  cela  ?  De  l'argent.  Les  gourmades 
qu'ils  recevaient  étaient  regardées  par  les  bas  officiers  des  tri- 
bunaux comme  une  manière  de  casuel,  un  moyen  d'arrondir 
leurs  gages  fixes,  un  supplément,  en  somme,  agréable,  quoique 


160  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

onéreux.  On  se  rappelle  l'Intimé.  Pendant  que  Chicaneau  le 
soufflette  et,  «  de  ce  non  content  »,  réitère  avec  le  pied,  il  verba- 
lise, rempli  de  joie,  et  crie  :  «  Frappez  :  j'ai  quatre  enfants  à 
nourrir  !  »  Le  texte  de  Racine  n'insiste  guère.  Rabelais,  par 
contre,  ne  tarit  pas,  et  consacre  jusqu'à  cinq  chapitres  à  l'île 
Procuration,  à  ces  peu  fiers  chicanons  qui  gagnent  tant  à  être 
battus  que,  si  on  cessait  de  leur  casser  les  os,  «  ils  mourroient 
de  maie  faim,  eulx,  leurs  femmes  et  enfants  ».  Frère  Jean  des 
Entommeures,  mis  au  courant  de  ce  fait  étrange,  n'en  croit 
point  ses  oreilles,  et  jure  par  la  sacrée  botte  de  saint  Benoît 
qu'il  ne  tiendra  pour  certain  un  goût  aussi  insolite  qu'après 
l'avoir  dûment  constaté.  Là-dessus,  il  aborde  un  chicanons  à 
museau  rouge  et  lui  demande  s'il  consentirait,  pour  vingt  écus, 
à  être  roué  de  coups.  L'autre  accepte  avec  transport,  et  le  moine 
étrille  de  telle  manière  son  homme  qu'on  le  croit  «  mort  assom- 
mé ».  Point.  Rouge  museau,  «  aise  comme  un  roi  ou  deux  », 
empoche  la  somme  en  souriant,  et  propose  au  révérend  pcre  en 
diable  de  recommencer  à  moitié  prix...  Eh  bien,  ce  rôle  de  Jean 
des  Entommeures,  Marot,  sans  préméditation,  se  voit  obligé 
de  le  jouer.  Ayant  battu  les  sergents,  il  faut  les  indemniser 
Oui,  mais  à  quel  taux  ?  On  discute,  on  marchande  ;  finalement 
on  tombe  d'accord,  et  la  partie  civile  cesse  de  réclamer,  se  dé- 
clare satisfaite. 

222.  Restent  la  ministère  public,  la  loi,  le  roi.  Après  quinze 
jouis  de  captivité,  le  prisonnier  adresse  à  François  I^^  une  épî- 
tre  adroite,  étincelante,  dont  voici  le  point  essentiel  : 

Si  vous  supply,   Syre,   mander  par  lettre 
Qu'en  liberté  voz  gens  me  vueillent  mettre... 

Qu'on  ne  se  fie  pas  à  l'apparence  !  Quoique  la  requête  de  l'écii- 
vain  semble  toute  folâtre,  elle  renferme  un  très  solide  argu- 
ment, et  explique,  en  peu  de  paroles  mais  de  façon  claire,  qu'il 
n'y  a  plus  à  s'occuper  des  sergents,  et  que  rien  n'empêche,  à 
présent,  le  prince  d'arrêter,  s'il  le  veut,  la  procédure.  Ainsi 
fut  fait.  Dès  le  i^^  novembre,  François  ordonna  à  la  cour  des 
aides  de  délivrer  son  «  cher  et  bien  aimé  valet  de  chambre  », 
d'autant,  ajoutait-il,  tournant  en  prose  le  raisonnement  du 
poète,  qu'il  a  désintéressé  sa  partie  et  «  n'est  détenu  que  pour 
nostre  droit  ».  Le  lundi,  4  novembre,  la  cour  charge  maîtres 
Benoît  Larcher  et  Clériadus  de  la  Rozière,  conseillers,  d'inter- 
roger l'inculpé,  et  elle  décide,  le  mardi,  5,  ouïes  les  conclusions 
du  procureur  général,  que  «  ledit  Marot  »  sera  «  élargi  par  tout 
quousque...  en  faisant  les  soumissions  et  s'elisant  domicile  en 
la  manière  accoutumée  ». 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  161 

223.  Relâché  de  la  sorte  et  rendu  à  ses  travaux  ordinaires, 
il  tailla  sa  plume,  et  se  tint  prêt,  en  sa  qualité  de  poète  royal, 
à  célébrer  les  événements  qui  se  passeraient  à  la  cour,  les  ma- 
riages ou  les  décès,  par  exemple.  Et,  justement,  une  occasion 
s'offrit  presque  aussitôt,  à  savoir  la  mort  (vendredi,  29  novem- 
bre 1527)  de  Florimond  Robertet,  seigneur  d'AUuye,  trésorier 
de  France,  secrétaire  du  roi  et  concierge  du  Palais.  C'était  un 
haut  personnage,  et  la  magnificence  de  ses  obsèques  le  prouve. 
François  I^^",  qui  l'aimait  fort,  avait  ordonné  qu'on  lui  rendît 
«  tout  plain  d'honneur  ».  Dix-huit  crieurs  vêtus  de  noir  puhlîè- 
rent  son  trépas  dans  les  rues  et  carrefours.  Porté,  d'abord,  «  en 
grand  triomphe  «  et  avec  un  «  grand  nombre  de  luminaire  », 
à  la  chapelle  des  Augustins,  le  corps  fut  conduit  ensuite  à  l'église 
Notre-Dame-des-Champs,  «  et  estoient  audict  convoy  le  pre- 
vost  et  eschevins  de  la  ville  )>,  quantité  de  seigneurs  et  de  gen- 
tilshommes, les  «  gens  des  finances  »  en  longue  file.  Le  cercueil, 
après  les  deux  services  célébrés  à  Paris,  fut  mené,  entouré  de 
cent  torches,  à  Blois  où  eut  lieu,  pompeuse  et  coûteuse,  une 
nouvelle  cérémonie  funèbre. 

224.  Il  faut  croire  que  Marot  devait  à  Robertet  beaucoup 
de  reconnaissance,  vu  que,  lui  aussi,  il  l'enterra  très  solennel- 
lement et  sans  regarder  à  la  dépense.  Ce  ne  fut  pas  une  brève 
épitaphe  qu'il  lui  consacra,  mais  une  «  déploration  »  en  règle, 
un  vrai  poème  de  seize  pages  [J.  II,  244-260].  Il  a  voulu  faire 
une  «  œuvre  »,  un  monument  ;  il  a  soigné  la  façon,  l'étoffe,  d'où 
il  résulte  qu'il  a  été,  chose  qui  lui  arrive  lorsqu'il  s'applique, 
moins  bien  inspiré  que  de  coutume.  Lui-même  avoue  [245]  qu'il 
n'entend  rien  à  la  tragédie,  et  que  l'expression  des  sentiments 
tristes  corrompt  le  naïf  de  sa  muse.  Il  avait  plus  raison  qu'il  ne 
pensait,  et  il  n'a  pas  réussi  à  être,  dans  les  vers  qui  nous  occu- 
pent, à  la  fois  affligé  et  naturel.  Sa  déploration  est  en  partie 
conçue  et  traitée  selon  la  méthode  des  rhétcriqueurs.  Un  songe, 
une  vision,  voilà  le  cadre,  et,  dans  ce  cadre,  se  meuvent,  ani- 
mées (si  peu  !)  et  bavardes,  des  abstractions  à  forme  humaine 
ou  divine,  des  personnes  qui  sont  des  symboles.  L'auteur  met 
en  scène  la  Mort  «  hydeuse  »,  «  le  bon  hommeau  Labeur  »  et 
dame  République-française  qui  non  seulement  déchire,  tant  elle 
est  désespérée,  affolée,  son  manteau  bleu  semé  de  fleurs  de  lis, 
mais  arrache  encore  ses  «  beaulx  cheveulx  ».  A  cette  Républi- 
que consternée,  sanglotante,  qui  lui  reproche  d'avoir  occis  Ro- 
bertet, homme  si  illustre  qu'on  le  connaissait  «  en  Tartarie, 
Espaigne  et  la  Morée  »,  Atropos,  la  «perverse  Chimère  »,  réplique 
par  un  ample  sermon,  et,  vexée  d'avoir  été  appelée  [250]  «  vieille 
effacée,  infecte,  image  immunde  »,  déclare  qu'elle  est,  au  con- 

Clément  Marot  et  son  école  11 


162  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

traire,  aimable,  désirable,  attendu  que  si  on  ne  mourrait  pas, 
on  ne  pourrait  pas  revivre,  et  que  c'est  elle  qui  ouvre  la  glo- 
rieuse porte  de  l'éternité.  Ce  discours  et  celui  que  prononce 
République  appartiennent,  du  moins  par  leur  forme,  à  l'âge 
précédent,  et  l'on  y  relève  des  hyperboles  et  des  jeux  sur  les 
noms  propres  que  Jean  Marot  eût  approuvés.  Pleurez,  com- 
mande République,  ce  Robert  et  si  diligent  et  si  sage  !  Que  vos 
larmes  ne  soient  pas  simplement  une  rosée  !  Moi,  j'en  verse 
«  plus  d'un  seau  ».  Vous  autres,  changez  en  un  petit  ruisseau 
«  chascun  œil  »,  et 

De  tout  cela  faisons  une  rivière  ...    [25T.] 

Florimond  mérite  ce  débordement  :  il  fut,  en  effet,  un  «  mont 
flory  »,  «  plus  que  flory  »,  et  si  haut  qu'il  s'élevait  au-dessus  de 
«  Parnasus  ». 

225.  Mais  s'il  respecte  et  continue  une  détestable  tradition 
littéraire,  ce  poème  renferme,  par  ailleurs,  un  élément  assez 
nouveau  et  des  hardiesses  qui  nous  étonnent.  L'écrivain  intro- 
duit, au  moment  où  l'on  s'y  attendait  le  moins,  une  satire  de 
l'Église  dans  son  panégyrique  de  Robertet,  et  saisit  l'occasion, 
ou  la  fait  naître,  d'attaquer  avec  force  le  papisme  [246].  Bien 
entendu,  la  Rome  catholique  devient,  ici,  une  dame,  une  «  grand 
dame...  nommée  Rommaine  »  qui  porte  une  triple  couronne 
sur  sa  tête  rasée,  et  traîne,  peintes  et  brodées  aux  plis  de  sa 
robe,  toutes  les  richesses  de  ce  monde  :  les  palais  et  les  châ- 
teaux, les  tours  et  les  villes  closes,  les  plaines  et  les  «  boys  ra- 
mez »,  la  terre  entière  et  la  mer  aussi.  Telle  s'avance,  chargée, 
gorgée  d'  «  un  million  de  choses  »,  la  C^'bèle  cléricale,  et,  pour 
vous  ôter  l'envie  de  critiquer  ses  conquêtes  temporelles,  elle 
étale  aux  yeux  cette  devise  :  Le  feu  à  qui  en  grogne  !  Cet  impu- 
dent avis  est  presque  un  aveu.  Cependant  la  robe  dont  elle  est 
couverte,  ce  tissu  que  les  siècles  ont  fermé  de  la  suostance  des 
peuples  rend  la  méchante  fée  un  peu  honteuse,  et  elle  dissimule 
ce  vêtement  révélateur  sous  un  manteau  où  plusieurs  draps 
sont  compris,  le  noir  et  le  Diane,  Je  gris  et  l'enfumé.  Est-il  besoin 
de  le  dire  ?  11  figure,  ce  manteau,  la  feinte  pauvreté  des  moines, 
qui  prospèrent  «  sans  travail  »  à  l'ombre  de  la  tiare.  Le  sym- 
bole, on  le  voit,  a  trois  parties,  et  Marot  a  voulu  nous  signifier 
que,  fort  attachée  aux  biens  d'ici-bas,  Rome  était,  en  outre, 
féroce,  hypocrite.  Il  aurait  pu  s'arrêter  là,  et  personne  ne  l'eût 
accusé  d'être  timide.  ]\Iais  non,  il  insiste,  et  va  même  parler 
sans  allégorie.  Pourquoi,  demande  la  Mort  [253],  me  prodiguer 
l'injure,  m'appeler  mauvaise  ?  Le  prêtre  qui  chante  aux  entei- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  163 

rements,  et  dont  on  paye  les  orémus,  apprécie  mon  ouvrage 
et  me  bénit.  Sois  tranquille  !  Il  accordera  à  ta  cendre,  si  tu 
laisses  de  l'argent,  autant  de  messes  et  d'anniversaires,  autant 
de  musique  et  de  cierges  que  tu  en  désireras  [256]  :  mais  «  si 
tu  n'as  vaillant  que  ta  chemise  »,  le  cuié  ne  se  dérangera  point  ; 
tu  t'en  iras  seul  au  cimetière,  et  n'auras  droit  ni  à  la  plainte 
des  cloches  ni  à  la  moindre  psalmodie...  Marot  est  là  tout  entier. 
Il  aime  à  arborer  scn  drapeau  et  à  courir  au-devant  des  coups. 

226.  Il  a,  vers  la  même  époque,  produit  un  autre  poème, 
l'Amour  fugitif,  où  il  censure  de  nouveau  les  moines.  L'Amour 
fugitif  est  en  deux  parties.  La  première,  qui  n'a  rien  d'agressif, 
est  la  paraphrase  d'une  très  jolie  pièce  de  Moschus,  traduite 
en  latin  (1497)  par  GelliusBernardinus  Marmitta.  Clément  attri- 
buait à  Lucien  le  texte  grec  et  à  Politien  la  version  de  Mar- 
mitta. Il  se  trompait,  mais  qu'importe  ?  S'il  ignorait  le  vrai 
nom  de  ses  modèles,  il  n'a  pas  laissé,  grâce  à  eux,  de  rimer  une 
centaine  de  vers  agréables.  —  Quant  à  la  seconde  partie,  elle 
lui  appartient  en  propre,  et  le  titre  nous  le  dit  expressément. 
Précaution  inutile.  Il  suffit  de  lire  ce  deuxième  chant  pour 
s'apercevoir  qu'il  n'a  rien  d'antique.  Carmes,  capucins,  domi- 
nicains y  sont  cruellement  llagellés.  Les  couleurs  diverses  de 
leurs  frocs  amènent  plusieurs  comparaisons  désobligeantes  avec 
les  corbeaux,  les  pies,  les  ramoneurs.  L'habit,  direz-vous,  ne 
lait  pas  le  moine.  Mais  le  moine,  d'après  Marot,  vaut  encore 
moins  que  son  habit.  Pie  attire  le  mot  «  espie  )>.  Ces  gens  aux 
ceintures  de  corde  sont  une  race  d'espions.  Paresseux,  du  reste, 
et  sensuels.  Ils  prêchent  aux  naïfs  la  pauvreté,  tandis  que,  man- 
geant et  buvant  aux  frais  d'autrui,  ne  donnant  rien  et  prenant 
beaucoup,  ils  deviennent  vite  «  gras  et  puissants  ».  Nous  voici 
loin  de  l'Amour  fugitif,  et  le  rapport  entre  son  escapade  et  la 
conduite  du  clergé  régulier  nous  échapperait  de  tout  point,  si 
l'auteur  ne  se  décidait  —  bien  tard  —  à  rattacher  l'un  à  l'autre 
ces  deux  éléments.  Pour  les  concilier,  il  ajoute  au  mythe  de 
Moschus  le  trop  moderne  incident  que  voici  :  apprenant  que 
l'espiègle  Cupido  venait  de  quitter  sa  mère  et  volait,  hbre,  à 
travers  le  monde,  moines  et  moinillons,  comme  un  seul  homme, 
s'engagent,  la  main  sur  les  reliques  et  les  bulles,  à  rattraper  cet 
enfant  incendiaire  et  à  le  lier  si  bien  qu'il  ne  pourra  plus  bou- 
ger. C'est  à  quoi,  présentement,  travaille  la  légion  des  bons 
pères.  En  vain.  Personne  n'enchaînera  l'Amour.  L'  «humaine 
race  »  a  besoin  que,  sans  cesse,  il  erre  de-ci,  de  là,  et  les  vœux 
de  chasteté,  moyen  précaire  de  gagner  le  ciel,  ne  se  gardent 
qu'avec  peine  et  outragent  la  nature. 

227.  Dès  ce  moment,  on  le  voit,  Marot   travaille   à   trans- 


164  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

planter  clans  son  petit  champ  gaulois  les  belles  fleurs  de  l'anti- 
quité. Il  imite  non  seulement  les  Grecs,  mais  aussi  les  Latins, 
les  Italiens.  Ses  Visions  de  Pétrarque  [J.  III,  146],  translatées 
«  de  tuscan  en  françoys  »  par  commandement  du  roi,  semblent 
à  peu  près  contemporaines  de  l'Amour  fugitif,  et  c'est  d'un  poète 
de  Rome  qu'il  va  s'inspirer  en  son  Chant  nuptial  de  Renée  de 
France.  Née  à  Blois  en  15 10,  cette  princesse,  fille  de  Louis  XII 
et  de  la  reine  Anne,  épousa,  le  dimanche,  28  juin  1528,  Hercule 
d'Esté,  fils  de  Lucrèce  Borgia  et  d'Alphonse  I^^^  (j^c  de  Ferrare. 
Le  mariage  fut  célébré  à  la  Sainte-Chapelle,  puis  on  donna, 
«  au  Palays,  en  la  salle  de  Sainct  Loys  »,  un  banquet  «  fort 
honnorable  ».  Le  gaillard  épithalame  de  Clément,  après  des 
réflexions  sur  la  «  doulce  nuict  »  de  noces  qui,  maintenant,  sem- 
blent choquantes,  se  termine  par  des  regrets,  des  adieux.  Elle 
s'en  va,  la  noble  et  bonne  Renée  ;  Amour  l'entraîne  hors  de  sa 
patiie,  loin  de  ses  parents,  et  la  cour  se  déclare  inconsolable. 
De  fait,  Hercule  d'Esté,  emmenant  sa  femme,  reprit,  le  21  sep- 
tembre, la  route  de  son  pays  :  mais  s'il  avait  été  donné  à  Marot 
de  prévoir  l'avenir,  il  se  fût  à  l'avance  réjoui  de  ce  départ  qui 
devait  lui  être,  un  jour,  très  utile.  Le  temps  viendra,  en  effet, 
où,  fuyant  les  bourreaux,  trahi  par  son  maître,  cherchant  en 
divers  lieux  un  asile,  il  s'estimera  heureux  de  rencontrer,  à 
Ferrare,  une  duchesse  française  qui  consentira,  non  sans  danger 
pour  elle,  à  l'accueillir  et  à  le  défendre. 


BIBLIOGRAPHIE  ET  REFERENCES 

180.  Joiaville,  Histoire  de  saint  Louis  (édition  de  Wai'Iy  ;  Paris,  Hachette,  1886), 
§  §  327-8.  —  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  Charles  VII  (  Nouv.  Coll . 
des  mémoires  pour  servir  à  Vhist.  de  Fr.  publiée  par  Michaud  et  Poujoulat,  l'e  Série, 
t.  III),  pp.  271,  285,  287-9,  294- 

182.  Becker,  Zeitschrift  fUr  fr.  Spr.  u.  Litt.,  XLI,  211.  —  Michelet,  Mémoires  de 
Luther  (Paris,  Flammarion,  s.  d.),  182.  —  Rabelais,  P.,  IV,  29. 

183.  Le  coup  d'essay  de  François  Sagon  (Lenglet-Dufresnoy,  VI,  14)- — Becker, 
op.  cit.,  209-210.  -—  G.  III,  288,  n.  I. 

184-186.  Personne  n'a  jeté,  sur  ce  procès  de  1526,  plus  de  lumière  que  M.  Becker 
{op.  cit.,  211-213).  Les  renseignements  relatifs  aux  cinq  (?)  frères  Meigret  sont  extraits 
des  ouvrages  qu»  voici  :  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  règne  de  François  i<^' 
[Bourrilly],  pp.  182-183,  259-260,  374-375,  S^i»  ;  —  A.-L.  Hcrminjard,  Correspondance 
des  Réformateurs  dans  les  pzys  de  langue  française  recueillie  et  publiée  avec  d'autres  lettres 
relatives  à  la  Réforme  et  des  notes  histor.  et  biographiques...  9  vol.  in-8°  :  (  I  à  IV,  Genève, 
H.  Georg,  et  Paris,  Michel  Lévy,  1866-1872  ;  V  à  IX,  Genève,  H.  Georg,  et  Paris, 
Fischbacher,  1878-1897),  t  I,  309,  3i7,  323-325  ;  —  G.  III,  257,  les  vers  86-88  et  la 
longue  note  3. 

\87.  Bourgeois  de  Paris,  iS2,n.  3.  —  G.  1,98;  III,  76,  n.  2. 

188.  C.  Schmidt,  Gérard  Roussel,  pp.  40  sqq.  —  Mary  James  Darmesteter,  La  reine 
de  Navarre,  pp.  73  sqq.  —  Bourgeois  de  Paris,  363  et  passim. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  165 

190.  G.  Il,  163,  n.  2.  —  Bourgeois  de  Pans,  11  (le  texie  et  la  n.  i),  237,  247,  356. 

191.  G.  II,  173,  n.  I.  —  Bourgeois  de  Paris,  12,  210,  332. 

192.  G.  III,  69.— Becker,  op.  cit.,  207. 

194.  G.  II,  153,  n.  I.  —  Ruisseaux  de  Fontaine...  par  Ch.  Fontaine,  pp.  112-113.  — 
O.  Doiien,  1,  161. 

195.  Missions  de  Lyon  Jamet  :  Lettres  de  Rabelais  [Bourrilly],  pp.  13,  14,  73  ;  Lettres 
^e/^a«Ca/i'm  recueillies...  par  Jules  Bonnet  (Paris,  1854),  1,428.  —  Robert  de  Fuchis: 
A.deMontaiglon,/ertn  GoM;on,...dans  la  Gazette  a  es  Beaux-Arts,  1885,  p.  16.  — Jamet 
à  tout  jamais  louable...  :  G.  II,  155, 

197.  Louis  Guillard,  évoque  de  Tournay  en  1513,  fit  son  entrée  à  Chartres  le  diman» 
<he,  2  juillet  1525  (Bourgeois  de  Pari-^,  210-21 1).  —  Sur  ce  personnage  et  les  deux  actes 
émanés  de  lui,  cf.  Gall.  christ. ,  V lll,  1188  et  [Instrumenta]  408-409  ;  G.  I,  106-108  et 
II,  160,  n.  I  ;  Bccker,  op.  cit.,  214-215. 

198.  Qu'on  lise  [G.  II,  159]  le  titre  complet  de  r£«/cr,  et  on  y  touvera  cette  men- 
tion :  «  composé  en  la  prison  de  l'Aigle  de  Chartres  ».  Mais  le  mot  prison  ne  s'applique 
pas  forcément  à  un  édifice  destiné  aux  prisonniers.  Toute  demeure  peut  servir  de  prison; 
Le  Polyeucte  de  Corneille  est  en  prison  dans  son  propre  palais. 

201.  Coq-à-l'âne  de  Marot  :  G.  III,  206-243  ;  réponse  de  Jamet  :  Ibid.,  244-260.  — 
Becker,   op.  cit.,  216-218. 

202.  J.  II,  164  ;  III,  7,  27,  82,  98. 

208.  G.  III,  93-98.  —  Bipedum  omniiiM  ncqvissimus  :  Belcariiis,  Reium  gallic.  com' 
ment.,  1°  435.  —  Promotion  de  Duprat  au  cardinalat  :  Bourgeois  de  Paris,  270.  —  Les 
Poésies  de  Guillaume  Crétin,  pp.  203-4  :  «  Pleust  or  a  Dieu  que  jamais  Ckancellier  | 
Ne  fust  logé  fors  en  ine?,cJiant  cellier,  etc.  » 

209.  G.  III,  99,  le  texte  et  la  n.  i.  —  J.  II,  271  et  III,  61. 

210.  G.  I,  139-140.  —  Becker,  op.  cit.,  220-221.  —  J.  III,  13.  —  G.  III,  loi. 

211.  G.  I,  I4I-i4;î.  —  Monsecondroy  :  G.  III,  302,  v,  182-183  ;  J.  III,  57,  CXL. 
212-213.  Livre  de  maison  de  M"  Nicolas  Versoris,  avocat  au  Parlement  de  Paris  (1519- 

1530),  p;;blié  par  G.  Fagniez  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris  et  de 
V Ile-de-France,  t.  XII,  1885.  —  Pierre  Clémtnt,  Engiierrand  de  Marigny  ;  Beanne 
de  Semblançay  ;  le  chevalier  de  Rohan  {2^  édition),  Paris,  Didier,  1859.  —  .Alfred 
Spont,  Semblançay.  La  Bourgeoisie  financière  au  début  du  XVI^  siècle.  Thèse  de  Paris, 
1S95.  J'ai  empru.nté  divers  renseignements  à  cet  ouvrage.  Cf.,  notamment,  les  pp.  9, 
18,  25,  36,  63,  64,  66,  123,  129,  132,  le  texte  et  la  n.  i,  133,  150,  157,  177,  228,  261, 
280-28:. 

214.  Versoris,  op.  cit.,  104-/07.  —  Bourgeois  de  Paris,  253-259  ;  332.  —  Spont, 
op.  cit.,  245,  251,  261-264,  279. 

215.  Id.,  ibid.,  262-263,  264,  n.  4,  281.  —  Ch.  Fontaine,  Les  Ruisseaux  de  Fontaine, 
pp.  42-43.  • —  Les  Poésies  de  Germain  Colin  Bûcher  [J.  Denais],  p.  247. 

217.  J.  II,  50.  Une  partie  de  cette  pièce  est  imitée  de  Villon. 

219-222.  G.  I,  128-131  et  III,  80-87.  —  Becker,  op.  cit.,  224-225.  —  les  citations 
faites  au  §  221  proviennent  des  Plaideurs  IL  4  et  de  Pantagruel,  IV,  12  et  16. 
223.  Bourgeois  de  Paris,  275-276. 

226.  G.  II,  129-134  ;  135-142.  —  Becker,  op.  cit.,  226. 

227.  J.  11,85.  —  BourgeoisdeParis, 304^-205. 


m 

DU   MOIS   D'AOUT    1528    AU  MOIS  D'OCTOBRE   1534 


228.  Épitaphe  de  l'abbé  de  Beaulieu.  — 229-23Î.  U affaire  des 
Gracieux  adieux  aux  dames  de  Paris.  —  238-242.  Le  dernier 
procès  et  la  mort  de  Louis  de  Berquin.  —  243-244.  Clément 
M  a  rot  en  ménage.  —  245-255.  Une  agréable  et  chaste  histoire 
d'amour  :  Anne  d'Alençon.  —  256.  La  Paix  des  Dames.  — 
257-259.  Le  retour  des  otages  et  le  mariage  de  François  I^^ 
260-262.  Le  valet  de  Gascogne  ;  maladie  de  Marot.  —  263.  On 
lui  reproche  d'avoir  attaqué  la  Gascogne.  —  264.  Il  reçoit  divers 
témoignages  de  sympathie.  —  265.  Pièce  funèbre  sur  la  mort 
de  Louise  de  Savoie.  —  266.  Nouvelle  tentative  du  parlement 
contre  Marot.  —  267.  Etienne  Clavier.  —  268.  L'Adolescence 
clémentine.  —  269.  Le  roi,  se  dirigeant  vers  Marseille,  visite 
l'Auvergne  et  le  Languedoc.  — 270.  Son  entrée  à  Toulouse. — 
271.  Passage  de  Clément  dans  cette  ville.  —  272-276.  Guillaume 
de  La  Perrière.  —  277.  La  cour  arrive  à  Avignon  ;  le  tombeau 
de  Laure.  —  278.  Mariage  d'Isabeau  de  Navarre  et  de  René 
de  Rohan.  Marot  passe  quelques  jours  à  Alençon.  —  279.  //  va 
de  là  à  Vauluisant,  puis  à  Lorris  et  à  Blois.  —  280-281.  Ai- 
greur et  violence,  en  ce  temps,  des  querelles  religieuses  ;  placards 
et  pamphlets  ;  la  persécution  s'annonce,  et  Clément  compte  au 
nombre  des  plus  7nenacés. 

228,  Parmi  les  pièces  de  Clément  Marot  qui  se  laissent  dater, 
iljen  est  fort  peu  qui  appartiennent  à  l'année  1528,  et  il  ne  nous 
reste  plus  qu'à  en  citer  une  seule  :  Épitaphe  de  l'abbé  de  Beaulieu 
de  la  Marche,  qui  osa  tenir  contre  le  roy.  Il  s'agit  d'Antoine  de  La 
Mark,  u  prothenotaire  et  grand  archediâcre  de.  Chartres,  abbé 
commendataire  de  Beaulieu  »  en  Argonne,  l'un  des  quatre  fils 
de  Robert  II  de  La  Mark,  sieur  de  Sedan.  Ce  «  presumptueux 
moyne  »,  après  avoir  «  amassé  deux  ou  trois  mil...  mauvais 
garçons  ^),  se  mit,  aux  mois  de  juin  et  de  juillet,  en  campagne, 
et  voulut  établir  par  la  force,  autour  de  son  abba3^e,  une  poli- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  167 

tique  antifrançaise.  Mais,  attaqué  par  Claude  de  Guise  et  un 
«  certain  nombre  de  gens  d'armes  »,  il  ne  résista  guère,  et  «  fut 
tué  d'une  hacquebute  au  mois  d'aoust  ensuivant  »...  Sur  la 
pierre  qui  couvre  cet  audacieux,  Marot  propose  de  '<  graver  ou 
paindre  »  la  légende  des  Géants  qui  montèrent  à  l'assaut  du 
ciel,  la  jahle  instructive  de  Phaéton,  l'histoire,  aussi,  de  «  Lu- 
ciabel  »  qui,  pour  avoir,  avec  «  ses  consors  »,  tenté  de  s'élever 
contre  Dieu,  perdit,  comme  l'abbé  de  Beaulieu,  le  beau  lieu 
qu'il  habitait,  et  tomba  au  gouffre  sans  fond  de  l'enfer.  Faute 
d'avoir  médité  ces  exemples,  Antoine  de  La  Mark  a  succombe. 
Que  personne  ne  le  plaigne  !  Outrecuidant  jusqu'à  la  démence, 
il  montre  à  chacun  ce  qu'il  en  coûte  de  chercher  querelle  au 
Jupiter  gaulois. 

229.  Les  premières  œuvres  que  Marot  écrivit  en  1529  n'ont 
pas,  comme  l'épitaphe  d'Antoine  de  La  Mark,  un  caractère 
officiel,  et  elles  s'adressent  non  aux  adversaires  du  roi,  mais  à 
des  ennemis  (ou  ennemies)  du  poète.  Il  en  a  eu  toujours  une 
foule,  et  nous  lui  en  connaissons  déjà  beaucoup.  Le  hasard,  la 
calomnie  ou,  peut-être,  sa  verve  indiscrète  vont  maintenant  lui 
en  susciter  d'autres,  moins  dangereux  sans  doute  que  les  par- 
lementaires et  les  gens  d'Église,  mais  qu'il  devra  combattre 
cependant  et,  profitant  de  leur  manque  d'esprit,  réduire  enfin 
au  silence. 

230.  Du  reste,  voici  les  faits  :  La  cour,  cette  année-là,  fit 
plusieurs  voyages,  et  quitta  la  capitale  au  moins  deux  fois.  A 
l'occasion  de  l'un  de  ces  départs  —  et,  probablement,  de  celui 
qui  eut  lieu  le  11  mars  —  parut,  sous  la  forme  d'une  ballade 
irrégulière,  une  pièce  assez  gauche  qui  avait  pour  titre  les  Gra- 
cieux adieux  aux  dames  de  Paris.  «  Gracieux  »  est  mis  là  par  anti- 
phrase. ((  Les  mignons  de  court  »  (ce  sont  eux  qui  parlent)  déco- 
chent aux  Parisiennes,  sous  prétexte  de  prendre  congé  d'elles, 
quantité  d'allusicKis  très  mordantes  et  maints  brocards,  en  outre, 
aussi  explicites  que  directs.  L'outrage,  ici,  est  à  double  tran- 
chant, et  ce  texte,  si  nous  lui  supposions  une  valeur  historique, 
prouverait  que  les  gentilshommes  de  la  maison  royale  avaient, 
à  la  ville,  des  amours  plébéiennes,  et  descendaient,  pour  y  trou- 
ver le  plaisir,  au-dessous  du  demi-monde.  Les  dames,  en  effet, 
qui  reçoivent  leurs  adieux  sont  toutes  des  personne?  «  aux  cour» 
talions  »,  ce  qui  revient  à  dire  des  femmes  qui  tombent,  et,  bien 
qu'elles  sortent  de  divers  milieux,  elles  exercent  le  même  mé- 
tier, s'offrent  aux  galants  à  titre  onéreux,  et  les  regardent  comme 
des  «  pigeons  »  qu'il  faut  plumer.  On  se  procure,  par  cette  incon- 
duite, plus  d'aisance  au  logis,  un  air  de  luxe  au  dehors,  quelques 
bijoux,  des  «  chesnes  et  bracelletz  ».  La  prostitution,  ainsi  com- 


168  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

prise,  n'est  pas  tant  un  gagne-pain  qu'une  source  de  profits 
accessoires,  une  façon  de  ne  pas  manquer  du  superflu.  Et  l'on 
doit  croire  que  cette  forme  de  dépravation  se  rencontrait,  au 
XVI^  siècle,  en  plusieurs  classes  de  la  société,  car  les  Adieux 
mentionnent,  outre  la  corporation  entière  des  «  lingères  du 
Palays  «,  au  moins  une  dame  de  la  noblesse,  Jeanne  L'Orfèvre, 
fille  du  seigneur  d'Ermenonville,  puis  l'épouse  d'un  futur  chan- 
celier, Jeanne  Du  Bourg,  née  Hénard,  «  lieutenande  civille  », 
et  enfin  d'authentiques  bourgeoises,  <'  la  belle  Quadranière  », 
par  exemple,  qui  semble  avoir  tenu  une  boutique  de  mercerie. 

231.  Pourquoi  cette  satire,  qui  vise  uniquement  des  cour- 
tisanes (ou  autant  vaut),  a-t-elle  causé  un  grand  scandale  et 
soulevé  d'ardentes  protestations,  voilà  ce  que  je  ne  puis  expli- 
quer. Bien  des  fois,  avant  cette  date,  les  mœurs  des  Parisiennes 
avaient  été,  en  vers  et  en  prose,  peintes  soui  de  très  noires  cou- 
leurs, et  personne  ne  s'était  beaucoup  ému.  Plus  tard,  ces  mêmes 
attaques  seront,  sans  exciter  la  moindre  colère,  à  chaque  mo- 
ment renouvelées.  Rabelais,  notamment,  tâchera  de  rajeunir 
ce  vieux  thème,  écrira  contre  les  femmes  de  Paris  un  chapitre 
d'un  goût  vraiment  atroce,  une  série  d'énormes  sarcasmes.  Or, 
bien  qu'il  déclare  dévergondées  les  matrones,  les  filles  et  les 
fillettes  en  bas  âge  de  cette  cité  où  tout  est  à  vendre,  les  accu- 
sées n'ont  pas  songé  à  répondre,  et  nul  champion  n'a  pris  leur 
défense.  Comment,  alors,  ne  pas  s'étonner  de  l'indignation  qui 
accueillit  ces  petites  strophes  des  Adieux  P  Oui  eût  pensé  que 
Caqueton,  La  Touchalloue  et  La  Grive  auraient  des  partisans, 
des  chevaliers,  et  que  l'opinion  recevrait  mal  les  malices  lan- 
cées aux  dames  Marreff  de  ce  temps-là  ?  Pourtant,  il  en  fut 
ainsi  :  la  brève  et  médiocre  pièce  fit  un  tapage  imprévu,  et  l'on 
reprocha  à  l'auteur  d'avoir  insulté  tout  le  beau  sexe  de  la  capi- 
tale... Oui,  mais  qui  était  l'auteur  ?  Il  n'avait  pas  signé  son 
libelle,  et  le  public  cherchait  un  responsable.  On  ne  tarda  guère 
à  le  désigner,  et  la  ballade  fut  mise,  peu  charitablement  et  sans 
preuves,  au  compte  de  Clément  Marot. 

232.  ((  Nous  n'hésitons  pas  -,  dit  Guiffrey,  à  lui  attribuer  cette 
satire...  Il  serait,  cependant,  très  naturel  d'hésiter,  et  il  y  a 
plus  d'une  raison  de  croire  que  les  vers  en  question  ne  sont  pas 
l'œuvre  de  notre  poète.  Lui-même,  au  moins  trois  fois,  a  nié 
les  avoir  faits,  et  il  affirme  encore  son  innocence  longtemps 
après  la  crise,  alors  que  rien  ne  le  contraint  à  mentir.  On  peut 
donc  admettre  qu'il  est  sincère  quand,  à  peine  les  Adieux  parus, 
il  traite  de  «  gentilz  veaux  »  ceux  qui  les  ont  composés,  et  de- 
mande à  ne  pas  être  confondu  avec  de  si  vils  et  sots  «  blason- 
neurs  ».  La  réplique  ou,  pour  parler  comme  lui,  l'excuse  qu'il 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  169 

leur  adresse  se  réduit,  en  somme,  à  deux  arguments  :  1°  Hor- 
mis six  dames  «  qui  hayne  m'ont  voué  »  (il  y  a  ici  un  mystère  ; 
les  six  conjurées  sont  mal  connues,  ainsi  que  la  cause  de  leur 
aversion),  je  n'ai,  parmi  les  femmes,  aucune  ennemie  :  je  les 
respecte  toutes  ;  je  suis  «  leur  servant  »,  et  veux  em^ployer  «  mon 
petit  sçavoir  »  non  pas,  certes,  à  les  calomnier,  mais  à  chanter 
leurs  louanges.  2°  Il  suffit,  pour  ne  pas  me  soupçonner,  de  lire 
les  Adieux  sans  parti  pris.  Ils  sont  faiblement  rimes,  et  le  sens 
ne  vaut  guère  mieux  que  la  forme.  Ce  pauvre  travail  est  indi- 
gne de  moi,  et  jamais  des  strophes  limées  avec  une  telle  négli- 
gence ne  sont,  avouez-le,  sorties  de  ma  forge. 

233.  Cette  deuxième  preuve  me  semble  excellente,  concluante 
presque,  et  les  vers  contre  les  Parisiennes  marqueraient,  s'ils 
étaient  réellement  de  Marot,  une  étrange  défaillance  tant  de 
son  esprit  que  de  son  art.  Mais  qu'importe  aux  envieux  ?  Des 
réflexions  de  ce  genre  ne  les  arrêtent  pas,  et  ils  sacrifient  vrai- 
semblance et  bonne  foi  à  l'espoir,  au  plaisir  de  nuire.  Un  rimeur 
dont  nous  ne  savons  rien,  sinon  (et  encore  !)  qu'il  se  nommait 
Louis  Boileau  et  se  faisait  appeler  seigneur  de  Centimaison, 
accepta  ou  s'arrogea  le  rôle  de  champion  des  dames,  s'oiïrant 
à  les  venger  toutes  en  bloc  et,  plus  spécialement,  les  six  que 
Clément,  dans  ses  excuses,  avait  dit  lui  être  hostiles.  A  ce  groupe 
de  commères  courroucées  M.  de  Centimaison  sert  d'interprète, 
et  c'est  par  sa  bouche  que  s'exprime  leur  rage.  Quel  style  ! 
Quelles  invectives  !  Il  jette  feu  et  flamme,  le  noble  seigneur  de 
Centimaison.  Sa  stratégie  consiste  non  pas  à  essayer  de  défendre 
ses  clientes,  mais  à  accabler,  à  pulvériser  leur  adversaire.  Voilà 
un  projet  de  paladin.  Le  malheur  est  que  le  Roger  des  six  Angé- 
liques a  l'âme,  les  armes  d'un  charretier,  en  sorte  que,  au  lieu 
de  pourfendre  l'ennemi  avec  l'épée  ou  de  le  cribler  de  flèches 
aiguës,  il  voudra  l'abattre  à  coups  de  poing,  l'écraser  dans  la 
boue  et  sous  les  pavés.  Il  n'y  a  là  ni  discussion,  ni  réfutation, 
ni  l'ombre  d'un  raisonnement  ;  la  pièce  n'est  pas  autre  chose 
qu'un  chapelet  de  lourdes  injures,  et  les  Parisiennes,  chez  Louis 
Boileau,  parlent  en  marchandes  de  marée. 

234.  Admirez,  d'abord,  le  portrait  physique  de  Marot  qu'elles 
présentent  à  Marot  lui-même  :  Tu  es,  lui  crient-elles,  d'une  lai- 
deur répugnante,  tellement  lippu,  camus  [exact...  Mellin,  son 
joyeux  camarade,  l'avait  baptisé  Cadmus],  «  ratatiné  »,  louche, 
puant  et,  en  somme,  un  «  crapault  »  si  «  infect  »  que  pas  une 
femme  ne  voudrait  de  toi,  fût-ce  en  qualité  de  bouffon.  Tu  de- 
vrais, à  ce  point  difforme,  avoir  la  pudeur  de  te  cacher.  Non, 
tu  te  pavanes,  tu  t'exhibes,  tu  fais  la  roue  et  tu  fais  le  brave  ; 
tu  chausses,  quoique  n'ayant  pas  un  Hard,  de  jolis  souliers  de 


170  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

velours  ;  tu  portes  des  habits  de  soie,  et  tâches  d'orner  ce  corps 
pourri  qui  sera,  avant  peu,  mangé  des  poux...  Tes  mœurs  (voici 
maintenant  la  peinture  du  caractère)  valent  encore  moins  que 
ta  figure.  Bachelier  de  taverne,  licencié  es  vices,  hôte  des  mai- 
sons publiques,  tu  t'accroches,  parasite,  aux  gens  afin  qu'ils 
t'invitent,  de  guerre  lasse,  à  dîner.  Tu  cherches,  le  long  des  rue?, 
quelqu'un  qui  veuille  payer  pour  ta  panse.  Nous-mêmes,  tes  vic- 
times, que  de  fois  nous  t'avons  abreuvé,  repu,  lorsque  tu  venais, 
les  dents  longues,  flairer  le  rôti  dans  nos  cuisines  !  Et  c'est  toi, 
un  mendiant,  un  homme  qui  ne  possède,  sous  le  soleil,  ni  champ 
ni  friche,  le  confrère  des  truands,  des  happelopins  et  des  gau- 
disseurs,  c'est  toi,  misérable,  qui  oses,  jetant  le  venin  hors  «  de 
tes  tiippes  »,  arracher  aux  Parisiennes  leur  couronne,  leur  cha- 
peau d'honneur  ?  Tu  aurais  dû,  menteur  «  damnifère  > ,  garder 
le  silence,  car  tu  vois  qu'elles  ont  bec  et  ongles,  les  Amazones 
que  tu  as  détractées. 

235.  Et,  là-dessus,  pluie  d'injures...  Celles  que  j'ai  déjà  citées 
n'ont  pas  épuisé  la  verve  du  «  poète  »,  et,  craignant  de  paraître 
trop  modéré,  il  appelle  encore  Clément  Marot  non  seulement 
«  malheureux  belistre  »,  fils  de  farceur,  petit  coquin,  méchante 
créature,  maraud  (naturellement),  rimeur  affamé  et  rustique, 
cervelle  frivole,  cœur  félon,  «  composeur  mordifère  »,  homme  à 
la  «  serpentine  bave  »  et  à  la  vie  «  increpable  >^...  mais,  aussi, 
lâche  garçon,  écomifleur  et,  sans  périphrase,  «  macquereau  ». 
Tout  cela  n'est  pas  mal.  Pourtant  de  telles  apostrophes  ont  plus 
de  \'iolence  que  de  portée  ;  leur  brutalité,  au  fond,  les  empêche 
d'être  efficaces  ;  elles  ne  touchent  pas  le  point  sensible,  le  côté 
faible,  et  ne  sauraient  valoir,  puisque  les  gros  mots  ne  prouvent 
rien,  une  imputation  nette  et  précise,  fondée  sur  un  fait  réel. 
L'argument  ad  hominem,  celui  qui  va  loin  et  qui  peut  nuire, 
Centimaison  le  tient  soigneusement  en  réserve,  et  ne  le  produit 
qu'au  moment  de  conclure.  Et  puis,  dit  brusquement  à  Marot 
son  adversaire,  tu  es  luthérien,  ami  Clément  !  Souviens-toi  de 
ce  carême  où  tu  mangeais  de  la  chair  !  Peu  s'en  fallut,  alors, 
qu'on  ne  te  jetât  «  vif  en  ung  feu  ».  Personne  ne  t'auriit  pleuré. 
Patience  !  Tu  finiras,  hérétique,  par  aller  au  bûcher  et,  de  là, 
au  diable...  Mais  écoute,  en  attendant,  ce  que  t'annoncent  les 
dames  de  Paris  :  tu  seras,  pour  les  avoir  vilainement  blason- 
nées,  un  jour  ou  l'autre  banni  de  la  cour,  et  elles  s'engagent, 
en  outre,  à  te  punir  de  leurs  propres  mains.  Attrapé,  happé, 
saisi  par  elles,  fourré  ensuite  dans  «  ung  trou  de  cave  »,  et  ta 
sale  peau  mise  toute  nue,  tu  rece\T:as,  pendard,  avec  «  de  gros 
fouetz  »,  tant  et  de  tels  coups  que  le  sang,  depuis  la  tête  jus- 
qu'aux pieds,  ruissellera  sur  ton  corps. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  171 

236.  Il  eût  été  dommage  d'ajouter  quoi  que  ce  fût.  La  scène 
du  trou  de  cave  termine  l'épître  agréablement,  et  Louis  Boileau, 
croyant  avoir  atteint  le  sommet  de  l'invective,  regarde  sa  tâche 
comme  achevée,  et  pose  la  plume,  content  de  lui.  Mais  il  se 
trompe  s'il  pense  avoir  vaincu.  Ni  lui  ni  celles  qu'il  a  voulu  dé- 
fendre n'auront  le  dernier  mot,  et  il  leur  faut  essuyer  la  riposte 
de  Clément,  une  triomphante  lettre  de  238  vers  [G.  III,  144].  En 
ce  poème,  que  de  choses  !  L'auteur,  habile  et  dédaigneux  à  la 
fois,  ne  fait  pas  au  sire  de  Centimaison  l'honneur  de  lui  répondre 
directement,  et,  après  l'avoir  traité  d'ivrogne  et  de  «  farcereau  », 
il  se  borne  à  lui  souhaiter  d'obtenir,  récompense  due  à  son  zèle, 
les  intimes  faveurs  de  «  la  plus  saine  »  de  ces  «  bourgeoisettes  » 
auxquelles  il  a  servi  de  truchement.  A  part  ces  quelques  insultes 
et  ce  vœu  meurtrier,  la  pièce  entière  ne  s'adresse  qu'aux  six 
«  harangères  »  coalisées.  Marot  leur  affirme  derechef  qu'il  n'a 
pas  écrit  les  Adieux.  Je  ne  cherche,  dit-il,  noise  à  personne,  et 
méprise  ce  genre  de  pamphlets.  La  peinture  des  horreurs  de  la 
guerre,  l'apologie  de  la  paix,  l'éloge  de  tous  ceux  qui  travail- 
lent au  bien  public,  la  geste  admirable  de  François  I^r,  sa  vail- 
lance durant  les  combats,  sa  constance  dans  les  revers,  tels  sont 
les  sujets  qui  me  conviennent,  et  parler  de  vous,  dames  «  tant 
poupines  »,  ce  serait  me  ravaler.  D'ailleurs,  si,  entraîné  par  ma 
muse  ardente,  il  me  plaisait  de  vous  rendre  coup  pour  coup,  vous 
verriez,  alors,  combien  pique  un  poète  royal  et  de  quel  bois  il 
se  chauffe...  Mais  non.  Je  ne  suis  pas  l'ennemi  des  femmes. 
N'ai-je  pas,  autour  d'elles,  passé  et  gaspillé  ma  jeunesse  ?  J'au- 
rais pu  l'employer  mieux  ou  —  qui  sait  ?  —  de  façon  pire. 
Ce  sexe,  quoi  qu'il  en  soit,  m'est  connu,  et  je  ne  confonds  nul- 
lement les  honnêtes,  les  vertueuses  dames  avec  vous  autres, 
les  six.  J'espère  qu'on  vous  laissera  de  côté,  qu'on  ne  vous  mê- 
lera point,  mauvaise  herbe  que  vous  êtes,  aux  bonnes  gerbes, 
c'est-à-dire  aux  personnes  qui  se  respectent.  Je  ne  tiens  qu'à 
l'estime  de  celles-ci.  Quant  à  vous,  ô  les  «  six  vieilles  Digestes  », 
oiseaux  de  proie  que  fascine  l'éclat  des  joyaux,  je  vous  con- 
seille de  fermer  votre  bec.  Au  lieu  d'attirer  sur  vous  l'atten- 
tion, songez  dorénavant  à  votre  salut.  Ne  vous  croyez  pas  des 
saintes  parce  que  vous  êtes  chanoinisées,  et  imitez  l'exemple  de 
Madeleine  tandis  qu'il  vous  reste,  pour  essuyer  les  pieds  de 
Jésus,  quelques  cheveux...  C'est  là  un  avis  très  bienveillant. 
Je  serais  fâché  que  cette  mienne  épître  vous  irritât.  Quittons- 
nous  sans  rancune,  mesdames,  et  recevez  mes  adieux  : 

Adieu  les  six,  qui  n'en  valez  pas  une  ; 
Adieu  les  six,  qui  en  valez  bien  cent  : 
Qui  ne  vous  veoit,  de  bien  loing  on  vous  sent. 


172  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

237.  Suffoqué,  atterré,  je  suppose,  Louis  Boileau  ne  bougea 
plus  ;  nulle  femme —  car  je  néglige  à  dessein  de  pauvres  stro- 
phes signées  d'un  nom  obscur  :  Jeanne  Demont  —  ne  se  décida 
à  insister,  et  l'affaire,  ce  semble,  en  demeura  là.  Mais  nous  lisons, 
dans  la  deuxième  réponse  de  Marot,  une  phrase  qui,  sans  avoir 
un  rapport  direct  avec  le  conflit  dont  il  vient  d'être  question, 
ne  laisse  pas  de  nous  intéresser.  La  voici  : 

Tant  de  broillis  qu'en  justice  on  tolère, 
Je  l'escriproys,  mais  je  crain  la  colère  ; 
L'oisiveté  des  prebstres  et  cagotz, 
Je  la  diroys,  mais  garde  les  fagotz  ! 
Et  des  abuz  dont  l'Église  est  fourrée, 
J'en  parleroys,  mais  garde  la  bourrée  ! 

Cette  prudence  nous  étonne,  attendu  que  notre  poète  n'a 
pas  l'habitude  de  prévoir  ainsi  les  conséquences  de  ses  criti- 
ques, et  que,  d'ordinaire,  il  les  formule  à  ses  risques  et  périls. 
Se  rappelait-il,  en  écrivant  ces  vers,  le  Châtelet,  Rhadamante, 
la  peine  qu'il  avait  eue  à  échapper  au  bûcher  ?  Évidemment. 
Mais  ce  n'est  pas  à  lui  seul  qu'il  pense,  et  tout  porte  à  croire 
qu'il  fait  allusion  à  quelque  supplice  récent.  Au  supplice  de  qui  ? 
Aucun  doute  ne  paraît  possible,  et,  à  coup  sûr,  étant  donnée 
la  date  du  passage  cité,  il  s'applique  à  la  mort  affreuse  de  Louis 
de  Berquin. 

238.  Après  l'avoir  longtemps  défendu,  le  roi  venait,  pour  de 
graves  raisons  politiques,  de  lui  retirer  sa  protection  et,  bien 
à  contre-cœur,  de  le  livrer  à  ses  ennemis.  Cependant  la  com- 
mission qui  instruisait  alors  son  affaire  n'aurait  pas  voulu  le 
perdre,  et,  cherchant  à  plaire  au  pape  et  à  la  Sorbonne  sans 
aller  jusqu'à  l'irréparable,  elle  s'était  contentée  de  rendre  (ven- 
dredi, i6  avril  1529)  une  sentence  qui  réservait,  quoique  très 
sévère,  l'avenir.  Déclaré  coupable  «  d'avoir  tenu  la  secte  de 
Luther  »,  l'accusé  était  condamné  d'abord  à  la  dégradation  de 
ses  titres,  grades  ou  dignités,  puis  à  l'amende  honorable,  enfin 
à  la  prison  perpétuelle  «  entre  deux  murs  de  pierre  »,  avec, 
ajoute  le  Bourgeois  de  Paris,  «  defences  de  non  jamais  luy  bail- 
ler livre  pour  lire,  ne  ancre,  ne  plume  pour  esciire  ».  Terrible 
époque  —  n'est-ce  pas  ?  —  que  celle  où  un  arrêt  de  cette  na- 
ture méritait,  parce  que  la  vie  restait  sauve,  d'être  regardé 
comme  indulgent  !  Mais,  contrariant  les  efforts  de  ceux  qui 
travaillaient  à  le  sauver  et  conspirant  ainsi  contre  lui-même, 
Louis  de  Berquin,  malgré  les  conseils  et  les  prières  de  l'un  de 
ses  juges,  Guillaume  Budé,  interjeta  appel  «  illico  ».  C'était  une 
manière  de  suicide,  puisqu'il  tombait  par  là  sous  la  coupe  du 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  173 

parlement  qui,  rempli  de  haine,  l'épiait  depuis  1523.  Quelle 
aubaine  !  La  proie,  au  lieu  de  fuir,  accourait,  s'offrait.  Seule- 
ment, il  fallait  agir  \dte,  ne  pas  laisser  à  François  I'^'"  le  temps, 
s'il  éprouvait  un  remords,  d'empêcher  ce  qu'on  méditait  :  un 
crime  légal  et  dans  les  formes.  En  conséquence,  dès  qu'il  con- 
nut et  la  décision  des  commissaires  et  l'appel  qui  l'avait  aus- 
sitôt suivie,  le  premier  président,  «  vers  le  soir  »  de  ce  même 
vendredi,  se  transporta,  joyeux,  auprès  de  Berquin,  «  luy  de- 
manda s'il  vouloit  percister  »,  puis  se  hâta,  ayant  obtenu  une 
réponse  affirmative,  de  convoquer  la  cour  pour  le  lendemain. 
Cette  séance  (ou  ce  guet-apens)  du  samedi,  17  avril,  fut  brus- 
que et  rapide  comme  une  agression  faite  au  coin  d'un  bois. 
Entre  neuf  et  dix  heures  du  matin,  toute  procédure  était  finie, 
et  l'on  condamnait  le  luthérien  à  être  «  bruslé  vif  »  en  place  de 
Grève.  Sans  perdre  une  minute,  avec  «  grande  diligence  »,  il 
fut  «  baillé...  es  mains...  des  bourreaux  »,  et,  «  incontinent  après 
disner  »  (on  dînait  à  midi),  conduit,  traîné  au  supplice.  Sujet 
propre  à  une  tragédie  classique  :  les  péripéties  et  la  catastrophe 
n'avaient  duré  qu'une  révolution  de  soleil. 

239.  Assassiné  par  les  magistrats,  Louis  de  Berquin  ne  fai- 
blit nullement,  et  montra,  en  marchant  à  la  mort,  la  sérénité 
du  sage.  Dans  une  lettre  du  i^^"  juillet,  adressée  de  Fribourg  à 
Charles  U+enhove,  lettre  émouvante  où  la  douleur,  la  colère 
percent  à  chaque  moment  le  masque  du  penseur  égoïste  et  cir- 
conspect, Érasme  retrace  la  conclusion  du  drame,  dépeint  l'at- 
titude du  condamné.  A  le  voir,  affirme-t-il,  si  détaché  et  si  cal- 
me, vous  auriez  pu  le  prendre  pour  un  homme  qui,  dans  sa 
bibliothèque  ou  sous  les  voûtes  d'un  temple,  se  livre  à  de  hau- 
tes réflexions.  Ses  regards  attestaient  la  pureté  de  sa  conscience, 
et  il  était  clair  que  la  cause  qu'il  avait  défendue  lui  semblait 
encore  juste  et  sacrée.  Hinc  illa  vultus  tranquillitas.  De  là,  son 
assurance  et  sa  constance.  Lorsque  la  charrette  arriva  en  Grève 
et  qu'il  reçut  l'ordre  de  descendre,  il  obéit  sans  balancer,  et 
demeura  impassible  tandis  qu'on  le  liait  au  poteau.  Il  essaya, 
à  l'instant  suprême,  de  parler  au  peuple.  En  vain.  Ceux  qui 
l'entouraient  avaient  une  consigne  :  étouffer  sa  voix,  et  il  s'éleva 
une  telle  clameur,  tanins  satellitiim  fremitiis,  que  personne  n'en- 
tendit ce  que  criait  le  martyr. 

240.  Qu'il  était  donc,  après  cela,  commode  de  lui  faire  dire 
ce  qu'il  n'avait  pas  dit  ou  le  contraire  de  ce  qu'il  avait  dit  ! 
Forcer  les  vivants  à  se  taire  et  les  morts  à  parler,  quelle  res- 
source !  Bien  sûr  de  ne  pas  être  démenti,  le  quelconque  moine 
(franciscanus  quidam)  qui,  sous  prétexte  de  l'assister,  escortait 
et  obsédait  le  patient,  proclama  qu'il  avait,  pendant  les  apprêts 


174  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

du  supplice,  reconnu,  Dieu  merci,  puis  abjuré  son  erreur,  en 
sorte  que  —  très  certainement  —  il  aurait  part  à  la  couronne 
de  gloire  et  au  repos  éternel.  Mais  moi,  objecte  Érasme,  je  n'ajou- 
te pas  foi  à  de  telles  déclarations.  Les  gens  de  cette  espèce,  fran- 
ciscains et  autres,  prétendent  invariablement  que  tout  hérétique 
est  rentré,  parmi  les  flammes,  dans  l'orthodoxie,  bon  moyen 
d'amener  le  peuple  à  tenir  la  victime  pour  justement  accusée 
et  à  regarder  ces  palinodies  comme  une  victoire  de  l'Église... 
Le  subtil  Érasme  ne  veut  pas  ou  n'ose  pas  aller  au  fond  des 
choses.  Il  oublie  d'observer  que  ce  genre  d'imposture  achève 
et  prolonge  la  vengeance  des  «  bien  pensants  '..  Non  contents 
de  détruire,  de  réduire  en  cendre  le  corps  de  leurs  adversaires, 
ils  tuent,  après  coup,  leur  âme,  leur  influence,  leur  mémoire. 
En  publiant  qu'il  a  renoncé  à  sa  doctrine,  on  enlève  le  bénéfice 
de  ses  souffrances,  de  sa  constance  à  celui  qu'on  a  brûlé  ;  son 
sacrifice  devient  stérile  ;  l'exemple  qu'il  comptait  fournir  tourne 
contre  lui,  et  on  le  dépouille  de  sa  conviction,  c'est-à-dire  de 
cela  même  qu'il  avait  préféré  à  la  vie.  Perfidie  plus  cruelle  que 
la  violence  et,  aussi,  plus  efficace.  La  foule  naïve  tombe  dans 
le  piège,  favorise  innocemment  le  complot,  et  estime  naturelles, 
morales  ces  conversions  in  extremis.  Celle  de  Berquin  aurait 
dû,  semble-t-il,  étonner  les  moins  sceptiques,  et  il  eût  été  rai- 
sonnable d'admettre  qu'un  homme  de  cette  trempe  n'avait  pas, 
en  mourant,  désavoué  son  passé.  Pourtant,  la  calomnie  du  bon 
père  circula,  bien  accueillie,  et  l'on  retrouve  sa  trace  chez  le 
Bourgeois  de  Paris  qui,  après  avoir  raconté  en  détail  le  procès 
du  luthérien,  ghsse,  tout  à  la  fin,  cette  note  :  mais  u  il  mourut 
repentant  ». 

241.  Au  demeurant,  ce  prétendu  retour  à  leurs  dogmes  ne 
lui  concilia  point  la  bienveillance  des  catholiques.  Leur  haine 
le  poursuivit  dans  le  tombeau.  Je  me  trompe  :  il  n'avait  pas 
de  tombeau,  et  c'est  précisément  ce  que  remarque  avec  joie 
l'auteur  —  qui  ne  signe  pas  —  d'une  niaise  et  féroce  épigramme. 
Les  quatre  éléments  ont  collaboré,  écrit -il,  à  l'anéantissement 
«  du  faulx  Berquin  ».  Le  feu  et  l'eau  se  sont  coalisés  contre  lui, 
«  terre  luy  a  desnié  sépulture  »,  et,  de  peur  qu'il  ne  restât  quel- 
que chose  de  son  corps,  le  vent,  s'emparant  de  sa  poussière,  a 
soufflé  dessus,  l'a  dispersée. 

Les  sentimens  humains,  mon  frère,  que  voilà! 

Par  bonheur,  Berquin  n'a  pas  eu  que  cette  seule  oraison  funè- 
bre, et  son  infortune  a  été  déplorée  dans  un  poème  qui  a  le  ca- 
ractère d'une  léhabilitation.  Ce  poème,  M.  Guiffrey  l'attribue 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  175 

à  Marot.  Est-il  de  lui  ?  Je  ne  sais.  Marot,  peut-être,  eût  mieux 
dit.  Il  y  a  là  des  phrases  languis?antes,  des  vers  faibles  qu'il 
n'eût  pas  soufferts  ;  mais  les  idées,  certes,  rappellent  les  siennes, 
et  nous  découvrons,  en  cette  pièce,  ce  qu'on  ne  rencontre  guère 
que  chez  lui  :  une  vive  sympathie  pour  l'opprimé,  le  respect 
de  la  mort  et  de  la  douleur,  une  émotion  que  produit  le  mélange 
de  l'indignation  et  de  la  pitié. 

242.  Quel  qu'en  soit  l'auteur,  l'œuvre  dont  je  parle  me  pa- 
raît, ses  intentions  étant  généreuses,  réellement  belle,  quant  au 
fond.  Elle  s'ouvre  par  une  prière,  un  vœu.  Puisses-tu,  «  gentille 
ame  chrestienne  »,  trouver  au  ciel  la  paix  et  ta  récompense  ! 
La  façon  dont  tu  as  quitté  ((  ce  vil  monde  »,  ta  résignation  intré- 
pide, les  maximes  tirée?  de  l'Évangile  que  tu  a?  si  pieusement 
prononcées,  ton  ferme  propos  de  mourir  pour  Jésus  de  même 
que  Jésus  était  mort  pour  toi,  tout  nous  invite  à  croire,  tout 
nous  promet  que  ceux  qui  voulaient  ta  perte  ont  été  les  ins- 
truments de  ton  salut.  Elle  était  moins  cruelle  que  gracieuse, 
la  corde  que  le  bourreau,  arrachant  ta  chaîne  d'or,  a  nouée,  le 
brutal,  autour  de  ton  cou.  En  te  liant,  il  te  détachait,  te  déli- 
vrait. Et  ce  n'est  pas  toi  qui  es  à  plaindre.  Souvent,  en  ces  dra- 
mes de  la  place  publique,  la  victime  vaut  mieux  que  les  spec- 
tateurs, que  «  ce  dur  peuple  »  frivole  et  sanguinaire.  Voir  étran- 
gler un  malheureux,  quelle  fête  !  On  court,  on  se  faufile  au  pre- 
mier rang.  Oui  donc,  alors,  se  souvient  que  les  hommes,  inno- 
cents ou  criminels,  sont  tous  frères  ?  Ces  agonies  attirent  la 
foule  comme  «  ung  jeu  de  la  bazoche  ) .  Les  dames  ont,  à  l'avan- 
ce, loué  des  fenêtres.  Pimpante  et  parée,  l'amante  arrive  avec 
l'amant,  et  contemple  la  scène  effroyable  qui  s'achève,  pour 
elle,  en  galants  ébats...  Ainsi  gronde,  véridique  et  amer,  le 
bon  poète  inconnu.  En  tei minant,  il  se  tourne  vers  le  «  paren- 
taige  »  de  Berquin,  et  supplie  sa  famille  de  relever  le  front.  Elle 
n'est  pas  atteinte  dans  son  honneur  ;  elle  n'est  pas  flétrie,  tant 
s'en  faut  !  Aux  yeux  du  monde,  sans  doute,  une  telle  mort  est 
infâme.  Mais  laissez  dire  !  Non  moins  honteuse  fut  réputée,  à 
Rome,  la  fin  des  premiers  martyrs,  et  pourtant,  «  lassus  au 
ciel  »,  ils  portent  le  diadème.  Les  jugements  d'ici-bas  n'influent 
en  rien  sur  la  justice  de  Dieu,  et  parmi  les  grands  personnages 
qui  s'éteignent  doucement  dans  leurs  lits  et  que  recouvre  la 
terre  sainte,  beaucoup,  lorsque  sonnera  l'heure  du  discerne- 
ment, seront  précipités  au-dessous  des  prétendus  hérétiques 
mis  en  cendre  par  la  loi  des  hommes. 

243.  Plus  on  y  réfléchit,  plus  il  semble  naturel  de  rattacher 
à  la  tragique  aventure  de  Berquin  les  vers  où,  répondant  aux 
bourgeoises  de  Pari.-,,  Marot  avoue  que  c'est  la  crainte  de  la 


176  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

bourrée  ou  du  fagot  qui  l'empêche  d'aborder  certains  sujets. 
Par  là,  bien  que  relatives  à  un  incident  isolé,  les  pièces  qui  for- 
ment le  cycle  des  Adieux  prennent,  en  ce  qui  concerne  l'his- 
toire des  idées  à  cette  époque,  la  valeur,  l'intérêt  d'un  docu- 
ment, et  nous  fournissent,  sur  la  biographie  de  notre  poète, 
quelques  très  utiles  précisions.  En  voici  encore  une  à  signaler. 
Je  la  tire  du  réquisitoire  de  Centimaison  ou,  si  l'on  préfère, 
des  six  dames.  Nous  savons,  grâce  à  elles,  qu'en  cette  année 
1529  où  elles  se  déchaînaient  contre  lui,  Marot  (mais  depuis 
quand  ?)  était  marié. 

244.  Et  sa  femme,  d'après  Centimaison,  avait  eu  grand  tort 
de  l'épouser  :  il  la  laissait  affamée  et  nue  ;  elle  n'avait  même 
pas  «  son  saoul  de  pain  >,  et  sa  meilleure  robe  valait  moins  d'un 
denier.  Tandis  que  la  pauvre  créature  languissait,  dépérissait, 
lui,  il  vivait  dehors,  hantait  les  ivrognes,  les  filles  de  joie,  et, 
bref,  oubliait  tellement  sa  compagne  légitime  qu'elle  devait, 
pour  avoir  de  quoi  manger,  courir  les  rues,  elle  aussi,  mendier 
ou  se  vendre,  fréquenter  les  truands.  Joli  ménage,  n'est-ce  pas  ? . . . 
Mais  le  tableau  est  trop  noir  ;  le  peintre,  cette  fois  encore,  dé- 
passe le  but  ;  la  haine  l'inspire  mal,  car  il  faut,  quand  on  veut 
qu'elles  opèrent,  nuancer  davantage  les  calomnies.  Celles-ci,  à 
force  de  chercher  à  nuire,  deviennent  presque  innocentes,  re- 
tombent même  sur  leur  auteur  qui  joue  un  très  vilain  rôle,  et 
nous  rend,  faute  de  mesure,  son  témoignage  plus  que  suspect. 

245.  Est-ce  à  dire,  maintenant,  que  Marot  ait  été  un  mari 
modèle  ?  Xous  n'en  savons  rien,  et,  à  quatre  siècles  de  dis- 
tance, mieux  vaut  ne  pas  trancher  la  question.  Maître  Clé- 
ment —  léger  de  son  propre  aveu  et,  par  suite,  difficile  à  fixer 
—  a  pu  avoir,  sur  la  fidélité  conjugale,  des  idées  larges,  et  je 
me  figure  qu'il  regardait  je  ne  dis  pas  l'adultère,  mais  les  fan- 
taisies sentimentales  comme  le  droit  du  poète,  comme  faisant 
partie  des  profits  et  charges  de  la  profession.  Bon  pour  Salmon 
Macrin  de  chanter  sa  femme  !  Marot,  qui  respectait  la  tradi- 
tion, n'admettait  les  vers  d'amour  que  destinés  à  une  maîtresse. 
Au  besoin,  il  en  eût  inventé  une.  Mais  il  lui  fut  inutile  de  recou- 
rir à  ce  procédé.  Très  réellement,  d'ime  façon  durable  et  sin- 
cère, il  eut,  à  la  cour,  une  amie  de  cœur,  une  confidente  et  une 
muse,  celle  qu'il  appelait  :  «  Anne,  ma  sœur  •;.  [J.  III,  48.]  Les 
nombreuses  pièces,  souvent  exquises,  qu'il  lui  a  vouées  attestent 
qu'il  s'agit  d'une  passion  grave  et  pure,  non  d'un  jeu  littéraire. 
Les  sens  ont,  ici,  très  peu  de  place.  Seules  les  âmes  tendent  à 
s'unir.  C'est  une  sorte  d'idylle  intellectuelle,  un  roman  plato- 
nique jusqu'au  bout,  mais  où  le  platonisme  échappe  aux  nuées 
métaphysiques,  et  demeure  accessible,  humain,  souriant. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  177 

246.  Cette  «  brunette  «  au  «  gentil  cœur  gracieux  »,  cette 
Anne  que  le  poète  compare  à  une  «  amyable  calandre  »,  qui 
était-elle  ?  De  ce  problème  attirant  on  a  proposé  plusieurs  solu- 
tions conjecturales.  Mais  il  serait  oiseux  de  les  rapporter,  parce 
que  M.  Abel  Lefranc  a  identifié  le  personnage  d'une  manière 
que  je  crois  décisive.  Négligeant,  en  conséquence,  toutes  les 
hypothèses  antérieures  à  son  enquête,  je  me  bornerai  à  consi- 
gner les  précieux  résultats  qu'elle  a  fournis. 

247.  Sur  cette  femme  si  chère  à  Marot  et  qu'il  a  voulu  im- 
mortaliser, on  ne  possédait,  jusqu'à  ces  derniers  temps,  qu'un 
nombre  très  restreint  de  renseignements  positifs.  En  somme,  on 
ne  savait  rien  d'elle,  sinon  qu'elle  s'appelait  Anne  ;  —  qu'elle 
était  brune  ;  —  qu'elle  descendait  «  de  la  ligne  des  dieux  )>  (ceci 
avait  l'air  d'ime  métaphore)  ;  —  et  qu'Alençon  était  son  pays. 
Il  me  semble  que,  loin  de  les  guider,  ce  fut  le  mot  Alençon  qui 
égara  les  chercheurs.  Alençon,  à  leurs  yeux,  devait  être  un  nom 
de  ville,  et  la  pensée  ne  leur  venait  point  que  les  noms  des  villes 
passent  bien  souvent  à  des  personnes,  en  sorte  que  le  poète 
avait  pu,  quand  il  parlait  d'Alençon,  désigner  tout  à  la  fois 
une  cité  et  ime  famille.  C'est  pour  avoir  eu  cette  idée  que  M. 
Abel  Lefranc  a  réussi  non  seulement  à  déceler  cette  Anne  si 
mal  connue,  mais  encore  à  établir  que,  outre  les  quelques  pièces 
où  son  nom  figure,  c'est  à  elle  aussi  que  s'adressent  plusieurs 
autres  œuvres  de  Clément  Marot  —  très  belles,  très  importan- 
tes, —  qu'on  ne  lui  croyait  pas  destinées. 

248.  C'était  bien  de  la  race  des  dieux,  comprenez  des  princes, 
que  descendait,  mais  non  par  la  voie  droite  et  authentique, 
Anne  d'Alençon.  Elle  avait,  en  effet,  pour  père  Charles,  bâtard 
d'Alençon,  fils  naturel  du  duc  René  d'Alençon  (f  1492)  et  frère 
illégitime  de  Charles  IV,  le  premier  mari  de  Marguerite.  Le 
bâtard  Charles  n'eut  pas  à  se  plaindre  de  la  fortune,  et  ne  fut 
nuHement  traité  par  les  siens  en  étranger.  D'abord  seigneur  de 
Saint-Paul-le-Vicomte,  il  obtint  successivement  une  pension  de 
500  livres,  la  charge  de  chambellan  avec  de  gros  et  bons  gages, 
puis  (1524),  en  échange  tant  de  sa  pension  que  de  la  terre  de 
Saint-Paul,  la  baronnie  de  Cany-Canyel,  au  pays  de  Caux. 
L'heureux  maître  de  ces  biens  et  de  ces  titres  mourut  avant 
le  25  février  1541.  Sa  femme,  Germaine  de  Balue,  nièce  du  célè- 
bre cardinal,  lui  avait  donné  deux  filles,  «  Anne,  notre  héroïne, 
et  Marguerite,  dame  de  Cany-Canyel,  mariée,  le  13  septembre 
1550,  à  Lancelot  du  Monceau,  seigneur  de  Tignonville  en  Beauce, 
premier  maître  d'hôtel  de  la  reine  de  Navarre,  et  morte  en  cou- 
ches en  1551  )). 

249.  Marot  nous  a  laissé  un  charmant  portrait  de  son  amie. 

Clément  Marot  et  sou  écule  12 


178  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Il  se  trouve  dans  une  épître  que,  bien  à  tort,  Génin  croyait 
écrite  pour  là  sœur  de  François  I^'".  En  tait,  d'après  M.  Abel 
Lefranc  ^,  c'est  à  Anne  que  va  cet  hommage.  Je  dois,  déclare 
le  poète,  bénir  l'année  où  cette  «  nymphe  de  pris  »,  inconnue 
de  moi  auparavant,  me  fut  enfin  révélée.  Je  la  juge  plus  belle 
que  les  plus  belles  à  cause  de  la  douceur  répandue  sur  ses  traits 
et  de  son  chaste  regard.  Qu'elle  devise  ou  qu'elle  se  taise,  «  une 
grâce  tant  bonne  )>  émane  d'elle  qu'on  ne  saurait  dépeindre  ce 
qu'on  éprouve  en  la  voyant.  Dès  qu'elle  ouvre  la  bouche,  on 
est  ravi.  On  resterait,  sans  que  le  temps  parût  long,  un  siècle 
entier  à  l'entendre,  séduit,  enchanté  par  ce  «  vif  esprit  »,  cette 
culture  si  étonnante,  ce  «  rond  parler  »  dénué  d'artifice...  Que 
de  raisons  pour  être  adorée  !  Oui,  mais  il  existe  un  obstacle  : 
elle  est,  cette  dame  élue,  née  «  de  hault  parentaige  »  et,  consé- 
quemment,  digne  d'un  prince.  »  O  que  ne  suys-je  prince  !  » 
soupire  Marot  ;  mon  service,  mes  vœux  seraient  agréés,  peut- 
être. 

250.  Puis,  reprenant  courage  :  ^  Pourquoy  prince  ?  »  deman- 
de-t-il.  L'olivier  n'est-il  pas  plus  délectable  que  «  les  grandz 
chesnes  fiers  »  ?  Les  déesses,  jadis,  ont  écouté,  partagé  les  désirs 
«  d'hommes  mortelz  ».  Diane  s'est  abaissée  jusqu'au  pâtre  En- 
d3/mion,  et  Vénus  a  quitté,  pour  Adonis,  «  les  haultz  cieulx  ». 
On  objectera  que  ce  sont  là  «  vieilles  histoires  »,  et  qu'il  n'appar- 
tient à  personne  de  se  comparer  à  Adonis.  Soit  !  Mais  voici, 
alors,  un  récent  exemple  :  la  dauphine  Marguerite  d'Ecosse  a 
baisé  les  lèvres  disertes  d'Alain  Chartier.  Valait-il  mieux  que 
moi,  «  l'heureux  »  Alain  ?  Mon  nom  est  répandu  dans  les  pro- 
vinces comme  celui  des  principaux  seigneurs.  Ils  triomphent 
par  les  armes  ;  moi,  par  les  vers.  S'ils  possèdent  des  trésors  que 
je  n'ai  pas,  j'ai  une  richesse  qu'ils  n'auront  jamais,  des  <i  cho- 
ses »  qui  ne  sont  point  dans  leurs  coffres.  Bien  qu'ils  aient  beau- 
coup de  puissance,  ils  ne  peuvent  pas  ce  que  je  puis  :  rendre 
immortelle  une  maîtresse...  Orgueil  légitime,  solide  argument. 
Anne  semble  avoir  admis  que  le  génie  conférait,  en  effet,  un 

I.  Les  preuves  qu'il  a  produites  sont  très  séduisantes,  et  plusieurs  motifs 
d'un  grand  poids  nous  invitent  à  partager  son  avis.  Mais  ce  n'est  pas  à  dire  qu'il 
ne  présente  aucune  difficulté.  En  voici  une,  fort  embarrassante,  que  je  n'ai  pas 
su  résoudre  :  si,  d'une  part,  la  pièce  appartient  à  l'année  1537,  i^  ^^^  impossible 
d'expliquer  pourquoi  le  poète  affirme  [v.  16]  n'avoir  jamais  vu  Anne  d'Alençon 
avant  cette  date,  et  si,  d'un  autre  côté,  l'épître  fut,  ainsi  que  L  veut  M.  Lefranc, 
écrite  dès  1527,  il  faut  presque  renoncer  à  rendre  un  compte  satisfaisant  des 
vers  13-14,  où  Marot  constate  qu'il  a  eu  la  joie  de  rentrer  en  grâce  et  de 
visiter  sa  «  natale  province  »...  Il  me  reste  donc  un  scrupule,  et  ce  n'est  p^s 
en  toute  tranquillité  que  je  parle  de  cette  si  jolie  lettre  comme  s'adressant  à 
Anne. 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  179 

droit  spécial,  rapprochait  les  distances,  remplaçait  les  lettres 
de  noblesse.  La  «  nymphe  »  n'a  pas  —  au  vrai,  an  plein  sens  du 
mot  ■ —  aimé  son  amoureux  :  mais  elle  l'a  estimé  aimable,  elle 
lui  a  permis  de  parler  d'amour,  et,  accueillant  avec  une  bien- 
veillance émue  ce  culte  sans  avenir,  elle  a  laissé  croître,  chez 
Clément  Marot,  un  sentiment  très  honorable  pour  elle  et  qui, 
exprimé  par  un  tel  homme,  devait  produire  de  la  beauté.  Cette 
inclination  condescendante,  ce  demi-sacrifice  que  les  grandeurs 
faisaient  au  talent  caractérisent  à  merveille,  ainsi  que  le  remar- 
que M.  Lefranc,  les  goûts,  l'esprit  de  la  Renaissance. 

251.  A  quel  moment  Anne  et  son  poète  se  sont-ils  connus 
et  liés  ?  On  est  arrivé  à  le  savoir  en  se  fondant  sur  deux  pièces 
où  Marot  gémit  de  se  voir  soudain,  alors  qu'il  la  fréquente  et 
la  sert  «  un  an  y  a  ou  il  s'en  faut  bien  peu  »,  séparé  de  sa  «  ter- 
restre déesse  ».  Les  pièces  en  question  nous  indiquent  l'une  et 
l'autre  que  le  départ  de  la  belle  a  eu  lieu  au  mois  de  mai,  et 
que  le  ciel,  pendant  ce  mois-là,  n'a  cessé  de  répandre  «  mille 
pleurs  ».  Or,  cette  mention  d'un  printemps  humide  et  même 
noyé  convient  à  l'année  1527,  témoin  le  Bourgeois  de  Paris 
qui  note  la  persistance  des  pluies  à  cette  époque  et  les  inonda- 
tions qui  s'ensuivirent.  Le  fait  a  son  importance.  Il  nous  prouve 
que  ce  fut  bien  au  mois  de  mai  1527  que,  pour  un  temps,  Anne 
dut  s'éloigner,  et  de  là  on  peut  conclure,  puisque,  vers  cette 
date,  «  l'amytié  »  durait  depuis  un  an,  qu'elle  avait  forcément 
pris  naissance  en  mai  1526. 

252.  Cette  séparation,  dont  le  motif  nous  demeure  obscur, 
et  qui  ne  paraît  pas  avoir  été  longue,  fut  sans  doute  imposée 
à  la  jeune  fille,  puisque  l'écrivain  affirme  expressément  [J.  III, 
13]  qu'on  lui  ôta  son  amie.  Ce  fut  là,  semble-t-il,  l'unique  péri- 
pétie, le  seul  triste  chapitre  du  roman.  Avant  et  après  cette 
absence,  il  se  déroula  plein  de  douceur,  procurant  aux  deux 
liéros  une  constante,  une  élégante  joie  intellectuelle  et  sentimen- 
tale. Ils  ne  voulurent  pas  se  la  réserver  en  égoïstes,  et,  sans 
imiter  les  amoureux  vulgaires  qui  se  suffisent,  comme  on  sait, 
à  eux-mêmes,  ils  prirent  plaisir  à  faire  rayonner  autour  d'eux 
la  grâce  et  les  charmes  de  leur  union,  à  fonder  une  manière  de 
famille  spirituelle  et  à  recevoir  dans  leur  alliance  (c'est  le  terme 
que  Marot  emploie)  deux  âmes  d'élite,  deux  marguerites.  Mar- 
guerite d'Alençon,  l'autre  fille  du  bâtard  Charles,  devint,  pour 
Clément,  une  vraie  sœur,  et  il  la  nommait  son  «  petit  registre  », 
parce  que,  disait-il,  elle  gardait  en  sa  mémoire  le  texte  fidèle, 
correct  et  sûr  de  tous  les  vers  composés  par  lui.  Mais  à  cette 
heureuse  trinité  une  quatrième  personne  s'adjoignit,  celle  que 
le  poète  appelait  «  la  tante  »,  Marguerite,  reine  de  Navarre.  Si 


180  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

l'on  songe  à  son  extrême  indulgence,  à  la  place  que,  dans  ses 
œuvres,  elle  a  faite  au  platonisme,  on  s'expliquera  facilement 
qu'elle  ait  regardé  avec  sympathie  ces  délicates  affinités  des 
coeurs,  preuve  éminente  de  l'attraction  qu'exercent  l'une  sur 
l'autre  la  beauté  de  la  femme  et  celle  de  l'art.  Réellement,  à 
l'entente,  à  l'alliance  que  Marot  a  nouée  et  chantée  rien  d'en- 
viable n'a  fait  défaut.  Que  de  précieuses  choses  il  a  groupées 
en  un  seul  faisceau  !  S'il  ne  les  a  pas  énumérées,  il  a  senti,  goûté 
chacune  d'elles,  et  ce  tout  petit  cercle  de  choix  lui  fut,  à  l'en 
croire,  un  paradis.  C'est  qu'il  trouvait  là,  et  à  la  fois,  la  pro- 
tection d'une  souveraine  remplie  de  bonté,  d'humanité  ;  le  dé- 
vouement d'une  confidente  et  l'affection  d'une  sœur  en  Mar- 
guerite d'Alençon  ;  enfin,  le  meilleur  amour  celui  qu'on  offre 
sans  condition.  Être  accepté  à  titre  d'égal,  être  compris  et  ad- 
miré, jouer,  parmi  ces  si  hautes  dames,  le  rôle  de  soupirant, 
que  pouvait  souhaiter  de  plus  agréable  un  auteur  souvent  per- 
sécuté, un  homme  sorti  du  peuple  ? 

253.  Aussi  l'inconstant  Marot  ne  s'est-il  jamais  fatigué  de 
cette  si  douce  liaison.  Après  avoir  duré  dix  ans  et  plus,  elle  lui 
laissa,  en  prenant  fin,  de  vifs  regrets,  et,  tant  qu'il  fut  en  droit 
de  le  faire,  il  ne  négligea  aucune  occasion  de  célébrer  son  idéale 
maîtresse,  de  lui  dédier  de  jolis  vers.  Sur  les  vingt-sept  élégies 
qu'il  a  rimées,  neuf,  à  en  croire  M.  Lefranc,  auraient  été  com- 
posées pour  elle.  Dès  que  (rappelez-vous  qu'on  l'avait  obligée 
à  partir)  elle  reparaît  à  la  cour,  Clément  la  salue  en  termes  déli- 
cats, et  lui  envoie  un  huitain  qui  le  montre  tout  souriant  à  la 
pensée  du  «  revoir  »,  mais  essuyant  une  dernière  larme  au  sou- 
venir de  l'adieu.  Quoi  qu'il  arrive,  absent  à  son  tour,  banni, 
traqué,  tremblant  pour  sa  vie,  il  n'oublie  point  ;  ce  sérieux 
amour  le  suit  en  exil,  dans  le  danger.  De  Ferrare,  en  pleine 
tourmente,  il  adresse  à  Anne  deux  épigrammes  :  l'une  n'est 
guère  qu'un  jeu  galant,  mais  l'autre,  grave  et  fière,  a  l'accent 
d'un  acte  de  foi  ;  elle  rend  justice  à  la  fidélité  de  la  belle,  et 
affirme  qu'elle  restera,  plus  encore  que  s'il  était  heureux,  atta- 
chée à  l'amant  calomnié  et  proscrit.  La  pitié  —  émouvante 
idée,  noble  et  raisonnable  confiance,  —  attisera  le  «  feu  d'affec- 
tion )).  Les  épreuves  de  Marot,  en  effet,  ne  relâchèrent  pas  des 
liens  si  forts,  et  il  retrouva,  à  sa  rentrée  en  France,  la  nymphe 
telle  qu'il  l'avait  quittée.  Lui,  il  n'avait,  en  courant  le  monde, 
rien  perdu  de  sa  ferveur,  et  il  l'exprime  une  fois  de  plus  en  un 
passage  de  l'Adieu  aux  dames  de  la  Cour  qui  semble  bien  des- 
tiné à  Anne.  Toutes  ces  pièces  dont  j'ai  parlé,  d'autres  encore, 
assez  nombreuses,  que  je  n'ai  pas  signalées  ici  comptent  parmi 
les  meilleures  du  poète.  Sa  brunette,  vraiment,  l'inspirait,  et 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  181 

je  n'en  veux  comme  preuve  que  le  délicieux  rondeau  intitulé 
De  sa  grande  amye.  Quelle  grâce  ailée,  tendre  et  joyeuse  !  Le 
début  a  la  naïveté  d'une  chanson  populaire  : 

Dedans  Paris,   ville  jolie... 

et  la  lin  nous  fait  songer  à  la  romance  de  Fortunio  : 

Je  ne  vous  la  nommeray  mye... 

254.  Les  jours,  cependant,  s'envolaient,  et  Anne  ne  voulait 
pas  mourir  vierge  et  muse.  Qu'attendre  de  la  vie  qu'elle  menait 
jusque-là  ?  Recevoir  le  très  platonique  hommage  d'un  écrivain 
déjà  mûr  et  qui  avait  femme  et  enfants,  apprendre  par  cœur 
ses  vers  d'amour,  c'était  un  agréable  passe-temps,  mais  non 
pas  une  carrière.  L'idylle  se  révélait  sans  issue,  et  il  fallait  dé- 
noncer l'alliance,  se  résigner  à  la  prose,  chercher  une  solution 
pratique,  autrement  dit  marier  l'héroïne.  Elle  se  décida,  ou 
bien  on  la  décida.  Apparentée,  au  fond,  glorieusement,  protégée 
par  la  reine  de  Navarre  qui,  depuis  1539  et  peut-être  avant, 
l'avait  admise,  avec  cent  livres  de  gages,  parmi  ses  filles  d'hon- 
neur, lettrée,  musicienne,  gaie  et  jolie,  Anne  ne  risquait  pas 
de  ne  plaire  qu'au  seul  Clément.  De  fait,  elle  épousa  un  gen- 
tilhomme, «  messire  Nicolas  de  Bernay,  écuyer,  seigneur  dudit 
lieu  de  Bernay  en  Pymont  et  y  demeurant,  écuyer  tranchant 
de  Madame  la  Dauphine  et  de  Madame  Marguerite,  fille  du 
roi  ».  Le  contrat  est  du  2  décembre  1540.  Germaine  de  Balue 
donnait  aux  conjoints,  outre  2.000  livres,  la  moitié  de  la  terre 
des  Porcherons,  et  le  roi,  de  son  côté,  offrait  en  don  viager  le 
domaine  de  Tremblevif...  Ici  se  termine  le  chaste  et  long  roman 
de  Marot.  Il  n'écrira  plus  rien  pour  sa  sœur  Anne,...  une  Étrenne 
seulement,  cinq  tout  petits  vers  où  il  parle  non  de  sa  mélan- 
colie de  soupirant  évincé,  mais  des  joies  positives  du  mari. 
Comme  le  ton  a  changé  !  Il  est  devenu  gaulois,  et  nous  avons 
là  une  équivoque  risquée,  hardie.  La  blâme,  au  reste,  qui  vou- 
dra !  Elle  est  si  alerte  et  gaillarde  qu'il  faudrait,  pour  la  con- 
damner, être  plus  austère  que  de  raison. 

255.  Revenons.  L'histoire  amoureuse  d'Anne  d'Alençon  m'a 
entraîné  fort  loin,  mais  il  eût  été  dommage  de  la  disperser  en 
plusieurs  chapitres,  et  mieux  valait,  il  me  semble,  la  conduire 
tout  droit  à  son  terme.  L'y  voilà  arrivée,  et  nous  pouvons  main- 
tenant renouer  notre  fil  chronologique,  le  reprendre  où  il  a  été 
rompu,  c'est-à-dire  en  1529. 

256.  Le  5  août  de  cette  année-là  fut  signée,  à  Cambrai,  la 


182  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

Paix  des  Dames  qui  mettait  fin  (pas  pour  longtemps)  à  la  guerre 
entre  François  l^^  et  Charles-Ouint.  Bien  que  Marguerite  d'An- 
goulême  n'ait  pas  été  étrangère  aux  conférences  de  Cambrai, 
le  traité  fut  l'œuvre,  principalement,  de  l'implacable  Margue- 
rite d'Autriche  et  de  Louise  de  Savoie.  Celle-ci,  presque  au 
bout  de  sa  vie  néfaste,  portait  à  la  France  un  dernier  coup  en 
préparant  une  convention  utile  surtout  à  l'empereur.  La  na- 
tion, une  fois  encore,  se  trouvait  sacrifiée  à  l'intérêt  d3'nasti- 
que,  à  la  délivrance  des  enfants  royaux.  On  acheta  trop  cher 
leur  retour,  et  l'on  se  résigna,  pour  l'obtenir,  à  accepter  des 
clauses  vraiment  honteuses  :  la  réhabilitation  de  la  mémoire 
d'un  traître  (le  connétable  de  Bourbon)  ;  la  grâce  de  ses  com- 
plices ;  l'abandon  sans  réserve  de  nos  alliés  fidèles  ;  l'oubli  des 
anciens  pactes  et  serments...  Le  peuple  s'inclina,  docile.  Au 
reste,  on  prit  soin  de  l'aveugler,  et,  comme  s'ils  consacraient 
et  couronnaient  des  victoires,  on  célébra  par  des  fêtes  ces  arran- 
gements :  fêtes  à  Saint-Quentin  où  le  roi,  pendant  les  négocia- 
tions, résidait  avec  la  cour  ;  fêtes  à  Cambrai  ;  fêtes,  plus  tard, 
à  Paris,  et,  là,  feux  de  joie,  processions  générales,  «  haulte  messe 
en  la  grande  église  »,  beau  sermon  prêché  par  le  cordelier  Pierre 
de  Cornes,  Coniihus.  Marot  ne  pouvait  rester  muet.  Nous  sa- 
vons [et.  §  93]  qu'il  était,  le  6  août,  à  Saint-Quentin.  Lui  aussi 
pavoisa  à  sa  manière.  Il  dédia  un  rondeau  aux  trois  déesses 
par  qui,  en  ce  bas  monde  troublé  souvent,  naissent  et  crois- 
sent «  l'olive  »,  la  paix.  Après  quoi,  il  demanda  son  salaire,  ten- 
dit son  chapeau.  On  lui  accorda,  le  i6  août,  «  pour  subvenir  a 
ses  nécessitez  »,  vingt  li\Tes  dix  sous.  Il  n'avait  pas  à  se  plain- 
dre :  le  rondeau  ne  valait  pas  davantage. 

257.  Parmi  les  pièces  de  Marot  qu'il  est  possible  de  dater, 
aucune  n'appartient  à  la  période  qui  s'étend  entre  le  traité  de 
Cambrai  et  le  retour  des  jeunes  princes  li\Tés  comme  otages  à 
Charles-Quint.  La  somme  énorme  exigée  pour  leur  rançon  n'avait 
pas  été  réunie  sans  peine,  et  ce  fut  seulement  le  i^^"  juillet  1530 
que  les  prisonniers  furent,  de  mauvaise  grâce,  remis  enfin,  à 
Hendaye,  entre  les  mains  de  Montmorency.  Le  lendemain,  cette 
bonne  nouvelle  fut  apportée  au  roi  qui  attendait  à  Bordeaux. 
Clément  l'y  avait  suivi.  Il  prit,  à  l'instant  même,  sa  plume, 
composa,  durant  la  nuit,  un  Chant  de  joye  en  forme  de  ballade, 
puis  le  présenta,  le  matin  venu,  à  François  I^^,  «  a  son  lever  ». 
Ce  Chant  de  joye  n'a  guère  d'autre  mérite  que  la  rapidité  de 
l'exécution.  C'est  moins  une  œuvre  d'art  qu'un  moyen  de  flat- 
ter à  la  fois  le  père  qui  retrouvait  ses  enfants  et  le  «  baron  » 
qui  les  lui  ramenait,  le  «  noble  Montmorency  »,  plus  sage  que 
«  les  très  sages  Rommains  ». 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  183 

258.  L'auteur,  jouant  le  rôle  du  chœur  antique,  traduisait 
les  sentiments  de  la  foule.  L'allégresse  publique  était  sincère, 
et  chacun  s'estimait  doublement  heureux,  puisque  les  deux 
((  desirez  »  rentraient  en  France  avec  Éléonore  d'Autriche  qu'al- 
lait épouser  le  roi.  Le  mariage  eut  lieu  le  6  ou  le  7  juillet,  «  en 
un  couvent  de  nonnains  »,  à  Saint-Laurent-de-Beyries,  et,  peu 
après,  la  nouvelle  reine  s'achemina  vers  Bordeaux  où  elle  fut, 
le  12,  solennellement  reçue.  Marot  lui  offrit,  à  cette  occasion, 
une  épître  ou,  mieux,  une  harangue  en  vers  dont  on  ne  saurait 
penser  beaucoup  de  bien.  Visiblement  gêné,  l'écrivain  semble 
chercher  à  quels  titres  il  pourrait  louer  la  sœur  de  Charles- 
Quint.  Il  se  borne,  pour  l'acquit  de  sa  conscience,  à  l'appeler 
«  perle  de  prix  »  et  à  constater  sa  «  grand  haulteur  ».  Cela  fait, 
il  célèbre  la  France,  les  «  villes  fières  »  que  baignent  ses  fleuves 
et  la  cité  sans  rivale,  Paris.  Éléonore  passe  au  second  plan. 
Ce  que  Marot  découvre  de  meilleur  en  elle,  c'est  d'avoir  servi 
de  mère  aux  otages  et  d'être  très  éprise  de  son  mari.  Tu  l'as 
aimé,  dit-il,  sans  le  connaître,  et  combien  davantage  dès  que 
tu  as  vu  «  son  port,  forme,  sens  et  beaulté  »  !...  Clément,  ici, 
n'invente  rien,  car  tout  bon  Français,  pour  honorer  son  prince, 
prêtait  à  l'étrangère  cette  passion  romanesque,  née,  assurait-on, 
hors  de  la  politique,  au  temps  où  François  languissait  à  Madrid. 
Était-ce  une  légende  ?  Il  se  peut.  Mais  cette  légende-là,  un 
poète  courtisan  n'avait  pas  à  la  discutei  :  il  devait,  sans  exa- 
men, l'accueillir  et  la  répandre. 

259.  Voyageant  à  petites  journées,  reçu  partout  en  triomphe 
et  s'arrêtant  des  semaines  entières  dans  certaines  villes,  bourgs 
ou  châteaux,  le  couple  royal  visita  tour  à  tour  Angoulême  (23 
ou  24  juillet).  Cognac,  Saint- Jean-d'Angely,  puis,  de  septem- 
bre à  novembre.  Loches,  Amboise,  Blois  et  Orléans.  La  reine, 
au  mois  de  décembre,  arriva  à  Fontainebleau,  d'où  elle  se  ren- 
dit, le  19,  au  Bois  de  Vincennes  et,  peu  après,  à  Saint-Germain- 
en-Laye.  Elle  fut  couronnée  à  Saint-Denis  le  5  mars  1531,  et 
fit  enfin,  le  16,  son  entrée  dans  la  capitale.  «  Mystères,  jeux, 
beaulx  parements  de  rues  »  [G.  III,  172]  accompagnèrent  l'une 
et  l'autre  de  ces  deux  cérémonies,  auxquelles  vinrent  en  foule 
assister  les  grands  seigneurs.  Suivi  de  ses  officiers  et  domesti- 
ques, notamment  de  son  héraut  d'armes,  Pierre  Gringore,  le 
bon  duc  Antoine  de  Lorraine  avait,  pour  la  circonstance,  quitté 
ses  états,  et  il  figura  au  tout  premier  rang  dans  les  banquets 
et  les  cortèges.  Marot  profita  de  sa  présence  pour  lui  offrir, 
avec  un  exemplaire  de  la  Métamorphose,  une  assez  adroite  épî- 
tre où  il  parle  modestement  de  lui-même,  u  salue  très  humble- 
ment »  ce  personnage  «  de  hault  pouvoir  »,  célèbre  l'excellence 


184  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

de  sa  «  duché  souveraine  ;>,  et  lui  rappelle  ses  deux  frères,  Louis 
de  Vaudemont  et  François  de  Lambesc,  tombés  en  pleine  jeu- 
nesse, au  champ  d'honneur.  Que  ce  double  hommage,  tant  du 
a  translaté  livre  ))  que  de  la  lettre  y  annexée,  ait  tendu  à  obte- 
nir quelque  argent,  nous  ne  devons  pas  en  douter.  Les  fêtes 
officielles,  les  événements  heureux  valaient  à  qui  servait  les 
princes  des  dons  et  largesses.  Clément  ne  l'ignorait  pas,  et  il 
avait  aussi,  à  l'occasion  de  l'entrée  d'Éléonore  à  Paris,  demandé 
au  roi  une  gratification.  Elle  ne  lui  fut  pas  refusée,  et  voilà 
pourquoi,  vers  cette  époque,  sa  bourse  a  pu  être  moins  plate 
que  d'ordinaire  et  avoir,  comme  il  dit,  «  grosse  apostume  ». 

260.  Mais  cette  somme  que  son  maître  lui  avait  départie,  ce 
ne  fut  pas  lui  qu'elle  mit  à  l'aise.  Son  valet,  ce  valet  de  Gasco- 
gne qu'il  a  rendu,  à  charge  de  revanche,  immortel,  la  lui  déroba 
souplement  (avril  ?  1531),  et,  non  content  d'enlever  à  l'écrivain 
son  escarcelle,  il  lui  prit,  en  outre,  ses  meilleures  hardes,  son 
meilleur  cheval,  puis  s'en  alla  et  disparut.  «  Monsieur  »,  qui 
dormait  pendant  ce  temps,  devint  fort  blême  au  réveil.  Nu, 
sans  monture,  sans  le  sou,  il  voyait  d'autant  moins  l'avenir  en 
rose  qu'un  malheur,  il  le  savait,  n'arrive  jamais  seul.  Effecti- 
vement, «  bien  tost  après  ceste  fortune  là  »  (septembre  ?),  une 
grave  maladie  le  terrassa.  La  peste  exerçait  alors  ses  ravages, 
et  Marot,  comme  beaucoup  d'autres,  se  trouva  frappé.  Peu  s'en 
fallut  qu'il  ne  succombât,  et  lorsque,  après  trois  longs  mois, 
il  entra  en  convalescence,  il  se  vit  aussi  maigre  qu'un  héron 
et  tellement  débile  qu'il  dut  rapprendre  à  marcher.  En  fin  de 
compte,  il  guérit.  Quatre  docteurs,  au  moins,  l'avaient  assisté  : 
un  certain  Lamy,  ami  de  nom,  ami  de  fait,  qu'il  appelait  en 
vers  à  son  aide  quand  il  tardait  à  venir  [J.  III,  18],  et  trois 
autres  qui  le  visitaient  «  de  trois  jours  l'un  »,  MM.  Braillon, 
Lecoq,  Akakia. 

261.  Comme  ces  noms,  affirmait  un  professeur  que  j'ai  con- 
nu, sont  bien  imaginés  !  Qu'ils  semblent  pittoresques,  variés, 
plaisants  !  L'auteur  s'amuse,  à  n'en  pas  douter,  et,  en  s'amu- 
sant,  il  nous  égaie...  Hypothèse  agréable,  raisonnable  aussi, 
mais  fausse.  Clément  n'invente  rien.  Les  personnages  qu'il  cite 
existaient  réellement.  Fameux  à  leur  époque,  ils  étaient,  avec 
de  bons  gages,  médecins  du  roi,  et  Marot  devait  à  sa  charge 
de  valet  de  chambre  l'avantage  d'être  traité  par  eux.  Ils  ne  se 
bornaient  point  à  la  pratique  de  leur  art  :  ils  étaient  érudits, 
lettrés.  Aussi  n'est-ce  pas  en  prose  que  Marot  leur  écrit.  Il  en- 
voie une  épigiamme  à  Louis  Braillon,  le  supplie  «  en  rithme  » 
de  le  venir  voir,  d'où  nous  pouvons  conclure  que  Braillon  aimait 
les  vers,  s'intéressait  aux  poètes,  et  les  poètes  à  lui.  Charles 


CLÉMENT   MAKOT    ET   SON    ÉCOLE  185 

Fontaine  a  composé  une  brève  pièce  sur  sa  mort  :  il  le  qualifie, 
dans  le  titre,  «  médecin  de  Paris  très  renommé  »,  et  regrette 
que,  habile  à  guérir  le  mal  d'autrui,  il  n'ait  pas  guéri  le  sien. 
—  Plus  célèbre  encore  fut  Martin  Akakia  (j  1551).  Vexé  de 
s'appeler  Sans-Malice,  sobriquet  populaire,  indigne  d'un  homme 
docte,  il  tourna  en  grec  ces  mots  choquants,  et  trouva  moyen, 
Champenois  subtil,  d'imposer,  d'illustrer  ce  nom  comique.  Reçu 
docteur  en  1526,  Akakia  produisit  divers  ouvrages  et,  notam- 
ment, un  commentaire  de  Galien.  Il  cultivait  aussi  la  muse 
latine.  Clcmert  le  compare  à  Virgile,  et,  parlant  d'un  «  exquis  » 
tetrastichon  à  lui  dédié  par  Sans-Malice,  il  s'avoue  incapable 
d'un  tel  effort  de  génie.  Ce  que  je  fredonne,  dit-il,  ne  sonne 
guère  :  mais  tes  vers  !...  on  croirait  des  coups  de  canon...  — 
Quant  à  Guillaume  Lecoq  (Gallus),  deux  fois  doyen  de  la  Fa- 
culté (1538-9),  on  le  réputait  instruit,  énergique,  point  cour- 
tisan. Marot  lui  adressa  deux  épigrammes.  L'une  et  l'autre 
jouent  sur  le  mot  coq.  Plaise  à  ce  coq  si  libéral  et  franc  de  quit- 
ter une  heure  sa  geline  pour  accourir  auprès  du  malade  qui  a 
tant  besoin  de  lui  !...  Et  grâces  lui  soient  rendues  puisqu'il 
n'a  rien  chanté  de  funèbre,  mais  le  retour,  au  contraire,  de  la 
lumière,  de  la  santé  ! 

262.  Marot,  durant  cette  crise,  se  trouva  plus  que  jamais  à 
court  d'argent.  Le  peu  que  son  Gascon  lui  avait  laissé  alla  aux 
apothicaires.  «  Sirops  et  julepz  »  achevèrent  de  le  ruiner,  et  il 
lui  fallut,  une  fois  encore,  conter  sa  détresse  au  roi,  lui  deman- , 
der  une  aumône.  Ce  fut  le  i^^  janvier  1532  que,  sous  prétexte 
de  lui  souhaiter  une  heureuse  année  et  de  lui  offrir,  pour  ses 
étrennes,  l'empire  des  «  quatre  coings  du  monde  »,  il  lui  adressa, 
par  l'intermédiaire  de  Jacques  Colin,  la  merveilleuse  épître 
connue  de  chacun.  Après  avoir  déduit  les  deux  raisons  qui  l'au- 
torisaient, ayant  perdu  vigueur  et  chevance,  à  solliciter  un  don, 
il  concluait,  alléguant  soudain  un  scrupule  amusant  et  inatten- 
du, qu'il  renonçait  au  métier  de  mendiant,  mais  qu'il  ne  refu- 
serait pas,  à  la  rigueur,  d'emprunter.  Il  disait  plaisamment  au 
prince  :  Plus  de  cadeaux,  car  je  rougis  d'avoir  abusé  !  Ma  di- 
gnité souffre  de  vos  bienfaits  trop  nombreux.  Bornez-vous  à 
m.e  prêter  quelque  chose  :  jevousrendrai  celaun  jcur  ou  l'autre... 
Rien  d'aussi  exquis  ni  de  mieux  tourné.  De  tels  vers,  qui  trans- 
figuraient la  poésie  de  cour  en  la  dotant  d'une  grâce  aisée  et 
libre  qu'elle  n'avait  jamais  eue,  frappèrent  et  ravirent  Fran- 
çois I«r.  Il  sentit  leur  charme,  leur  nouveauté,  et  chargea  l'abbé 
de  Saint-Ambroise  d'annoncer  à  Marot  qu'il  lui  ouviait  un  cré- 
dit. Clément  se  hâta  de  répondre  [G.  III,  192]  qu'il  signerait 
avec  joie  tous  les  papiers  nécessaires,  une  belle  cédule  authen- 


186  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

tique,  et  le  dénouement  de  cette  comédie  fut  (Rouen,  13  fé- 
vrier) une  lettre  du  roi  mandant  à  son  trésorier  de  payer,  bail- 
ler et  délivrer  comptant  «  a  nostre  cher  et  bien  amé  varlet  de 
chambre  ordinaire,...  oultre  et  par  dessus  les  gaiges...  qu'il 
a...  )',  une  somme  de  cent  écus  d'or  soleil.  La  quittance  de  l'écri- 
vain nous  a  été  conservée  :  elle  porte  la  date  du  23  mars. 

263.  Cent  écus  pour  une  épître  !  Tous  les  rimeurs s'émurent, 
et  l'on  entendit  les  voix  contradictoires  de  l'admiration  et  de 
l'envie.  Roger  de  CoUerj-e  célébra,  je  l'ai  dit  ailleurs,  le  chef- 
d'œuvre  de  son  confrère  et  la  munificence  royale.  Par  contre, 
un  inconnu  «  calumnia  »  cette  pièce  incomparable,  et  reprocha 
à  l'auteur  d'avoir,  en  retraçant  les  vices  de  son  valet,  diffamé 
la  province  dont  était  sorti  le  «  larronneau».  Faible  invention 
de  la  jalousie.  Clément,  néanmoins,  prit  la  peine  de  répliquer  : 
Tu  es,  écrivit-il  à  son  adversaire,  le  prince  des  méchants,  le 
«  filz  aisné  d'une  chouette  »,  un  parent,  sans  doute,  de  mon 
laquais,  un  menteur,  aussi,  et  un  sot.  Si  tu  n'étais  ni  sot  ni  men- 
teur, tu  aurais  saisi  et  avoué  la  différence  qu'il  y  a  entre  blâ- 
mer un  Gascon  et  attaquer  la  Gascogne. 

264.  De  peu  d'intérêt  en  elles-mêmes,  critiques  et  louanges 
attestent,  du  moins,  que  Marot  était,  à  cette  époque,  un  per- 
sonnage, et  qu'il  jouissait  déjà  d'une  grande  renommée.  Une 
seconde  preuve  de  ce  fait  nous  est  fournie,  en  outre,  par  la  sym- 
pathie que  lui  valurent  sa  maladie  et  le  danger  qu'il  avait  cou- 
ru. Mellin  de  Saint-Gelays,  souffrant,  lui  aussi,  et  hors  d'état 
de  le  venir  voir,  lui  envoie  d'affectueuses  paroles.  Charles  de 
Sainte-Marthe  lui  consacre  un  dizain  qui,  commençant  par  ce 
vers  naïf  : 

Il  fut  un  bruit,  o  Marot,  qu'estois  mort, 

continue  en  dépeignant  la  douleur  des  gens  de  lettres,  celle  sur- 
tout du  sensible  Charles  qui  s'écrie,  «  pleurant  amèrement  »  : 

Morte  donq'  est  Françoise  Poésie  ! 

Ressuscité  et  capable  enfin  de  reprendre  la  plume,  Clément 
songe  à  remercier  ceux  qui  se  sont  inquiétés  de  lui,  et  il  adresse 
une  épigramme  pieuse  et  résignée  à  Pierre  Vuyard  ;  une  épî- 
tre à  Confier,  lieutenant  de  Bourges,  auquel  il  promet  poli- 
ment une  longue  gloire  à  cause  des  «  termes  azurez  »,  des  mètres 
«  touts  d'or  »  et,  du  reste,  «  arduz  »  et  peu  intelligibles  qu'il  a 
reçus  de  lui  ;  une  épître,  encore,  à  «  Vignals,  Thoulousan  esco- 
lier  à  Bourges  »...  Je  ne  sais  trop  qui  est  ce  Vignals,...  le  même, 
peut-être,  que  l'Etienne  de  Vignalz  qui,  aux  pages  liminaires 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  187 

des  Controverses  de  Drusac,  vantait  en  prose  emphatique  le 
génie  de  ce  rhétoriqueur,  l'un  des  plus  déments  et  des  plus 
infirmes  qui  soient. 

265.  En  terminant  sa  lettre  à  Gontier,  Marot  explique,  pour 
s'excuser  d'avoir  été  bref,  que  «  les  Muses  le  contraingnent  pen- 
ser ailleurs  »,  et  qu'il  lui  faut  chanter  sans  retard  «  la  dure  mort  » 
de  Louise  de  Savoie.  «  Madame  »,  en  effet,  était  morte  le  22 
septembre  153 1,  c'est-à-dire  depuis  quatre  ou  cinq  mois,  en 
sorte  que  la  complainte  officielle,  différée  par  la  maladie  du 
poète,  ri.squait  d'avoir  l'air  inopportune,  tant  on  se  console 
vite  à  la  cour  !  Agissant,  néanmoins,  comme  s'il  croyait  que 
l'oubli  n'était  pas  déjà  venu,  Clément,  faible  encore  et  non 
guéri,  composa,  en  l'honneur  de  «  la  mère  au  grand  berger  », 
de  cette  femme  si  habile  à  conduire  —  et  à  tondre  —  le  trou- 
peau de  son  fils,  une  ample  pièce  en  forme  d'églogue  [J.  II,  260]. 
Deux  pasteurs,  Thenot  et  Colin,  exaltent  les  vertus  de  la  perle 
savoisienne,  énumèrent  les  signes  de  deuil  que  les  bêtes  des 
champs  (et  les  poissons)  ont  montrés  en  la  perdant,  puis  re- 
trouvent le  sourire  en  songeant  qu'elle  réside,  à  présent,  dans 
l'Elysée,  là  où  croissent  des  fleurs  impérissables,  et  où  brille 
une  lumière  dont  on  n'a,  ici-bas,  aucune  idée...  Cette  idjdle 
funèbre  ne  nous  touche  guère.  Outre  que  nous  connaissons  trop 
;<  Loysette  »  pour  nous  réjouir  de  son  apothéose,  l'auteur,  nous 
le  devinons,  fait  là  une  tâche  qui  l'ennuie,  un  vrai  pensum. 
Aussi  n'ose-t-il  compter  ni  sur  l'instinct  infaillible  ni  sur  cette 
magistrale  simplicité  de  moyens  qui  le  servent  si  bien  chaque 
fois  qu'il  parle  librement.  La  naïveté  de  son  art  est  remplacée 
par  des  artifices.  Il  imite,  ici,  divers  modèles  ;  il  plaque  gau- 
chement des  lieux  communs  ;  il  a  recours  à  la  «  rhétorique  ». 
L'émotion  est  absente  :  on  le  remarque  partout  et,  notamment, 
dans  les  deux  strophes  où  il  est  question  de  Cognac  qui  se  cogne 
la  poitrine  en  apprenant  que  la  régente  n'est  plus,  de  la  ville 
d'Amboise  qui  en  boit  une  cruelle  amertume,  du  Maine  qui 
mène  un  lamentable  bruit,  de  V Anjou  qui  crie  jou  !  et  de  la 
Touvre  à  ce  point  désespérée  qu'elle  détruit  «  son  pavé  de  trui- 
tes ». 

266.  Vers  le  moment  où  cette  œuvre  destinée  au  roi  lui  fut 
offerte,  il  quittait  la  capitale  afin  de  se  rendre  en  Normandie. 
Bonne  occasion  pour  ceux  qui,  pleins  de  patience  et  de  haine, 
cherchaient  depuis  longtemps  à  perdre  Marot  !  Profitant  de 
l'absence  de  son  protecteur,  le  parlement  réveilla  soudain  la 
procédure  ouverte  contre  lui  en  1526,  et  le  lundi,  18  mars  1532, 
deux  conseillers,  maîtres  Jean  Tronsson  et  Nicole  Hennequin, 
furent  chargés  de  le  poursuivre  à  nouveau  comme  ayant  man- 


183  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

gé,  et  non  pas  seul,  «  de  la  chair  durant  le  temps  de  karesme  ». 
L'accusé,  pour  l'instant,  ne  jeûnait  que  trop.  A  l'en  croire,  il 
était,  lorsqu'on  l'arrêta,  ((  arresté  au  lict  de  mort  ».  Sans  pren- 
dre à  la  lettre  cette  pointe,  nous  devons  admettre  qu'il  se  trou- 
vait, tandis  qu'on  le  menaçait  ainsi,  débile  encore  et  loin  des 
banquets.  Les  intentions  de  ses  juges  n'étaient  point  douteu- 
ses ;  le  péril  semblait  grand  ;  on  en  voulait  à  sa  vie.  Par  bonheur, 
si  François  ne  pouvait  intervenir,  Marguerite  de  Navarre  était 
restée  à  Paris.  Ce  fut  d'elle  que  vint,  et  très  vite,  le  salut.  L'un 
de  ses  secrétaires,  Etienne  Clavier,  parut,  le  20  mars,  devant 
la  cour,  fournit  caution,  se  porta  garant  pour  l'inculpé.  L'affaire, 
par  ce  moyen,  fut  éteinte,  étouffée,  du  moins  en  ce  qui  concer- 
nait Clément. 

267.  Cet  Etienne  Clavier,  qui  était  entré  si  à  propos  en  scène, 
demeure  peu  connu.  Il  figure  (1539),  avec  200  livres  de  gages, 
parmi  les  officiers  de  Marguerite.  C'était  un  lettré,  et  même 
il  rimait  à  ses  heures.  Marot  lui  dédia  une  épigramme,  reçut 
de  lui  un  rondeau  flatteur,  répondit  en  affirmant  qu'Etienne 
ne  pouvait  manquer  d'être,  puisque  son  nom  commençait  par 
É,  «  ^sveillé,  f'njoué  ».  L'agréable  humeur  que  ce  texte  lui  attri- 
bue, elle  éclate  en  un  autre  rondeau,  puéril  et  gracieux,  qui 
se  lit  en  un  recueil  manuscrit.  Clavier,  s'adressant  à  des  ber- 
gères, invite  gaiement  ces  <(  jeunes  tendrons  »  à  gambader  sur 
les  «  serpoulletz  »,  puis  il  s'engage  à  remplir  leurs  pochettes  de 
tartelettes  et  de  craquelins. 

268.  Après  tant  de  traverses,  Marot,  à  la  fin,  respire,  et  le 
voici  qui  entre  dans  une  période  d'accalmie.  Il  est  guéri  ;  il  a 
de  l'argent  ;  ses  ennemis  ont  desserré  leur  étreinte  :  rien  ne 
l'empêche  d'oublier  le  vol  dont  il  fut  victime,  la  peste,  le  par- 
lement, et  il  va  profiter  de  ce  répit  pour  mener  à  bien  une  en- 
treprise utile  à  sa  gloire,  l'édition  des  œuvres  qu'il  a  produites 
jusqu'alors.  Le  12  août  1532,  elles  parurent  chez  Pierre  Roffet, 
sous  le  titre  significatif  à' Adolescence  clémentine.  L'auteur  indi- 
quait par  là  qu'il  donnait  au  public  les  fleurs,  seulement,  de 
son  printemps,  et  qu'il  avait  droit  à  l'indulgence.  Il  affectait 
de  tenir  son  livre  pour  un  coup  d'essai,  une  chose  légère,  non 
mûrie.  Mais  il  savait,  au  fond,  que  la  force  du  génie  précède 
parfois  celle  de  l'âge,  et  sa  feinte  modestie  cachait  mal  un  juste 
orgueil.  D'autres,  après  lui,  ont  allégué  non  moins  fièrement 
la  même  excuse,  et  ce  mot  à' adolescence  rappelle  la  phrase  de 
Musset  : 

Mes  premiers  vers  sont  d'un  enfant, 
Les  seconds  d'un  adolescent... 

Le  rapport  entre  les  deux  poètes  ne  se   borne  pas  à  cela,  et  il 


CLÉMENT  MAROT  ET  SON  ÉCOLE  189 

y  a  lieu  de  noter,  en  outre,  que  si  l'écrivain  romantique  déclare 
en  tête  de  son  volume  : 

Ce  livre  est  toute  ma  jeunesse..., 

Marot,  offrant  son  recueil  à  une  amie,  exprimait  déjà  une  idée 
semblable  : 

Tu  as,  pour  te  rendre  amusée, 
Ma  jeunesse  en  papier  icy... 

Mais  «  l'enfant  du  siècle  »  était  vraiment  très  jeune  lorsqu'il 
imprimait  ses  juvenilia  ;  Clément,  au  contraire,  avait  hésité 
longtemps  à  livrer,  sous  leur  forme  définitive,  les  primeurs,  les 
prémices  de  son  «  petit  jardin  »,  les  fruits  de  ses  «  arbres  nou- 
veaulx  entez  ».  Tranquille  à  cet  égard  et  ayant  assuré,  de  la 
sorte,  la  durée  de  ses  travaux,  il  pensa  à  sauver  ceux  de  son 
père.  Beaucoup,  à  cette  date,  étaient  perdus  :  il  réunit,  en  bon 
fils,  ce  qui  restait,  et  les  pièces  du  vieux  rhétoriqueur,  confiées 
au  libraire  Pierre  Roffet,  virent  le  jour  en  janvier  1533. 

369.  En  cette  année  1533,  au  commencement  de  juillet,  le 
roi  quitta  Lyon  où  il  était  resté  six  semaines,  et  se  dirigea  du 
côté  de  Marseille  où  le  pape  Clément  VII  et  lui  avaient  résolu 
de  se  rencontrer.  Mais  l'entrevue  n'eut  lieu  qu'en  octobre.  Fran- 
çois, en  conséquence,  avait  du  temps  devant  lui  :  il  voyagea  à 
petites  jom-nées,  ne  suivit  pas  le  plus  court  chemin,  visita  l'Au- 
vergne, le  Velay,  puis  le  Languedoc.  La  reine,  le  dauphin,  JMont- 
morency,  la  cour  entière  l'accompagnaient,  et  Marot  aussi,  de- 
puis Lyon,  chevauchait  derrière  lui.  Tout  ce  monde-là  devait 
s'arrêter  à  Toulouse,  et  cette  cite,  bien  que  prévenue  assez  tard, 
avait  ménagé  au  souverain  une  réception  très  magnifique.  Dès 
le  8  juillet,  les  capitouls  avaient  décidé  d'employer  aux  prépa- 
ratifs «  tant  de  gens  »  qu'on  en  pourrait  «  treuver  »  et  de  les 
faire  «  travailler  jours  de  testes  et  aultres  ».  Peintres,  broyeurs 
de  couleurs,  imagiers,  tapissiers,  mouleurs,  modeleurs,  deux 
cents  ouvriers  (ou  peu  s'en  fallait)  s'étaient  mis  avec  zèle  à  la 
besogne,  et,  pendant  ce  temps,  les  humanistes  et  les  rimeurs 
du  cru  ne  demeuraient  pas  inactifs,  mais,  dirigés  par  le  docte 
Jean  de  Pins,  organisaient  le  programme. 

270.  L'entrée  d'Anne  de  Montmorency  eut  lieu  le  zy  juillet  ; 
celle  du  dauphin  et  de  ses  frères,  le  30  ;  celle  de  Duprat,  le  31  ; 
celle  du  roi  —  comme  il  était  juste,  la  plus  pompeuse  —  le  ven- 
dredi, i^ï"  août.  Le  héros  de  la  fête,  qui  avait  couché  au  châ- 
teau de  Balma,  arriva,  suivant  la  coutume,  par  la  porte  Arnaud- 
Bernard.  Là,  de  jolies  filles,  habillées  en  nymphes,  lui  récité- 


190  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

rent  des  vers  ;  une  harangue  fleurie  fut  débitée  par  le  capitoul 
Filholi,  et,  dévalant,  à  cet  effet,  d'un  nuage,  le  peintre  Bernard 
Nalot  remit  les  clefs  de  la  ville.  Le  cortège,  alors,  s'ébranla  : 
venaient  en  tête  les  ordres  religieux  et  le  clergé  des  paroisses  ; 
puis,  avec  fifres  et  «  tambourins  de  Suysse  »,  deux  mille  fan- 
tassins ;  puis  des  cavaliers  coiffés  de  heaumes  »  surdorez  a  l'an- 
ticque  »  et  tenant  «  es  mains  branches  de  laurier  »  ;  puis  des 
enfants  vêtus  de  satin  blanc  et  de  damas  ;  puis  les  clercs  de 
la  Basoche  ;  puis,  à  cheval,  les  bourgeois  et  marchands  en  robes 
de  soie  cramoisie  ;  enfin,  les  tenanciers  et  les  nobles,  précédés 
par  Ramond  de  Royers,  baron  de  Fourquevaux,  qui  portait 
leur  étendard.  C'était  fort  beau.  A  chaque  carrefour  s'élevaient 
soit  des  arcs  de  triomphe,  soit  des  théâtres  où  l'on  représentait 
<i  histoires,  moralités  et  fictions  poétiques  )).  L'architecture  grec- 
que et  romaine  revivait  en  toutes  ces  constructions  et,  plus 
encore,  dans  une  galerie  d'ordre  ionique,  bâtie  à  Saint-Roch- 
hors-les-murs,  devant  le  couvent  des  Minimes.  Longue  de  vingt- 
quatre  cannes  (43  mètres)  cette  aida,  formée  de  maintes  colon- 
nes, était  couverte  d'un  brillant  plafond  «  estoffé  d'or,  d'azur 
et  aultres  fines  couleurs  ». 

271.  Tandis  que  le  roi  descendait  chez  le  riche,  le  puissant 
Bernuy,  que  devenait  Clément  ?  Il  ne  restait  pas,  comme  on 
croirait,  perdu  dans  la  foule,  car  il  était  connu  à  Toulouse,  et 
des  amis,  des  admirateurs  l'y  attendaient.  Le  plus  notable  était 
Jean  de  Boissonné  qui,  plein  d'estime  pour  le  «  Maro  »  moderne, 
ne  se  lassait  pas  de  chanter  ses  louanges,  tantôt  l'appelant 
prince  des  écrivains,  tantôt  traitant  de  gros  veaux  ceux  qui 
osaient  le  critiquer.  A  un  homme  ainsi  disposé  l'arrivée  du  voj/a- 
geur  ne  pouvait  être  que  très  agréable.  Dès  qu'elle  lui  fut  an- 
noncée (et  il  paraît  l'avoir  sue  avant  les  autres),  il  transmit, 
en  un  dizain,  la  nouvelle  à  l'un  de  ses  confières,  un  certain  Vil- 
lars.  Sus,  lui  dit-il,  allumons  «  les  forneaulx  de  Rhétorique  », 
puis  que  chacun  de  nous,  pour  célébrer  la  présence  du  maître, 
du  «  grand  forgeur  »,  forge,  sur  «  l'enclume  de  purité  »,  un  ou- 
vrage digne  de  lui  être  offert.  A  cet  ouvrage  ou  à  ces  ouviages 
il  y  a  lieu  d'admettre  que  plusieurs  Toulousains  voulurent  col- 
laborer. Trois,  au  moins,  s'appliquèrent  à  bien  recevoir  Marot, 
et  celui-ci,  qui  tenait  à  leur  rendre  leurs  politesses,  les  convia 
à  dîner.  La  «  semonce  »  ou,  si  l'on  préfère,  le  billet  d'invitation 
fut  une  épigramme  collective  envoyée  aux  trois  enfants  d'Apol- 
lon, Boissonné,  ViPars  et  La  Perrièie.  Le  piemier  a  été  plus 
d'une  fois  étudié  ;  —  du  second  nous  ignorons  tout,  sinon  qu'il 
concouiut  aux  Jeux  floraux,  qu'il  nt  fut  pas  couronné,  et  que 
Boissonné,  s'en  prenant  aux  juges,  le  consola  par  cette  remar- 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  191 

que  :  «  Le  plus  grand  ncmbre  a  vaincu  le  meilleur  »  ;  —  quant 
aa  troisième  suppôt  de  Phébus,  il  mérite  de  nous  arrêter  quel- 
ques instants. 

272.  Guillaume  de  La  Perrière,  quoique  sans  talent,  se  figu- 
rait avoir  du  génie.  «  Licencié  es  droitz  »,  poète,  chroniqueur 
et,  comme  nous  dirions,  sociologue,  il  prétendait  exceller  en 
tout  cela,  et,  se  rendant,  à  chaque  occasion,  pleine  justice,  il 
publiait  sans  détour  le  bien  qu'il  pensait  de  lui.  Son  nom  reste 
lié  à  l'histoire  de  Toulouse  parce  que,  de  1539  à  1553,  il  a  rédigé 
quelques-unes  de  ces  annales  (exactement  sept)  que  les  capi- 
touls  faisaient  écrii  e  pour  que  fût  conservée  la  mémoire  de 
leurs  actes  et  paroles.  Ils  chargèrent  aussi  notre  Guillaume  de 
composer,  dit  M.  Roschach,  «  divers  morceaux  de  littérature 
officielle  »,  lesquels  paraissaient  d'autant  plus  sublimes  qu'on 
les  comprenait  à  peine,  tellement  il  les  oinait  et  farcissait  d'allu- 
sions, de  citations,  de  fictions  !  Mais,  quand  les  circonstances 
l'exigeaient  ainsi,  il  savait  se  borner,  employer  des  formules 
lapidaires.  Les  inscriptions  qui  se  lisaient  autour  du  portail  de 
la  salle  d'audience,  à  l'hôtel  de  ville,  étaient  de  sa  façon.  Elles 
lui  avaient  coûté  plusieurs  jours  de  labeur,  et  il  demanda  «  con- 
digne  recompense  »  aux  magistrats  municipaux.  Ils  lui  acccr- 
dèrent  quinze  livres,  le  12  décembre  1552.  Peu  d'années  aupa- 
ravant (1549),  ils  l'avaient  chargé  —  il  parvint,  du  moins,  à  le 
leur  faire  croire  —  de  préparer  un  manuel  d'administration  et 
de  police.  Cette  compilation  parut  sous  le  titre  de  Miroir  poli- 
tique ;  elle  fut  dédiée  aux  édiles  toulousains,  attendu,  leui  dé- 
clara La  Perrière,  qu'ils  méritaient  seuls  un  si  beau  «  présent 
d'esprit  »,  l'hommage  d'une  œuvre  à  ce  point  éminente  qu'elle 
ne  pouvait  manquer  de  valoir  «  immortalité  de  nom  tant  aus- 
dicts  sieurs  qu'a  son  autheur  ».  Cette  promesse  et  le  Miroir 
furent,  l'une  portant  l'autre,  payés  69  livres.  En  somme,  ils 
avaient  de  la  chance,  les  capitouls  de  cette  année-là,  et  ils  en- 
traient à  peu  de  frais  dans  la  gloire. 

273.  Assez  nombreux  sont  les  volumes  qu'a  laissés  La  Per- 
rière. J'en  néglige  (voir  aux  références  !)  une  partie,  et  n'appel- 
lerai l'attention  que  sur  les  trois  que  voici  : 

274.  D'abord,  les  Annales  de  Foix.  Elles  sont  en  prose  ;  mais 
je  lis,  aux  premières  pages,  plusieurs  petites  pièces  de  vers  : 
un  dizain  de  M.  «  de  Sainct-Paul,  docteur  es  droictz,  seigneur 
de  Brassac  »  ;  —  une  «  prosopopée  »  que  le  livre  adresse  à  son 
auteur  pour  lui  reprocher  d'offrir  aux  envieux  de  la  pâture  et 
d'employer  à  ameuter  les  jalojix  un  temps  qu'il  aurait  pu  pas- 
ser à  dormir  ;  —  une  réponse  au  «  petit  livret  »  craintif,  qui 
eût  dû  se  souvenir  qu'on  dédaigne,  lorsqu'on  a  du  cœur,  les 


192  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

gens  prompts  à  censurer  et  «  pigres  a  bien  faire  »  ;  —  un  dizain 
de  Jean  de  Boissonné  ;  —  un  douzain  de  «  Pierre  du  Cèdre, 
tholosain  »  ;  —  deux  huitains  commis  par  Drusac,  «  lieutenant 
gênerai  de  Mgr  le  Seneschal  de  Toulouse  >'.  Parlant  aux  comtes 
actuels  de  Foix,  il  les  félicite  d'avoir  découvert,  pour  relater 
les  actes  u  chevalheureux  »  de  leurs  ancêtres,  un  «  composeur  » 
expert  et  «  soufïisant  ».  Certes,  ajoute-t-il,  vous  avez,  dans  vos 
coffres,  de  riches  pierreries,  mais  vous  y  chercheriez  en  vain 
une  pierre  semblable  à  celle  qui  brille  en  notre  Perrière...  Là- 
dessus,  les  Annales  commencent.  Que  valent-elles  ?  C'est  aux 
historiens  à  nous  le  dire. 

275.  Je  signalerai  ensuite  la  Morosophie.  Titre  engageant  : 
mais  il  ne  s'agit,  au  fond,  que  d'un  recueil  de  quatrains  moraux. 
Dédiés  à  Antoine  de  Bourbon,  duc  de  Vendôme,  ces  quatrains, 
à  n'en  pas  douter,  n'ont  été  écrits  que  pour  les  vignettes  aux- 
quelles ils  servent  de  commentaires.  Quoique  le  rimeur  ait  expli- 
qué, en  appelant  toute  l'antiquité  à  la  rescousse,  en  quoi  con- 
sistait sa  morosophie,  le  choix  de  ce  terme  demeure  étrange. 
On  ne  saurait,  en  ces  propos  gnomiques,  trouver  le  moindre 
grain  de  folie  ;  quant  à  la  sagesse,  elle  n'est  que  trop  visible, 
mais  tellement  plate  et  écœurante  qu'on  se  croit  revenu  au 
règne  du  doctrinal.  Presque  tous  les  adages  du  Toulousain  ren- 
ferment en  puissance  un  apologue,  et,  d'ordinaire,  il  procède  par 
comparaison...  Exemples  :  de  même  qu'on  ne  tire  pas  sans  effort 
d'un  caillou  une  étincelle,  ainsi  on  ne  rend  pas  sans  travail  la 
vérité  évidente  [nP  53)  ;  —  de  même  que  l'écrevisse  ne  marche 
pas  moins  bien  en  arrière  qu'en  avant,  ainsi  nous  devons  «  chan- 
ger nos  mœurs  »  à  l'occasion  (n"  61)  ;  —  la  chouette  ne  saurait 
contempler  le  soleil,  ni  notre  esprit  pénétrer  les  cieux  (n^  35)  ; 
—  regardez  le  poisson  qui  arrête  cette  nef  :  il  vous  enseigne  que 
les  petites  voluptés  font  souvent  encombre  aux  grands  hommes 
(n''  37)...  Mais  il  arrive  aussi  que  les  maximes  soient  nues  et 
directes.  Tel  le  n^  47  qui  accable  les  ivrognes  : 

En  un  repas  boire  un  coup  est  louable  ; 
Boire  deux  foys  est  besoing  ;  tro3's,  plaisir  ; 
Quatre  fo\'s  boire  est  fureur  détestable  ; 
Tout  le  surplus  est  honte  et  déplaisir. 

Çà  et  là,  on  remarque  une  note  personnelle.  L'auteur  pense 
à  lui  lorsqu'il  demande  avec  une  mélancolie  évidente  (n»  49)  : 
puisque  les  princes  n'aiment  pas  les  doctes. 

Qu'attendons  nous  fors  que  la  fin  du  monde  ? 


CLÉMENT   MAHOT    ET   SON    ÉCOLE  193 

La  dernière  vignette  figure  le  triomphe  du  génie  : 

Voicy,  lecteur,   en<^an  victorieux... 

Cette  victoire  d'Engin,  c'est  la  revanche  de  La  Perrière  ;  il 
compte  que  la  postérité  l'élèvera  à  sa  vraie  place,  et  il  ne  lui 
reste  plus,  dans  cet  espoir,  qu'à  répétei  sa  devise  :  Redime  me 
a  calumniis  homimim. 

276.  Quelques  mots,  pour  terminer,  sur  le  Miroir  politique, 
traité  en  prose  où  se  glissent,  par  endroits,  de  courtes  strophes. 
Le  fond  est  négligeable  ;  il  n'offre  aujourd'hui  et  n'a  jamais 
offert  aucun  intérêt,  puisque  l'écrivain  se  contente  de  vulgari- 
ser des  choses  vulgaires  et  de  mettre  à  la  portée  de  chacun  ce 
que  tous  connaissent  parfaitement.  Afin  d'atteindre  ce  résultat, 
il  a  très  souvent  réduit  ses  idées  en  schèmes  qui  frappent  les 
yeux.  Vous  verrez,  chez  lui,  les  vertus  sociales  pendues  aux 
branches  d'une  sorte  d'arbre  généalogique,  et  les  douze  vices 
qui  ruinent  les  états  ne  vous  échapperont  point,  car,  nichés  en 
des  cercles  symétriques,  ils  couvrent  une  page  entière...  Ail- 
leurs, d'une  logette  centrale  qu'habite  un  principe  à  méditer 
partent  des  traits  divergents,  des  rameaux  styHsés,  fleuiis,  qui 
vous  conduisent  aux  plus  voisines  conséquences  du  principe  en 
question,  puis,  de  là,  par  de  nouvelles  lignes  non  moins  ornées, 
à  des  cases  où  ont  élu  domicile  les  termes  extrêmes  du  raison- 
nement. Rien  d'aussi  commode.  Désire-t-on  savoir,  par  exem- 
ple, en  quoi  consiste  la  maison  paternelle  ?  Il  suffira  de  consul- 
ter le  tableau  de  la  page  99.  On  y  trouvera  d'abord,  imprimé 
dans  un  rond,  le  mot  «  maison  »  ;  une  route  s'ouvre  à  cet  en- 
droit qui  mène  à  l'adjectif  *c  paternelle  »  ;  vous  tombez  ensuite 
sur  un  carrefour,  d'où  vous  accédez,  par  trois  voies,  à  trois 
enceintes  circulaires»  résidences  des  mots  «  père  »,  «  mère  », 
«  enfants  »...  Aurions-nous,  faute  de  cette  démonstration  gra- 
phique, ignoré  que  le  propre  d'une  maison  paternelle  est  la 
présence  d'un  père,  et  que,  pour  être  père,  il  faut  avoir  des 
enfants  ?  L'auteur  ne  se  demande  pas  cela,  et,  bien  résolu  à 
demeurer  pratique,  il  multiplie  les  images  de  ce  genre.  Elles 
rendaient,  à  son  avis,  le  livre  fort  original,  et  c'était  sur  elles 
qu'il  comptait  pour  durer,  comme  il  l'a  dit,  en  la  mémoire  des 
hommes. 

277.  Nous  ne  rencontrerons  plus  La  Perrière,  et  il  fallait,  en 
consijquence,  le  saisir  au  passage,  tâcher  d'esquisser  la  physio- 
nomie de  ce  polygraphe  languedocien  qui  aurait  dû  naître  Gas- 
con. Cela  fait,  rejoignons  le  roi  de  France  au  moment  où,  ayant 
quitté  Toulouse,  il  arrive  avec  sa  cour,  par  Narbonne,  Mont- 

Cléinenl  Marut  et  sun  écolo  13 


194  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

pellier  et  Nîmes,  dans  la  ville  d'Avignon.  L'une  de  ses  premières 
visites  fut  pour  le  tombeau  de  Laure  de  Noves,  lécemment 
découvert  dans  la  chapelle  de  la  Sainte-Croix,  au  couvent  des 
Cordeliers.  Maurice  Scève,  qui  avait  présidé  à  l'invention  de 
cette  sépulture,  la  croj'ait  ou  la  prétendait  authentique,  ayant 
trouvé  ou  lorgé,  pensait-il,  assez  de  preuves...  Mais  la  super- 
cherie crève  les  yeux,  et  il  ne  reste  aujourd'hui  qu'une  question 
à  trancher  :  Scève  fut-il  l'artisan  ou  la  victime  de  cette  mysti- 
fication ?  S'est-il  amusé  aux  dépens  des  naïfs,  ou  bien,  très 
naïf  lui-même,  a-t-il  été  la  dupe  de  quelque  imposteur  ?  D'une 
part,  le  sonnet  italien,  exhumé  fort  à  propos  avec  les  cendres 
de  Laure,  rappelle  la  manière  tendue  et  abstraite  du  poète 
lyonnais  ;  mais,  d'autre  part,  nous  pouvons  admettre  qu'un 
malin,  exploitant  ce  riche  et  fervent  touriste,  lui  a  fait  payer 
cher  l'honneur  et  la  joie  de  ramener  au  jour  ces  fausses  reli- 
ques. La  pièce,  quoi  qu'il  en  fût,  avait  été  souplement  jouée  ; 
le  public  tomba  dans  ce  panneau,  et  la  chapelle  de  la  Sainte- 
Croix  eut  ses  dévots  et  ses  pèlerins.  François  I^^,  père  des  arts 
et,  sur  le  papier,  amant  platonique,  se  devait  d'aller  méditer  en 
ce  «  petit  lieu  »  qui  évoquait  de  si  grands  souvenirs.  Il  }'  alla 
donc,  improvisa  (à  loisir,  peut-être,)  quelques  rimes,  chanta 
cette  «  gentille  âme  «  envolée.  A  son  tour  Marot  prit  la  plume, 
et,  s'adressant  à  Laure,  loua  les  vertus  qui,  après  sa  mort,  lui 
avaient  mérité  l'hommage  d'un  prince  à  la  «  dextre  valeureuse  ». 
278.  Rien  ne  prouve  que  ces  vers  aient  été  composés  en  Avi- 
gnon, ni  même  que  Clément  ait  suivi  le  roi  jusqu'à  cette  ville. 
C'est  seulement  à  Toulouse  que  sa  présence  est  bien  attestée  : 
il  se  peut  qu'il  ait  poussé  plus  loin,  mais  le  contraire  est  possible 
aussi.  D'ailleurs,  au  mois  d'août  1533  commence  une  longue 
période  durant  laquelle  notre  poète  va  nous  échapper.  Lorsque 
nous  aurons  dit  qu'il  fit  paraître,  le  30  septembre,  son  édition 
de  Villon,  il  faudra  franchir  une  année  presque  entière  pour 
ressaisir,  au  16  août  1534,  le  fil  de  sa  biographie.  A  cette  date, 
le  mariage  d'Isabeau  de  Navarre  et  de  René  de  Rohan,  comte 
de  Penhoët,  prince  de  Léon,  fut  célébré  au  château  d'Alençon. 
La  foule  était  dense  ;  le  beau  monde  affluait,  et  les  bonnes  fées, 
c'est-à-dire  les  Muses,  ne  furent  pas  bannies.  Deux  des  écri- 
vains qui  se  trouvaient  là  nous  sont  connus  :  Sagcn  et  Marot. 
Quelle  fut,  dans  le  programme  des  réjouissances,  la  part  de 
celui-ci  ?  On  le  sait  mal.  Tout  porte  à  croire  qu'il  a  dû  oiïrir 
quelque  chose,  épithalame  ou  livret  de  ballet.  Mais  la  pièce 
que  Guiffrey  lui  attribue  (Épistre  présentée  à  la  royne  de  Navarre 
par  madame  Ysaheaii...)  ne  lui  appai tient  pas,  ainsi  que  l'a 
bien  vu  M.  Becker,  et  ne  convient  guère  à  la  circonstance.  Quant 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  195 

à  la  Mommerie  de  quatre  jeunes  damoiselles,  quoique  faible,  très 
obscure  et  peu  en  rapport,  elle  aussi,  avec  des  fêtes  nuptiales, 
elle  a  depuis  foit  longtemps  droit  de  cité  dans  les  œuvres  de 
Marot. 

279.  Il  nous  apprend  lui-même  [G.  III,  322]  qu'il  se  rendit, 
après  son  voyage  d'Alençon,  d'abord  à  Vauluisant  (Yonne)  où 
s'élevait  une  abbaye  de  l'ordre  de  Cîteaux,  puis  à  Lorris-en- 
Gâtinais,  résidence  de  son  ami  Antoine  Couillart,  seigneur  du 
Pavillon,  et,  enfin,  vers  le  milieu  d'octobre,  à  Blois.  Là,  si  nous 
l'en  croyons,  il  se  reposa,  tâcha  de  se  distraire  sans  penser  à 
mal,  passa  trois  jours  en  aimable  compagnie,  joyeux,  devisant 
aux  dames. 

280.  Mais  pendant  qu'il  menait,  hors  de  Paris,  cette  exis- 
tence discrète  et  nomade,  les  conflits  des  catholiques  et  des 
luthériens  devenaient  d'heure  en  heure  plus  acharnés.  Le  carême 
de  1533  avait  été  troublé  par  une  âpre  lutte  de  prédicateurs, 
Gérard  Roussel  expliquant  et  soutenant,  au  Louvre,  les  doc- 
trines de  la  Réforme,  tandis  que,  indignés,  enragés,  Noël  Béda 
et  François  Le  Picart  menaient  au  combat  l'armée  des  moines, 
excitaient  le  zèle  des  magistrats,  et  ameutaient  le  peuple  contre 
les  nouveaux  apôtres,  contre  ceux,  aussi,  qui  les  écoutaient, 
les  protégeaient.  Béda  et  les  siens  ne  respectaient,  ne  craignaient 
personne.  On  le  vit  bien,  en  octobre,  lorsque  Marguerite  d'An- 
goulême  fut  mise  —  de  quelle  façon  !  —  en  scène  au  Collège  de 
Navarre,  et  que  son  Miroir  de  l'âme  pécheresse  fut  condamné 
par  la  Sorbonne.  En  attendant  ces  grands  coups  d'audace,  les 
défenseurs  de  l'Église  romaine  affichaient  leurs  menaces  au 
coin  des  rues.  Ils  ne  demandaient  point  qu'on  discutât  avec 
les  dissidents,  ni  même  qu'on  leui  imposât  silence,  mais  qu'on 
les  fît  mourir.  Certains  placards  exprimaient  cela  en  vers.  L'un 
d'eux,  qui  commence  par  les  mots  : 

Au  feu,  au  feu,  caste  hérésie  !... 

traite  les  protestants  de  »  chiens  mauldictz  )>,  et,  invoquant  «  le 
roy  de  gloire  »,  le  prie  de  les  tellement  détruire  qu'ils  soient  reje- 
tés et  oubliés  comme  «  de  vielz  os  pourris  ». 

281.  Ce  sauvage  appel  au  meurtre  souleva,  dans  le  camp  ad- 
verse, une  colère  qui  se  conçoit.  Il  fallait  protester  et  riposter. 
Ce  ne  fut  pas  une  seule  réponse  qui  parut,  mais  deux.  La  pre- 
mière (En  l'eau,  en  l'eau,  ces  folz  séditieux  !...)  reproche  à  Fran- 
çois pï"  de  se  montrer  «  un  peu  trop  gratieux  »  pour  les  ivrognes 
sanguinaires  qui  prêchent  au  peuple  l'assassinat.  La  seconde 
(Ail  feu,  en  Veau,  en  l'air  ou  en  la  terre...)  annonce  que.  Dieu 


196  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

merci,  le  roi  voit  clair  maintenant,  en  sorte  que  les  mauvais 
bergers  vont  être  punis  «  selon  la  loy  »...  Quel  est  l'auteur  des 
deux  pièces  ?  Jamais  Marot  ne  les  a  réclamées  ni  avouées.  Ce- 
pendant il  se  peut  qu'il  ait,  le  dégoût  et  l'impatience  aid  ant, 
rimé,  sans  y  mettre  son  nom,  l'une,  au  moins,  de  ces  répliques. 
Au  reste,  eussent-elles  été  d'un  autre,  les  contemporains  n'au- 
raient pas  laisse  de  les  lui  imputer  :  ses  opinions,  ses  relations, 
ses  œuvres,  sa  vie  entière  poussaient  les  orthodoxes  à  le  recon- 
naître en  de  tels  vers.  Ainsi  l'orage,  une  fois  encore,  s'amassait 
et  grondait  autour  de  lui  ;  la  marche  des  événements  l'entraî- 
nait, et  il  sentait  bien  (qui  ne  l'eût  senti  à  cette  date  ?)  que 
le  moindre  incident  déchaînerait  une  cruelle  persécution,  et 
qu'elle  tomberait  d'abord  sur  lui,  objet  d'une  longue  haine, 
victime  df'jà  marquée. 


BIBLIOGRAPHIE  ET  REFERENCES 

228.  J.  II,  217.  —  Bourgeois  de  Paris,  12,  n.  4  et  306-307. 

230.  Becker,  op.  cit.,  229.  —  G.  II I,  115. 

231.  Rabelais,  P.  II,  15. 

232.  G.  III,  115,  n.  I.  —  Id.,  ibid.,  339  :  «  Si  ne  fey  je  jamais  l'adieu  |  qui  parle  de 
la  pautonnière.  »  —  Id.,  ibid.,  128-132. 

233-235.  G.  III,  132-140.  — Louis  Boileau  :  G.  I,  151-152  ;  III,  132,  n.  i  ;  Becker, 
op.  cit.,  230,  n. 

234.  Cadmus  :  G.  I,  147. 

237 .  J eanne Demont  :  G.  III,  140-144.  —  «  Tant  debroillis...  »  :  Ibid.,  149-150. 

238.  Bourgeois  de  Paris,  317-322.  —  Le  texte  de  l'arrêt  prononcé  contre  Berquin  a 
étL'  publié  au  moins  deux  fois  :  Ibid.,  423-426  et  G.  III,  683  sqq.  —  Romain  Rolland, 
U  Dernier  Proch  de  Louis  de  Berquin,  (École  fr.  de  Rome  :  Mélanges  d'archéologie  et 
d'histoire,  t.  Xli,  iùcj2,  pp.  3i4-..25.) 

239-240.  Des.  Erasmi  Rot.  Operum  terlius  iomus  Epistolas  complectcns  universas  (Bâle, 
1540),  pp.  916-917. 

241.  Bourgeois  de  Paris,  322,  n.  i. 

242.  G.  III,  107-114. 
244.  G.  IIF,  136,  V.  73-80. 
246.  J.  111,50,53,  55. 

247-254.  Abel  Lefranc,  le  Roman  d'amour  de  Clément  Marot  ;  Revue  bleue,  12,  19, 
26  avril,  3  mai  1913.  Cette  étude  a  été  insérée  ensuite  dans  un  volume  qui  a  pour  titre  : 
Grands  écrivains  français  de  la  Renaissance  \Les  lettres  et  les  idées  depuis  la  Renaiss., 
t.  II],  Paris,  Champion,  1914.  —  Les  prinoipa  es  indications  que  Marot  nous  a  données 
sur  Anned'Alençonse  trouvent  dans  les  Épigr,CXXetC.CW\l  (J.  Ill,  50,  83).  En  ce 
qui  concerne  la  seconde  de  ces  petites  pièces,  on  observera  que  la  lettre  N  se  prononçait 
tantôt  finwe  et  tantôt  aM««.  La  prononciation  ««n*  est  attestée  par  plusieurs  jeux  de 
mots  dont  la  finesse  (pas  trop  fine)  consistée  désigner  par  la  lettre  N  soit  1'*  ane  » 
(c'est-à-dire  le  canard  ou  la  cane,  en  latin  anas),  soit  1'»  .ne»,  asinus  {Revue  d'hist. 
litt.  delà  Fr.,  1912  p.  63).  Cela  posé,  le  vers  de  Marot  :  «  N  est  la  lettre  en  mon  cueur 
bien  escrite  »  prend  un  sens  parfaitement  clair...  Un  calembour  de  même  espèce  et 
de  même  force  se  lit  àansVÉpigr.  CXXX  (J.  III,  54)  :  «  Puis  que  vous  portez  le  nom 
d'Anne,  '  Il  ne  fault  point  faire  la  beste  > 


CLÉMENT  MAROT  ET  SON  ÉCOLE  197 

249-250.  Génin,  Lettres  de  Marsuerite  d'Angoulême,  I,  p.  XIII. —  G.  III,  595-601. 

251.  Élégie  1 1  [remarquez  le  vers  :  «  O  moys  de  may  pour  moy  trop  sec  et  maigre  !  »] 
et  Épigr.  XXII  (J.  Il,  10  et  III,  13).  —Voici  (p.  273)  ce  qu'on  lit  chez  le  Bourg,  de 
Paris  :  «  Audict  an  mil  cinq  cens  vingt  sept,  incontinent  après  Pasques,  jusques  en 
juing  ensuivant,  ne  cessa  de  pleuvoir  et  faire  froid,  dont  les  rivières  tant  de  Seine  que 
de  Loire  et  plusieurs  autres  se  desbordèrent  et  firent  moult  de  dommaigc...  » 

252.  Rondeaux  XL,  De  trnys  alliances  ;  L I,  D'alliance  de  seur  ;  Épigr.  CX  IV,  De  Mar- 
guerite d'Alençon,  sa  seur  d'alliance  (J.  II,  149,  156  et  III,  48). 

253.  D'après  M.  A.  Lefranc,  ce  sont  les  élégies  1 1,  V,  X,  X 1  I,  XV,  XV I,  XV 1 1,  X  X  ! V 
et  XXVI  qui  se  rapportent  à  Anne. —  J.  111,55  ;  Épigr.  CXXXW.  —  J.  111,60,64; 
Épigr.  CXLVIIIet  CLVIII.  —  G.  III,  605,  v.  85-99.  —  J-  H,  149  ;  Rondeau  XXX IX. 

254.  A  Madame  de  Bernay,  dicte  de  Saint-Pol.  «  Vostre  mary  a  fortune  Opportune  :  I 
Si  de  jour  ne  veult  marcher,  j  II  aura  beau  chevaucher  •  Sur  la  brune.  »  (J.  II,  211.) 
—  Anne  d'Alençon,  M"«^  de  Saint-Paul  [-le- Vicomte],  M*""  de  Bernay,  la  brunette  et, 
ici,  la  brune  sont  une  seule  et  môme  personne. 

256.  Bourgeois  de  Paris,  324  sqq.  —  J.  II,  160  ;  Rondeau  LIX.  —  G.  I,  153-I54- 

257.  Chronique  de  François  i'"'  [édit.  Guift  ey],  83.  —  J.  M,  91. 

258.  Bourgeois  de  Paris,  343.  —  Chronique  de  François  i<^',  88.  —  G.  III,  162-173. 
(Sur  les  sentiments  de  sympathie  ou,  selon  Sébastien  Moreau,  de  tendresse  conçus  par 
Élconore  pour  le  roi  captif,  cf.,  ihid.,  les  notes  i  des  pages  165  et  167.) 

259.  Bourgeois  de  Paris,  345,  352.  —  Becker,  Zeitschrift  jiir  jr.  Spr.  u.  Litt.,  1914, 
t.  XLII,  88,  le  texte  et  la  note  76.  —  G.  HI,  174-178.  —  Grosse  apostunte:  Id.,  ihid., 
185,    v.    17. 

260-262.  G.  III,  182-192.  —  Becker,  op.  cit.,  XLII,  91,  n.  80. 

261.  B.  N.  fr.  7856  [liste  des  officiers  royaux],  pp.  940-941.  —  Ch.  Fontaine,  la  Fon- 
«  î  ne  d'^wîowr  (Paris,  1546),  vers  la  fin  du  livre  W  àes  Épigrammes.  ^  G.  III, les  notes 
des  pp.  63  et  188. —Becker,  op.  cit.,  XLII,  91.  —  J.  III,  17-18;  Épigr.  XXXIII- 
XXXVI. 

262.  G.  1, 171-172  ;  III,  190,  n.2. 

263.  Roger  de  Collerye  :  voir  mon  tome  I,  §  660.  —  G.  1 1 1,  193. 

264.  Mellin  de  Saint-Gelays,  Œuvres,  1 1, 131.  —  7,<7  Poésie  fr.  de  Ch.  de  Sainte- Marthe, 
P-  59-  — J.  III,  18,  Épigr.  XXXVIII  [cf.  G.  111,  178-181].  — G.  III,  194.—  ibid., 
197.  Cf.  Drusac,  Controverses  des  sexes  tnasc.  et  fém.,  Toulouse,  Colomics,  1534  [v.  s.). 

266.  G.  I,  173-177  ;  III,  288,  le  texte  et  la  note  i.  —  Becker,  cp.cit.,  XLII,  92-93- 

267.  Lefranc  et  Boulcnger,  Comptes  de  Louise  de  Savoie  et  de  Marguerite  d' An  goule  tue, 
p.  72.  —  J.  \U,^2;  Épigr.QCW.  —  ld.,  \\,  ï^,6-j^7  ;  Rondeaux  XWU  e\.  WX.  — 
B.  N.  fr.  1721,  f°  22  r". 

268.  G.  II,  13-16  ;  18. 

269-270.  E.  Roschach,  Inventaire  des  Archives  communales  [de  Toulouse]  antérieures 
à  1790  ;  t.  I,  série  AA,  n»  i  à  60  (Toulouse,  1891),  p.  75.  —  Abbé  H.  Aragon,  Hist.  de 
Toulouse  et  des  Toulousains  célèbres  (Toulouse,  Sistac,  s.  d.),  pp.  179-180.  • —  H.  Graillot, 
Nicolas  Bachelier,  imagier  et  maçon  de  Toulouse  au  XVI*  s.  (Toulouse,  Privât,  191-4). 
PP-  32-35. 

271.  Les  Dixains  de  maistre  Jehan  de  Boysscne  (sic),  docteur  régent  à  Tholose  (Bibl. 
mun.  de  Toulouse,  ms.  836)  :  Éloge  de  Marot  et  réponse  à  ses  adversaires  :  f  14  v", 
20  v»,  81  ro  ;  pièces  adressées  à  Villars  :  9  r",  27  v»,  30  v».  fLes ZJisams  ont  été  publiéspar 
H.  Jacoubet,  Thèse  de  Paris,  19:3.]—  J.  III, 51  \Épigr.CXX\\.  [1^ 

272.  E.  Roschach,  Les  douze  livres  de  l'histoire  de  Toulouse  ;  Chroniques  municipales 
manuscrites  du  XIII'^  au  XVIII^  sic'cle,  pp.  166  sqq.  Cette  étude  se  trouve  comprise 
dans  le  volume  intitulé  :  Association  framaise  pour  l'avancement  des  sciences  ;  16^  ses- 
sion à  Toulouse  en  1887,  (Toulouse,  Privât,  1887.') 

273.  Le  Théâtre  des  bons  engins  ;  Paris,  Denys  Janot,  1530.  —  Les  Invectives  satiri- 
ques ;  Tholose,  Jacques  Colomits,  1550.  —  Le  Petit  Courtisan  avec  la  maison  parlant 


198  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

et  le  moyen  de  parvenir  de  pauvreté  à  richesse,  et  comment  le  riche  devient  pauvre  ;  Lyon, 
155 1.  —  Les  Considérations  des  quatre  mondes,  à  savoir  est  divin,  angélique,  céleste  et 
sensible  :  Lyon,  Macé  Bonhomme  et  Toulouse,  j;  Moulnier,  1552.  —  La  Perrière  est 
aussi  l'auteur  d'une  traduction  française  des  Gesta  Tholosanorum  de  Nicolas  Bertrand. 

274.  Les  Annales  de  Foix,  ionctz  a  ycelles  les  cas  et  faictz  dignes  de  perpétuelle  recor- 
dation,  advenuz  depuis  le  premier  Comte  de  Foix,  Bernard,  iusques  a  Tresillustre 
et  Puissant  Prince  Henry,  a  présent  Comte  de  Foix  et  Roy  de  Navarre.  Composées 
et  mises  au  champ  de  publication...  par  Maistre  Guillaume  de  la  Perrière,  Licentié  es 
droictz,  Citoyen  de  Tholose.  On  les  vend  a  Tholose  chez  Nicolas  Vieillard,  Imprimeur, 
demourant  en  la  rue  de  Villeneujve.  (Privilège  du  30  juillet  1339.  Dédicace  —  i8  pages 
compactes  !  —  à  Henri  et  à  Marguerite  de  Navarre.  Les  Annales  proprement  dites  rem- 
plissent LXXX 1 1  f  f .  ch.  au  V.) 

275.  La  Morosophie  contenant  cent  emblème?  moraulx,  illustrés  de  cent  tetrastiques 
latins  reduictz  en  autant  de  quatrains  françois  ;  Lyon,  Macé  Bonhomme,  155:',. 

276.  Le  Miroir  Politique,  œuvre  non  moins  utile  que  nécessaire  a  tous  monarches, 
roys,  princes,  seigneurs,  magistrats  par  G.  de  La  Perrière,  Tliolosain  ;  Lyon,  Macé 
Bonhomme,  1555.  Un  vol.  in-4°  de  199  pages.  Privilège  du  7  mars  1553.  Dédicace»  A 
révérend  Père  en  Dieu  et  treshonnoré  seigneur,  Messire  lean  Bertrand,  Evesque  de 
Cumenge  {sic),  abbé  de  Bonnefont  et  Garde  des  seaux  de  France  ».  Vers  adressés  à  La 
Perrière  par  Pierre  de  Fontaugier,  avocat  au  parlement,  Bernard  de  Poey  de  Luc, 
G.  de  Cayret,  Guillaume  Idriard.  Dédicace  aux  capitouls.  Les  principaux  schèmes  se 
trouvent  aux  pages  14,  25,  41,  49,  57,  78,  98-99...  Les  passages  en  vers  se  lisent  aux 
pages  18,  27,  55  [huitain  expliquant  une  vignette  qui  représente  dame  Prudence  avec 
trois  yeux],  112,  145  [dizain  tendant  h  démontrer  qu'il  y  a,  dans  l'amour,  fiel  et  miel], 

199  :  «  Estant  en  fleur  la  docte  Republique  |  Des  Tolosains  par  les  divins  octroys,  | 
Fut  mis  a  fin  ce  Miroir  Politicque  |  L'an  mil  cinq  cens  avec  cinquante  trois.  »  —  Autre 
édition  du  Miroir  :  Paris,  Vincent  Normant,  1567. 

277.  G,  I,  189-192,  —  Albert  Baur,  Maurice  Scève  et  la  Renaiss.  lyonnaise,  pp.  28-32. 
—  J.  III,  39,  ^piî/-.  XC. 

278.  G.  m,  2b  »sqq.— J.  III,  pp.  77-7S.  —  Becker,  0^.  ciï.,  XLII,  104,  n.  106. 
280-281.  J.  II,  168-170.  Les  deux  réponses  sont  l'une  un  rondeau,  l'autre  un  dizam. 

Le  rondeau  a  été,  dès  1535,  imprimé  à  Lyon  avec  les  autres  œuvres  de  Marot.  Quant  au 
dizain,  il  est  anonj'me. 


IV 

L'EXIL   A  FERRARE   ET   A   VENISE 


382.  L'affaire  des  placards.  —  283-285.  Persécution  qu'elle  en- 
traîne. —  286.  Marot  ajourné  «  a  trois  hriefz  jours  ».  —  287. 
Il  prend  la  fuite.  —  288.  Alerte  à  Bordeaux.  —  289.  La  reine 
de  Navarre  n'ose  garder  le  poète  auprès  d'elle.  —  290-291.  De 
Bordeaux  à  Ferrare.  —  292.  Renée  de  France.  —  293.  Les 
Français  à  Ferrare.  — -  294-295.  Personnages  que  Clément  y  a 
connus.  — •  296-298.  Les  circonstances  le  forcent,  et  plus  même 
qu'il  ne  l'aurait  voulu,  à  s' affirmer  luthérien.  —  299.  //  écrit, 
à  Ferrare,  des  pièces  joyeuses  et  des  pièces  graves.  —  300.  Le 
Beau  tetin.  —  301-306.  Poèmes  rimes  à  l'imitation  du  Beau 
tetin.  Vogue  des  blasons  puis  des  contreblasons  anatomiques. 
— ■  307-314.  U-n  audacieux  blasonneur  :  Eustorg  de  Beaulieu, 
et  la  première  partie  de  son  histoire.  —  315-316.  Protestations 
contre  le  cynisme  des  poésies  anatomiques  ;  Eustorg,  qui  les 
condamnera  plus  tard,  se  fait,  pour  l'instant,  leur  avocat.  — 
317.  Épître  de  Marot  à  Alexis  Jure.  —  318-321.  Coq-à-l'âne 
à  Lyon  Jamet.  —  322-328.  Œuvres  sérieuses  que  l'exilé  com- 
pose à  Ferrare  :  I.  Épistre  perdue  au  jeu  contre  Madame  de 
Pons  ;  II.  Avant  naissance  du  troisième  enfant  de  Madame 
la  duchesse  de  Ferrare  ;  III.  Épistre  au  roi  ;  IV.  Autre  Épis- 
tre au  roi.  —  329-331.  Renée  de  France  et  son  entourage  se 
trouvent  dans  une  situation  de  plus  en  plus  troublée  et  difficile. 
Départ  de  Michelle  de  Saubonne  et  de  sa  fille,  Renée  de  Parthe- 
nay.  —  332-333.  Clément  dépeint  à  Marguerite  les  périls,  les 
angoisses  de  la  duchesse.  —  334-335.  Complicatio7is.  Jean  de 
Bouchefort  et  Jean  Cornillau.  Attaqué  de  nuit,  frappé  et  mal- 
traité, Marot  se  décide  à  partir  pour  Venise.  —  336.  Pourquoi 
pour  Venise  ?  —  337-338.  Ce  que  le  banni,  après  avoir  visité 
leur  ville,  pensait  des  Vénitiens.  —  339-340.  Adieux  à  Renée 
de  France  ;  la  vie  de  cette  princesse  après  1536.  —  341.  Encore 
un  coq-à-l'âne  à  Lyon  Jamet.  —  342-347.  Tristesse  et  nostal- 
gie de  Clément  ;  pour  obtenir  son  rappel,  il  s'adresse  successi- 
vement au  roi,  au  dauphin  François,  à  la  reine  de  Navarre.  — 


200  CLÉMENT   .MAROT    ET    SON    F-COLK 

348.  //  eût  souhaité  qu'on  le  laissât  rentrer  sans  condition,  et 
comptait,  pour  cela,  sur  ses  protecteurs  et  ses  amis.  —  349. 
Mais  on  ne  l'autorise  à  revenir  que  s'il  s'engage  à  abjurer. 
Il  s'y  décide,  et  arrive  à  Lyon.  —  350-352.  Cordial  accueil  qu'il 
reçoit  en  cette  ville.  Cérémonie  de  l'abjuration.  —  353.  Le  poète 
s'achemine  vers  Paris.  Le  Dieu-gard  à  la  court.  Rêves  de  paix 
et  de  concorde. 

282.  Dans  la  nuit  du  samedi  17  au  dimanche  18  octcbre 
1534,  des  placards  qui  dénonçaient  avec  une  violence  passion- 
née «  les  horribles,  graves  et  insupportables  abus  de  la  messe 
papale  »  furent  affichés  à  Paris,  à  Orléans  et  dans  plusieurs 
autres  villes.  L'auteur  de  cette  véhémente  proclamation,  impri- 
mée à  Neuchâtel,  était  le  prédicant  Antoine  Marcourt,  qui  a 
lui-même,  dans  la  préface  de  son  Petit  traicté  très  utile  et  salu- 
taire de  la  Saincte  Eucharistie,  revendiqué,  fort  content  de  lui 
et  animé  d'un  tardif  courage,  la  responsabilité  de  cet  acte.  Mais 
il  n'y  avait  pas  de  quoi  se  vanter.  Loin  de  servir  la  cause  qu'il 
voulait  défendre,  Marcourt  avait  exaspéré,  par  son  fanatisme, 
les  fanatiques  du  parti  romain  ;  il  avait  scandalisé  les  tièdes, 
détourné  de  l'action  les  hésitants,  conduit  à  l'exil  ou  à  la  mort 
beaucoup  de  ceux  qui  pensaient  comme  lui.  Pourtant,  bien 
qu'elle  fût  une  lourde  faute,  cette  provocation  aurait  eu  des 
conséquences  moins  tragiques,  si  l'on  s'était  abstenu  d'appli- 
quer l'outrageux  factum  sur  la  perte  de  la  chambre  du  roi.  Idée 
vraiment  désastreuse  !  J'ai  expliqué  déjà  [§  55]  quels  furent 
alors  les  sentiments  de  François  I^^  ^t  pourquoi,  se  croyant 
bravé,  défié,  il  se  livra,  lui  qui  eût  excusé  le  sacrilège,  à  un  trans- 
port de  fureur.  On  avait  touché  à  l'arche  :  non  pas  à  Dieu,  mais 
à  lui.  Aussitôt  il  perdit  toute  mesure.  Parce  qu'on  ne  trouvait 
point  les  coupables,  il  condamna  en  bloc  les  innocents,  vit  un 
criminel  en  chaque  luthérien,  et  livra  aux  bêtes  la  secte  entière. 
Heure  bénie  pour  le  parlement  !  Depuis  des  années  il  guettait 
cette  proie.  Libre,  enfin,  et  déchaîné,  il  se  mit  joyeusement  à  la 
besogne  ;  les  bourreaux  retroussèrent  leurs  manches,  et  ce  fut 
une,  curée.      fS 

283.  La  première  -victime  (13  novembre)  fut  un  certain  Bar- 
thélémy Mollon,  fils  d'un  cordonnier.  Quoique  malade,  «  impo- 
tent de  ses  membres  et  paralitique  ;>,  ledit  ^Mollon  «  fut  bruslé 
tout  vif  au  cymetière  Sainct  Jean  ».  Le  jour  d'après,  Jean  du 
Bourg,  ((  riche  drappier,  demeurant  rue  Sainct  Denis,  a  l'ensei- 
gne du  Cheval  noir  »,  fut  mené  «  devant  les  fontaines  des  Inno- 
cens, ...  là  où  il  eust  le  poing  couppé,  puis  aux  Halles,  où  il  fut 
bruslé  tout  vif  ».  Ce  n'était  pas   trop,  pour   celui-là,  de  deux 


CLÉMENT  MA ROT  ET  SON  ÉCOLE  201 

supplices,  car,  non  content  d'avoir  affiché  des  «  escripteaux  es 
coings  de  rues  »,  il  s'était,  en  outre,  refusé  à  «  accuser  ses  com- 
paignons  ».  Vinrent  ensuite,  à  tour  de  rôle,  un  imprimeur  de  la 
rue  Saint-Jacques  qui,  conduit  à  la  place  Maubert,  y  fut  (c'est 
un  refrain  !)  brûlé  «  tout  vif  »  ;  un  maçon  «  bruslé  vif  »  devant 
l'église  Sainte-Catherine  (i8  novembre)  ;  le  lendemain, un  librai- 
re «  qui  relioit  et  vendoit  livres  de  Luther  »  ;  un  <(  gueynier  »  et 
un  couturier  «  de  près  Sainct  Avoye  »  qui,  au  moment  de  mon- 
ter au  bûcher,  obtinrent  un  petit  sursis  «  pour  ce  qu'ilz  en  accu- 
sèrent plusieurs  »  ;  un  bonnetier,  logeant  «  au  coing  de  la  rue 
de  la  Callende  »,  dont  les  biens  furent  confisqués,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  d'être  «  battu  nud,  au  cul  de  la  charrette  »...  La  chas- 
se aux  hérétiques  s'annonçait  bonne  ;  un  tel  début  promettait. 
284.  Le  matin  du  21  janvier  1535  eut  lieu  une  procession 
«  solemnelle  et  generalle  »  à  laquelle,  marchant  à  côté  des  «  relic- 
quaires  de  la  Saincte  Chapelle  et  d'ailleurs  »,  assistèrent  le  roi, 
la  reine  et  les  dames  à  cheval,  la  cour,  «  tous  les  estas  de  Pa- 
ris ».  Belle  fête  religieuse,  et  qui  s'étendit  sur  la  journée  entière. 
L'après-midi,  en  effet,  on  convia  à  un  spectacle  non  moins  édi- 
fiant, mais  plus  joyeux,  ce  même  peuple  qui  avait,  «  en  grande 
dévotion  et  révérence  »,  escorté  et  adoré  de  la  sorte  «  le  pré- 
cieux corps  de  Ncstre  Seigneur  »  :  trois  luthériens  furent  brû- 
lés «  a  la  croix  du  Tirouer  »,  puis,  quelques  heures  plus  tard, 
((  autres  trois  »,  parmi  lesquels  un  fruitier  des  Halles,  qui  était 
riche  homme.  Le  22,  la  femme  d'un  cordonnier  subit  un  sem- 
blable sort.  Et  il  convient  encore  de  citer  :  un  marchand  nommé 
P^tienne  de  la  Forge,  demeurant  «  a  l'enseigne  du  Pellican  », 
riche,  lui  aussi,  «  et  estimé  homme  de  bien  »  ;  un  chantre  de 
la  chapelle  royale,  «  bruslé  [13  mars]  au  carrefour  du  Gros  Tour- 
nois, près  Sainct  Germain  l'Auxerrois  »  ;  un  procureur  de  Rouen 
et  un  couturier  de  Melun  qui  «  furent  traynez  sur  une  claye  au 
parvis  Nostre  Dame  »,  transportés  de  là  au  marché  aux  pour- 
ceaux, «  illec  pendus  en  l'air  a  chaisnes  de  fer,  et  ainsy  bruslez 
audict  lieu  »  (5  mai)  ;  un  cordonnier,  natif  de  Tournay,  «  bruslé 
[et  les  pièces  de  son  procès  avec  lui]  au  carrefour  du  puys  Saincte 
Geneviefve»  ;  «  deux  compaignons  faiseurs  de  rubben  s  de  soye»... 
Ceux-là  revenaient  «des  Allemaignes  »,  et  avaient  «quelque 
livre  luthérien  »  dans  leur  valise.  Ils  le  baillèrent  à  garder  à 
leur  hôte,  et  lui  recommandèrent  de  ne  le  montrer  à  personne. 
L'hôte,  pourtant,  le  fit  voir  «  a  certain  prestre  »,  qui,  l'ayant 
feuilleté,  dit  incontinent  :  «  Voicy  un  très  maulvais  livre  et 
damné  ».  Là-dessus,  dénonciation  et  arrestation  des  faiseurs  de 
rubans.  Ils  furent,  le  18  septembre,  «  bruslez  tous  vifz  »  et  eurent, 
de  surcroît,  la  langue  coupée. 


202  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

285.  On  remarque,  lorsqu'on  parcourt  ce  martjTologe,  que, 
bien  que  les  victimes  appartiennent  à  diverses  classes  de  la  so- 
ciété, ce  sont  les  artisans  qui  se  rencontrent  en  plus  grand  nom- 
bre et  ceux  que  le  Bourgeois  de  Paris  appelle  des  «  jeunes  filz  ». 
Le  vendredi,  4  décembre  1534,  c'est  «  un  jeune  filz,  clerc  et 
serviteur  de  monsieur  de  Carriez  »,  qui  est  livré  aux  flammes 
devant  le  Temple.  Le  lendemain,  «  un  autre  jeune  filz  »,  enlu- 
mineur de  son  métier,  monte  sur  le  bûcher  «  en  la  place  du  bout 
du  pont  Sainct  Michel  ».  Au  même  endroit,  le  26  février,  «  un 
jeune  homme,  mercier  du  Palays,  nommé  Loys  de  Medicis,  » 
est  pareillement  occis,  et  sa  femme  meurt  «  de  desplaisance  ». 
«  Item,  un  jeune  escolier,  natif  de  Grenoble  en  Daulpbiné,  »  est 
condamné  au  feu  par  sentence  du  lieutenant  criminel.  A  pro- 
pos des  deux  compagnons  qui  avaient  rapporté  d'Allemagne 
un  volume  de  Luther,  le  Journal  observe  :  «  Hz  estoient  natifz 
de  Touis,  et  jeunes  »...  J'en  passe,  naturellement.  Mais  je  me 
reprocherais  de  ne  pas  dire  ceci  :  l'histoire  de  cette  tuerie,  nul 
ne  la  lira  sans  émotion.  Il  faut,  avant  de  les  quitter,  saluei  ces 
humbles,  ces  ouvriers,  tous  ces  «  jeunes  filz  »  au  nom  obscur. 
Ils  ressemblent  aux  premiers  chrétiens.  Ils  ont  donné  leur  vie 
et  accepté  la  douleur  pour  servir  ce  qu'ils  croyaient  être  la  vé- 
rité. Exemple  très  digne  de  respect  !  La  plupart  demeuraient 
fermes  ;  ils  proclamaient  leur  foi  dans  la  torture,  et  le  Bourgeois 
leur  décerne,  naïvement  et  sans  le  vouloir,  un  magnifique  éloge, 
lorsqu'il  dit,  parlant  de  tel  ou  tel  :  il  mourut  «  sans  soy  repen- 
tir »  ou  «  il  mourut  obstiné  ». 

286.  Tandis  que  les  simples  gens  se  laissaient  prendre  et 
détruire  ainsi,  d'autres,  moins  zélés  ou  plus  subtils,  glissaient 
finement  entre  les  mailles,  fuyaient,  s'esquivaient.  Ce  fut,  on 
le  devine,  en  pure  perte  que,  le  25  janvier  1535,  on  les  ajourna 
«  a  trois  briefz  jours  »,  les  invitant  «  a  comparoir  en  personne  », 
c'est-à-dire  à  se  jeter  entre  les  mains  du  bourreau.  Ils  ne  répon- 
dirent pas  à  l'appel,  et  continuèrent  à  gagner  le  large  pendant 
que,  dans  les  rues  et  carrefours  de  Paris,  on  publiait  leurs  noms 
à  son  de  trompe.  Elle  est  intéressante,  la  liste  de  ces  défaillants. 
On  y  voit  figurer  Lyon  Jamet,  «  maistre  Caroh,  prestre,  curé 
d'Alençon  »,  le  chantre  Jehannet  et  —  comment  non  ?  —  «  mais- 
tie  Clément  Marot  ».  Une  perquisition  avait  été  faite  au  domi- 
cile de  ce  dernier.  Le  bailli  Morin,  qui  instrumentait,  ne  trouva 
que  des  papiers  et  des  livres.  C'était  assez  pour  perdre  le  poète. 
Il  avoue  lui-même  qu'il  gardait  chez  lui,  «  au  cabinet  des  sainc- 
tes  Muses  »,  quelques  volumes  défendus.  Sagon  précise  avec 
perfidie.  En  ta  maison,  écrit-il,  on  découvrit  des  œuvres  obs- 
cènes, des  «  livres  traduictz  »  (une  Bible  française  :  cas  penda- 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  203 

ble  !)  et...  des  placards.  Notez  ce  mot  qui  n'arrive  qu'à  la  fin  : 
autant  vaudrait  un  coup  de  couteau. 

287.  Mais  Clément  n'avait  attendu  ni  cette  visite  de  Morin 
ni  la  citation  du  25  janvier.  Dès  qu'il  sut  le  bruit  que  faisaient 
les  affiches  d'Antoine  Marcourt,  il  songea  à  s'éloigner.  Pour- 
tant, sa  première  pensée  aurait  été,  à  l'en  croire,  de  recourir 
à  la  bonté  du  roi  et  d'aller  plaider  sa  cause  devant  lui.  «  Quei- 
cun  »  l'en  dissuada.  François,  durant  ses  crises  d'orgueil  et  de 
colère,  n'écoutait  rien,  ne  connaissait  personne,  était  capable 
des  pires  violences.  Mieux  valait,  décidément,  l'éviter,  plier  ba- 
gage. Marot,  sur  un  ton  de  plaisanterie  peu  en  rapport  avec 
la  circonstance,  déclare  qu'il  n'estime  guère  enviable  le  sort  de 
ceux  que  l'on  a  «  si  bien  rostis  ».  Il  ne  se  donne  pas  pour  un 
héros  ;  il  n'approuve  point  les  sacrifices  volontaires.  Or  jamais, 
dit-il. 


Or  jamais  ne  vous  laissez  prendre 
S'il  est  possible  de  fouyr. 


Et  il  ajoute,  spirituel  : 

Il  vault  mieux  s'excuser  d'absence 
Qu'estre  bruslé  en  sa  présence. 

Évidemment.  Mais  encore  faut-il  avoir  un  refuge.  Clément,  à 
cet  égard,  était  tranquille.  La  reine  de  Navarre,  il  n'en  dou- 
tait pas  un  instant,  serait  émue  de  son  infortune,  le  recevrait 
et  le  défendrait.  Ce  fut  donc  vers  elle,  la  mère  des  affligés,  que, 
sortant  vite  de  Blois,  il  se  dirigea,  plein  de  confiance. 

388.  Jusqu'à  Bordeaux,  nul  incident.  Là,  au  contraire,  une 
vive  alerte.  «  Vingt  ou  quarante  bedeaulx  »,  aux  gages  du  par- 
lement, arrêtent  le  voyageur.  Il  a,  d'un  air  détaché,  conté  cette 
aventure,  et  l'on  jurerait,  en  le  lisant,  qu'il  s'en  est  tiré  le  mieux 
du  monde,  sans  beaucoup  de  peine.  Moi,  aurait-il  répondu  aux 
sergentSi  je  ne  suis,  messieurs,  ni  Clément  ni  Marot.  Vous  faites 
erreur.  Je  suis  «  un  bon  Guillaume  »,  courrier  royal  de  mon  état. 
Ne  me  retardez  point,  car  je  porte  une  lettre  de  conséquence. 
C'est  pressé  !...  Qu'il  ait  joué  cette  comédie,  la  chose  est  pro- 
bable. Mais  il  oublie  de  dire  qu'il  n'a  pas  réussi.  La  fable  du 
«  bon  Guillaume  »  n'eut  aucun  succès,  et,  le  27  novembre  1534, 
un  huissier  amenait  devant  la  cour  de  Bordeaux,  ainsi  que  le 
prouve  un  texte  authentique,  «  maistre  Clément  Marot,  soup- 
çonné de  suivre  la  secte  luthérienne  »,  lequel,  interrogé,  confessa 
être  «  natif  de  Cahors  en  Ouercy  »  et  «  valet  de  chambre  du 
roy  »,  Le  péril  semblait  grave.  Comment  le  poète  l'a-t-il  évité  ? 


204  CLÉMENT   MAKOT    ET    SON    ÉCOLE 

Pourquoi  lui  a-t-on  permis  de  repartir  ?  Nous  l'ignorons.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  qu'on  le  relâcha.  Je  n'avais  pas  soupe, 
écrit-il  : 

Mais  si  tost  que  fuz  eschappé. 
Je  m'en  allay  un  pt-u  plus  loing. 

289.  Plus  loin,  c'est  bien  vague.  On  a  souvent  prétendu  qu'il 
s'agissait  de  Nérac,  et  que  Marguerite  s'y  trouvait  alors...  S'y 
trouvait-elle  ?  Rien  ne  l'atteste,  et  nous  savons  mal  où  le  fugi- 
tif la  rencontra.  Un  seul  point  demeure  acquis  :  c'est  que  — 
avant  ou  après  la  scène  de  Bordeaux,  soit  à  Nérac,  soit  ailleurs, 
—  il  resta  auprès  d'elle  quelque  temps.  Mais  à  cet  espoir  qu'il 
avait  conçu  de  ne  pas  la  quitter  avant  la  fin  de  l'orage,  il  lui 
fallut  presque  aussitôt  renoncer.  Suspecte  elle-même,  surveillée 
et  menacée,  la  pieuse  et  douce  femme  ne  pouvait  offrir  l'hospi- 
talité aux  bannis  sans  attirer  sur  elle  un  redoublement  de  haine. 
Et  puis  que  dirait  son  frère  ?  Elle  le  voyait  avide  de  vengeance, 
blessé  au  vif,  et  craignait  qu'il  ne  lui  reprochât,  si  elle  aidait 
ceux  qu'il  avait  proscrits,  de  le  trahir,  de  le  mal  aimer.  Or,  elle 
l'aimait  mieux  que  tout  au  monde,  et  elle  eût  immolé  sa  propre 
famille  à  cette  idole.  Le  moyen,  cela  étant,  de  lui  déplaire,  de 
l'irriter  en  sauvant  un  simple  Clément  Marot  ?  La  reine  de  Na- 
varre n'hésita  point.  Elle  conseilla  au  pauvTe  diable  de  repar- 
tir, mais,  faisant  pour  lui  ce  qu'elle  pouvait  faire,  elle  lui  donna 
de  l'argent,  se  chargea  de  son  fils  qu'elle  reçut  comme  page, 
puis  s'engagea,  «  de  bouche  et  d'escripture  »,  à  ne  pas  oublier 
l'exilé,  à  obtenir,  l'heure  venue,  son  rappel.  Les  adieux  furent 
émouvants.  Lui,  il  frémissait  en  pensant  à  ce  qui  l'attendait 
sur  les  chemins  ;  elle,  écoutant  la  voix  de  sa  conscience  et  re- 
grettant de  renvoyer  ainsi  un  confrère  en  Apollo,  un  frère  en 
Christ,  elle  éprouvait  un  peu  de  remords,  s'affligeait  \Taiment, 
versait  des  larmes. 

290.  La  suite  de  son  voyage,  Marot  l'a  relatée  sur  deux  tons 
fort  différents.  D'une  part,  s'adressant  à  Lyon  Jamet,  il  affecte 
une  extrême  désinvolture.  Ma  foi  !  dit-il,  je  marchais  comme 
un  prince,  et  traînais  derrière  moi,  le  long  des  routes,  «  gens  de 
pied  et  gens  de  cheval  ».  Belle  escorte  !  Elle  s'efforçait  en  vain 
de  me  rejoindre  :  grâce  aux  «  petitz  chevaulx  legiers  »  qu'on 
trouve  dans  le  Midi,  je  filais  plus  vite  que  les  sergents,  et  «  me 
mis  hors  de  touts  dangiers  »...  Mais,  d'autre  part,  dans  une 
grave  lettre  à  Marguerite,  il  se  compare  au  cerf  qui,  pour  dépis- 
ter les  chiens  dont  il  entend  les  abois,  franchit  les  marais  à  la 
nage,  saute  les  buissons,  se  lance  parmi  les  «  grans  forestz  »  et 
court  sans  repos  ni  trêve,  parce  qu'il  croit  déjà  sentir  les  dents 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  205 

qui,  «  a  dextre  et  a  senestre  »,  vont  le  mordre  et  le  déchirer. 
Image  sombre  et  juste  !  Ainsi,  ajoute  le  poète,  ni  torrents  ni 
montagnes  n'arrêtaient  ton  serf,  ô  reine  !...  Par  malheur,  il 
n'indique  pas  son  itinéraire,  et  se  borne  à  dire  :  J'ai  traversé 
((  Languedoc  et  Prouvence  ,>.  Il  est  certain  qu'il  remonta  ^a 
vaUée  du  Rhône  et  qu'il  s'avança  au  delà  de  Lyon.  Ces  faits 
ressortent  d'une  autre  épître  où  il  déclare  avoir  passé  par  Ta- 
rare. 

291.  Sa  présence  en  cette  ville  nous  prouve  qu'il  voulait  se 
•rendre  en  Savoie.  Toutefois,  il  n'y  alla  point.  Je  n'ose,  écrit-il 

à  deux  damoiselles  de  ce  pays,  me  fixer  là  où  vous  êtes,  car  on 
a,  chez  vous,  une  mauvaise  opinion  de  moi,  et  l'on  m'accuse 
«  d'estre  contraire  aux  humaines  doctrines  ».  Qu'entend-il  par 
là  ?  Ce  n'est  pas  clair.  Mais,  sans  nous  arrêter  à  la  lettre  de  ce 
texte,  rappelons-nous  seulement  que  le  duc  de  Savoie  comptait 
parmi  les  papistes  militants,  raison  plus  que  suffisante  pour 
que,  à  la  réflexion.  Clément  Marot  évitât  sa  cour.  Il  se  tint 
donc,  pendant  quelques  mois,  caché  on  ne  sait  où,  puis,  au 
printemps  de  1535,  après  s'être  annoncé  par  une  flatteuse  et 
insinuante  épître,  il  se  dirigea  vers  Ferrare,  et  vint  demander 
asile  à  la  duchesse  Renée  de  France. 

292.  C'est  là  un  personnage  très  complexe,  que  l'on  a,  de 
nos  jours,  diligemment  étudié.  Renée,  bien  qu'on  s'accorde  à 
dire  qu'elle  avait  un  air  imposant,  royal,  n'était  pas  de  ces 
femmes  qui  n'ont  qu'à  se  montrer  pour  ravir  les  cœurs.  Hercule 
d'Esté,  fiancé,  écrivait  à  son  père  :  «  Ma  madama  Renea  non 
è  bella.  »  Le  duc  d'Uibin  l'appelait  un  monstre,  tout  rondement, 
et  Brantôme,  sans  aller  jusque-là,  avoue  «  qu'elle  fut  très  gastée 
de  son  corps  )>.  En  revanche,  au  témoignage  de  ce  même  Bran- 
tôme, elle  possédait  l'un  des  meilleurs  et  des  plus  subtils  esprits 
qui  fussent,  et  pouvait,  ayant  beaucoup  appris,  «  discourir  tort 
hautement  et  gravement  de  toutes  sciences  »,  voire  de  l'astro- 
logie. Intelligente,  certes,  elle  le  fut.  Mais  indépendante  aussi. 
Les  idées,  les  dogmes  qu'on  croyait  intangibles,  elle  les  discu- 
tait, les  contrôlait,  et  c'est  assez  dire  qu'elle  penchait  vers  la 
Réforme.  De  là  mille  difficultés  domestiques,  politiques,  les 
colères  du  mari,  l'aversion  de  la  plupart  des  sujets.  Quelques- 
uns,  par  contre,  qui  pensaient  comme  la  duchesse,  se  rangeaient 
autour  d'elle  et  l'excitaient  à  agir  pour  la  victoire  de  leurs  opi- 
nions. Il  y  avait,  en  effet,  à  Ferrare  un  groupe  de  luthériens, 
des  savants  presque  affranchis.  L'Université  ne  se  piquait  nul- 
lement d'être  orthodoxe.  Celio  Calcagnini  avait  publié  un  livre 
tendant  à  établir  Que  le  ciel  est  immobile,  et  que  la  terre  se  meut. 
et  Palingenio  Stellato  s'était  permis  d'offrir  à  Hercule  d'Esté 


206  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

son  Zodiacus  vitae  où  il  traitait  brutalement  le  pape  d'athée, 
les  moines  de  porcs.  Même  si  elle  ne  fréquentait  point  les  gens 
trop  compromis,  trop  violents,  Renée  ne  devait  pas,  du  moins 
au  début,  se  sentir  absolument  isolée,  et  rien  ne  l'empêchait 
de  réunir  un  petit  cénacle  d'initiés  dans  cette  noble  salle  de 
l'Aurore  que  décoraient  quatre  fresques,  et  le  long  de  laquelle 
courait  —  et  couit  maintenant  encore  —  une  frise  de  jolis  bam- 
bins menant,  au  moyen  de  rênes  rouges,  des  oiseaux,  des  gre- 
nouilles, des  serpents  et  des  tortues. 

293.  Mais  les  vrais  compagnons,  les  confidents  de  la  dame,' 
c'étaient  les  Français.  Elle  en  avait  amené  plusieurs,  et  d'au- 
tres, chaque  jour,  débarquaient,  se  présentaient.  Elle  les  ac- 
cueillait tous,  car,  dit  Brantôme,  «  elle  a  eu  cela  de  bon  que 
jamais  elle  n'a  oublié  sa  nation  ».  Nul  Français,  «<  ayant  néces- 
sité et  s'adressant  a  elle,  n'a  party  d'aveq'elle  qu'elle  ne  luy 
donnast  une  ample  aumosne  et  bon  argent  pour  gaigner  son 
païs  ».  Ceux  qui  arrivaient  sans  le  sou  et  malades,  elle  voulait 
qu'on  les  soignât  bien,  puis  les  renvoyait  guéiis  et  remplumés. 
Ces  hôtes,  le  plus  souvent,  étaient  des  hérétiques  fuyant  l'a- 
mende honorable  et  le  bûcher,  des  artistes,  des  poètes.  Tel  Ma- 
rct  ;  tel  Charles  Fontaine.  Beaucoup,  mieux  reçus  ou  plus  har- 
dis, plantaient  leur  tente,  se  fixaient  là,  en  sorte  que  le  palais 
se  remplissait  peu  à  peu  de  serviteurs  qui  sentaient  le  fagot, 
et  devenait  une  Ile  des  Papefigues.  La  place  de  Marot  était 
marquée  en  cette  colonie  dissidente,  et  il  n'eut  aucune  peine 
à  être  admis.  Mauvais  catholique  et  bon  écrivain,  il  avait  deux 
titres  qui  parlaient  pour  lui.  Renée,  en  conséquence.l'emplcya 
aussitôt,  et  lui  accorda,  avec  deux  cents  livres  de  gages,  une 
charge  de  secrétaire. 

294.  A  l'époque  où  Clément  y  résidait,  les  personnes  ou  même 
les  personnages  que  voici  vivaient  ou  ont  passé  à  Ferrai e  :  i° 
Michelle  de  Saubonne,  dame  de  Soubise.  C'est  elle  qu'il  faut 
citer  en  tête.  Amie  de  la  duchesse,  elle  ne  la  quittait  guère,  la 
ccnseillait,  la  gouvernait,  nourrissait  en  elle  le  mépris  de  Rome, 
le  goût  des  idées  libérales,  et  se  rendait  chaque  jour,  pour  ces 
causes,  plus  odieuse  à  Hercule  d'Esté  qui  l'appelait  pessimo 
instriimento,  et  méditait  son  renvoi.  —  2^  La  fille  aînée  de  Mi- 
chelle de  Saubonne,  Anne  de  Parthenay.  Son  portrait,  œuvre 
attachante  du  peintre  Girolamo  da  Carpi,  nous  la  montre  belle, 
fine  et  blonde.  Elle  avait  appris  le  latin,  le  grec,  la  musique, 
la  théologie.  Au  reste,  que  ne  savait-elle  pas  ?  Lilio  Gregorio 
Giraldi,  qui  lui  dédie  le  second  livre  du  Poème  des  dieux,  loue 
son  érudition  encyclopédique,  son  génie  universel.  Nulle  pédan- 
terie, pourtant.  Maiiee  en  1533  à  Ant-oine  de  Pons,  comte  de 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    KCOLE  207 

Marennes,  elle  lui  écrit  des  lettres  tendres  et  sans  apprêt,  le 
tutoie  puis  lui  dit  vous,  et  signe  :  «  Vostre  humble  et  très  obéis- 
sante femme  et  amye,  Ton  cueur  »  (i8  juillet  1539).  Établie  en 
Saintonge  à  son  retour  d'Italie,  elle  travailla  à  y  répandre  la 
Réforme,  et  mourut  en  1555.  —  S*'  Les  deux  sœurs  cadettes 
de  la  précédente,  Charlotte  et  Renée  de  Paithenay.  Charlotte, 
peut-être  la  moins  oien  douée,  n'a  pas  eu  d'histoire,  que  je 
sache.  Quant  à  Renée,  la  «  noble  nymphe  Renée  »,  elle  eut,  au 
témoignage  de  Marot,  une  âme  pleine  «  de  bonté  naïfve  »,  un 
esprit  brillant  et  cultivé.  Elle  se  baignait  au  ruisseau  des  scien- 
ces, était  vêtue,  accoutrée  de  grâce,  et  on  ne  pouvait  la  voir  sans 
l'aimer.  Clément,  lorsqu'elle  dut  repasser  les  monts,  annonça 
qu'elle  ne  tarderait  point  à  se  marier,  et  elle  justifia  la  prophétie 
en  épousant  (1536)  René  de  Fonsèques,  seigneur  de  Surgèles. 
295.  40  Une  jolie  et  gaie  Provençale,  Françoise  de  Bucyron. 
Venue  jeune  à  la  doctrine  de  Luther  et  contrainte  de  s'enfuir 
à  Strasbourg,  elle  s'était,  de  là,  rendue  à  Ferrare  et  avait  obtenu 
de  la  duchesse  une  place  de  suivante.  Cinthio  Giraldi,  le  frère 
de  Lilio,  lui  a  consacré  des  vers.  Elle  trouva,  sur  la  terre  d'exil, 
un  parti,  et  l'on  récita  aux  noces  (1539  ?)  un  cpithalame  de 
Jean  Fichard.  —  5°  Anne  de  Beauregard.  Arrivée  «  d'enfance  » 
en  Italie  avec  madame  Renée,  les  regrets,  la  nostalgie  la  con- 
sumaient. Loin  de  ses  parents,  de  sa  maison,  elle  languissait, 
mélancolique,  et  ce  qu'elle  semblait  craindre  ne  lui  fut  pas 
épargné  :  elle  mourut  en  cette  ville  étrangère.  Marot  composa 
une  épitaphe.  Anne  (il  lui  prête  la  parole)  sent  encore,  au  tom- 
beau, le  mal  du  pays,  et  déclare  avoir  moins  souffert  en  lais- 
sant le  monde,  le  «  fleurissant  aage  »,  un  «  futur  espoux  »  que 
lorsqu'il  lui  fallut  quitter  la  France.  —  60  Lyon  Jamet.  —  7° 
Jean  Du  Bellay  et  son  compagnon,  François  Rabelais  (22-26 
juillet  1535).  —  8°  Vers  la  fin  de  février  ou  dès  les  premiers 
jours  de  mars  1536,  parut  à  Ferrare,  escorté  de  son  ami  Louis 
de  Haulmont  [pseudonyme  de  Louis  du  Tillet],  un  homme  ar- 
dent, sombre,  plein  de  génie,  qui  disait  s'appeler  Charles  d'Es- 
peville.  C'était  Calvin.  L'affaire  des  placards  l'avait  contraint, 
lui  aussi,  à  franchir  la  frontière,  et  il  venait  à  présent  de  Bâle, 
faisant  en  route  des  prosélytes  et  cherchant  où  s'établir.  Forte 
et  durable  fut  son  action  sur  l'âme  de  la  duchesse  qui  l'eût 
gardé  près  d'elle,  si  elle  avait  pu.  Mais  il  resta  deux  mois  à  peine 
dans  cette  Italie  qu'il  ne  voulait  voir,  remarque  de  Bèze,  que 
d'un  peu  loin,  veluti  procul.  En  avril  ou  en  mai,  il  repartit.  Fer- 
rare, décidément,  n'était  pas  le  refuge  qu'il  rêvait,  et  il  alla 
fonder  ailleurs  sa  r('publique  chrétienne,  une  rigide  et  noire 
cité  de  Dieu. 


208  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

296.  Transplanté  dans  ce  milieu  hétérodoxe, Marot,  qui  avait 
évité  jusqu'alors  toute  profession  de  foi  catégorique,  devra  pren- 
dre ouvertement  parti,  agir,  désormais,  et  s' exprimer  en  pro- 
testant. Il  n'a  plus  rien  à  cacher  car,  dans  les  états  d'Hercule 
II,  amis  et  ennemis  connaissent  ou  croient  connaître  le  fond 
de  son  âme,  ce  qu'il  pense  et  ce  qu'il  veut.  Le  30  août  1535, 
Giacomo  Tebaldi  annonce  au  duc  l'arrivée  à  Ferrare  d'  «  un 
francese  nominato  Clementi  -,  lequel  «  è  stato  bannito  da  tutta 
la  Franza  per  essere  lutherano  »,  homme  d'autant  plus  à  crain- 
dre qu'il  ne  se  gênera  point  pour  «  introdure  cola  quella  peste  », 
et  qu'il  est  au  service  de  u  l'Ex»  S»  Duchessa  nostra  »...  Eh 
bien,  les  renseignements  de  maître  Tebaldi  n'étaient  pas  aussi 
exacts  qu'ils  le  paraissaient  à  première  vue.  Marot  n'était  pas, 
à  proprement  parler,  luthérien  :  il  était,  chose  différente,  anti- 
catholique. L'impérieuse  ignorance  de  la  Sorbonne,  l'atroce  jus- 
tice des  chats  fourrés,  la  haine  de  toute  théocratie,  un  invin- 
cible instinct  d'indépendance  l'avaient  jeté  dans  l'opposicion, 
et  les  élévations  de  Marguerite  l'avaient  ému  et  l'avaient  ins- 
truit. Mais  il  restait,  en  définitive,  plus  épicurien  que  chrétien. 
Son  cœur  n'était  pas  religieux,  et  la  sphère  mystique  demeu- 
rait fermée  à  ce  poète  gai  et  narquois,  moins  porté  —  comme 
tant  d'autres  —  à  rebâtir  qu'à  détruire.  Il  se  trouvait'  donc, 
lorsqu'il  lui  fallut  partir  pour  l'exil,  à  mi-chemin  entre  la  Ré- 
forme et  la  tradition.  Celle-ci,  il  la  méprisait,  ne  l'acceptait 
plus  ;  celle-là,  il  ne  l'adoptait  pas  encore,  hésitait  au  seuil,  crai- 
gnait de  perdre,  s'il  entrait,  les  bénéfices  de  l'expectative,  le 
droit,  par  exemple,  aux  pensions. 

297.  En  somme,  il  lui  advint  ce  qui  arrive  souvent.  Ce  ne 
fut  pas  lui  qui  se  décida  :  les  circonstances  le  décidèrent.  En  le 
forçant  à  fuir,  on  le  poussa  dans  les  bras  des  luthériens,  et  c'est 
pourquoi  Giacomo  Tebaldi,  qui  redoutait  l'influence  de  Clé- 
ment sur  Renée,  aurait  pu  prévoii  à  meilleur  titre  celle  de  Renée 
sur  Clément.  De  Renée  et  de  son  entourage.  Xul  ne  fréquente 
impunément  un  cercle  dont  tous  les  membres  partagent  et 
défendent  la  même  foi.  A  la  com  de  la  duchesse,  Marot  ne  pou- 
vait plus  tergiverser.  Là,  on  ne  rêvait  que  le  schisme  ;  chacun 
tirait  vers  la  nouvelle  Église  le  nouveau  venu,  et  il  lui  fallait 
ou  rompre  avec  Rome  ou  renoncer  à  plaire.  Ajoutez  que,  depuis 
sa  disgrâce,  le  pain  de  ses  enfants  était  passé  de  ce  côté-ci  de  la 
barricade.  Chassé  par  un  prince  qui  se  disait  catholique,  de  qui 
recevoir  l'aumône,  sinon  d'une  princesse  amie  de  Calvin  ?  Cruelle 
sujétion  des  pauvres  !  Trop  luthérien  pour  Hercule,  Marot  ne 
l'était  pas  assez  pour  Renée.  Il  le  sentit  ;  il  comprit  qu'il  devait 
donner  des  gages,  se  lier  formellement  et  par  écrit  à  la  secte 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  209 

qui  pouvait  l'abriter  et  le  nourrir.  Mais  (et  voilà  son  tort)  il 
gardera,  en  ayant  l'air  de  brûler  ses  vaisseaux,  l'espoir  de  reve- 
nir en  arrière,  de  '.egagner,  à  la  prochaine  saute  de  vent  et  dès 
que  François  I®^  sera  calmé,  la  France,  la  maison  de  ce  roi 
qui  l'avait  banni.  S'il  se  montrait  vaillant  dans  l'exil,  c'est  qu'il 
ne  le  croyait  pas  sans  terme.  Mieux  eût  valu  se  dire  :  c'est  pour 
toujours.  La  peur  de  rendre  son  infortune  irréparable  a  beaucoup 
nui  au  poète  :  elle  lui  dicta,  nous  le  verrons,  de  très  pénibles 
palinodies  ;  elle  l'amena  à  parler,  selon  qu'il  s'adressait  à  l'un 
ou  à  l'autre  des  deux  partis,  deux  langages  en  désaccord,  et 
le  résultat  de  ces  ménagements  fut  que,  haï  à  jamais  des  pa- 
pistes,  il  parut  jusqu'à  la  fin  inquiétant  aux  huguenots. 

298.  Quand  j 'ai  dit  qu'il  leur  avait  donné  des  gages  en  1535, 
avant  de  s'acheminer  vers  Ferrare,  je  pensais  à  l'épître  envoyée 
par  lui  aux  deux  bénignes  sœurs  savoisiennes  qui  auraient  souhai- 
té le  voir  se  fixer  dans  leur  pays.  On  observe,  en  cette  pièce, . 
un  accent  évangclique,  une  onction,  une  gravité  continue  s^ns 
précédent  chez  Marot.  Il  flétrit  les  juges,  «  les  brûleurs  »  qui 
ont  torturé,  mis  à  mort,  dispersé  la  pieuse  et  «  innocente  sé- 
quelle »  du  Seigneur.  Et  moi  aussi,  proclame-t-il,  j 'ai  porté  non 
pas  une  croix,  mais  plusieurs.  Contre  son  habitude,  il  ne  rit 
pas  de  lui-même  ;  il  ne  s'amuse  point  de  sa  détresse,  et  se  range 
presque  parmi  les  martyrs.  Avoir  souffert  en  soutenant  la  cause 
de  Dieu,  n'est-ce  pas,  en  effet,  une  gloire  et  une  joie  ?  Ce  que 
Jésus  fit  pour  nous,  ne  devons-nous  pas  le  taire  pour  lui  ?  Le 
serviteur  cherchera-t-il  le  repos,  alors  que  le  maître  a  cherché 
la  peine  ?  Non.  Demandons,  aimons  la  douleur.  Elle  afflige  la 
chair,  mais  affranchit  l'âme.  Et  ainsi,  «  mes  dames,  fléchir  ne 
fault  ».  Le  loyer  de  nos  tribulations,  nous  le  trouverons  au  ciel, 
et  nous  préparons,  par  nos  tourments  et  notre  constance,  le 
règne,  le  «  triumphe  n  de  Christ...  Une  telle  homélie,  on  le  con- 
çoit, n'était  pas  exclusivement  destinée  aux  deux  demoiselles 
savoyardes,  et  l'auteur  comptait  la  répandre  dans  les  milieux 
protestants.  Et  ce  fut  bien  ce  qui  eut  lieu  :  elle  courut,  circula, 
et  quoiqu'elle  n'ait  été  imprimée  que  de  nos  jours,  elle  fut,  en 
son  temps,  beaucoup  lue.  Sagon  la  connaissait;  l'estimant  hypo- 
crite et  impie,  il  voulut  la  «  conf  uter  »,  et  rima  une  réplique  véhé- 
mente, c'est  vrai,  mais  grotesque. 

399.  Marot  n'a  jamais  été  mieux  inspiré  que  durant  son 
séjour  en  Italie.  Les  vers  qu'il  écrivit  à  Ferrare  sont  nombreux, 
et  ont  tous  de  la  valeur.  Et  puis,  quelle  variété  !  On  aurait  tort 
de  croire  que,  une  fois  entré  dans  le  genre  sérieux,  le  poète  n'en 
soit  plus  sorti.  Il  y  entre  et  il  en  sort  à  sa  guise,  selon  son  ca- 
price, l'heure,  le  besoin,  et,  quand  on  étudie  les  œuvres  qu'il 

Clément  Marot  et  son  école  14 


210  •  CLÉMENT   .MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

a  composées  pendant  son  exil,  on  remarque  à  l'instant  qu'elles 
se  laissent  diviser  en  deux  groupes  :  les  unes,  qui  nous  rappel- 
lent le  Clément  de  l'Adolescence,  l'Enfant  sans  souci,  le  bon 
vivant  et  le  railleur,  sont  gaies,  légères,  crues  et  mordantes  ; 
les  autres  (sa  seconde  manière)  prennent  un  ton  austère,  reli- 
gieux, soucieux,  et  portent  l'empreinte  des  chagrins  qui  l'ob- 
sèdent, de  l'âge  qui  vient,  de  la  foi  nouvelle  qu'il  tâche  d'avoir. 

—  Commençons  par  les  pièces  ou  joyeuses  ou  satiriques,  et  pas- 
sons-les en  revue. 

300.  La  plus  célèbre  est  l'épigramme  du  Beau  tetin  [J.  III, 
■^^'],  excellente  en  son  genre,  hors  ligne  et  réellement  inimita- 
ble. Le  mot  épigramme  doit  s'entendre  ici  comme  l'entendaient 
les  auteurs  de  l'Anthologie,  et  ces  quelques  vers  plastiques,  drus 
et  savoureux  sont,  à  proprement  dire,  un  «  blason  ».  Tombé, 
à  cette  époque,  en  désuétude,  le  blason,  dès  que  Clément  eut 
rimé  le  Beau  tetin,  se  retrouva  tout  à  coup  en  vogue,  et,  jaloux 
(mais  incapables)  de  rivaliser  avec  le  maître,  beaucoup  de  bla- 
sonneurs  se  levèrent  à  la  fois  qui  voulaient,  puisque  c'était  la 
mode  et  qu'elle  avait  du  succès,  peindre,  eux  aussi,  le  corps 
féminin. 

301.  Jean  de  Vauzelles  chanta  les  cheveux,  s'appliqua,  le 
pam-re  homme,  à  démontrer  qu'autant  vaudrait  un  arbre  sans 
rameaux  qu'une  dame  chauve.  Telle  n'était  pas  la  sienne,  heu- 
reusement. Rien  d'aussi  admirable  que  sa  «  perruque  »  blonde, 
plus  épaisse  que  celle  de  Samson,  dorée,  illuminée,  raj'onnante 
et  répandant  autour  d'elle  une  «  clarté  diverse  et  diaphane  ». 
La  moindre  boucle,  «  un  chascun  »  des  cheveux  de  cette  per- 
ruque-là eût  mérité  d'être  «  baptisé  de  quelque  nom  de  dieu  ». 
— ■  Héroet,  lui,  a  célébré  le  charme,  la  puissance  des  yeux.  Am- 
ple et  sublime  sujet.  Il  eût  fallu  du  génie.  Héroet  n'a  eu,  pour 
cette  fois,  qu'un  peu  de  grâce.  Passant  à  côté  de  l'essentiel,  il  a 
rencontré  quelques  traits  brillants,  justes  et  fins.  On  approu- 
vera ce  vif  et  joli  coup  de  pinceau  : 

Œil  s'accordant  au  ris  de  la  fossette.... 

et  cet  autre,  très  riche  de  sens  : 

Me  vo3'ant  mieulx  que  s'il  me  regardoit... 

—  Un  inconnu,  qui  signe  Albert  le  Grand,  a  loué  l'u  oreille 
blanche,  clère  et  nette  ».  Mais  le  dessin  est  réduit,  en  cette  trop 
longue  pièce,  au  minimum,  et  l'oreille  est  moins  considérée  en 
elle-même  que  comme  «  porte  »  de  l'intelligence.  —  Un  certain 
I.-N.  Darles,  l'un  de  ces  niais  qui  ne  doutent  de  rien,  s'est,  en 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  211 

téméraire,  lancé  dans  le  panégyiique  du  nez.  Un  éloge  ?  Non  : 
une  suite  d'exclamations  enthousiastes.  Darles  pense  que  le  nez 
est  le  «  souverain  bien  »,  voire  le  seul  bien  de  la  machine  hu- 
maine, et  c'est  pourquci,  fort  de  cette  idée,  plein  de  respect  et 
de  gratitude,  il  s'écrie  dès  le  début  : 

O  noble  nez,  organe  odoratif, 

Du  corps  humain  membre  décoratif, 

que  nous  serions  à  plaindre  sans  toi  !  Notre  visage  paraîtrait 
<(  déforme,  hydeux,  espoventable  ».  On  a  eu  bien  raison  de  te 
loger  juste  au  milieu.  Ainsi  planté,  tu  rends  la  face  «  angelic- 
que  »,  et  je  proclame  ici  ton  excellence, 

Nez  des  amans  la  vraye  nourriture, 
O  nez  bien  faict,  nez  reconsolatif, 
Nez  mignonnet,  o  nez  récréatif  ! 

—  Le  blason  de  la  bouche  est  dû  à  Brodeau  ;  celui  des  dents 
à  «  l'esclave  fortuné  »,  Michel  d'Amboise,  seigneur  de  Chevil- 
lon,  fîls  naturel  de  Charles  d'Amboise,  amiral  de  France. 

302.  Mais  qui  croirait  que  Maurice  Scève,  le  roi  des  poètes 
philosophes,  celui  qui  a  laissé  des  livres  si  vigoureux,  si  réflé- 
chis, se  soit  amusé  à  de  tels  jeux  ?  Ils  l'ont  séduit,  cependant, 
et  il  a  daigné  composer  non  pas  une  de  ces  bagatelles,  mais  bien 
cinq.  Le  front,  le  sourcil,  le  soupir,  la  larme  et  la  gorge,  voilà 
les  divers  points  qu'il  a  traités,  et  il  figure  donc  à  plus  d'un 
titre  —  lui,  le  penseur  pur,  —  dans  un  recueil  souvent  scanda- 
leux. Hâtons-nous,  toutefois,  de  dire  que  Scève  est  resté  Scève. 
Les  sujets  qu'il  avait  choisis  ne  risquaient  nullement  de  l'en- 
traîner hors  de  sa  route  ordinaire,  et  les  petits  tableaux  tracés 
par  lui  s'accordent  fort  mal  avec  l'ensemble  de  cette  galerie 
anatomique.  Il  s'intéresse  beaucoup  moins  à  l'organe  qu'à  la 
fonction  ;  il  ne  s'attache  guère  au  monde  visible,  et  les  formes 
du  corps  ne  sont,  suivant  lui,  dignes  d'examen  qu'en  tant  qu'elles 
traduisent  des  pensées  ou  expiiment  des  passions.  Après  avoir 
noté,  par  exemple,  que  la  larme  est  comparable  à  une  perle 

Ronde  d  embas,  denhault  menue  et  gresle, 

il  ne  parlera  plus  que  de  la  vertu  des  pleurs,  et  nous  confiera 
que  sa  maîtresse  le  fait  pleurer  non  pas  «  a  grandz  plains  seaux  », 
ce  serait  peu,  mais  «  a  gros  bruyans  ruisseaux  ».  De  même,  si 
les  sourcils,  voûtes  contractiles  d'ébène  ou  de  jayet,  retiennent 
son  attention,  c'est  parce  qu'ils  enregistrent  les  mouvements 
de  l'âme,  nos  colères,  nos  dédains,  et  qu'ils  méritent  mieux, 


212  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

lorsqu'ils  dispensent  le  pardon  et  l'espoir,  le  nom  de  «  soubz 
ciel  »  que  de  sourcil.  Le  front,  de  son  côté,  le  noble  front  a  patent 
et  ouvert  »,  évoque  l'idée  d'une  coupole  sur  un  temple,  com- 
mande le  respect,  garde  toujours  un  air  brave,  et  «  ne  craint 
riens,  fors  honte  )>.  Quant  à  la  gorge,  Scève  ne  la  regarde  pas 
avec  les  yeux  de  Marot  :  il  vénère  en  elle  le  blanc  «  pulpistre  » 
de  l'Amour  et  la  sainte  armoire  de  Chasteté. 

303.  Parce  qu'il  a  voulu  rendre  moral  et  psychologique  un 
genre  destiné  à  choir  dans  la  boue,  on  sera  indulgent  pour  ce 
poète.  Et,  cependant,  que  de  vers  bizarres,  ardus,  tourmentés, 
et,  à  chaque  moment,  quel  mauvais  goût  !  L'apologie  du  sou- 
pir est  lamentable.  Loin  de  nous  toucher,  l'amant  nous  amuse 
lorsqu'il  compare  à  une  cheminée  son  poumon.  Les  soupirs  en 
sortent  tellement  épais  qu'  «  en  la  bouche  ils  se  battent  »,  et 
qu'ils  ont  beaucoup  de  mal  à  «  yssir  ».  Ils  s'envolent  enfin,  in- 
nombrables, en  ((  longue  traînée  »,  et  les  gens  qui  les  voient 
noircir  le  ciel,  ébahis  et  terrifiés  d'abord,  devinent  ensuite  que 
cette  fumée  suppose  im  feu  vraiment  sans  égal...  Oui,  ces  fines- 
ses nous  font  rire  aujourd'hui.  Mais,  quoique  affectés  et  même 
très  comiques  par  endroits,  les  blasons  de  Maurice  Scève  restent 
supérieurs  à  presque  tous  les  autres,  et  nous  ne  saurions  leur 
préféier  ni  celui  de  la  cuisse  par  Le  Lieur,  ni  celui  du  genou 
par  Lancelot  de  Carie,  ni  celui  du  cœur  par  Jacques  Peletier  du 
Mans,  ni  ceux,  bien  entendu,  que  Sagon  a  perpétrés.  Ce  borné 
et  rampant  Sagon  !  La  prose  la  plus  terre  à  terre  est  moins 
plate  que  ce  qu'il  rime,  et  l'imagination  semble,  chez  lui,  atro- 
phiée et  quasi  morte.  L'audace,  en  revanche,  ne  lui  manque 
pas.  et  il  l'a  prouvé  en  publiant  son  navrant  blason  du  pied. 
Là.  nul  modelé,  nulle  lueur  d'esprit,  mais  un  bon  sens  qui  acca- 
ble. Le  meilleur  titre  eût  été  De  l'utilité  des  pieds.  Eux  suppri- 
més, l'homme  ne  marcherait  pas  facilement.  Nécessaire  à  qui 
veut  «  casser,  rompre  ou  fendre  la  glace  »,  le  pied  est,  en  outre, 
Cl  convenable  »  (ce  n'est  pas  trop  dire  !)  aux  personnes  qui  ai- 
ment la  chasse.  Et  puis,  il  a  sa  beauté.  La  nature  l'a  façonné 
avec  soin  et  «  enrichy  de  cinq  orteils  divers  ». 

304.  Mauvaise  ou  bonne,  raisonnable  ou  non,  chacune  de  ces 
pièces  composées  aux  quatre  coins  de  la  France  arrivait,  un 
jour  ou  l'autre,  à  Ferrare,  et  on  la  lisait  alors  à  la  duchesse, 
au  cercle  qui  l'entourait.  Cette  femme  d'élite  et  ses  fidèles,  qui 
avaient,  par  ailleurs,  tant  de  soucis,  des  pensées  si  hautes, 
prenaient  plaisir  à  ces  choses  frivoles,  s'amusaient  aies  juger, 
à  leur  assigner  des  rangs.  «  Nostre  court  »,  écrit  Marot,  a  accor- 
dé la  couronne  de  laurier  à  l'auteur  du  Sourcil,  un  Lyonnais 
que  je  ne  connais  point,  et  il  convie,  après  avoir  tendu  cette 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  213 

palme  à  Maurice  Scève,  tous  les  poètes  à  entrer  en  lice.  Pour- 
quoi, demande-t-il  à  Mellin  de  Saint-Gelays,  pourquoi,  ô  «  créa- 
ture gentile  »,  ne  nous  as-tu  rien  envoyé  ?  Si  vous  estimez,  en- 
fants d'Apollon,  que  cette  veine  est  à  présent  tarie  et  qu'il  ne 
reste  plus  à  peindre  aucun  charme  de  nos  dames,  eh  bien,  imi- 
tez-moi une  fois  encore.  Je  viens,  après  le  Beau  tetin,  de  vous 
buriner  «  a  contrepoil  »  et  «  par  manière  de  rire  »  un  sein  flétri, 
flasque  et  noir  [J.  III,  34].  Faites  ainsi.  Mandez-nous,  «  en  stile 
espouvantable  »,  le  «  rebours  »  de  vos  tableaux  d'hier.  Atta- 
chez-vous à  rendre  la  laideur  ;  montrez-nous  des  yeux  pochés, 
des  bouches  qui  soient  des  mufles.  Mais,  je  vous  en  prie,  pas 
de  mots  sales,  et  ce  que  la  nature  a  pris  grand  soin  de  cacher, 
n'allez  pas  le  découvrir. 

305.  En  ce  qui  concerne  les  contreblasons,  l'appel  de  Marot 
fut  entendu,  et  l'on  vit  naître,  ainsi  qu'il  le  souhaitait,  un  vrai 
musée  des  horreurs,  une  longue  série  de  caricatures.  Quant  au 
conseil  qu'il  avait  donné  :  jamais  de  termes  infâmes  ni  de  des- 
criptions obscènes  !  on  ne  le  suivit  point,  et  c'était  fatal.  Un 
tel  genre,  qu'on  le  voulût  ou  non,  allait  droit  au  Parnasse  saty- 
rique,  et  il  était  facile  de  prévoir  que,  une  fois  dit  ce  qu'on  pou- 
vait dire,  certains  aimeraient  mieux  paraître  immondes  que  de 
se  taire.  Immondes,  plusieurs  le  furent  pleinement,  avec  cou- 
rage et  tranquillité.  On  ne  saurait  même  pas  reproduire,  tant 
ils  méprisent  la  périphrase,  un  seul  de  leurs  titres  si  explicites. 
Chose  à  noter  :  les  auteurs  de  ces  ordures  n'étaient  ni  de  jeunes 
effrontés  ni  des  grimauds  sans  aveu.  Ils  avaient  un  nom,  quel- 
que gloire,  un  autre  gagne-pain  que  celui-là  ;  on  les  tenait  pour 
honnêtes,  très  dignes,  soit  de  célébrer  les  actes  du  roi,  soit  d'en- 
seigner la  morale  ou  de  prêcher  l'Évangile. 

306.  Trois  de  ces  hardis  blasonneurs  ont,  en  effet,  laissé  une 
trace  dans  l'histoire  de  la  Renaissance  ou  de  la  Réforme.  Le 
premier,  Claude  Chappuys,  qui  a  rimé  des  pièces  fort  répugnan- 
tes, fut,  par  ailleurs,  un  poète  officiel,  un  adroit  et  prospère 
courtisan  et  (qui  le  croirait  ?)  un  chanoine.  —  Le  second,  Guil- 
laume Bochetel,  seigneur  de  Sassi,  a  rempli,  par  ordre  de  Fran- 
çois I^i"  puis  de  Henri  II,  d'importantes  missions  diplomatiques, 
et,  mettant  à  profit  son  influence,  a  enrichi,  élevé  et  lui-même 
et  sa  famille.  Il  mourut  en  1558.  On  a  de  lui,  outre  les  vers  igno- 
bles à  cause  desquels  il  figure  ici,  une  traduction  de  V Hécuhc 
d'Euripide  et  des  plaquettes  en  prose  qui  relatent  le  sacre  d'E- 
léonore  d'Autriche  et  son  entrée  à  Paris.  Bochetel  n'a  pas  pris 
la  peine  d'orner  sa  narration.  Elle  est  stricte,  froide  et  nue. 
On  ne  trouvera  là  que  l'ordre  exact  des  cortèges,  le  nom  de 
tous  les  assistants  de  marque  et  le  menu  des  festins.  —  Quant 


214  CLÉMENT   .MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

au  troisième  de  nos  anatomistes  sans  vergogne,  c'est  le  remuant 
et  divers  Eustorg  de  Beaulieu,  l'un  des  types,  à  mon  sens,  les 
plus  étranges  de  ce  siècle  violent  et  romanesque. 

307.  S'il  n'avait  pas  été  gentilhomme,  on  aimerait  à  com- 
parer à  Gil  Blas  de  Santillane  l'Eustorg  (ou  l'Hector)  en  ques- 
tion. Que  d'aventures  au  cours  de  sa  carrière,  que  de  contrastes 
et  quelles  péripéties  !  Né  près  de  Cahors,  il  eut  pour  père  Ray- 
mond (?),  seigneur  de  Beaulieu,  et  pour  mère  Jeanne  de  Bosco 
rotundo,  de  Bosredon.  Assez  bonne  noblesse  quercynoise,  mais 
peu  dorée.  Les  cadets,  leur  éducation  terminée  vaille  que  vaille, 
étaient  conduits  à  la  porte  du  manoir  puis  invités,  dûment 
bénis,  à  partir.  La  maison  de  Beaulieu  était  fort  lourde  :  Eus- 
torg se  trouvait,  il  nous  le  dit,  le  dernier  de  sept  enfants,  quatre 
fils  et  trois  filles,  et,  de  plus,  il  avait,  encore  en  bas  âge,  perdu 
son  père.  Cela  compliquait  la  situation,  et  il  résolut,  dès  que 
les  plumes  lui  furent  poussées,  de  quitter  le  pays,  de  chercher 
fortune  ailleurs.  Il  aurait  pu  devenir  Rastignac  ou  d'Artagnan. 
Mais  il  avait  d'autres  vues,  d'autres  goûts.  Il  cro3-ait  se  sentir 
une  âme  d'artiste,  et,  sans  nous  préciser  où  il  avait  appris  quel- 
que chose,  il  nous  laisse  entendre  qu'il  savait  tout.  Les  vers,  la 
prose,  la  morale,  la  galanterie  n'avaient  pour  lui  aucun  secret  ; 
il  rimait  des  œuvres  dramatiques  et  les  jouait  ;  la  musique,  sa 
passion  dominante  (en  attendant  la  théologie),  lui  valait  des 
succès  et  quelque  argent.  Quoique  préférant  l'orgue,  il  connais- 
sait à  merveille  l'épinette,  le  luth,  le  manicorde.  Versé  dans 
le  contrepoint  et  l'harmonie,  il  composait  des  chansons,  les 
chantait  mieux  que  personne,  et  s'accompagnait  lui-même.  Il 
ne  lui  manquait  plus  que  de  posséder  la  jurisprudence  :  mais  il 
y  songeait. 

308.  Avec  tant  de  talent?,  il  semble  agréable  de  courir  le 
monde.  Où  ne  serait-on  pas  bien  reçu  ?  Eustorg,  pourtant, 
qui  a  maintes  cordes  à  son  arc,  change  si  souvent  de  ville  et 
de  métier  qu'il  paraît  ne  réussir  nulle  part.  Organiste  à  Lectoure 
en  1522,  il  arrive  à  Tulle,  l'an  d'après.  Que  cherchait-il  là  ? 
Aspirait-il  au  titre  de  greffier  ou  de  procureur  ?  On  l'ignore. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  s'affilia  à  la  Basoche,  et  que,  mem- 
bre actif  de  cette  confrérie,  il  se  plaisait  à  lui  servir  d'interprète 
et  à  réciter  des  vers  en  son  nom.  Ce  fut  en  qualité  d'Enfant  sans 
souci  qu'il  rédigea  trois  pièces  :  une  ballade  sm  une  chapelle 
(lisez  taverne)  de  la  Pauvreté,  siège  de  la  joyeuse  corporation  ; 
une  Istoire  moralle  de  l'enfant  'prodigue  ;  un  rondeau  «  présenté 
par  le  roy  de  la  Bazoche  de  Tulle  a  Monsieur  de  Montchenu, 
seneschal  du  pays  de  Lymosin,  le  jour  qu'il  fîst  son  entrée  ». 
Tout  cela  n'aurait  pas  rendu  notre  voyageur  beaucoup  plus 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  215 

gras.  Mais  la  musique  le  nourrissait  :  il  donnait  des  leçons,  et 
avait  quelques  élèves.  Professeur  au  cœur  tendre,  il  offrait  des 
vers  à  ses  écoliers  et,  de  préférence,  à  ses  écolières.  Les  filles 
de  Tulle  lui  plaisaient.  Deux  fois  il  les  a  célébrées  en  bloc,  et 
il  espérait  que  l'une  d'elles  serait,  pour  son  maître  d'épinette, 
une  nouvelle  Héloïse.  Grande  raison  de  ne  pas  s'éloigner,  d'ac- 
quérir à  Tulle  droit  de  bourgeoisie. 

309.  Cependant,  lorsque  nous  retrouvons  Eustorg  en  1529, 
c'est  à  Bordeaux  qu'il  réside...  Autre  surprise  :  il  n'est  plus 
basochien  ;  il  est  curé.  Il  signe  Eustorg  de  Beaulieu,  prestre. 
Poète,  d'ailleurs,  comme  devant.  Ce  qui  l'occupe,  cette  année- 
là,  c'est  moins  le  saint  ministère  qu'un  procès.  L'héritage  de 
feu  Raymond  était  resté  indivis.  Mais  Jean,  l'un  des  frères, 
avait  exigé  qu'on  partageât,  et,  représenté  par  un  curateur  de 
mauvaise  foi,  Eustorg  avait  été,  car  l'absent  a  toujours  tort, 
ou  lésé  ou  dépouillé.  Son  affaire  était  venue  en  appel  à  la  cour 
de  Bordeaux,  et,  lui,  il  avait  suivi  le  sac  qui  renfermait  ses  pa- 
piers. Afin  d'avoir  gain  de  cause,  il  usa  des  moyens  en  son  pou- 
voir, rima  une  ample  épître  soignée,  et  l'envoya  à  l'un  de  ses 
juges, au  «  tresnoble  seigneur.  Monsieur  maistre  NycolleArnoul, 
seigneur  de  Sainct  Symon,  au  pays  de  Xaintonge,  et  conseiller 
du  Roy...  en  sa  court  de  Parlement  a  Bordeaulx  ».  La  lettre, 
qui  a  plusieurs  pages,  explique  abondamment  et  par  le  menu 
la  genèse  puis  l'évolution  de  ce  litige,  et  l'auteur,  pour  un  homme 
qui  tourne  en  décasyllabes  la  prose  des  huissiers  et  des  avoués, 
s'exprime  avec  clarté  et  rondeur.  Je  ne  sais  s'il  le  dut  à  son 
talent,  à  la  protection  ou  à  son  bon  droit,  mais  il  obtint  enfin 
ce  qu'il  demandait,  et  le  tribunal  lui  donna  raison. 

310.  Rentré  à  Tulle  après  la  bataille,  il  adressa  des  remer- 
ciements à  ceux  dont  il  avait  eu  à  se  louer.  M.  de  Saint-Simon 
reçut  une  épître  qui  lui  promettait  la  vie  éternelle  en  récom- 
pense de  son  équité,  et  lui  apportait,  par  la  même  occasion, 
des  nouvelles  d'une  sienne  fille,  Marguerite,  qui  visitait  alors 
le  Limousin.  Je  me  propose,  écrivait  le  plaideur  reconnaissant, 
de  l'avoir  un  de  ces  jours  à  dîner.  On  s'imagine  qu'on  ne  mange 
ici  que  des  châtaignes,  des  raves,  des  glands.  Erreur  !  «  Mes- 
sieurs les  Tullistes  »  ont  de  quoi  faire  de  fameux  repas,  et  nous 
servirons  à  ton  infante  des  truites  de  la  Corrèze,  de  belles  car- 
pes, des  barbeaux...  D'autres  actions  de  grâces  — toujours  en 
vers  —  vont  «  a  scientificque  seigneur.  Monsieur  maistre  Ber- 
nard de  Lahet,  advocat  du  Roy  ».  Un  musicien,  celui-là  ;  donc, 
un  ami.  Eustorg  le  couvre  d'abord  de  fleurs,  puis  lui  rappelle 
les  relations  qu'il  eut  avec  Clément  Jannequin,  le  temps,  dit-il 
aussi,  où  «  toy.  Biaise  (?)  et  moy  »,  nous  formions  un  si  agréa- 


216  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

ble  concert  et  de  voix  et  d'instruments.  Bien  que  tout,  en  1529, 
fût  hors  de  prix,  ta  maison  restait  ouverte  à  chacun.  Quelle 
hospitalité  généreuse  !  Quel  charmant  accueil  !  Et  les  jolis  trios 
qu'on  jouait  ! 

311.  N'allez  pas  conclure  de  ces  pièces  que  jamais  nul  Fran- 
çais ne  fut,  autant  que  celui-ci,  fier  de  la  justice  de  son  pays. 
Le  contraire  est  manifeste,  et  si  Beaulieu  rencontra  à  Bordeaux 
deux  ou  trois  magistrats  selon  son  cœur,  il  dut  aussi,  au  cours 
de  son  procès,  frapper  à  des  portes  toujours  closes,  multiplier 
les  pas  et  démarches,  se  débattre  parmi  beaucoup  d'intrigues, 
devinei  l'énigme  («  Or  çà  !  Or  çà  !  »)  qu'il  faut  résoudre  pour 
franchir  le  guichet  des  Chats  fourrés.  Humilié  d'avoir  tellement 
trotté  par  la  ville,  et  plein  de  dépit  au  souvenir  de  ces  anti- 
chambres où  il  avait  cent  fois  attendu  son  tour,  il  exhala  bien- 
tôt sa  rancune  en  composant  et  publiant  coup  sur  coup  les  Ges- 
tes puis  le  Pater  et  Ave  des  solliciteurs.  Il  aurait  pu  écrne  d'un 
solliciteur,  car  c'est  à  lui  qu'il  pense,  à  ses  propres  courses,  à 
ses  déboires.  Rien,  semble-t-il,  ne  lui  fut  épargné.  La  sentence 
prononcée  en  sa  faveur  lui  causa  elle-même  des  ennuis.  Après 
avoir  payé  à  grand'peine  les  «  dix  francz  ou  plus  »  qu'elle  coû- 
tait, voilà  qu'il  apprend  que  le  greffier  exige,  pour  la  signer 
deux  écus.  Où  les  trouver  ?  Le  pauvre  poète  sans  le  sou  tâcha 
d'attendrir  monsieur  le  greffier,  le  «  noble  seigneur  »  greffier, 
lui  versa,  faute  d'argent,  une  ballade,  et  le  supplia  de  modérer 
la  somme,  de  signer,  cette  fois,  au  rabais.  La  réponse  du  greffier 
n'est  pas  connue. 

312.  A  partir  de  1529,  Eustorg  de  Beaulieu  est  reçu,  comme 
maître  de  musique  ou  précepteur,  chez  diverses  personnes  de 
qualité.  Madame  Anthonye  de  Polignac,  femme  de  Godefroy  de 
la  Tour,  —  François  de  la  Tour,  vicomte  de  Turenne,  —  les  de 
Tournon,  famille  éminente  du  Vivarais,  l'admettent  dans  leurs 
maisons.  Cela  prouve  qu'il  ne  reste  ou  bien  qu'on  ne  le  garde 
longtemps  nulle  part,  et,  de  fait,  en  1536,  nous  le  trouvons 
établi  (non  pour  toujours  !)  à  Lyon.  Il  y  arrivait  porteur  d'une 
lettre  de  Charlotte  de  Maumont,  sa  cousine,  qui  le  recomman- 
dait à  Charles  d'Estaing,  chanoine  de  Saint- Jean.  Ce  fut  ce  haut 
protecteur  qui  présenta  sans  doute  l'artiste  nomade  à  Marie- 
Catherine  de  Pierrevive,  femme  d'Antoine  de  Gondi,  sieur  du 
Perron,  l'une  des  gloires  de  la  cité.  Héritière  d'une  vieille  dynas- 
tie d'échevins,  de  banquiers,  de  marchands  d'épices,  puissam- 
ment riche  par  conséquent,  instruite,  subtile,  insinuante,  idole 
qui  trônait  dans  un  cadre  somptueux,  amie  du  plaisir  et  s'éle- 
vant  au-dessus  de  la  morale,  M™^  du  Perron  voyait  les  prélats 
et  les  princes  attentifs  à  capter  ses  bonnes  grâces,  et  elle  sera, 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  217 

plus  tard,  la  confidente,  la  conseillère  de  Catherine  de  Médi- 
cis.  Eustorg,  en  pénétrant  dans  ce  milieu,  en  donnant  (il  l'ap- 
pelle son  «  escollière  »)  des  leçons  à  M^-'e  Hélène  de  Gondi,  pa- 
raissait faire  enfin  un  grand  pas  vers  la  fortune.  En  outre,  comme 
le  prouve  un  treizain  acrostiche  qu'il  lui  a  offert,  il  avait  pour 
élève  Jean  du  Peyrat,  fils  d'un  magistrat  alors  célèbre,  et  il 
était  aussi,  j'ignore  à  quel  titre,  entré  au  service  du  gouverneur 
de  la  ville,  Pomponio  Trivulce.  Il  le  nomme  son  «  maistre  »  en 
des  vers  où  il  lui  souhaite,  à  l'occasion  d'un  «  froid  premier 
jour  de  l'an  »,  une  «  plaine  boeste  »  de  ducats,  la  guérison  de 
sa  «  goutte  et  mal  de  teste  »,  le  recouvrement  des  biens  qu'il 
possède  dans  le  Milanais  et  même  «  la  duché  de  Venise  »,  car 
les  vœux  ne  coûtent  rien. 

313.  L'auteur  de  ces  gentillesses  n'a  pas  l'air  de  compter, 
pour  subsister,  sur  les  ordres  sacrés  qu'il  a  reçus.  Il  vit  de  l'or- 
gue plutôt  que  de  l'autel,  et  fréquente  moins  les  gens  d'Église 
que  les  gens  du  monde  ou  les  gens  de  lettres  (Antoine  Du  Mou- 
lin, par  exemple).  Je  me  demande  s'il  n'était  pas  venu  à  Lyon 
afin  de  se  rapprocher  déjà,  au  propre  et  au  figuré,  de  Genève. 
Sa  quaHté  de  prêtre  catholique  ne  transparaît  que  de  loin  en 
loin  dans  son  livre  des  Divers  rapportz.  Publié  seulement  en 
1537,  il  contient  maintes  pièces  composées  à  une  date  anté- 
rieure, et  beaucoup  d'entre  elles  nous  invitent  à  conjecturer  que, 
ses  premières  messes  une  fois  dites,  cet  homme  inconstant,  mo- 
bile, épris  de  tous  les  mirages,  avait  songé  à  jeter  aux  orties  le 
froc  qu'il  portait  depuis  peu  de  jours  et  à  courir  au  temple  d'en 
face  qui,  meilleur  ou  non,  l'attirait  étant  autre.  Je  n'oublie  pas 
que  le  vingtième  rondeau  des  Divers  rapportz  recommande  «  de 
ne  babiller  dedans  l'église  »  :  mais,  par  contre,  combien  de  pas- 
sages révèlent  le  protestantisme  naissant  du  poète  !  Il  envoie 
une  épître  à  Marguerite  de  Navarre,  la  supplie  de  lui  accorder 
une  petite  place  en  sa  maison,  et  affirme  qu'il  serait  trop  heu- 
reux d'être,  chez  elle,  garçon  de  cuisine  ;  il  vante  les  mérites 
et  pleure  la  mort  d'Érasme  ;  il  attaque  ceux  qui  font  mauvais 
usage  des  biens  du  clergé  ;  parlant  à  Chaï lotte  de  Maumont, 
il  l'engage  à  mépriser  les  mascarades  des  moines  et  à  se  moquer 
de  la  Sorbonne  ;  il  convie  Jacques  Thibault,  Parisien,  à  rire 
avec  lui  de  Babylone,  et,  partisan  de  la  Bible  française,  il  re- 
marque, disciple  ingénieux  de  Clément  Marot  : 

C'est  un  bon  livre  qu'ung  psaultier, 
Pourveu  que  chascun  ne  l'entende. 

Tout  cela  présage  un  nouvel  avatar,  une  prochaine  métamor- 
phose. 


218  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

314.  Au  demeurant,  quel  que  soit  l'aspect  sous  lequel  on 
le  considère,  ce  très  divers  recueil  des  Divers  rapportz  reflète 
l'existence  picaresque  du  rimeur,  exprime  le  décousu  de  sa 
doctrine  et  les  antinomies  de  ses  goûts.  Prêcheur  à  certains 
moments,  il  discourt,  sérieux  comme  un  mage,  «  d'arrogance 
et  gravité  »,  «  de  vérité  et  mensonge  »  ;  il  conseille  «  de  tenir 
promesse  »,  «  de  discipliner  les  jeunes  enfants  »,  de  ne  jamais 
blasphémer  Dieu  en  jouant  aux  dés  ;  il  s'émeut  en  pensant  aux 
lo3'aux,  aux  vieux  serviteurs  ;  il  réprouve  «  la  folle  despense  »  ; 
il  gémit  sur  les  égards  qu'on  a  pour  les  mauvais  riches  et  sur 
le  «  desprisement  des  vertueux  »  ;  il  condamne  «  la  brague 
excessive  de  plusieurs  »,  et  censure  les  gourmands,  les  pares- 
seux, les  ivrognes...  A  merveille  !  Voilà,  allez-vous  croire,  un 
traité  ad  usum  delphini,  et  Eustorg  le  destinait  à  ses  élèves. 
Mais  tournez  quelques  feuilles,  et  vous  trouverez  le  rondeau 
«  d'ung  verollé  »,  les  «  commoditez  d'ung  coqu  »,  l'épisode,  qu'il 
eût  mieux  valu  taire,  de  la  nouvelle  mariée  et,  dans  le  genre 
scatologique,  deux  prédictions  nullement  amusantes,  mais  fort 
sales...  Eh  bien,  ces  vers-là,  quoique  impudents,  sont  encore 
tolérables  si  on  les  compare  (car  nous  y  revenons)  aux  blasons 
qui  terminent  le  volume.  Idée  révoltante  !  A  cet  ouvrage  où 
figure  une  pièce  relative  à  la  mort  de  sa  mère,  où  se  cache,  dis- 
persé dans  les  rondeaux,  un  manuel  de  morale,  et  où  se  lisent 
les  noms  des  jeunes  filles,  ses  écolières,  Beaulieu  donne  comme 
conclusion  et  couronnement  les  pires  turpitudes  qui  soient,  non 
pas  un  blason,  mais  sept  :  la  langue,  la  voix,  la  joue,  les  dents, 
le  nez...  Pour  le  surplus,  voir  le  texte  ! 

315.  Eustorg  avait  passé  toute  mesure,  et  des  gens,  cette 
fois,  se  fâchèrent,  protestèrent.  Un  auteur  anonyme  blâma 
l'ignominie,  l'impiété  même  de  ces  productions  qui,  célébrant 
la  chair  périssable,  des  charmes  réservés  aux  vers  du  tombeau, 
fondaient  une  nouvelle  et  très  matérielle  idolâtrie.  D'autres, 
qui  ne  craignaient  pas  de  signer,  prirent  le  parti  de  l'accusa- 
teur, et  vinrent  bravement  à  sa  rescousse.  Gilles  Corrozet,  qui 
devait,  en  1539,  essayer,  par  ses  fort  estimables  Blasons  domes- 
tiques, de  purifier  le  genre  et  de  l'ennoblir,  écrivit  Contre  les 
hlasonneurs  des  me^nbres.  Cette  satire  abonde  en  fines  remar- 
ques. Lorsque  Corrozet  déclare  : 

Selon  la  chose  en  quoy  le  cueur  abonde, 
La  bouche  parle  ou  soit  necte  ou  immonde, 

il  exprime  d'avance  la  saine  formule  classique  : 

Le  vers  se  sent  toujours  des  bassesses  du  cœur. 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  2.19. 

La  fonction  du  poète  ne  consiste  point  à  engendrer,  à  propager 
la  luxure.  Qu'il  se  rappelle  son  frère,  le  cygne  ! 

Les  oignes  blancs  sont  les  oiseaulx  sans  vice 
Qu'au  dieu  Phebus  on  donne  en  sacrifice. 

Voilà  de  candides  pensées,  une  manière  honorable  de  concevoir 
le  rôle  des  arts.  Il  s'en  faut,  malheureusement,  que  les  cham- 
pions des  bonnes  mœurs  se  soient  tous  montrés  aussi  judicieux. 
Le  Toulousain  Drusac,  qui  n'avait  pas  attendu,  pour  s'indi- 
gner, la  vogue  des  peintures  anatomiques,  prohibe,  dans  ses 
Controverses,  l'emploi  des  mots  grossiers.  Un,  surtout,  lui  tait 
hoireur.  Ce  mot  qui  le  scandalise,  je  n'ose,  quant  à  moi,  l'écrire. 
Mais  lui,  intrépide  et  plein  d'inconséquence,  il  nous  aligne  442 
vers  équivoques,  en  chacun  desquels  on  rencontre  au  moins 
une  fois  l'obscène  syllabe  en  question.  N'est-ce  pas  un  remède 
délicatement  administré  ?  Et  que  dirons-nous  de  ce  beau  ma- 
gister  qui  use  cinq  ou  six  cents  fois  d'un  terme  (je  n'ai  pas  comp- 
té) pour  prouver  qu'on  ne  doit  jamais  s'en  servir  ? 

316.  Ces  critiques,  néanmoins,  ne  laissèrent  pas  d'agir,  et, 
parmi  ceux  qui  les  avaient  méritées,  certains  se  repentirent  et 
se  corrigèrent.  Honteux  d'avoir  chanté  la  chevelure  des  femmes, 
le  prieur  Jean  de  Vauzelles  publia,  en  compensation  et  comme 
antidote,  une  austère  louange  de  la  mort.  Elle  seule,  à  ses  yeux, 
est  douce  et  belle.  Votre  corps,  vraie  guenille,  n'a  aucun  prix. 
((  Fard,  aornement  ne  drogue  »  ne  sauraient  le  rendre  «  gay  et 
parfaict  ».  La  mort,  au  contraire,  parce  qu'elle  lui  procm-e  la 
vie  éternelle,  le  transfigure  et  l'exalte.  Donc,  ne  cherchons  plus 
les  parures  mondaines,  et  tâchons,  en  vue  du  grand  voyage, 
d'acquérir  la  chemise  d'innocence,  le  manteau  de  loyauté,  le 
chaperon  d'espoir  et  le  bissac  d'érudition...  C'est  ainsi  que 
parle,  sur  son  chemin  de  Damas,  Jean  de  Vauzelles.  Mais  Eus- 
torg,  pour  l'instant,  refuse  de  se  convertir.  Il  répond  insolem- 
ment aux  censeurs,  leur  décoche  des  lettres  virulentes.  L'une 
aggrave  sa  faute,  car  il  y  prodigue  des  facéties  capables  de  cho- 
quer Rabelais  ;  l'autre,  qu'il  intitule  avec  ironie  l'Excuse  du 
corps  pudique,  daigne,  tout  en  traitant  l'adversaire  de  calom- 
niateur, de  veau,  de  «  brayllard  »,  discuter  le  principal  grief, 
le  prétendu  sacrilège.  Oui  a  créé  la  femme  ?  Qui  lui  a  donné 
tant  de  grâces  ?  Dieu.  Donc,  célébrer  «  les  membres  femenins  ». 
c'est  admirer  les  œuvres  divines,  se  montrer,  en  somme,  bon 
chrétien.  J'ignore  si,  au  moment  où  il  le  construisait,  Beaulieu 
était  fier  de  ce  syllogisme  :  mais  il  regrettera  avant  peu  de  l'avoir 
produit.  Il  eût  fallu  que  notre  homme  eût  bien  changé  pour 


220  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

rester  longtemps  de  son  propre  avis.  Une  fois  encore,  il  va  s^ 
déplaire  à  lui-même,  se  démentir,  détester  ses  tableaux  pluS 
que  lascifs,  reconnaître  ses  torts  ingénument.  Alors  il  se  con- 
damnera à  développer  un  thème  expiatoire,  le  Souverain  blason 
du  très  digne  corps  de  Jésus-Christ,  et  il  avouera  que  le  rouge 
lui  monte  à  la  face, 

Quand  se  souvient  des  sept  blasons  lubriques 

Qu'au  livre  dict  Blasons  anathomiques 

//  mit  j  adis 

317.  Marot  n'éprouvait  pas  de  tels  remords.  Content  d'avoir 
proposé  à  ses  émules,  avec  l'épigramme  du  Beau  tetin,  un  mo- 
dèle qu'ils  n'avaient  pu  égaler,  c'était  d'une  autre  manière 
qu'il  dépensait  maintenant  la  gaieté  de  son  esprit,  et,  de  nou- 
veau, il  se  sentait  attiré  par  l'enjouement  de  l'épître,  les  brus- 
ques saillies  du  coq-à-l'âne.  Il  semble  qu'on  doive  ranger  parmi 
les  ouvrages  qui  datent  de  son  premier  exil  l'alerte  billet  qu'il 
envoya  à  Alexis  Jure,  de  Quiers  en  Piémont.  Ce  personnage, 
d'ailleurs  très  mal  connu,  fut  un.  de  ces  rimeurs  de  province 
qui  risquent  de  loin  en  loin  de  gauches  pièces  destinées  à  périr. 
Mais  si  Jure  manquait  de  talent,  il  avait,  en  revanche,  des  ami- 
tiés, et  hantait  les  gens  de  lettres  qui  habitaient  Lyon  ou  y 
passaient.  Il  a  été  er  rapport  avec  Bonaventure  des  Périers  qui 
lui  dédia  son  Chant  des  vendanges,  dont  le  rythme  exprime 
l'ivresse  dansante  des  dionysies,  et  avec  Charles  Fontaine.  Celui- 
ci  lui  a  offert  deux  épigrammes,  et  il  lui  rappelle,  dans  l'une  et 
dans  l'autre,  l'affection  dont  l'honora  Clément.  De  fait,  le  bon 
Piémontais  n'avait  guère  que  ce  titre  de  gloire.  Marot  ne  lui 
a  point  caché  les  défauts  qu'il  lui  trouvait,  et,  ayant  reçu  de 
lui  quelques  vers,  il  en  a  souligné  les  négligences,  les  faiblesses. 
Je  les  ai,  dit-il,  pris  en  gré  autant  que  s'ils  me  venaient  d'Alain 
Chartier  ou  de  Georges  Chastellain.  Il  s'en  faut,  pourtant,  que 
tu  approches  de  ces  demi-dieux.  Veille  sur  tes  césures,  mon 
camarade  ;  soigne  les  détails  ;  rabote-moi  ta  phrase  «  pour  oster 
les  gros  nœudz  »  qui  la  déparent  !  On  le  voit,  la  critique  est 
franche.  Elle  n'a  rien  de  blessant,  néanmoins;  toute  pédanterie 
en  est  exclue,  et  c'est,  je  pense,  le  seul  exemple  que  nous  ayons 
d'une  leçon  de  style  présentée  en  vers  de  trois  syllabes,  sur  un 
mètre  propre  à  la  bourrée,  à  la  farandole. 

318.  Mais  quand  Marot  voulait  donner  libre  cours  à  son 
humeur  badine  et  satirique,  ce  n'était  pas  à  un  Alexis  Jure 
qu'il  s'adressait,  et  il  se  tournait  d'instinct  vers  son  ami  et 
principal  confident,  Lyon  Jamet.  Donc,  ayant  à  dire  des  choses 
qu'il  jugeait  intéressantes  et  hardies,  il  les  lui  exposa  en  un 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  221 

coq-à-l'âne,  où  une  incohérence  voulue,  un  air  de  détachement, 
de  persiflage,  ne  voilent  qu'à  moitié  de  vives  rancunes,  des  sou- 
cis qui  n'étaient  que  trop  réels,  des  convictions,  des  passions 
sincères.  Que  cette  pièce  ait  été  écrite  durant  l'automne  de 
l'année  1535,  cela  ressort  manifestement  de  certaines  mentions 
ou  allusions  qu'on  remarque  dans  le  texte.  L'auteur,  par  exem- 
ple, annonce  comme  un  fait  récent  la  prise  de  Tunis  (20  juil- 
let )  ;  il  parle  à  mots  couverts  de  la  mort  du  financier  Jean  de 
Poncher,  pendu  le  vendredi,  24  septembre  ;  il  consacre  quatre 
vers  à  l'échec  des  négociations  de  la  cour  de  France  avec  Phi- 
lippe Mélanchthon.  François  I^r  l'avait  invité,  par  lettre  du 
23  juin,  à  se  rendre  à  Paris  pour  conférer  de  unione  doctrina- 
rum.  Mais  l'Électeur  de  Saxe  s'étant  opposé  au  voyage,  et  la 
Sorbonne  ayant  remis  au  roi  un  mémoire  quo  ostenditur  non 
esse  disputandum  cum  haereticis,  il  fallut,  en  novembre, renoncer 
à  ce  projet.  Clément  est  au  courant  de  la  résistance  des  docteurs 
catholiques,  et  cela  nous  prouve  que  son  œuvre  a  bien  été  com- 
posée vers  la  fin  d'octobre  ou  dans  le  mois  suivant. 

319.  Des  traits  de  satire  générale,  des  attaques  dirigées  con- 
tre Rome  et  les  papistes,  quelques  rapides  notes  personnelles, 
tels  sont  —  épars  à  dessein,  brouillés  et  confondus  —  les  trois 
éléments  de  ce  coq-à-l'âne.  On  y  voit  figurer,  trompés  toujours, 
toujours  patients,  les  maris  parisiens,  et  ni  leurs  filles  ni  leurs 
femmes  ne  sont  épargnées.  Jeunes  ou  non,  elles  sont  ici  en  belle 
place,  et  le  sexe  entier  défile  sous  nos  yeux,  depuis  les  adoles- 
centes «  tant  pouppines  »  qui,  sachant  leur  prix,  se  vendent 
«  cher  comme  cresme  »,  jusqu'aux  vieilles  de  bonne  volonté  et 
même  jusqu'aux  nonnains  dont  les  faveurs,  aisées  à  gagner, 
laissent  de  cuisants  souvenirs.  L'ombre  des  églises,  propice  aux 
rendez-vous,  rassemble  et  cache  les  couples  suspects,  et  le  galant 
arrive  à  ses  fins  grâce  à  de  dévots  stratagèmes  et  pourvu  qu'il 
ait  de  l'argent.  L'argent,  la  clef  par  excellence,  celle  qui  va  à 
chaque  serrure,  ouvre  le  cœur  des  dames  et  la  conscience  des 
magistrats.  Le  Palais  ne  change  point  ;  il  garde  son  avidité 
d'autrefois  ;  il  vole  et  grippe  comme  devant.  Avares  et  cruels, 
les  juges  font  durer  les  procès  civils,  et  tranchent  vite,  à  grands 
coups  de  hache,  les  procès  criminels.  Ceux-ci  n'engraissent  pas 
le  tribunal.  A^^quoi  servirait-il  de  les  prolonger  ?  Mieux  vaut 
que  la  tête  roule  sans  délai  sur  l'échafaud,  et  que  se  justifie 
l'adage  :  //  n'est  bourreau  que  de  Paris.  Les  trésoriers,  les  ban- 
quiers du  roi  en  savent,  les  pauvres,  quelque  chose.  L'année, 
pour  eux,  a  été  mauvaise  ;  ils  sont  «  tous  péris  ».  N'entendez 
pas  tous  tués.  Certains  furent  bannis  et  non  pendus. 

320.  L'essentiel  de  l'ouvrage  n'est  pas  là,  et  l'intention  de 


222  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

l'auteur  était  moins  de  censurer  les  femmes  et  les  financiers 
que  de  déchirer  ses  vrais  ennemis  :  le  monde  noir,  les  ultra- 
montains.  Attachez,  dit-il,  deux  grandes  oreilles  au  chaperon 
«  d'un  moyne  crotté  )>,  et  vous  aurez,  très  ressemblant,  un  bon 
sot  de  la  Basoche.  Mais  non...  Nous  seiions  trop  heureux  si 
capucins  et  cordeliers  n'étaient  que  des  ânes.  Ils  n'ont  pas,  ces 
ignares,  la  douceur  du  baudet.  Ils  écument  ainsi  que  des  ver- 
rats, trépignent  en  chaire,  «  ne  preschent  que  des  fagots  »,  et 
ont  soif  du  sang  des  hérétiques.  Exterminez,  disent-ils  au  roi, 
«  bruslez  ces  mastins  ».  Si  vous  ne  les  détruisez  pas,  votre  auto- 
rité va  faiblir  ;  on  refusera  de  vous  payer  l'impôt,  et  vous  vous 
réveillerez,  au  prochain  jour,  sans  le  sou.  Argument  de  poids, 
et  qui  force  le  prince  à  réfléchir.  Mais  le  clergé,  malgré  sa  puis- 
sance et  les  complicités  qu'il  se  ménage,  n'empêchera  ni  les 
intelligences  d'évoluer  ni  la  clarté  de  se  faire.  Déjà  la  décadence 
romaine  s'annonce  par  plusieurs  signes  :  l'étude  de  l'hébreu, 
du  grec,  du  latin  restitue  aux  textes  sacrés  leur  sens  primitif  ; 
le  lucratif  commerce  du  purgatoire  bat  de  l'aile,  et  la  caisse 
des  âmes  en  peine  risque  de  se  trouver  vide  avant  peu  ;  le  ca- 
rême se  révèle  à  maintes  gens  comme  une  superstition  suran- 
née, et  bientôt  les  prélats  italiens  ne  seront  plus  les  seuls  à  bouf- 
fer, en  temps  défendu,  la  viande  de  chevreau  aux  cardons... 
Oui,  le  règne  du  pape  touche  à  son  terme.  Un  orage  menace 
Babylone.  Votre  tyrannie  s'écroule  et  s'efface,  patcr  sancte  ! 
D'amples  événements  se  préparent,  et  il  n'y  aura  pas  besoin, 
pour  y  assis+er,  de  \ieillir  autant  qu'un  patriarche  :  il  suffira 
d'atteindre  «  l'aage  d'un  veau  ». 

321.  Cette  espérance  console,  soutient  le  poète,  l'incite  à  se 
résigner  aux  chagrins  de  l'heure  présente.La  mélancolie,  cepen- 
dant, tisse  quelques  fils  en  cette  trame  si  brillante,  et  affleure, 
discrète,  çà  et  là.  Clément  regrette  ses  années  d'enfance,  si  peu 
fécondes  à  cause  de  l'ineptie  de  ses  régents  ;  il  se  demande  s'il 
n'a  pas  eu  tort  de  consacrer  sa  vie  presque  entière  à  un  roi  qui 
oublie,  sans  motif  valable,  une  longue  et  solide  fidélité  ;  plein 
de  gratitude  lorsqu'il  paile  de 

la  fille  au  roy  Loys 

Qui  le  reçoit  quand  on  le  chasse, 

il  se  plaint  «  des  froidz  amys  »  qu'il  a  en  France,  s'étonne  que 
personne  ne  travaille  à  son  rappel,  se  croit  négligé,  presque 
trahi.  En  cela  il  se  montrait  injuste  :  plusieurs  de  ses  confrères 
déploraient  son  absence,  et  souhaitaient  hautement  qu'on  mît 
fin  à  son  exil.  Mais  rester  équitable  dans  le  malheur,  qui  le 


CLÉMENT   jMAROT    ET   SON    ÉCOLE  223 

pourrait  ?  Cet  effort  exige  un  complet  stoïcisme.  Et  puis  Marot, 
ce  semble,  visait  quelqu'un,  son  ancien  protecteui,  Jacques 
Colin,  qui  n'avait  pas  osé,  étant  courtisan  et  appliquant  la 
règle  primo  mihi,  défendre  un  homme  tombé  en  disgrâce. 

322.  Autant  de  raisons,  pour  le  banni,  de  ne  plus  retrouvei, 
en  éciivant,  l'inaltérable  joie  de  jadis.  Les  teintes  grises  et  les 
coins  d'ombre,  qui,  dès  cette  heure,  atténuent  la  gaieté  de  ses 
facéties,  iront  s'élargissant  de  jour  en  jour,  et  nous  le  verrons 
se  plaire  davantage  aux  pièces  graves,  réfléchies,  travaillées. 
Plusieurs  de  celles  qu'il  rima  à  Ferrare  sont  de  cette  espèce. 
En  voici  quatre  qui  ont  beaucoup  de  valeur  et  d'intérêt  :  I. 
Épistre  perdue  au  jeu  contre  Madame  de  Pons.  La  première 
partie  de  cette  épître  glorifie  le  «  bon  sçavoir  »,  l'âme  indulgente 
et  douce  d'Anne  de  Parthenay,  «  l'une  des  neuf  Muses  »,  la 
sœur  de  Minerve,  une  vraie  nymphe.  Ce  sont  là,  dira-t-on,  des 
airs  connus,  les  vieux  refrains  du  panégyrique.  Sans  doute  : 
mais  les  louanges  sont,  ici,  méritées  ;  on  sent  que  l'auteur  ne 
ment  pas,  qu'il  admire  cette  femme  de  cœur,  la  providence  des 
exilés,  des  libres  esprits.  Si  les  images  et  les  termes  sont  usés, 
l'accent  les  rajeunit,  les  relève,  et  nous  devinons,  sous  la  bana- 
lité de  l'hommage,  le  respect  sincère  qui  l'a  dicté...  La  seconde 
partie;  au  contraire,  est,  pour  l'époque,  entièrement  nouvelle. 
Marot,  chose  rare,  y  exprime  une  idée  purement  lyrique  ;  il 
se  montre  poète  au  sens  exact  et  moderne  de  ce  mot  ;  il  s'aban- 
donne à  un  lève  qui  l'entraîne  loin  de  la  prose  et  hois  du  pré- 
sent. Évoquant  une  scène  qui  se  passera  après  sa  mort,  il  assiste 
à  sa  gloire,  en  jouit  d'avance.  Lui  disparu,  ses  vers  resteront  : 
des  lèvres  amies  se  plairont  à  les  réciter,  et  la  tombe,  par  là, 
sera  vaincue  en  même  temps  que  l'oubli. 

323.  IL  Avant  naissance  du  troisième  enfant  de  Madame  la 
duchesse  de  Ferrare.  Ce  troisième  enfant,  encore  à  naître,  vien- 
dra au  monde  le  i6  décembre  1535,  s'appellera  Lucrezia  d'Esté, 
et  épousera  plus  tard  François-Marie  de  la  Rovère,  duc  d'Ur- 
bin.  Mais  Marot  ignorait,  lorsqu'il  prit  la  plume  au  mois  de 
juillet,  s'il  devait  promettre  à  la  terre  un  héros  ou  une  héroïne, 
et  il  s'est  tiré  d'affaire  en  proclamant  que  celui  ou  celle  qu'on 
attendait  pouvait  sortir  hardiment  «  du  royal  ventre  »,  vu  que, 
à  ce  moment-là,  s'ouvrirait  enfin  l'âge  d'or.  Rien  n'est  aussi 
touchant  que  cet  optimisme,  et  les  malheureux  seuls,  décidé- 
ment, conservent  l'illusion  jusqu'au  bout.  Déraciné,  errant 
comme  Œdipe,  persécuté  et  pauvre,  séparé  des  siens,  Marot 
garde  la  foi,  annonce  que  tout  ira  bien,  montre  du  doigt  l'étoile, 
et  crie  Noèl  l  Son  histoire,  certes,  ne  l'invitait  pas  à  tant  d'es- 
poir, et  chacun  demandera  :  pourquoi  donc  croyait-il  à  l'excel- 


224  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

lence  des  temps  futurs  ?  Alléguer  qu'il  a  simplement  voulu  imi- 
ter la  sublime  églogue  virgilienne  où  se  trouvent  annoncés  une 
seconde  genèse,  le  magnus  saeclorum  ordo,  ce  serait  mal  répon- 
dre. Il  suit,  j'en  conviens,  Virgile  de  près  :  mais  les  éléments 
qu'il  lui  emprunte,  il  les  rend  siens,  il  les  traite  à  sa  manière, 
il  les  adapte  aux  faits  et  aux  doctrines  du  jour.  Le  panthéisme 
de  la  Renaissance,  son  culte  de  la  nature,  son  besoin  de  joie  et 
de  lumière  éclatent  dans  les  vers  où,  s'adressant  à  l'enfant  que 
porte  la  duchesse  Renée,  le  prophète  lui  dépeint,  avec  de  sobres 
et  larges  gestes,  la  magnificence  de  l'univers.  Que  tardes-tu  ? 
La  création  est  si  belle  !  Elle  charmera  tes  yeux,  et  tu  contem- 
pleras en  extase  1'  «  ornature  »  de  la  terie,  la  mer  et  son  «  grand 
tour  »,  le  ciel  qui  se  courbe,  plein  de  clarté,  d'harmonie,  et  dont 
la  voûte  embrasse  tout...  Voilà  le  païen,  le  néo-grec.  Et  voici 
à  côté,  inséparable,  l'homme  de  la  Réforme  :  Hâte-toi,  enfan- 
çon  !  La  vie  n'est  plus  telle  que  nous  autres,  hélas,  nous  l'avons 
connue.  A  présent  l'Ignorance,  mauvais  ange  artisan  de  folie 
et  semeur  d'ivraie,  cède  la  place  à  dame  Vertu  ;  longtemps 
prédit  et  sans  cesse  différé,  le  règne  de  Christ  s'impose  enfin. 
Jésus  nous  protège,  «  vainqueur  et  triumphant  »  ;  la  mort,  dé- 
sormais, n'est  plus  la  mort...  Ainsi  discourt  l'apôtre  après  l'hu- 
maniste. Et  le  courtisan  se  taira-t-il  ?  Non.  Se  levant  à  son 
tour,  il  offre  une  palme  au  loi.  Ne  faut-il  pas,  pour  rentrer  en 
France,  désarmer  cet  orgueilleux  ?  Et  comment  l'adoucir  sans 
le  flatter  ?  Marot,  en  conséquence,  le  range  parmi  les  meilleurs 
ouvriers  du  progrès.  Sous  ce  prince,  dit-il,  et  par  ce  prince,  les 
lettres  et  les  arts,  jusqu'alors  flétris,  méprisés,  vont  s'épanouir 
derechef  et  jeter  beaucoup  d'éclat. 

324.  III.  La  première  épître  que,  de  Ferrare,  Clément  a  en- 
voyée à  François  P^  est  aujourd'hui  classique,  mais  plus  lue, 
il  me  semble,  qu'étudiée.  Elle  mériterait  qu'on  l'examinât  avec 
méthode,  qu'on  en  fît  voir  la  solide  structure,  l'adresse  insi- 
nuante et  le  point  faible.  Nous  avons  là  moins  une  épître  qu'une 
apologie.  L'auteur  veut  prouver  qu'il  ne  fut  pas  coupable,  et 
qu'on  devrait,  par  suite,  le  rappeler.  Sa  fuite  n'était  pas  un 
aveu.  Il  ne  se  reproche  rien.  Des  torts,  il  n'en  a  aucun,  mais  il 
a,  en  revanche,  des  ennemis  :  les  magistrats,  les  «  sorboniqueurs  ». 
Faut-il  qu'il  rougisse  de  s'être  attiré  leur  haine  ?  Nullement. 
S'ils  détestent  le  poète,  ces  gens-là  n'aiment  pas  le  roi,  lui  sont 
hostiles,  le  servent  mal.  Jamais  la  Sorbonne  ne  lui  pardonnera 
la  fondation  de  l'Académie  trilingue,  la  liberté  accordée  aux 
sciences,  la  dispersion  des  ténèbres  au  centre  desquelles  l'im- 
posture trônait,  le  désir,  en  somme,  de  rendre  la  France  plus 
reluisante  que  la  Rome  d'Auguste.  Concluez  que  ces  prêtres  du 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  225 

mensonge  otit  une  dent  contre  Marot  parce  qu'il  pense  comme 
son  maître...  Quant  aux  juges  de  Paris,  ces  juges  aux  longues 
griffes,  pillards  et  paillards,  ils  gardent  au  peintre  de  l'Enfer 
une  rancune  qui  va  s'exaspérant,  et  ne  cherchent,  malgré  son 
innocence,  qu'à  le  traiter  en  criminel.  De  là,  ajoute  Clément,  à 
m 'impliquer  dans  l'affaire  des  placards,  à  me  compter  parmi 
les  fous  qui  causèrent  ce  scandale,  il  n'y  avait  qu'un  pas.  Rha- 
damante  l'a  franchi,  et  moi,  alors,  certain  de  périr  si  j'étais 
pris,  je  montai  à  cheval  et  m'en  allai.  Mais  suis-je  parti  en  sujet 
rebelle  ?  Ai-je  trahi  mon  souverain,  ma  patrie  ?  Ai-je  demandé, 
mon  bon  seigneur,  asile  à  tes  adversaires  ?  Non  pas.  Forcé  de 
te  quitter,  toi  et  mes  «  enfants  petits  »,  j'ai  couru  d'abord  vers 
ta  sœur,  vers  cette  Marguerite  à  qui,  autrefois,  tu  m'avais  toi- 
même  donné,  puis  j 'ai  servi,  passant  les  Alpes,  une  «  humaine  » 
princesse  «  de  ton  cler  sang  »,  Renée  de  France,  «  ta  belle  sœur 
et  cousine  germaine  ». 

325.  Ni  la  vigueur  ni  la  logique  ne  manquent  à  ce  plaidoyer, 
et  l'avocat,  appuyé  solidement  sur  la  raison  et  la  vérité,  paraît 
jusqu'ici  gagner  sa  cause.  Mais  la  question  essentielle  n'a  pas 
été  abordée  encore,  et  il  est  évident  qu'on  va  dire  :  Soit  !  Nous 
accordons  que  vous  n'avez  ni  affiché  les  placards  ni  pactisé  avec 
l'étranger.  Nous  vous  en  donnons  acte.  Mais,  cela  posé,  reste 
à  savoir  enfin  qui  vous  êtes.  Expliquez-vous  ;  confessez  votre 
foi  ;  cessez  de  cachei  votre  bannière,  et  déclarez  par  oui  ou  par 
non  à  quelle  Église  vous  appartenez.  Il  ne  s'agit  plus  d'imiter 
la  chauve-souris  de  la  fable.  Servez- vous  la  Réforme  ou  bien 
le  catholici.sme  romain  ?,..  Mis  de  la  sorte  au  pied  du  mur,  le 
poète  se  trouve  dans  un  embarras  cruel.  Tout  son  avenir  dépend 
de  la  réponse  qu'il  fera.  S'il  s'avoue  expressément  luthérien, 
il  se  ferme  les  routes  qui  ramènent  en  France,  se  condamne  à 
ne  plus  revoir  sa  famille  et  à  mourir  en  exil  ;  si,  au  contraire, 
il  se  prétend  orthodoxe,  il  s'aliène  Renée  et  sa  cour,  et  doit 
aussitôt  quitter  le  toit  qui  l'abrite  pour  l'instant.  Des  deux 
côtés,  angoisse,  incertitude  et  péril.  Quel  parti  prendre  ?  Com- 
ment naviguer  entre  de  tels  écueils  ?  La  solution  la  plus  franche 
eût  été,  peut-être,  la  plus  habile.  Mais  Clément  n'eut  pas  le 
courage  de  son  opinion  ;  il  essaya  de  louvoyer  et  voulut  se  tirer 
en  Normand  de  ce  mauvais  pas. 

326.  Moi,  écrit-il  à  François  I«i"  [v.  87-102],  je  ne  suis  pas 
«  lutheriste  ».  Ce  sont  les  ((  grandz  loups  rabis  »,  les  cagots,  les 
cafards  qui  ont,  pour  me  perdre,  fait  courir  ce  bruit.  A  quel 
titre,  s'il  vous  plaît,  regarderais- je  Luther  comme  un  dieu  ? 
Ai-je  été  baptisé  au  nom  de  Luther  ?  Est-ce  Luther  qui,  cloué 
sur  la  croix,  a  racheté  mes  péchés  et  ceux  du    monde  ?  Non. 

Clémenl  MaroL  et  son  écule  15 


226  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Je  ne  dois  rien  à  Luther  ;  je  ne  suis  pas  le  fils  de  Luther.  Je  suis 
l'un  des  enfants  du  médiateur  grâce  auquel  le  Père  exauce  les 
prières  des  hommes,  et  qui  a  contraint  l'ange  et  le  démon  à 
plier  le  genou.  Je  n'adore,  en  somme,  que  l'Étemel  et  que  Jésus. 
Et  voilà  tout  mon  credo...  Cet  éclaircissement,  qui  a  l'air  si 
décisif  et  que  l'auteur  donne  sur  un  ton  fort  grave,  est  au  fond 
une  pure  plaisanterie,  une  façon  de  mystifier  les  gens.  Répondre 
ainsi,  c'est  ne  rien  répondre.  D'une  part,  les  protestants  n'a3'ant 
jamais  prétendu  que  Luther  fût  un  messie,  on  peut  lui  dénier 
cette  qualité  sans  s'écarter  de  leur  doctrine.  D'un  autre  côté, 
lorsque  Marot  divulgue  les  articles  positifs  de  sa  foi,  il  se  borne 
aux  points  qui  sont  communs  aux  deux  Églises,  car  leurs  diver- 
gences ne  portaient  ni  sur  la  toute-puissance  du  Père  ni  sur  la 
divinité  de  Christ  devenu,  par  sa  passion,  un  lien  entre  le  ciel 
et  la  terre,  la  main  qui  reçoit  d'en  haut  puis  transmet  la  grâce 
ici-bas.  Que  si  le  poète  avait  réellement  voulu  découvrir  au  roi 
le  fond  de  son  âme,  s'affirmer  catholique  ou  Réformé,  il  eût, 
au  lieu  de  proclamer  ce  que  professent  tous  les  chrétiens,  ex- 
primé son  avis  sur  les  choses  qui  les  divisent  :  le  culte  de  la 
Vierge,  la  transsubstantiation,  le  purgatoire  et  les  indulgences, 
la  messe  et  sa  liturgie,  la  confession  auriculaire,  l'iconolâtrie, 
le  monachisme,  la  cro3'ance  en  l'intercession  des  saints...  Mais 
de  ces  problèmes,  les  seuls  qui,  dans  l'espèce,  fussent  impor- 
ants,  Clément  n'a  pas  soufflé  mot.  Sa  tactique  a  consisté  à 
dire  ce  qu'on  ne  lui  demandait  pas,  à  ne  pas  dire  ce  qu'on  atten- 
dait, et  il  s'est  figuré  que,  par  ce  m.oyen,  il  pourrait,  n'ayant 
contristé  personne,  garder  un  pied  dans  chaque  camp. 

327.  Qu'il  était  loin,  pensera-t-on,  d'imiter  les  martyrs,  ceux 
qui  achetaient  si  cher  le  noble  titre  de  témoins  !  Quel  pateli- 
nage  hypocrite  !  Quel  défaut  de  franchise  et  d'énergie  !...  Oui 
et  non.  C'est  uniquement  dans  notre  théâtre  classique  qu'on 
trouve  des  caractères  tout  d'une  pièce.  La  vie  n'en  produit  guère. 
Marot,  jele  répète,  est  diflicile  à  saisir,  compliqué,  instable  etplein 
de  surprises.  Il  faut,  pour  le  juger,  plus  d'un  poids  et  plus  d'une 
mesure  :  sans  cesse  il  déconcerte  la  louange  et,  pareillement, 
échappe  au  blâme.  En  cette  même  épître,  par  exemple,  où,  fin 
renard  courtisan,  il  tâche  de  ne  pas  froisser  le  maître,  de  ne  rien 
écrire  de  trop  précis  et  de  se  sauver  au  moyen  d'excuses  ambiguës, 
nous  le  voyons  [v.  103-122]  adresser  au  ciel  une  oraison  fer- 
vente, une  manière  d'élévation,  consentir  soudain  à  monter, 
s'il  le  faut,  sur  le  bûcher,  et  former  le  vœu  de  conserver,  parmi 
les  tourments,  assez  de  force  pour  ne  pas  renier  Celui  <(  en  qui 
seul  gist  toute  sa  fiance  )>.  A  ce  moment  il  oublie  le  roi,  et  lors- 
que, sa  prière  finie,  il  se  tourne  vers  lui  de  nouveau,  il  ne  craint 


CLÉMKNT   .MAKOT    ET   SON    ÉCOLE  227 

pas  de  dire  :  Je  pensais  ailleurs.  Traduisez  :  à  un  roi  plus  roi 
que  vous,  au  vrai  Seigneur,  le  mien  et  le  vôtre.  Ces  mots  Je 
pensais  ailleurs,  qui  abaissent  le  sceptre  devant  l'autel,  ne  sont 
pas  d'un  valet,  mais  d'un  homme  libre,  ma:s  d'un  chrétien. 
Et  nous  lisons  plus  loin  [v.  186-190]  un  autre  passage  coura- 
geux. Parlant  de  ceux  qu'on  avait,  à  cause  des  placards,  livrés 
aux  flammes.  Clément  s'indigne  et  s'attendrit.  Ils  valaient 
mieux  que  moi  !  s'écrie-t-il,  puis  il  ajoute  aussitôt  que  le  sup- 
plice de  tant  d'innocents  a  scandalisé  le  monde  entier,  et  que 
«  mainte  nation  »,  saisie  d'horreur,  «  en  est  tombée  en  admira- 
tion ».  Or,  ce  massacre,  qui  l'a  voulu  ?  François  I^^"  lui-même. 
C'est  donc  lui  que  condamnent  ces  vers  émouvants.  Leur  au- 
teur, s'il  avait  écouté  les  conseils  de  l'égoïsme,  aurait  dû  ou 
se  taire  ou  accabler  les  victimes  de  la  tyrannie  :  il  a  préféré  ne 
pas  trahir  ses  frères  et  s'exprimer  selon  la  justice. 

328.  IV.  Parfois  sincère,  parfois  embarrassée,  cette  lettre 
n'était  pas  de  nature  à  avancer  beaucoup  les  affaires  de  l'exilé, 
et  il  n'avait  pas  le  droit  de  croire  que,  grâce  à  elle,  on  le  rap- 
pellerait avant  peu.  Il  lui  laudra  revenir  à  la  charge  et  envoyer 
d'autres  épîtres.  Vers  la  fin  de  novembre  1535,  il  écrit  de  nou- 
veau au  roi  qui,  après  avoir  été  assez  malade  à  Dijon,  avait 
annoncé,  par  Antoine  Macault,  son  rétablissement  à  la  duchesse. 
Marot  célèbre  cette  guérison,  dépeint  la  joie  qu'elle  lui  donne, 
celle,  aussi,  de  Renée  et  de  l'enfant  qu'elle  porte  en  son  sein. 
«  De  grant  plaisir  »  il  sautelle  «  la  dedans  ».  Mais  la  pièce  n'a 
pas  été  conçue  pour  les  flatteries  qu'elle  renferme.  Elles  ne  sont 
qu'un  prétexte,  et  le  poète  désire,  au  fond,  faire  savoir  deux 
cho.^es  qui  le  concernent  :  d'abord  qu'il  serait  heureux  de  voir 
ses  gages  passer  les  monts  et  le  rejoindre  à  Ferrare  ou  la  pau  vieté 
risque  de  le  réduire  à  néant  ;  puis,  aussi,  qu'il  n'a  pas  perdu  l'es- 
pérance de  rentrer  à  la  cour,  d'être  accueilli  encore  par  Fran- 
çois I^^^  et  de  le  servir  comme  naguère.  Et  même  mieux  !  A  présent, 
dit-il,  la  langue  italienne  m'est  familière,  et  mon  prince  pour- 
rait m'employer  non  pas  seulement  comme  homme  de  lettres, 
mais  «  en  affaire  »,  aussi  bien  à  l'étranger  que  chez  nous,  en 
temps  de  paix  ou  en  temps  de  guerre.  Il  se  déclare  propre  à 
tous  les  ofhces,  et  s'offre,  au  choix,  en  qualité  de  rimeur,  d'érudit 
ou  de  diplomate.  Mon  âme,  afïirme-t-il,  n'est  pas  aussi  laide  que 
le  prétendent  mes  ennemis.  Je  ne  ressemble  ni  aux  Turcs  ni 
aux  Juifs.  M'étant  miré,  Narcisse  chrétien,  «  au  cler  ruisseau 
profont  de  vérité  »,  je  n'ignore  pas  ce  que  je  vaux.  Craignant 
Dieu  et  fidèle  à  mon  roi,  je  suis  de  ceux  qui  s'acquittent  en 
conscience  des  charges  qu'on  leur  confie.  Reprenez-moi,  sire,  et 
vous  verrez... 


228  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

329.  Cette  insistance  s'expliquerait  mal  si  Marot  s'était  senti, 
à  Ferrare,  solidement  établi,  sûr  du  lendemain  et  hors  de  dan- 
ger. Mais  il  s'en  fallait  qu'il  en  fût  ainsi.  Plus  le  temps  passait, 
plus  devenait  précaire  la  situation  de  ceux  et  de  celles  qu'ai- 
mait et  protégeait  la  duchesse.  Ouvertement  dévouée  à  la  France, 
luthérienne  de  cœur  et  hostile  à  Rome,  elle  s'attirait,  chaque 
jour  davantage,  la  défiance  et  même  l'aversion  d'un  mari  par- 
tisan de  Charles-Ouint  et  papiste.  Persuadé,  je  l'ai  dit,  que  sa 
femme  lui  eût  fait  une  opposition  moins  résolue  si  M"^^  de  Sou- 
bise  n'avait  pas  jeté  de  l'huile  sur  le  feu,  il  méditait  depuis 
un  an  le  renvoi  de  cette  active  personne  et  de  ses  filles.  Déjà, 
en  juillet  1535,  Jean  Du  Bellay  avait  dû  intervenir  et  tâcher, 
lors  de  son  passage  à  Ferrare,  de  rétablir  l'harmonie  dans  cette 
cour  si  troublée  et  d'amener  Hercule  d'Esté  à  souffrir  la  pré- 
sence de  la  meilleure  amie  de  Renée.  Du  Bellay  parla  avec  force. 
François  I^^  lui  avait  enjoint  de  ne  pas  laisser  ignorer  au  duc 
que,  au  cas  «  ou  il  o'oublieroit  jusques  la  que  d'accomplir  sa 
délibération  et  d'oster  a  ladicte  dame  ses  serviteurs  »,  le  roi, 
loin  de  permettre  «  une  telle  injure  »,  en  éprouverait  de  l'indi- 
gnation et  s'en  ressentirait  clairement.  Cette  menace  non  dégui- 
sée, l'influence,  en  outre,  de  l'ambassadeur  Jean  de  Langeac, 
évêque  de  Limoges,  produisirent  quelque  effet,  et  Hercule  cessa 
d'exiger  le  départ  immédiat  de  Michelle  de  Saubonne.  Mais  il 
demeurait,  au  fond,  bien  décidé  à  se  débarrasser  d'elle,  et,  au 
printemps  de  1536,  il  lui  ordonna  de  s'éloigner.  Elle  s'en  alla 
le  20  mars.  Sa  fille.  Renée  de  Parthenay,  repassa  les  Alpes  avec 
elle.  Quant  à  M^ûe  de  Pons,  quoiqu'on  la  trouvât  «  pire  que  sa 
mère  »,  elle  ne  quitta,  semble-t-il,  l'Italie  qu'un  peu  plus  tard. 

330.  Plein  de  chagrin,  de  regrets  sincères,  Marot,  à  l'heure 
des  adieux,  offrit  à  chacune  des  deux  voyageuses  une  jolie  épî- 
tre,  tendre  et  déférente.  Que  de  choses  hardies  il  aurait  pu  ex- 
primer !  Sa  propre  rancune  contre  le  duc  et  tout  le  parti  anti- 
français, la  douleur  de  la  duchesse  maintenant  privée  de  ses 
confidentes,  l'angoisse  de  ceux  qui,  suspects  comme  elles,  ris- 
quaient d'être  chassés  à  leur  tour,  voilà  les  thèmes  que,  dans 
la  circonstance,  il  eût  été  naturel  de  traiter.  Mais  le  poète  ne 
les  aborde  pas.  Il  attend  et  se  réserve.  Le  vrai  tableau  de  la 
situation,  c'est  à  Marguerite  qu'il  l'enverra,  et  non  à  M™^  de 
Soubise  qui  connaît  mieux  que  nul  autre  la  situation  et  n'a  plus 
aucun  moyen  d'agir.  Clément,  en  conséquence,  ne  lui  adresse 
que  des  vœux  et  des  compliments.  Il  ordonne  au  soleil  d'éclai- 
rer la  route,  à  la  bise  de  ne  pas  souffler,  à  la  belle  saison  de  repa- 
raître, aux  torrents  de  ne  pas  arrêter  la  «  dame  prudente  »  qui, 
après  avoir  vécu  «  tant  d'ans  »  loin  de  sa  maison,  va  y  chercher 


CLEMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE 


229 


le  repos.  Que  Dieu  l'accompagne  sur  les  chemins  !  A  mesure 
que  la  distance  s'accroît  entre  ses  amis  et  elle,  les  cœurs  se  ser- 
rent davantage,  et  les  larmes  coulent  plus  abondantes.  Cette 
femme  si  chère  à  la  reine  Anne  puis  à  la  noble  et  douce  Renée, 
Marot  ne  l'oubliera  point,  et  ne  cessera  jamais  de  la  bénir.  N'a- 
t-elle  pas  été  sa  providence,  celle  de  son  père,  le  pauvre  Jean, 
la  patronne  de  tous  ceux  qui  cultivent  les  «  arts  liberaulx  »  et, 
par  exemple,  du  nouvel  Homère,  «  Jean  Le  Maire  Belgeoys  '  ? 

331.  L'affection,  le  respect,  une  touchante  gratitude  éclatent 
en  ces  vers  où  soupire  une  tristesse  voilée.  Mais  l'épître  à  Renée 
de  Parthenay  est  d'un  ton  moins  sérieux.  On  devine  que  l'au- 
teur, parlant  à  une  jeune  fille  qui  avait  devant  elle  toutes  les 
joies  et  toutes  les  illusions  de  l'avenir,  s'est  efforcé  de  sourire. 
Pourquoi  nous  quitter  ?  demande-t-il.  Je  crains  qu'on  ne  se 
moque  de  vous.  Les  gens  diront  ou  bien  :  Elle  a  passé  l'âge'de 
courir  ainsi  après  sa  maman  !  ou  encore  :  Elle  a  tellement  peur 
de  ne  pas  trouver  un  mari  ici  qu'elle  affronte,  afin  de  décou- 
vrir un  épouseur,  le  verglas,  la  neige,  les  loups  «  et  les  soul- 
dardz  »  bien  plus  cruels  que  les  loups...  «  Ha,  Parthenay,  ne 
partez  pas  !  » 

332.  Prière  inutile  :  les  coffres  étaient  «  ja  prestz  »,  et  la  li- 
tière devant  la  porte.  L'heure  des  adieux  sonna,  et  ils  furent 
déchirants.  Renée  de  France,  inconsolable,  s'enferma  dans  un 
petit  cabinet,  refusa,  déclare  un  témoin  oculaire,  de  paraître  en 
public,  et  s'obstina  longtemps  à  ne  pas  mettre  le  pied  dehors. 
Elle  avait,  outre  sa  peine  de  cœur,  un  pesant  souci  et  même  de 
l'effroi.  Elle  se  voyait,  maintenant,  presque  à  la  merci  de  ses 
serviteurs  italiens,  et,  se  rappelant  que  son  mari  descendait, 
par  sa  mère,  des  Borgia,  elle  redoutait  le  poison.  C'est  une  chose 
très  étrange  que  Marot  ait  osé  raconter  en  termes  nets,  sans 
nulle  précaution  ni  périphrase,  cette  grande  infortune,  cette 
anxiété.  La  noire  peinture  qu'il  en  a  faite  se  trouve  dans  une 
manière  d'épître  (mais  divisée  en  stances)  qu'il  envoya  à  la 
reine  de  Navarre.  Il  n'aurait  pu  s'adresser  mieux.  Le  sort  de 
Marguerite,  au  poison  près,  avait  quelque  analogie  avec  celui 
de  la  duchesse.  Pareillement  haïes  à  cause  d'une  foi  sembla- 
ble, elles  luttaient,  en  des  milieux  différents,  contre  des  enne- 
mis communs  ;  l'une  et  l'autre,  parce  qu'elles  auraient  voulu 
servir  la  politique  française,  s'aliénaient  par  là  une  partie  de 
leurs  sujets,  et  toutes  les  deux,  quoique  à  divers  degrés,  lan- 
guissaient, au  foyer  conjugal,  parmi  les  reproches  et  les  orages. 
Les  souffrances  de  Renée,  Marguerite  ne  les  connaissait  que 
trop,  et  elle  pouvait,  en  la  consolant,  citer  le  vers  :  Nonjgnam 
mali...  Ajoutez  que  la  sœur  du  roi,  capable,  à  certains  moments, 


230  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

de  l'émouvoir  et  de  le  conduire,  avait  des  chances  d'obtenir 
de  lui  qu'il  persévérât  à  aider  la  pauvre  princesse  lointaine. 

333.  Qu'elle  est  donc  à  plaindre  !  s'écrie  Marot.  Transplantée 
«  en  terre  estrange  »,  elle  n'y  mange  que  poires  d'angoisse,  et 
mêle  ses  larmes  au  vin  qu'elle  boit.  Au  temps  jadis,  Hélène, 
enlevée  par  son  amant,  n'eut  qu'à  se  louer  de  lui.  Mais  cela 
prouve,  aux  dépens  de  la  morale,  qu'il  }'  a  parfois  moins  de 
dévouement  et  de  tendresse  dans  le  mariage  que  dans  l'adultère. 
Le  duc,  la  jugeant  trop  française,  persécute  sa  femme.  Déjà 
séparée  par  la  masse  des  Alpes  de  ceux  qui  voudraient  la  secou- 
rir, de  vous  autres,  François  et  Marguerite,  saints  qu'elle  invo- 
que à  tout  moment,  il  faut,  de  plus,  qu'elle  se  laisse  arracher 
les  serviteurs  qui  l'ont  sui\àe  ici,  les  seuls  qui  l'honorent  et 
qu'elle  estime.  Telle  une  poule  à  qui,  après  lui  avoir  ravi  ses 
poussins,  on  bouterait  scorpions  dessous  l'aile.  Quels  scorpions  ? 
Les  domestiques  choisis  par  Hercule,  les  «  bailleurs  de  bouc- 
cons  ».  Réduite  au  rôle  de  «  petite  signore  »,  la  fleur  de  lis,  la 
dame  insigne  devra  les  accepter  bon  gré  mal  gré.  Que  devien- 
dra-t-elle  si  sa  famille  et  sa  patrie  ne  l'assistent  ?  O  roi,  con- 
clut Marot,  tu  es  son  cousin,  son  frère,  son  père.  Si  tu  ne  te 
jettes  pas  entre  elle  et  son  tyran,  on  la  croira  aussi  exilée  que 
moi,  et  elle  risque,  «  quelque  demain  »,  de  mourir  «  sèche  et 
ternie  ». 

334.  Nous  lisons,  dans  la  douzième  strophe  de  ce  poème,  que 
les  Français  aux  gages  de  la  duchesse  doivent  s'attendre,  même 
les  plus  humbles,  à  être  traités  comme  Michelle  de  Saubonne. 
Ainsi  s'expliquent  1'  «  angoisseux  esmoy  »  dont  l'auteur  parle 
un  peu  plus  loin  et  les  supplications  qu'il  adresse  à  la  reine 
de  Xavarie  afin  qu'elle  travaille  à  son  rappel.  Il  pressent  que 
bientôt  la  place  ne  sera  plus  tenable,  et  qu'on  l'obligera  à  fuir 
encore.  De  fait,  les  choses  ne  s'arrangeaient  guère  dans  la  pe- 
tite cour  divisée,  et  même  elles  se  gâtaient  de  jour  en  jour. 
M°ie  de  Soubise  venait  à  peine  de  s'éloigner  lorsque  se  produisit 
un  nouvel  et  grave  incident,  provoqué  (et  là  était  le  péril)  par 
l'un  des  familiers  de  Renée.  Les  textes  oii  il  figure  le  nomment 
Jeannet  ou  Zanetto  :  mais  son  nom  authentique,  son  nom  com- 
plet était  Jean  de  Bouchefort.  Clerc  du  diocèse  de  Tournay, 
chantre  de  la  chapelle  royale  et,  non  sans  cause,  suspect  d'hé- 
résie, il  avait  cherché,  après  le  drame  des  placards,  un  refuge 
en  Italie.  Bien  reçu,  employé  par  la  duchesse  (il  touchait,  cha- 
que mois,  vingt  livres  huit  sols),  il  s'était  engagé  à  rester  tran- 
quille et  à  ne  donner  aucun  scandale.  Mais  cette  promesse  fut 
mal  gardée.  Le  vendredi  saint,  14  avril  1536,  Jeannet,  assis- 
tant à  un  office  dans  la  principale  église  de  Ferrare,  se  leva  sou- 


cl'j:ment  m.\f<ot  et  son  école  231 

dain  au  moment  où  le  prêtre  présentait  aux  fidèles  l'ostensoir, 
puis  s'en  alla  haussant  l'épaule,  en  homme  qui  n'avait  nulle 
honte  «  di  despregiare  et  di  tener  poco  conto  de  la  fede  di  Chris- 
to  ».  Là-dessus,  colère,  tumulte.  On  s'indigna,  on  cria  au  sacri- 
lège. Le  coupable  fut,  par  ordre  de  l'inquisiteur,  arrêté  le  soir 
même  et  mis  sans  retard  à  la  question.  Renée  eut  peur,  et  de- 
manda à  François  I^"^  d'intervenir.  Georges  de  Selve,  évêque  de 
Lavaur  et  ambassadeur  à  \^enise,  réclama  le  prisonnier.  Her- 
cule d'Esté  ne  voulut  pas  le  rendre,  et,  non  content  de  ce  refus, 
il  fit  incarcérer,  comme  trop  dévoué  et  trop  adroit,  un  certain 
Jean  Cornillau,  secrétaire  et  trésorier  de  la  duchesse. 

335.  Je  renonce  à  suivre,  en  leurs  complications  ultérieures, 
ces  deux  affaires  connexes.  Renée,  multipliant  les  messages  et 
négociant  contre  son  mari,  remua  ciel  et  terre,  et  mit  en  ligne, 
pour  le  salut  de  Cornillau  et  de  Jean  de  Bouchefort,  une  cohorte 
d'éminents  personnages.  Montmorency,  le  cardinal  de  Tour- 
non,  le  cardinal  Trivulce,  Georges  d'Armagnac,  évêque  de  Ro- 
dez, Marguerite  de  Navarre  et  —  qui  l'aurait  cru  ?  —  le  pape 
lui-même  collaborèrent  à  la  délivrance  des  captifs.  Le  duc,  après 
une  belle  résistance,  succomba  sous  le  nombre  et  dut  céder. 
Envoyés,  au  mois  d'août,  à  l'ambassadeur  de  France  à  Venise, 
les  accusés  repassèrent  les  monts.  Cornillau,  quoique  éloigné 
de  sa  patronne,  resta  à  son  service  ;  Zanetto,  redevenu  Jeannet, 
trouva  moyen  de  rentrer  dans  la  chapelle  de  François  l^"^,  et 
toucha,  en  juin  1537,  ses  gages  de  1535  et  de  1536,  parce  que, 
expliquait-on,  il  avait  été  «  omis  »  sur  les  états  de  l'hôtel.  Ainsi 
on  pouvait  dire,  en  ce  qui  le  concernait  :  tout  est  bien  qui  finit 
bien...  Oui,  mais  son  attitude  à  l'église,  durant  l'office  du  ven- 
dredi saint,  quel  préjudice  elle  avait  causé  aux  luthériens  fran- 
çais de  Ferrare  !  La  réprobation  qu'il  méritait  seul  s'étendit 
sur  l'heure  à  chacun  d'eux.  Ce  qu'il  avait  fait,  les  autres,  pen- 
sait-on, auraient  aimé  à  le  faire,  en  sorte  que  la  prudence  vou- 
lait qu'on  les  traitât  comme  lui.  Marot,  plus  en  vue  et,  donc, 
plus  exposé  que  le  reste  de  ses  compatriotes,  récolta  les  ran- 
cunes si  mal  à  propos  semées.  Une  nuit,  des  gens  armés  l'atta- 
quèrent dans  la  rue,  le  battirent,  le  blessèrent  peut-être  [M. 
165].  N'était-ce  pas  (c'est  lui  qui  le  demande  à  sa  protectrice) 
un  «  admonestement  »  de  déloger  ?  Son  premier  mouvement 
avait  été  un  désir  de  vengeance.  Pourtant,  laissant  à  Dieu  le 
soin  de  punir  ses  agresseurs,  les  couards  manants  de  Ferrare, 
il  se  résigna  (fin  mai  ou  juin)  à  partir,  et  choisit  Venise  comme 
résidence. 

336.  Pourquoi  Venise  ?  Parce  que  les  Vénitiens  ne  deman- 
daient pas  compte  aux  étrangers  de  leurs  opinions  ni  de  leurs 


232  CLÉMENT    MAROT    ET    SOX    ÉCOLE 

croyances.  I.a  vie  étemelle  les  tourmentait  peu,  et  il  leur  pa- 
raissait: plus  utile  de  prospérer  en  ce  monde-ci  que  de  discuter 
les  moyens  d'être  heureux  après  la  mort.  Les  inquiétudes,  les 
passions  des  spiritualistes  ne  tioublaient  en  rien  ces  marchands. 
Le  gain,  les  joies  positives,  celles  que  procurent  le  luxe,  le  lucre, 
voilà  ce  qu'ils  aimaient,  et,  fuyant  le  mysticisme  qu'ils  esti- 
maient improductif,  ils  l'excusaient,  le  toléraient  chez  les  autres 
comme  une  douce  manie  sans  conséquence.  Pourvu  qu'on  res- 
pectât le  secret  de  ses  conseils  et  les  ambitions  de  son  négoce, 
la  sérénissime  république  permettait  aux  voyageurs  et  aux  mé- 
tèques, qu'ils  fussent  pour  ou  contre  le  pape,  d'entrer  et  de 
s'étabhr.  Seul  Caraffa,  le  futur  Paul  IV,  a^ors  légat  pontifical, 
se  plaignait  de  cette  indulgence,  et  dénonçait  les  suspects.  La 
\nlle  en  abritait  plus  d'un,  et  l'on  pouvait  citer,  notamment. 
Paolo  Vergerio,  évêque  d'Istria,  et  Antonio  Bruccioli  qui  avait, 
en  1534,  publié  une  traduction  de  la  Bible  en  italien.  Puisque 
\^enise  souffrait  leur  présence,  Marot  avait  le  droit  d'espérer 
qu'on  l'accueillerait  aussi.  Il  prit  donc  congé  de  Renée  de  France, 
et  lui  expo.- a,  dans  une  épître,  les  trop  bonnes  raisons  qu'il  avait 
de  s'éloigner.  Mais,  ajoutait-il,  où  que  j'aille,  et  quand  même 
ce  serait  au  bout  du  monde,  je  n'oublierai  jamais  la  princesse 
qui  m'a  gardé  en  sa  bergerie  «  lorsque  les  loups  me  vouloient 
dévorer  »,  et  —  8U  delà  des  monts,  des  plaines,  de  «  la  grant 
mer  »  largement  épandue  v^  je  continuerai  à  servir  le  beau  lis 
planté  parmi  les  épines,  l'ange  qui  règne  sur  des  méchants. 

337.  Ce  fut  peut-être  avec  l'ambassadeur  Georges  d'Arma- 
gnac, qui  se  trouvait  en  juin  à  Ferrare,  que  le  poète  partit  pour 
Venise.  Arrivé  dans  cette  \n]]e,  il  commença  par  la  \àsiter, 
puis,  ayant  résumé  ses  impressions  dans  une  pittoresque  et  très 
vigoureuse  épître,  il  l'envoya  (juillet  1536)  à  la  duchesse  Re- 
née. Une  épître,  non  ;  un  pamphlet  plutôt.  On  ne  saurait  lire 
ce  texte  sans  se  rappeler  à  l'instant  l'un  des  meilleurs  sonnets 
des  Regrets.  Parlant  des  Vénitiens  à  Olivier  de  Magny,  Joachim 
Du  Bellay  se  moque  de  ces  «  coyons  magnifiques  »,  de  leur  gra- 
vifé,  de  leur  faste,  de  leur  «  vi\Te  solitaire  ;>,  des  airs  d'augures 
qu'ils  affectent  en  traînant  leurs  amples  «  robbes  a  grand  man- 
che »  et  de  ce  titre  de  maris  de  la  mer  qu'ils  s'obstinent  à  por- 
ter, comme  si  Thétis,  en  prodiguant  ses  faveurs  au  Turc,  n'avait 
pas  fait  d'eux,  ouvertement,  un  peuple  de  "  vieux  cocus  ».  Marot 
n'est  guère  plus  indulgent  :  mais,  parce  qu'il  s'adresse  à  une 
femme  pour  qui  le  monde  intérieur  existe,  ses  critiques  sont 
d'une  autre  sorte.  A  la  vérité,  il  ne  songe  pas  à  nier  la  splen- 
deur de  cette  cité  bâtie  sur  les  eaux  ;  il  admire  ce  qu'elle  a  d'é- 
trange et  de  somptueux  ;  il  salue  en  elle  un  chef-d'œuvre  de 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  233 

l'industrie  humaine,  et  s'étonne  au  spectacle  de  ce  que  peuvent 
la  patience  et  la  volonté.  Ni  la  place  Saint-Marc,  ni  les  canaux, 
ni  les  palais,  ni  les  chevaux  de  bronze,  ni  l'arsenal  ne  le  lais- 
sent froid,  et  il  avoue  qu'il  n'existe  nulle  part  un  tel  ensemble 
de  monuments,  tant  de  merveilles  créées  pour  ravir  les  yeux 
et  l'esprit...  Oui,  mais  aux  gens  qui  ont  construit  tout  cela, 
à  ces  banquiers,  à  ces  armateurs  si  riches,  il  manque  cependant 
quelque  chose  :  ils  n'ont  point  d'âme,  ou,  du  moins,  ils  ne  sont 
pas  soigûeux  de  l'âme  qu'ils  ont. 

338.  L'exemple  de  Rome,  «  la  paillarde  meretrice  »,  les  a  con- 
duits à  croire  qu'd  suffisait,  pour  gagner  le  ciel,  d'édifier  des 
temples  à  grands  frais,  de  dépenser  beaucoup  d'argent  en  théâ- 
trales cérémonies  et  de  multiplier,  tout  comme  si  l'on  pouvait 
figurer  l'inconnaissable,  les  images  de  la  divinité.  Ainsi,  retour- 
nant au  paganisme,  les  Vénitiens  adorent  le  bois  et  le  marbre, 
brûlent  de  l'encens  devant  leurs  idoles,  et  s'imaginent  avoir 
fait  leur  salut  dès  que,  par  des  chants,  des  gestes  et  des  «  my- 
nes  )\  ils  ont  honoré,  apaisé  les  fétiches.  Erreur  grossière  !  Ils 
ne  savent  pas,  ces  trafiquants,  que  leurs  châsses,  leurs  tableaux, 
leurs  cathédrales  sont  des  œuvres  mortes,  et  qu'il  n'existe  qu'un 
sanctuaire  :  le  cœur  fidèle.  Quel  abîme  entre  la  foi  et  les  rites  ! 
On  ne  le  voit  que  trop  en  cette  ville  où  la  piété  ne  consiste  qu'en 
signes.  Les  statues  y  reluisent,  couvertes  d'or,  tandis  que  les 
pauvTes  gémissent  tout  nus  dans  la  poussière.  La  vraie  patronne, 
la  déesse  éponyme  d'une  telle  cité,  c'est  Vénus.  Vénus,  Venise. 
Venise,  comme  Vénus,  est  sortie  de  la  mer,  et  c'est  pourquoi 
la  prêtresse  de  Vénus,  la  courtisane  «  esventée  et  publicque  ->, 
règne  et  triomphe  à  Venise  où  pei  sonne  ne  tient  compte  de 
la  vertu  ni  de  la  pudeur.  Ne  cherchez  donc  pas,  en  ce  milieu,  «  la 
belle  Christine  %  la  jeune  et  chaste  Église  de  Jésus,  celle  qui 
ne  porte  ni  crosse  ni  mitre,  qui  ne  vend  rien,  ne  prend  rien,  et 
ne  ment  pas  lorsqu'elle  dit  :  Mon  royaume  n'est  pas  de  ce 
monde. 

339.  Voilà  ce  que,  sûr  de  plaire  à  la  princesse  «  deux  foys 
née  »,  son  ancien  secrétaire  lui  écrit.  En  terminant  sa  lettre, 
il  la  supplie  de  garder  son  souvenir,  et  nous  arrivons  ici  à  l'adieu 
définitif.  Les  routes  de  la  dame  royale  et  du  poète  ne  se  croi- 
seront plus,  et  ils  vont,  chacun  de  son  côté  et  dans  sa  sphère, 
souffrir  longtemps  encore  pour  la  même  cause.  On  sait,  en  effet, 
que  Renée  mena  jusqu'au  bout  ce  qu'elle  croyait  être  le  bon 
combat.  Les  deux  partis  en  lutte  se  disputaient  son  âme,  et, 
tandis  que  les  papistes  l'invitaient  à  ouïr  les  homélies  d'un  pré- 
dicateur qui  s'appelait  maître  François,  Calvin  lui  conseillait 
(1541)  de  chasser  au  loin  cet  homme  qui  ne  songeait  qu'à  «  rem- 


234  CLÉMENT  MA  ROT  ET  SON  ÉCOLE 

plyr  son  bissac  »,  tournait  «  en  farce  »  les  choses  saintes,  et  dont 
les  paroles  et  les  serments  n'étaient  pas  dignes  de  plus  d'atten- 
tion que  n'en  mérite  «  le  chant  d'une  pie  ».  Ainsi  démasqué, 
maître  François  ne  risquait  pas  de  convertir  la  duchesse.  Au 
reste,  ses  convictions  s'enracinaient  et  s'affermissaient  de  jour 
en  jour.  Le  24  octobre  1542.  écrivant  à  Henri  Bullinger,  «  an- 
tistes  »  de  l'Église  de  Zurich,  pour  lui  recommander  Celio  Se- 
condo  Curione,  elle  lui  déclare  expressément  :  Nous  vous  offrons, 
à  vous  et  à  vos  amis,  Notre  assistance,  et  voulons  être  prête  à  vous 
servir.  Souvent  elle  consulte  Calvin  ;  elle  le  prie  de  lui  envoyer 
un  bon  ministre  (ce  fut  François  de  Morel  qui  fut  choisi)  et 
deux  gouvernantes,  deux  veuves  d'au  moins  cinquante  ans, 
mais  de  vraies  veuves  selon  saint  Paul  [I.  Tim.,  V,  3-16],  «  say- 
nes  et  fortes,...  sobres  de  parolles,...  point  caquetaresses  », 
vêtues  de  serge  noire,  d'  «  honnestes  robbes  rondes  a  hault  col- 
let ».  On  se  figure  l'humeur  d'Hercule  d'Esté  à  la  pensée  de 
voir  débarquer  cette  duègne  (Calvin  n'en  trouva  qu'une)  et  ce 
pasteur.  Le  ménage,  on  le  devine,  allait  de  mal  en  pis,  et  une 
crise  était  imminente.  Elle  éclata  le  7  septembre  1554.  Ce  jour- 
là,  poussé  par  Jules  III  et  par  Henri  II,  le  duc  fit  arrêter  sa 
femme  comme  hérétique,  la  sépara  de  ses  enfants,  l'arracha  à 
son  palais,  et  la  tint  captive  au  Vieux  Château  d'Esté.  Il  lui 
fallut,  pour  sortir  de  là,  consentir  à  un  simulacre  d'abjuration, 
se  réconcilier  en  apparence  avec  la  messe,  chose  qui  lui  coûta 
beaucoup  et  qui  fut  suivie  d'un  long  repentir. 

340.  La  mort  de  son  mari  affranchit  Renée.  Les  chefs  de  son 
parti  auraient  souhaité  qu'elle  restât  à  Ferrare  :  mais  elle  n'y 
consentit  point.  Api  es  avoir  quitté  l'Italie  (2  septembre  1560), 
elle  se  rendit  à  Orléans  où  la  cour  était  alors,  puis,  le  13  janvier 
1561,  elle  se  fixa  à  Montargis.  Le  manoir  qu'elle  y  possédait 
fut  changé  par  elle  en  forteresse,  et  devint  l'asile  des  persécu- 
tés. Nulle  maison,  proclame  Calvin,  ne  méritait  mieux  le  beau 
nom  à' hôtel-Dieu.  «  Plus  de  trois  cents  bouches  »,  au  témoi- 
gnage de  Brantôme,  étaient  nourries  là,  et  il  s'y  rassemblait, 
aux  heures  sombres,  «  une  infinité  de  peuple  de  ceux  de  la  reli- 
gion ».  François  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  gendre  et  ennemi 
intime  de  Renée,  songea,  après  la  bataille  de  Dreux,  à  s'empa- 
rer de  sa  belle-mère,  et,  «  veuille  ou  non  veuille  »,  à  la  mener 
ailleurs.  Mais  il  ne  réussit  pas  à  l'effrayer,  et  elle  le  menaça  de 
monter  la  première  sur  la  brèche  et  d'offrir  comme  cible  aux 
assaillants  la  poitrine  d'une  fille  de  roi.  Le  meurtre  de  ce  même 
duc  de  Guise  (février  1563)  excita  en  elle  des  sentiments  con- 
tradictoires :  d'une  part,  loin  de  le  regretter,  elle  voyait  en  sa 
mort  un  coup  du  ciel  ;  d'un  autre  côté,  l'esprit  de  famille,  la 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  235 

charité  lui  rendaient  intolérables  les  imprécations  des  hugue- 
nots qui  vouaient  à  l'enfer,  corps  et  âme,  l'homme  de  Vassy. 
Cas  de  conscience  troublant.  Fallait-il  pleurer  le  gendre  ou  mau- 
dire la  mémoire  du  nouvel  Hérode  ?  La  pieuse  duchesse  recou- 
rut à  l'oracle  de  Genève.  Laissez  donc,  répondit-il,  le  coupable 
à  son  juge  !  Prétendre  qu'il  soit  damné,  «  c'est  aller  trop  avant  ». 
Point  d'anathèmes  ni  de  prières  !  Ne  vous  mêlez  pas  de  la  sen- 
tence, et  haïssez  le  crime,  non  le  criminel.  L'avis  était  sage,  et 
l'on  aime  à  croire  qu'il  fut  suivi...  L'une  des  dernières  lettres 
de  Calvin  (4  avril  1564)  est  adressée  à  Renée.  Elle  mourut  onze 
ans  après  le  réformateur,  le  dimanche  12  juin  1575. 

341.  Mais  Marot  attend  à  Venise,  et  il  faut  l'y  rejoindre  main- 
tenant... Isolé  en  cette  ville  qui,  nous  l'avons  dit,  lui  déplaisait, 
il  regrettait  FeiTare,  languissait  mélancolique,  et  s'efforçait  de 
passer  inaperçu.  Néanmoins,  bien  que  souffrant  plus  que  jamais 
de  la  pauvreté  et  de  l'exil,  il  se  faisait  une  loi,  à  certains  jours, 
de  paraître  content  et  de  sourire  malgré  tout.  Cette  gaieté  fein- 
te, cet  air  de  confiance  s'observent,  notamment,  dans  un  coq-à- 
l'âne  envoyé,  le  31  juillet  1536,  à  Lyon  Jamet.  J'ai  déjà  parlé 
de  cette  pièce  où  le  poète  raconte  d'une  manière  caustique  et 
enjouée  [v.  136-162]  sa  fuite  après  l'affaire  des  placards.  Le 
reste  de  l'œuvre  a  moins  de  valeur,  et  j  e  ne  vois  que  trois  points 
à  signaler.  D'abord,  Clément  accable  sous  un  véritable  déluge 
d'invectives  deux  personnages  qu'il  ne  nomme  pas.  Le  premier, 
«  ce  malheureux  asnier  »,  pourrait  bien  être  soit  Noël  Béda,  soit 
plutôt  l'abbé  de  Saint-Evroult,  le  maître  de  François  Sagon  ; 
le  deuxième,  un  «  gros  vilain  marault  »,  un  «  traistre  plein  de 
vanité  »  et  pire  que  Barabbas  ou  Judas,  c'est  l'auteur  même  du 
Coupd'essay...  On  lit  ensuite,  aux  vers  175-181,  quelques  mots 
relatifs  à  l'invasion  de  la  Provence  par  les  Impériaux,  et  la 
mention  de  cet  événement  amène  enfin  une  raillerie  froide  et 
de  mauvais  goût.  Elle  vise  tous  ceux  qui  risquent  leur  peau  à  la 
guerre,  et  développe  une  idée  malsaine  :  Fi  de  mourir  pour  la 
gloire!  (Et  pour  quoi  mourir,  alors  ?)  Conservons-nous  !  ordonne 
Marot.  Le  moindre  petit  boulet  qui  vous  traverse  le  corps  vous 
met  hors  d'état  «  de  j  amais  boyre  »,  et,  f  ussiez-vous  gentilhomme, 
si  vous  recevez  un  bon  coup  sur  l'œil,  vous  voilà  borgne.  L'ex- 
cuse de  celui  qui  débitait  de  tels  propos,  à  la  fois  lâches  et  fades, 
c'est  que,  vaillant  lui-même  et  bien  souvent  téméraire,  il  se 
bornait  à  traiter,  en  somme,  un  thème  traditionnel.  BasseUn 
soutient,  lui  aussi,  qu'il  vaut  mieux  se  remplir  de  cidre  à  l'au- 
berge «  qu'aller  sur  un  rempart  faire  la  sentinelle  »,  et  cette 
laide  sagesse  d'ivrogne,  Scarron,  à  son  tour,  la  prêchera  cvTii- 
quement  dans  l'une  de  ses  chansons. 


236  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

342.  Le  coq-à-l'âne  dont  je  viens  de  parler  se  termine  par 
un  distique  évidemment  peu  sincère  : 

C'est  ainsi  que  Clément  devise, 
Vivant  en  paix  dedans  Venise. 

Oui  ne  croirait,  d'après  cette  phrase,  que  le  banni  ne  demande 
qu'à  finir  ses  jours  là  où  il  est,  puisqu'il  jouit,  à  l'entendre, 
d'une  sécurité  entière  ?  Mais  pour  comprendre  à  quel  point 
il  s'en  fallait  qu'il  se  sentît  heureux  et  tranquille  chez  les  Véni- 
tiens, il  suffira  d'opposer  aux  vers  destinés  à  son  ami  Lyon 
l'épître  qu'il  adressait,  presque  au  même  moment,  à  François 
pr.  Ici,  tout  change  :  le  ton  est  pathétique  ;  l'auteur,  contre 
son  habitude,  ne  risque  plus  la  moindre  plaisanterie  ;  il  dépeint 
l'abandon  où  chacun  le  laisse  depuis  sa  disgrâce  ;  il  cesse  de 
dire  :  je  vis  en  paix,  et,  loin  de  nier  sa  nostalgie,  il  évoque  les 
paysages  de  France,  il  songe  à  sa  «  maison  désolée  »  et  à  son 
«  petit  et  povTe  parentage  ».  Ce  sont  déjà,  avec  un  art  moins 
discret,  moins  accompli,  les  accents  de  Du  Bellay.  Celui-ci  ne 
se  livrera  qu'à  demi  ;  le  goût  de  la  mesure,  une  instinctive  pu- 
deur l'empêcheront  de  nous  dévoiler  tout  son  chagrin,  et  ses 
plaintes  ne  franchiront  pas  les  bornes  d'une  mélancolie  conte- 
nue et  surv^eillée.  Marot,  au  contraire,  tâche  d'exprimer  l'excès 
de  sa  tristesse,  la  violence  de  ses  regrets  et  de  son  désir,  en  sorte 
que  cette  partie  de  la  lettre  s'élève  au-dessus  du  style  épisto- 
laire  et,  par  le  mouvement  et  les  images,  se  rapproche  du  lyrisme 
et  de  l'ode. 

343.  Ah,  soupire  le  poète,  que  n'ai-je  le  cheval  Pégase,  les 
di-agons  qui  transportaient  de  ciel  en  ciel  la  magicienne  Mé- 
dée.  les  ailes  de  Persée  ou  de  Dédale  !  J'irais,  je  volerais  droit 
en  France,  et  là, 

Pendant  en  l'air,  planant   comme  un  gerfault, 

je  contemplerais  les  sites  que  j'aime,  la  terre  de  ma  patrie, 
mon  roi,  mon  toit...  Hélas,  ce  n'est  qu'un  rêve,  un  souhait  d'en- 
fant. L'exilé  n'a  pas  d'hippogriffe  ;  les  plumes  de  Dédale,  il 
ne  les  possède  point,  et,  lié  au  sol,  il  ne  saurait  prendre  son  essor. 
Oui  donc,  d'un  coup  de  baguette,  le  changera  en  oiseau  ?  Fran- 
çois 1er,  pour  opérer  la  métamorphose,  n'aurait  qu'un  geste  à 
faire,  qu'un  mot  à  dire.  Clément,  ce  mot  prononcé,  aurait  le 
droit  de  franchir  les  monts,  et  il  arriverait  comme  une  flèche. 
Mais  c'est  trop  prétendre,  et  il  demande  moins.  Si  on  refuse 
de  le  rappeler  pour  toujours,  qu'on  lui  accorde,  afin  qu'il  aille 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  237 

voir  ses  enfants  et  mettre  ordre  aux  choses  qu'il  a  laissées  en 
souffrance,  un  sauf-conduit  pour  six  mois.  Ce  n'est  pas  là  une 
grande  faveur  ;  il  n'aspire,  cependant,  à  rien  de  plus.  Je  le  crois 
bien.  Il  n'ignorait  pas  que  les  six  mois  n'auraient  jamais  de 
fin,  qu'ils  seraient  suivis  de  six  puis  de  six  autres,  et  qu'on  n'au- 
rait pas  le  cœur  de  le  contraindre,  une  fois  rentré,  à  repartir. 

344.  Le  sauf-conduit,  en  conséquence,  était  à  ses  yeux  un 
moyen  subtil  de  reconquérir,  sans  bruit  et  par  degrés,  sa  posi- 
tion à  la  cour.  Dès  lors,  on  s'explique  aisément  l'importance 
qu'il  attachait  à  ce  bout  de  papier,  à  cette  «  escripture  »  qui 
lui  aurait  ouvert  la  frontière,  et  l'on  ne  s'étonne  pas  de  le 
voir,  tant  il  avait  peur  de  ne  pas  réussir,  rimer  une  seconde 
requête  et  la  présenter  au  fils  du  roi.  Mais,  bien  qu'elle  vise  le 
même  but,  l'épître  au  dauphin  François  ne  ressemble  guère  à 
la  précédente.  L'adressant  à  un  prince  de  dix-neuf  ans,  l'auteur 
a  voulu  qu'elle  fût  joyeuse,  et  c'est  avec  désinvolture,  sans 
aucune  plainte  et  sans  aigreur,  qu'il  formule  sa  prière.  Pour 
que  je  puisse,  dit-il,  embrasser  «  mes  petits  Maroteaulx  »,  plaise 
à  votre  père  de  m 'autoriser  à  revenir,  et  s'il  estime  que  six  mois, 
c'est  trop,  eh  bien,  qu'il  me  donne  «  demy  an  ».  D'ailleurs,  s'il 
désirait  absolument  me  garder,  je  ne  refuserais  pas,  car  on  doit 
obéir  à  son  maître.  Il  n'aurait  pas  tort,  allez,  de  me  rendre  ma 
place  auprès  de  lui  :  je  suis  tellement  sage,  maintenant  !  Les 
Lombards  m'ont  enseigné  à  me  conduire...  Et,  de  nouveau,  il 
parle  comme  parlera  Du  Bellay.  Celui-ci,  en  deux  sonnets  acé- 
rés, avoue  qu'il  n'a  rien  appris  à  Rome,  sinon  à  affecter  une 
mine  grave,  à  réprimer  les  effusions  d'une  âme  libre  et  sincère, 
à  s'abriter  sous  le  voile  glacé  de  la  politesse,  à  se  retrancher  der- 
rière les  vagues  et  fuyants  E  cosi,  à  accueillir  chacun  avec  un 
sourire  et  à  «  respondre  de  la  teste  ».  Cette  dernière  expres- 
sion, elle  se  trouve  déjà  chez  Clément.  «  Je  responds  de  la  teste  », 
déclare-t-il.  A  quoi  il  ajoute  qu'il  poltronise,  qu'il  ne  prononce 
un  mot  qu'après  avoir  réfléchi  une  heure,  et  que  ni  Dieu  ni 
la  religion  ne  figurent  plus  dans  ses  discours.  Un  homme  si 
plein  de  circonspection,  qui  déguise  «  depuis  un  peu  »  sa  pensée 
et  connaît  à  présent  le  prix  du  silence,  n'apportera  en  France 
aucun  trouble.  Ou  bien  il  se  taira,  ou  bien,  s'il  lui  arrive  de  des- 
serrer les  dents,  ce  sera  pour  célébrer  les  fleurs  de  lis.  Déjà  il 
médite  «  un  œuvre  exquis  »,  des  vers  qui  feront  «  vivre  sans 
fin  »  le  roi  et  le  fils  du  roi. 

345.  Perspective  engageante.  Mais,  en  attendant  de  vivre  sans 
fin,  le  dauphin  François  mourait  à  Tournon,  le  lo  août  1536. 
Se  refusant  à  admettre  que  l'héritier  du  trône  ait  été,  en  quel- 
ques jours  et  comme  un  simple  mortel,  enlevé  par  une  pneu- 


238  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

monie,  la  cour  et  le  peuple  aimèrent  mieux  croire  qu'il  avait 
été  empoisonné.  Le  chœur  entier  des  poètes  adopta  cette  hypo- 
thèse émouvante,  et  lança  contre  l'assassin  présumé,  Sébastian© 
de  Montecuculi,  mille  imprécations  en  français  et  en  latin.  Ma- 
rot  ne  resta  pas  en  arrière,  et  composa,  lui  aussi,  une  épitaphe. 
Elle  est  exactement  ce  qu'elle  pouvait  et  devait  être.  «  Fran- 
çoys,  filz  de  Françoys  »  y  est  glorifié  suivant  le  rite  :  la  nature 
lui  avait  donné  une  haute  taille  ;  il  tenait  du  ciel  «  un  esprit 
bien  posé  »  ;  il  eût  été  un  excellent  capitaine  si  un  criminel, 
obéissant  à  la  volonté  «  d'autrui  »  (comprenez  de  Charles-Ouint), 
ne  l'avait  pas  occis  méchamment.  Il  a  perdu,  à  cause  de  ce 
forfait,  la  couronne  que  son  père  lui  aurait  transmise  :  mais 
cesse  de  pleurer,  passant,  car  Dieu  lui  en  offre  une  plus  belle. 

346.  Son  épître  au  dauphin  étant  devenue  inutile,  Clément 
chercha  ailleurs  un  appui,  et  pria  sa  providence  ordinaire,  la 
très  charitable  INIarguerite,  de  tenter  une  démarche  en  sa  faveur. 
La  lettre  rimée  qu'il  lui  envoya  est,  je  pense,  ce  qu'il  a  produit 
en  sa  vie  de  plus  désolé  et  de  plus  sombre.  Manifestement,  il 
est  à  bout  de  courage  et  de  patience  ;  il  pleure  de  vraies  larmes, 
et  s'épuise,  tout  vibrant,  à  découvrir  des  images  capables  de 
bien  rendre  sa  tristesse.  ((  Plante  esbranchée  »  que  le  vent  du 
malheur  a  jetée  hors  du  joli  jardin  de  France,  il  subit  autant 
d'épreuves  qu'il  y  a  de  nuances,  au  printemps,  sur  la  robe  de 
la  terre.  Ce  qu'il  a  souffert  depuis  son  exil,  il  le  rappelle  en  quel- 
ques vers  rapides  mais  dramatiques,  et  se  représente,  non  sans 
frémir  tandis  qu'il  réveille  ce  passé,  tour  à  tour  chassé  de  Blois, 
puis  de  la  maison  de  Marguerite,  puis  de  la  cour  de  Renée.  Et 
maintenant  encore,  et  plus  que  jamais,  que  de  douleurs  !  Le 
mal  du  pays,  d'abord.  Comment,  né  français,  ne  pas  l'avoir  ? 
Les  Allemands  l'ont  bien,  et  quoique  tout  manque  chez  eux, 
le  pain  et  la  grâce,  ils  aspirent  à  rentrer  dans  leur  patrie.  L'ours, 
le  lion  retournent  avec  plaisir  à  leurs  cavernes,  et  chaque  créa- 
ture ressent,  quand  elle  pense  au  sol  où  elle  a  grandi,  <*  ne  sçay 
quelle  doulceur  »  invincible.  Écoutez  le  sage  Ulysse.  A  la  nym- 
phe qui  lui  promettait,  s'il  restait  auprès  d'elle,  l'immortalité  : 
Non,  répondait-il,  je  préfère  Ithaque  et  ses  cailloux,  et  pourvu 
que,  auparavant,  j'aie  humé  l'air  de  mon  île 

Et  veu  de  loing  mon  village  fumer, 

je  subirai  volontiers  la  loi  commune,  et  descendrai  content  chez 
les  ombres. 

347.  Languir  à  l'étranger,  passe  encore  !  Mais  s'y  trouver,  de 
surcroît,  en  butte  à  la  calomnie,  à  la  haine,  c'est  vraiment  trop. 


CLKMIiNT    MAKOT    ET    SON    ÉCOLE  239 

Or,  telle  est,  depuis  qu'il  court  le  monde,  la  destinée  du  pauvre 
Clément.  Une  fatalité  inexorable  s'attache  à  lui  et  le  persécute. 
«  Je  vy  en  peine  »,  écrit-il.  Transi  et  plein  d'épouvante,  j'aper- 
çois à  chaque  pas  un  péril  ou  un  obstacle.  Pleurs  et  plaintes, 
voilà  mon  lot.  Peurs  et  doutes  ne  cessent  de  m'assaillir.  Tontes 
les  calamités  fondent  sur  moi  ;  je  ne  sais  plus  qui  je  suis  ni  où 
je  vais,  et  succombe  sous  le  faix  de  mes  ennuis.  Le  sommeil 
même,  cette  «  grant  médecine  »  qui  procure  aux  autres  des  ins- 
tants d'oubli,  ne  me  donne,  à  moi,  aucun  repos.  Mes  songes, 
prolongement  de  la  cruelle  réalité,  abondent  en  images  néfas- 
tes. Sergents,  huissiers,  bourreaux  se  dressent,  me  cherchent, 
me  saisissent  ;  un  cachot  m'enserre,  et  j'en  crois  voir  le  mur 
et  les  grilles.  Si  ce  sont,  au  contraire,  mes  joies  d'autrefois  que 
je  ranime  et  me  retrace  en  dormant,  le  contraste  m'accable  au 
réveil,  et  ces  aimables  souvenirs  du  passé  augmentent,  aggra- 
vent ma  détresse  présente...  Cette  page  est  belle.  Et  gardons- 
nous  de  dire  :  littérature,...  morceau  à  effet...  Il  n'y  a  là  ni 
mensonge  ni  exagération.  L'inquiétude  de  l'auteur  n'était  que 
trop  fondée,  car  les  Vénitiens,  moins  hospitaliers  pour  lui  qu'il 
ne  l'avait  espéré,  commençaient  à  lui  faire  grise  mine,  à  se  dé- 
partir, à  son  égard,  de  la  tolérance  dont  j'ai  parlé.  Il  signale 
lui-même  ce  revirement.  Ton  serf  (lisez  cerf),  explique-t-il  à  la 
reine  de  Navarre,  s'est  en  vain  jeté,  pour  éviter  la  meute,  dans 
«  l'estang  salle  »  de  Venise  :  les  <<  chiens  du  Pau  »  viennent  l'y 
relancer  ;  il  les  entend  déjà  qui  clabaudent,  et  ils  le  forceront 
avant  peu...  Décidément,  ce  n'est  pas  en  ItaHe  qu'il  trouvera 
le  salut.  Il  lui  faut  ou  rentrer  en  France  ou  périr.  Cela  étant, 
puisse  Marguerite  apaiser  le  roi  et  le  résoudre  enfin  à  «  desban- 
nir »  le  banni  ! 

348.  On  notera  que  rien  ne  l'eût  empêché  de  revenir,  et  mê- 
me qu'il  en  aurait  eu  le  droit  depuis  une  année  entière,  s'il  s'était 
résigné  à  se  reconnaître  coupable  d'hérésie  et  à  se  réconcilier 
publiquement  avec  l'Église  romaine.  En  effet,  «  l'ord  chance- 
lier ))  Duprat  étant  mort  le  9  juillet  1535,  on  l'avait  —  car  tout 
arrive  —  remplacé  par  un  homme  de  bien,  messire  Antoine  du 
Bourg,  et  celui-ci  avait  signé,  dès  le  jour  de  son  installation 
(16  juillet),  le  libéral  édit  de  Coucy  qui  rouvrait  les  frontières 
à  tout  exilé  pourvu  qu'il  se  fût,  avant  six  mois,  désisté  de  ses 
erreurs.  Marot  aurait  pu,  en  principe,  se  prévaloir  de  cette  am- 
nistie. Mais  soit  qu'elle  lui  parût  cacher  un  piège,  soit  qu'il 
préférât  (hypothèse  meilleure)  sa  misère  actuelle  à  la  honte 
d'abjurer,  il  ne  tint  guère  compte  de  l'édit,  et  travailla  à  être 
rappelé  sans  condition. Divers  motifs  le  poussaient  à  croire  qu'il 
aurait,  s'il  persistait,  gain  de  cause  :  la  colère  de  Fraaçois  I^^ 


240  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

s'était  calmée  ;  la  reine  Marguerite  s'employait  en  faveur  du 
poète,  et,  malgré  les  attaques  de  Sagon,  il  conservait  des  par- 
tisans. La  voix  publique  le  réclamait,  et,  parmi  les  gens  de  let- 
tres, certains  désiraient  son  retour.  Tel  Jean  Visagier.  Les  ab- 
sents, pour  lui,  n'avaient  pas  tort  ;  il  courtisait  le  malheur, 
s'honorait  en  l'honorant,  et  ne  se  lassait  pas  d'exprimer  en 
élégants  vers  latins  sa  solide  et  vaillante  affection.  Tantôt, 
s'adressant  à  la  duchesse  de  Ferrare,  il  la  remercie  d'avoir  ac- 
cueilli le  «  vates  »  gaulois  qui  fuyait  «  per  gelidas  Alpes  »  ;  tan- 
tôt il  supplie  le  souverain  de  rendre  «  hune  patriae,  huic  pa- 
triam  »  ;  ou  bien  il  prête  la  parole  à  Clément,  et  celui-ci,  en 
deux  brèves  élégies  dignes  des  Tristes  et  des  Pontiques,  s'appli- 
que à  prouver  son  innocence  à  Jean  Du  Bellay,  au  roi  lui-même. 

349.  Ces  témoignages  de  sympathie,  ces  protestations  et  d'au- 
tres semblables,  Marot,  évidemment,  ne  pouvait  les  ignorer,  et, 
parce  qu'il  se  sentait  soutenu  par  l'opinion,  il  s'imaginait  que, 
de  guerre  lasse,  on  cesserait  d'exiger  qu'il  se  rétractât  à  son 
retour.  Mais  il  s'abusait,  et  tout  porte  à  croire  qu'on  lui  fit  sa- 
voir, en  novembre  1536,  que  la  voie  était  libre,  qu'il  n'avait 
qu'à  venir,  qu'on  le  recevrait  en  enfant  prodigue,  étant,  tou- 
tefois, bien  entendu  qu'il  faudrait  abjurer  coram  populo.  Alors 
il  accepta  l'inévitable  ;  le  plaisir  de  revoir  sa  famille,  ses  amis, 
la  France,  la  cour  le  consola  en  partie  de  rhumili9.tion  qui  l'at- 
tendait ;  il  se  décida  à  ne  regarder  que  le  beau  côté  de  l'aven- 
ture, et,  célébrant  «  la  bonté  merveilleuse  »  du  roi,  il  se  mit  en 
route  sans  retard.  La  traversée  des  Alpes  était,  en  cette  fin 
d'automne,  rude  et  périlleuse.  Mais,  dans  une  épître  au  cardinal 
François  de  Tournon,  gouverneur,  depuis  le  10  octobre,  du 
Lyonnais,  le  voyageur  affirme  qu'il  n'a  «  trouvé  rien  de  dur  » 
aux  chemins.  Il  se  figurait,  parmi  la  neige  et  malgré  la  froi- 
dure, qu'un  tiède  printemps  régnait  ;  les  âpres  roches  lui  sem- 
blaient prairies,  et  les  bruyantes  eaux  des  torrents  avaient,  à 
ses  yeux,  le  charme  des  fontaines.  Se  reflétant  sur  la  nature, 
sa  joie  intérieure  la  transformait.  Les  ailes  qu'il  désirait  na- 
guère, vous  auriez  dit  qu'il  les  possédait,  et  si  grande  fut  sa 
diligence  que,  dès  les  premiers  jours  de  décembre,  il  arriva  à 
L3^on. 

350.  Là,  il  fut  accueilli  à  bras  ouverts  par  tous  ceux  qui 
aimaient  la  poésie.  Chacun  le  saluait  comme  le  chef  ou  comme 
le  Maître  ;  on  lui  fit  fête  ;  on  l'entoura.  Scève  lui  ouvrit  sa  de- 
meure, le  trouva  bon  compagnon,  et,  l'entendant  chanter,  après 
boire,  d'une  voix  agréable  mais  sans  art,  l'engagea  à  apprendre 
la  musique.  Bonaventure  des  Périers  le  complimenta  en  prose 
rythmée  et  rimée.  Eustorg  de  Beaulieu  lui  envoya,  pour     ses 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  241 

étrennes,  un  billet  assez  mal  tourné,  mais  flatteur.  «  O  homme 
de  vertu  )>,  y  lisait-on,  devant  toi  que  "  rage  et  fureur  aguë  »  ont 
voulu  perdre,  je  m'incline  très  humblement.  Attiré  par  la  se- 
crète affinité  du  malheur,  Etienne  Dolet,  lui  aussi,  offrit  à  Marot 
ses  vœux  de  nouvel  an,  et  lui  souhaita  —  active,  durable  — 
la  bienveillance  du  roi.  Quant  au  fidèle,  à  l'excellent  Visagier, 
il  triomphait,  et  son  allégresse  était  extrême.  L'exprimer  en 
une  seule  pièce,  il  ne  l'aurait  pu,  et  il  s'y  reprit,  selon  sa  mé- 
thode, à  plusieurs  fois.  Jamais  il  ne  se  fatigue  d'applaudir  en 
répétant  :  Félix  illa  dies  !  Il  invite  la  Gaule  à  essuyer,  main- 
tenant, ses  larmes  ;  il  essuie  les  siennes,  tresse  des  guirlandes, 
et  affirme  qu'il  faudrait  être  de  pierre  (saxeus)  pour  se  refu- 
ser à  faire  une  ovation  à  Clément.  Clément  a  du  génie,  et  il  est 
un  saint,  le  saint  le  plus  saint  qui  soit  au  monde  (nihil  sanctius 
711  orbe)  :  si  donc  vous  regrettez  son  retour,  ce  n'est  pas  de  l'exil 
que  vous  êtes  digne,  mais  de  la  potence  et  du  biicher. 

351.  Ainsi,  d'après  Visagier,  la  ville  de  Lyon  berçait,  ré- 
chauffait in  tenero  sinii  l'hôte  de  choix,  le  grand  homme.  Mais 
il  n'en  faut  pas  conclure  qu'il  fût  complètement  heureux.  La 
pensée  de  l'abjuration  à  faire  devait  rabattre  son  orgueil  et 
gâter  sa  joie,  car  il  avait  là  en  perspective  une  très  odieuse 
cérémonie.  On  sait  que  le  pénitent,  dépouillé  usque  ad  canii- 
siam,  était  contraint  de  restei  agenouillé  à  la  porte  de  l'église 
tandis  que  l'officiant  le  frappait  d'une  longue  verge  et  récitait 
le  psaume  Miserere  niei,  Deus.  La  flagellation  n'était  peut-être 
qu'un  simulacre,  mais  combien  cruel  !  Mieux  eût  valu  un  réel 
supplice...  On  s'explique  bien,  cela  étant,  que  M.  O.  Douen, 
qui  voyait  en  Marot  un  apôtre,  un  confesseur,  ait  essayé  de 
prouver,  avec  un  zèle  ardent  et  pieux,  qu'il  n'avait  pas  consenti 
à  abjurer,  et  que  jamais,  par  suite,  la  laide  et  si  triste  comédie 
n'avait  eu  lieu.  Vaine  ingéniosité,  peine  perdue.  C'était  là,  en 
effet,  nier  l'évidence  et  contredire  plusieurs  textes  formels. 

352.  J'en  citerai  quatre,  i»  Le  Rabats  du  caquet  de  Marot. 
On  remarque,  dans  ce  pamphlet,  quelques  venimeuses  phrases 
relatives  à  la  manière  outrageante  dont  le  poète  fut  traité  quand 
on  le  rebaptisa  en  public.  —  2^  Des  reflexions  sur  cette  même 
scène.  L'auteur,  qui  écrit  en  latin,  laisse  entendre  que  le  repen- 
tir de  l'hérétique  était  joué,  et  il  dépeint  avec  complaisance 
le  désespoir,  la  rougeur,  la  rage  des  luthériens  niarotistes  lors- 
qu'ils virent  o.  leur  dieu  »  prosterné  aux  pieds  illustrissimi  viri, 
cardinalis  Tiinionensis.  —  3°  Daté  du  14  décembre  1536,  un 
billet  du  cardinal  en  question.  S'adressant  à  Anne  de  Montmo- 
rency, François  de  Tournon  assure  que  Clément  renonce  à  ses 
erreurs  passées,  qu'il  a  «  bonne  envie  de  vivre  en  bon  chres- 

('.k-nieiit  .Marot  ot  s"ii  i-colu  10 


242  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

tien  »  et  qu'il  mérite  d'être  bien  reçu  par  le  roi  «  après  l'abju- 
ration faicte  ».  —  4°  Et  si  on  demandait  une  preuve  encore, 
Marot  en  personne  la  fournirait.  Elle  se  dégage,  irréfutable, 
d'un  passage  souvent  allégué  : 

Va,  Lyon,  que  Dieu  te  gouverne  ! 
Assez  longtemps  s'est  esbatu 
Le  petit  chien  en  ta  caverne, 
Que  devant  toy  on  a  batu. 

Il  y  a  là  des  allusions  au  plus  haut  point  transparentes.  Appli- 
quant à  son  propre  cas  une  expression  iigurée  (battre  le  chien 
devant  le  lion),  notre  homme  désigne  par  le  mot  lion  les  Lyon- 
nais témoins  de  sa  honte,  puis  avoue,  confus  et  mélancolique  : 
le  pauvre  «  petit  chien  »,  c'était  moi. 

353.  Après  cette  réconciliation  qui  le  laissait  plus  hostile  que 
jamais,  moins  sympathique  et  très  amoindri,  il  voulut  toucher 
le  prix  du  reniement,  c'est-à-dire  aller  \dte  à  la  cour,  retrouver 
sa  place,  ses  gages,  la  faveur  royale.  Mais,  pour  qu'on  ne  l'accu- 
sât point  d'être  ingrat,  il  résolut  de  payer,  avant  de  se  remettre 
en  route,  l'hospitalité  qu'il  avait  reçue,  et  composa  [G.  III, 
551]  les  Adieux  à  la  ville  de  Lyon,  l'une  des  meilleures  choses 
qui  soient  sorties  de  sa  plume.  Le  vers  36  de  cette  pièce  nous 
renseigne  sur  la  direction  qu'il  comptait  prendre,  et  nous  an- 
nonce qu'il  partait  pour  Paris.  Il  y  arriva  à  la  fin  de  janvier 
ou  en  février  1537.  A  peine  débarqué,  il  rima  son  admirable 
Dieu-gard  à  la  court,  dont  la  première  phrase,  vrai  cri  de  triom 
phe. 

Vienne  la  moit  quand  bon  luy  semblera  !  ... 

rappelle  le  cantique  de  Siméon...  Les  vœux  de  Marot  sont  exau- 
cés, et  il  déclare,  mauvais  prophète,  qu'il  a  maintenant  vaincu 
la  fortune,  et  que  l'adverbité  ne  peut  plus  l'atteindre.  Il  salue, 
avec  l'enthousiasme  de  l'entière  confiance  et  du  bonheur,  son 
maître,  «  le  plus  doulx  roy  «  du  monde,  le  dauphin  et  son  frère, 
la  France  qu'il  décore  du  titre  éclatant  de  «ro3me  sacrée  »,  Mar- 
guerite «  pleine  de  dons  exquis  »,  toutes  les  dames,  «  (oute  la 
fleur  de  lys  »,  tous  ceux  qui,  pour  cette  fleur,  combattent,  veil- 
lent, conseillent.  A  quoi  il  ajoute  —  pensée  émouvante,  noble 
inspiration  du  cœur  —  que,  n'ayant  plus  de  haine  ni  de  ran- 
cune, il  pardonne  à  ceux  qui  ne  l'aiment  pas,  et  leur  tend  la 
main,  à  eux  aussi...  Comme  la  prospérité  nous  aveugle  !  Le 
poète,  parce  qu'il  s'engage  à  être  généreux,  croit  que  ses  enne- 
mis désarmeront  à  leur  tour.  C'est  le  contraire  qui  se  produira. 
Sa  joie,  son  indulgence  vont  les  rendre  implacables,  et  il  devra 
lui-même  renoncer  à  la  paix,  lutter  de  nouveau,  répondre  aux 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  243 

coups  par  des  coups.  Qu'y  faire  ?  Nos  meilleures  intentions  sui- 
vent le  flux  et  le  reflux,  le  rythme  de  chaque  destinée  ;  elles 
reflètent  le  jour  qui  passe,  et,  selon  qu'il  nous  traite  bien  ou 
mal,  la  conscience  les  forme  ou  les  oublie. 


BIBLIOGRAPHIE  ET  REFERENCES 

282-285.  Bourgeois  de  Paris,  358,  379-386. 

286.  Ibid.,  381.  —  G.  I,  214-217  ;  III,  298-300. 

287.  G.  III,  302,  445. 

288.  G.  III,  443-444.  — Becker,  op.  cit.,  XLII,  113. 

289.  Id.,  ibid.,  iio.  —  G.  III,  323-324.  —  M.  239,241. 

290.  G.  III,  444-445.  —  M.  239.  —  G.  III,  323,  v.  25. 

291.  G.  III,  312,  V.  55-60.  — 7^.,  ibid.,  281-284. 

292.  Sur  Renée  de  France  consultez  1°  Brantôme  [Lalanne],  Des  Dames,  VIII,  108  • 
113  ;  2°  Fontana,  Renata  di  Francia,  duchessa  di  Fer-rara.  Roma,  Forzani,  1 889-1 899. 
Trois  vol.  ;  3°  Emmanuel  Rodocanachi,  Une  protectrice  de  la  Réforme  en  Italie  et  en 
France:  Renée  de  France,  duchesse  deFerrare.PanSjOUendorf,  1896  ;4°  E.  Doumergue, 
Jean  Calvin,  les  hommes  et  les  choses  de  son  temps.  T.  II  (Lausanne,  Bridel,  1902), 
pp.  13  sqq. 

293.  On  trouvera,  dans  les  Ruisseaux  de  Fontaine  (Lyon,  1555,  pp.  46-48)  une  épitre 
de  Fontaine  A  madame  Renée  de  France.  La  petite  fontaine,  écrit-il,  vient  de  gravir 
«  maint  mont  »  (absurde  image  !)  «  pour  saluer  ta  hautesse  ».  Puisque  les  marchands 
vont  jusqu'aux  Indes  chercher  des  perles,  mon  voyage  vers  toi  n'a  rien  d'étonnant. 
Jésus  a  construit  ici,  par  tes  mains,  un  temple  de  pierre  vive,  plus  beau,  plus  saint 
que  celui  de  Salomon.  Qui  ne  voudrait  visiter  ce  temple  ?...  A  noter  que  le  rimeur 
s'approprie  de  son  mieux  les  idées  de  la  duchesse,  et  qu'il  s'efforce  de  parler  le  patois 
de  Chanaan.  —  Sur  Marot,  secrétaire  de  Renée,  cf.  G.  I,  232-233. 

294.  Jules  Bonnet,  Clément  Marot  à  la  cour  de  Ferrure,  {Bulletin  histor.  et  litt.  de  la 
Soc.  de  l'hist.  du  Protestantisme  fr.,  t.  XXI,  1872,  pp.  159  sqq.)  —  Michelle  de  Sau- 
BONNE  :  G.  III,  388,  n,  I  et  mon  tome  I,  §  §  359,  463.  —  Anne  de  Parthenay,  Dame 
DE  Pons  :  G.  III,  313,  n.  i  ;  Doumergue,  Jean  Calvin,  II,  41-44.  —  Renée  de  Par- 
thenay :  M.  161-163. 

295.  J.  Bonnet,  op.  cit.,  164-166.  — J.  II,  234,  n"  XXIII.  —  Doumergue,  op.  cit., 
5  sqq. 

296.  Fontana,  Renata  di  Francia,  1,  243. 
298.  G.  m,  307-312. 

300-316.  I.  Les  blasons  parurent  d'abord,  avec  le  recueil  intitulé  Fleurs  de  Poésie 
françoise,  dans  la  2^  édition  de  V  H  écatomphile  de  Léon  Battista  Alberti  ;  Lyon,  François 
Juste,  1537.  —  1 1.  S'ensuivent  les  Blasons  Anatomiques  du  corps  femenin,  Ensemble 
les  contreblasons,  de  nouveau  composez,  et  aditionnez.  Avec  les  figures,  le  tout  mis  par 
ordre.  Composez  par  plusieurs  Poètes  contemporains.  Avec  la  table  desdictz  Blasons  et 
contreblasons.  Imprimez  en  ceste  Année.  Pour  Charles  VAngelier.  1550.  —  III.  Méon, 
Blasons,  poésies  des  XV'  et  XVI^  s.,  imprimés  ou  mss.  ;  Paris,  1807. —  IV.  Blasons 
anatomiques  du  corps  féminin,  publiés  sur  l'édition  de  1550  avec  un  avant-propos,  des 
notes  et  un  glossaire  par  le  bibliophile  Ad**  £***  ;  Paris,  Sansot,  1907.  (Je  me  suis  servi 
de  ce  dernier  texte,  et  c'est  à  lui  que  je  renvoie.) 

Z^\.  Blasons  (1907),  pp.  15,  20,  23,  26,  29,  33. 

302.  Ibid.,  18,  19,  22,  40. 

ifSZ.Ihid.,  38,  69,  71,  77.  —  Œuvres  poétiques  de  J.  Pelcticr  du  Mans  (édition  Séché), 
p.  115.  Peletier  a  composé  aussi  {Ibid.,  118)  un  Contrcblason  du  cueur  qu'il  a  soumis  au 
jugement  de  Marot  :  «  Te  plaist  il  bien,  Marot,  en  ceste  forme  ?  » 


244  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

3C4 .  G .  III,  400-409.  —  Sur  Maurice  Scève  et  son  blason  du  Sourcil,  cf.  encore  loannis 
VuUeii...  Epigrammatumlibri  IIII,  p.  244. 

306.BlasonsdeChappuys:o^.ct7.,46,  48,  52,  53.  — Blason  de  Bochetel  :  ibid.,  50.  — 
Le  Sacre  et  Coronnement  de  la  royne  imprimés  par  le  commandement  du  roy  nostre  sire  ; 
Paris,  Geoffroy  Tory,  1530.  In-40.  —  Ventrée  de  la  royne  en  sa  ville  et  cité  de  Paris, 
imprimé  par  le  commandement  du  roy  nostre  sire  ;  Paris,  Geoffroy  Tory,  1531.  Ia-4°. 
[Et  Bruxelles,  Van  Trigt,  1863]. —  La  traduction  de  VHécube  a  paru  à  Paris,  chez 
Robert  Estienne,  en  1550. 

307-316.  I.  Les  plus  nombreux,  les  meilleurs  renseignements  que  nous  ayons  sur  la 
biographie  d'Eustorg  de  Beaulieu  se  trouvent  dans  l'un  de  ses  premiers  ouvrages:  Les 
Divers  r  apportz.  Contenant  plusieurs  rondeaux,  dixains  et  ballades  sur  divers  propos  ; 
chansons,  epistres,  ensemble  une  du  coq  a  l'asne  et  une  aultre  au  coq  ;  sept  blasons  ana- 
tomiques  du  corps  féminin  [etc..  le  titre  a  28  lignes]...  Le  tout  composé  par  M.  Eustorg 
de  Beaulieu,  natif  de  la  ville  de  Beaulieu  au  bas  pays  du  Lymosin.  Lyon,  Pierre  de  Sainte- 
Lucie,  1537  ;  92  ff.  in-S".  (Autre  édition  :  Paris,  Alain  Lotrian,  1544.)  —  H.  Eugène  et 
Emile  Haag,  La  France  protestante  (2«  édition,  187g),  II,  col.  31-42.  —  III.  O.  Douen, 
Cl.  Marot  etle  psautier  huguenot,  I,  400-410  et  ^assîwt.  —  IV.  Herminjard,  VI,  286-289  ; 
VIII,  400-403.  —  V.  Hélène  J.  Harvitt,  Eustorg  de  Beaulieu,  a  disciple  of  Marot  ; 
Press  of  the  new  Era  printing  C°,  Lancaster,  PA  ;  1918.  Un  vol.  de  VIII-163  pages. 
Cette  monographie,  dont  il  faut  louer  la  diligente  exactitude,  est  riche  en  intéressantes 
précisions. 

308.  Divers  rapportz,  ballades  IX  et  X  ;  rondeau  LU.  —  Éloge  des  filles  de  Tulle  : 
rondeau  LXXV  et  ballade  XII. 

309.  Ibid.,  épître  III. 

310.  Ibid.,  épîtres  I  et  II. 

311.  Les  Gestes  des  Solliciteurs  j  Ou  les  lisans  pourront  cognoistre  |  Qu'est  ce  solli- 
citeur estre  [  Et  qui  sont  leurs  reformateurs.  Imprimé  à  Bourdeaulx,  le  23  de  aoust, 
l'an  1529.  Petit  in-40  goth.  de  10  ff.  On  lit  au  2«  feuillet  :  «  Les  Gestes  des  Solliciteurs 
composées  par  maistre  Eustorg  de  Beaulieu,  prestre.  »  — S'ensuyt  de  (sic)  Pater  et 
Ave  I  des  Solliciteurs  de  procès,  |  surnommez  bateurs  de  pavé,  1  de  crédit  souvent 
repoussez,  S.  l.  n.  d,  ;  4  ff.  in-40.  —  Divers  rapportz,  ballade  VIII. 

312.  Anthonye  de  Polignac  :  Divers  rapportz,  épitaphe  IV.  —  François  de  la  Tour  : 
épitaphes  I,  II  et  «  Brefve  deploration  »  du  même.  —  M^'e  de  Tournon  :  rondeau  LIV 
et  dizain  I.  —  Charles  d'Estaing  :  épître  VI.  —  Marie-Catherine  du  Perron  :  épîtreVIII. 
(C'est  ici  la  pièce  grâce  à  laquelle  Eustorg  s'est  introduit  auprès  de  cette  puissante 
dame.  Si  j'ose  vous  écrire,  lui  dit-il,  c'est  que  Charles  d'Estaing  m'y  a  poussé.  Il  la 
compare,  d'abord,  à  Hélène  et  à  Didon,  puis,  songeant  aux  aventures  fâcheuses  de 
l'une  et  de  l'autre,  il  se  rétracte  et  pr  fère  appeler  la  célèbre  Lyonnaise  une  nouvelle 
Vénus,  une  seconde  Pallas,  mais  mieux  douée.)  —  Hélène  de  Gondi  :  rondeau  LXXXV 1 1. 
—  Pomponio  Trivulce  :   dizain    IV. 

313.  Antoine  Du  Moulin  :  ibid.,  Huictain  duquel  la  première  lettre  capitale  signifie 
Anthoine,  et  les  autres  portent  son  surnom  [DVMOLIN'].  —  Marguerite  de  Navarre  : 
épître  IX.  —  Erasme  :  épitaphe  VII.  —  a  De  ceulx  qui  s'aquitent  mal  des  biens  de 
l'église  »  :  rondeaux  XXXVIII  et  suivants.  —  Charlotte  de  ^laumont  :  épître  X  du 
coq  à  l'âne.  —  Jacques  Thibault  :  épître  X I  de  l'âne  au  coq. 

314.  Pièces  morales  des  Divers  rapportz  (dans  l'ordre  oîi  mon  texte  les  présente)  :  ron- 
deaux VIII,  IX,  XV,  XXXI,  XXXVI,  X-XII,  XXIII,  XXVI,  LXII,  LXIV.  — Piè- 
ces grossières  :  rondeaux  LVIIl  [cf.  ballade  XI],  LXVII,  LXXX,  LXV-LXVI.  —  Mort 
de  la  mère  d'Eustorg  :  rondeau  LX.  —  Les  blasons  de  Beaulieu  se  lisent,  dans  l'édition 
d'.\d  =  *B  ***,  aux  pages  27,  31,  34,  36,  57,  67,  gi. 

315.  Contre  les  blasonneurs  des  membres  :  Montaiglon,  Rcc,  VI,  274-277.  —  Drusac, 
Controverses,  pp.  107  r"'-ii7  v°.  «  S'ensuyvent  442  bourdons  par  equivocques  sur  ce 
deshonneste,  villain,  et  de  très  perverse  nature,  mot  c.  n.  Suppliant  les  lysans  d'iceulx 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  245 

n'en  vouloir  mespriser,  redarguer  ne  aucunement  en  blasmer  ni  vitupérer  l'autheur 
pour  nommer  iceluy.  »  11  n'en  a  point  parlé  par  volupté,  mais  afin  de  faire  voir  «  les 
malheurs  et  povretez  »  qui  naissent  de  ce  mot  calamiteux.  [Montaiglon  se  trompe  lors- 
qu'il affirme  (Rec.W,  274,  n.  i)  que  Drusac  a  rimé,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  «  365 
rondeaux  ».  Cela  eût  donné  quelque  cinq  mille  vers.  Quatre  cent  quarante-deux  «  bour- 
dons »,  c'est  déjà  bien  joli.] 

3\6.  Jean  de  VzuzeWes,  Blason  de  la  mort  :  Recueil  d' Ad  **  B  "***,  09. —  Excuse  du 
corps  pudique  :  ibid.,  95.  (Cette  pièce,  comme  tout  ce  queBeaulieu  a  écrit  pour  défendre 
ses  blasons,  se  lit  dans  les  Divers  rapports.)  —  Le  Souverain  blason  d'honneur  à  la 
louange  du  très  digne  corps  de  Jésus-Christ.  Composé  par  Eustorg  autrement  dit  Hector 
de  Beaulieu,  Ministre  évangélique,  natif  aussi  de  la  ville  de  Beaulieu  au  bas  pays  de 
Lyniosin.  Et  extraict  d'un  sien  livre  intitulé  «  Chrestienne  resjouyssance  ».  Reven  des- 
puis et  augmenté  par  luy  mesme  comme  on  verra.  S.  /.  n.  d.;  14  ff.  in-8°.  —  Les  vers 
cités  à  la  fin  de  ce  §  316  sont  tirés  de  la  Chrestienne  resjouyssance. 

317.  G.  III,  317-320.  —  Des  Périers  [Lacour],  I,  92.  —  Ch.  Fontaine,  Ruisseaux  de 
Fontaine,  p.  182  ;  la  Fontaine  d'Amour,  livre  II  des  Épigrammes  :  «  A  Alexis  Jure,  de 
Quiers,  et  Claude  Le  Maistre,  Lyonnois.  »  La  pièce  commence  ainsi  :  u  Tous  deux  ensem- 
ble bons  amys,     Tous  deux  de  feu  Marot  aymez...  » 

318.  G.  III,  327-387.  Voyez  les  vers  140  ;  104-107  [cf.  Bourgeois  de  Paris,  393]  ; 
134-137. 

319.  Ibid.,  V.  64-67  ;  74-75  ;  24-25  ;  170-171  ;  52-55  ;  86-88  ;  —  201  ;  36-7  ;  —  35. 

320.  Ibid.,  V.  80-85  ;  20-23  ;  60-63  ;  6-7  ;  44-47  ;  76-79  ;  178-181  ;  32-33  ;  8-9. 

321.  Ibid.,  V.  118-121  ;  108-109  [«  Fault  il,  pour  un  verre  cassé,  ]  Perdre  pour  vingt 
ans  de  service  ?  »]  ;  184-185  ;  68-69  ;  148  sqq.  Cf.  la  note  du  v.  151  et  G.  III,  480. 

322.  I.  G.  m,  313-316. 

323.  II.  G.  II,  273-280.  Cette  pièce  a  paru  trop  imprudente  à  son  auteur.  Elle  ne 
figure  pas  dans  les  recueils  publiés  de  son  vivant,  et  les  éditions  imprimées  depuis  ne 
nous  donnent  pas,  avec  toutes  ses  hardiesses,  le  texte  primitif.  Un  seul  manuscrit  nous 
l'a  conservé.  On  y  découvre  [cf.  p.  278]  quelques  vers  très  mordants  :  ils  attaquent 
«  la  beste  sans  raison  »  (la  papauté),  et  la  représentent  prête  à  choir  «  atout  sa  triple 
creste  »  (la  tiare).  Destiné  à  réjouir  Renée  et  les  amis  de  Renée,  ce  passage  fut  supprimé 
plus  tard.  Nous  verrons  ailleurs  notre  Clément  atténuer  de  cette  même  façon,  avant 
de  la  soumettre  à  des  lecteurs  orthodoxes,  une  autre  épître  composée  aussi  pour  la 
duchesse  de  Ferrare. 

324-327.  III.  G.  III,  284-307. 

328.  IV.  M.  163-164. —Becker,  op.  cit.,  XLII,  120-121. 

329.  G.  I,  276-277  et  278,  n.  2. 

330.  G.  III,  388-392. 

331.  M.161-163. 

332.  Doumergue,  Jean  Calvin,  II,  47. 

333.  J.  II.,  121-126. 

334.  Foïitana,  Renata  di  Francia,  1,319.  —  G.  1,283.  —  Becker,  0^.  cî7.,  XLII,  128. 

335.  G.  I,  284. —  Becker,  130. 

336.  Jules  Bonnet,  Clément  Marot  cl  Venise  [Bulletin  histor.  et  litt.  delà  Soc.  de  l'hist. 
du  protestantisme  fr.,  XXX IV,  289-303).  —  M.  165-166, 

337-338.  G.  111,410-427.  —  Dans  la  copie  qu'il  a  faite  ou  fait  faire,  pour  le  très  catho- 
lique Montmorency,  de  cette  hardie  et  véhémente  épître,  Marot  a  pris  soin  d'adoucir 
les  critiques  et  de  les  rendre  moins  significatives.  11  s'ensuit  que  le  texte  présenté  au 
connétable  [M.  167-170]  diffère  beaucoup  de  celui  que  l'auteur  destinait  à  Renée  de 
France.  Les  passages  les  plus  énergiques,  les  plus  «  protestants  »,  ne  figurent  pas  dans 
le  ms.  de  Chantilly,  et  certains  vers  ont  été  remaniés  de  manière  à  ce  que  leur  sens 
devînt  orthodoxe  ou,  du  moins,  neutre.  C'est  ainsi  que  la  dernière  phrase  où  le  poète  se 
disait  victime  «  des  ennemys  de  la  belle  Christine  »  le  montre,  dans  le  recueil  que  M.  Maçon 
a  publié,  fuyant  «  la  fureur  et  les  ruses  |  Des  ennemys  d'Apollo  et  des  Muses  ». 


246  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

339>340.  Lettres  de  Jean  Calvin  recueillies  pour  la  première  fois  et  publiées  d'après 
les  mss.  originaux  par  Jules  Bonnet  ;  Paris,  Meyrueis,  1854  ;  2  vol.  in-S".  [  Il  y  a  douze 
lettres  à  Renée  de  France  :  I,  43  (année  1541)  ;  428  (6  août  1554)  ;  1 1,  4  (2  février  1555)  ; 
57  (10  juin  1555)  ;  215  (20  juillet  1558)  ;  337  (5  juillet  1560)  ;  368  (i6  janvier  1561)  ; 
436  (février  1562)  ;  513  (10  mai  1563)  ;  545  (8  janvier  1564)  ;  550  (24  janvier  1564)  ;  558 
(4  avril  1564)].  —  Brantôme,  Des  Dames  [Ludovic  Lalanne],  VIII,  112-113.  —  Her- 
minjard,  VIII,  161,  n»  1170.  —  Doumergue,  Jean  Calvin,  II,  69-81. 

341.  G.  111,428-450.  —  Fai^-t^e-Firc  d'Olivier  Basselin (édition  P.-L.  Jacob  ; 

Paris,  Garnier,  s.  d.),  p.  20-23,  la  Guerre  elle  vin.  —  Les  Œuvres  burlesques  de  M.  Scar- 
lon.  dédiées  à  sa  chienne  {RoMQn.,  David  Berthelin,  1668),  p.  226:  «...  Un  coup  de  canon 
N'est,  ma  foy,  ny  beau  ni  bon.  Il  |  vaut  mieux  dedans  Paris  manger  perdreaux  et 
cailles  |  Que  d'aller  au  Pays-Bas  Et  de  n'en  revenir  pas.  »  —  [Notons,  pour  compléter 
ce  §  341,  que  Marot,  durant  son  séjour  à  Venise,  a  peut-être  composé  un  deuxième  coq- 
à-l'âne  (G.  III,  451-513).  Mais  comme  cette  pièce  ne  figure  que  dans  les  recueils  post- 
humes, et  que  d'autres  raisons  encore  rendent  douteuse  son  authenticité  (Becker, 
op.  cit.,  137,  n.  159),  j'ai  jugé  préférable  de  n'en  pas  faire  état.] 

342-343.  M.  233-238- 

344.  G.  111,392-400.  —  J.DuBelIay,  iîegre/s,  s.85et86.[Auv.  59  de  Marot  :c  Des- 
sus un  mot  une  heure  je  m'arreste  »  on  comparera  celui  de  Du  Bellay  :  «  Et,  pour  res- 
pondre  un  mot,  un  quart  d'heure  y  songer.  »] 

345.  J.  1 1,  233.  Cette  pièce  a  paru  d'abord  dans  le  Recueil  de  vers  latins  et  vulgaires  de 
plusieurs  poètes  françoys  sur  le  trespas  de  feu  Monsieur  leDaidphin  -jL-yoUiFr.  Juste;  1536. 

346-347.  M.  23S-243.  —  Il  existe  un  rapport  très  étroit  entre  les  mots  Et  veu  de  loing 
mon  village  fumer  et  le  souhait  [Regrets,  s.  31)  de  Joachim  Du  Bellay  :  a  Quand  revoirai 
je,  helas,  de  mon  pauvre  village  |  Fumer  la  cheminée  ?...  »  C'est  que  ces  deux  phrases 
sortent  de  la  même  source  :  Homère,  Od.  I,  57-59. 

348.  loannis  Vulteii  EpigrammatujnLibri  ////.Les  pièces  relatives  à  Clément  Mairot 
injustement  proscrit  sont  au  nombre  de  six  :  p.  11$ ,  De  Maroto  poeta  ;  120,  Ad  Dominant 
Renatam...  de  Maroto  ;  126,  Ad  loannem  Bellaium...  inducitut  Marotus  querensdeexi- 
lio  ;  128,  Ad  Franciscum  regem  exul  Marotus  loquitur  ;  129,  De  exilii  causa  ;  131,  Ad 
Franciscum  Gall.  regem  de  Maroto. 

349.  G.  111,542-550. 

350.  J.  III,  54;  Épigr.  CXXXII.  —  Des  Périers  [Lacour],  I.  110. —  Les  Divers 
rapportz  d'Eustorg  de  Beaulieu  :  «  douzain  a  treseloquent  Poète,  maistre  Clément  Marot, 
pour  lors  estant  a  Lyon,  contenant  son  nom  et  surnom  aux  lettres  capitalles  ».  — 
Etienne  Dolet,  Carm.  I,  58.  —  Jean  Visagier,  op.  cit.:  191,  Dereditu  Maroti  poctae  a 
Ferraria  ;  230,  Ad  G.  Scaevam  de  revocato  Maroto  et  absente  Doleto  ;  238,  De  rediit^le- 
mentis  Maroti  [C'est  ici  la  pièce  la  plus  étendue  et  la  plus  importante]  ;  240,  Ad  G.  Scae- 
vam de  Maroto  ;  248,  Lug  [dunum]  queritur  de  Doleti  et  Maroti  discessu  ;  249,  Ad  Maro- 
tum...  Et  je  n'indique  pas  tout  ! 

351.  G.  I,  313.  —  Douen,   I,  235  sqq. 

352.  i»  G.  I,  312.  —  2°  Ibid.,  315-316.  —  3°  Ibid.,  311.  —  40  G.  III,  554,  v.  41-44- 

353.  G.  III,  556-563.  —  En  tète  d'un  recueil  où  se  lisent  quelques-unes  de  ses  pro- 
pres poésies,  Jean  Chaperon  a  publié  (1537)  /e  Dieu-gard.  Un  huitain  aussi  gauche  que 
flatteur  accompagne  le  texte  de  Clément.  Puisque  «  nul  Françoys  »,  explique  Chaperon, 
n'a  répondu  à  !'«  homme  très  sage  »  qui  saluait  courtoisement  tout  le  monde,  moi,  du 
moins,  en  «  mon  dur  langage  »,  je  veux  lui  dire  :  Sois  le  bienvenu  ! . . .  Voilà  de  louables  sen- 
timents. Mais  celui  que  les  exprimait  se  trompait  en  croyant  les  éprouver  seul.  Ils  lui 
-étaient  communs  avec  beaucoup  d'autres  écrivains.  J'en  ai  cité  plusieurs,  et  j'aurais 
pu  ajouter  à  la  liste  le  nom  d'Antoine  Héroet.  Celui-ci,  dans  une  épître  à  François  \" 
[Gohin,  81],  fait  une  discrète  allusion  au  retour  de  Marot.  Vous  régnant,  remarque-t-il, 
«  ...  on  voit  restitués  Grec  et  hebrieu,  langages  trop  hays.  Et  les  bannys  remys  en 
leurs  pays  ». 


L'ANNEE  1537 
LA   QUERELLE   DE   MAROT   ET  DE   SAGON 

354.  Marot  reprend  son  rôle  de  poète  officiel,  et  assiste  au  banquet 
offert  à  Etienne  Dolet.  —  355.  Voyage  dans  le  Midi  de  la 
France.  —  356.  Démarches  du  poète  pour  être  remis  «  en  les- 
tât »  des  officiers  royaux.  —  357.  //  allume  un  feu  de  joie  à 
l'occasion  de  la  prise  de  Hesdin.  —  358-359.  Henri  d'Albret  et 
François  I^^  tombent  malades  ;  Clément  s'adresse  à  la  déesse 
Santé.  —  360.  Épître  A  madame  Marguerite  de  France  au 
nom  de  Jeanne  d'Albret.  —  361-362.  L'Adieu  envoyé  aux  da- 
mes de  la  court  et  le  recueil  des  Étrennes.  —  363.  Le  principal 
événement  de  cette  période  est  La  querelle  de  pRANÇOis  Sagon 
ET  DE  Marot.  —  364.  La  famille  de  Sagon.  —  365.  Il  entre 
dans  les  ordres.  —  366.  //  se  croit  poète,  et  concourt  au  piiy  de 
Rouen.  —  367.  Il  devient  secrétaire  de  Félix  de  Brie.  —  368- 

371.  Motifs  qui  ont  pu  le  conduire  à  s'attaquer  à  Clément.  — 

372.  Comment  fut  composé  le  Coup  d'essay.  —  373-377.  Étude 
de  ce  factum.  —  378.  Jean  Leblond,  seigneur  de  Branville, 
entre  en  scène.  —  379-384.  Le  Printemps  de  l'humble  espé- 
rant. —  385.  Marot  se  réserve  et  garde  le  silence.  —  386-390. 
Trois  de  ses  amis,  Bonaventure  des  Périers,  Charles  Fontaine 
et  Nicole  Glotelet,  répondent  pour  lui.  —  391.  //  se  décide  à 
riposter  lui-même  ;  V admirable  épître  de  Fripelippes.  —  392- 
393.  Faible  réplique  de  Sagon.  — ■  394.  Un  libelle  de  Charles 
Huet.  —  395.  Généalogie  de  Fripelippes.  —  396.  Encore  une 
Défense  de  Sagon!  —  397-399.  Diverses  pièces  en  faveur  de 
Clément.  —  400.  Le  provocateur  donne  des  signes  de  fatigue, 
et  commence  à  parler  de  paix.  —  401.  Le  sentiment  de  lassitude 
paraît  général.  —  402.  Germain  Colin  Bûcher  veut  jouer  le  rôle 
de  médiateur.  —  403.  //  a  eu  tort  de  se  montrer  neutre  ;  d'autres, 
mieux  inspirés,  ont  bien  vu  où  était  le  bon  droit.  —  404-407. 
Intervention  des  Conards  de  Rouen  ;  elle  marque  la  fin  du  con- 
flit. —  408.  Que  les  Conards,  en  somme,  ont  dit  et  pensé  ce 


248  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

qu'il  fallait  penser  et  dire.  —  409-410.  Sagon  vaincu  ne  re- 
nonce pas  à  la  poésie  :  le  Regret  d'Honneur  féminin.  ■ —  411. 
Étrennes  pour  l'année  153g.  —  412.  Discours  de  la  vie  et 
mort  de  Guy  Morin.  —  413.  Complainte  de  troys  gentilzhom- 
mes  françoys.  —  414-415.  Apologye  pour  le  Roy.  —  416.  Le 
Chant  de  la  paix.  — ■  417.  Coup  d'œil  sur  les  œuvres  en  prose 
de  Jean  Lehlond  :  traductions  qu'il  a  laissées  ;  le  Livre  de  police 
humaine.  —  418.  Branville  apologiste  de  la  langue  franç.aise 
et  précurseur  de  Joachim  Du  Bellay. 


354.  Accueilli  de  nouveau  à  la  cour,  Clément  Marot  se  hâta 
de  reprendre  son  rôle  de  poète  officiel  :  il  adressa  au  roi  une 
Estrenne,  puis  célébra,  en  un  Chant  nuptial,  le  mariage  (i^^*  jan- 
vier 1537)  de  Madeleine  de  France  et  de  Jacques  Stuart,  roi 
d'Ecosse.  Après  une  si  longue  absence,  il  eût  désiré,  peut-être, 
le  pauvre  nomade,  rester  un  peu  avec  ses  enfants.  Mais  il  eut 
à  peine  le  temps  de  souffler,  et  il  lui  fallut  se  préparer  à  suivre 
Henri  et  Marguerite  de  Navarre  qui  allaient  s'acheminer  vers 
le  Midi.  Cette  obligation,  à  ce  qu'il  semble,  n'enleva  rien  à  sa 
belle  humeur,  et  ce  fut  sur  le  ton  le  plus  jovial  qu'il  demanda 
à  son  «  second  roy  »  de  lui  faire  don,  pour  la  route,  d'une  haque- 
née.  La  sienne,  expliquait-il,  était  vieille.  D'où  venait  cela  ?  De 
ce  qu'elle  était  née  depuis  longtemps,  bonne  raison  de  n'être  pas 
jeune.  Ayant  donc  beaucoup  vécu,  cette  bête  déclarait  ne  pa.-> 
se  sentir  la  force,  à  son  âge,  de  trotter  jusqu'à  Narbonne,  et 
réclamait  une  remplaçante.  Son  maître  appuyait  cette  requête, 
et  l'on  se  plaît  à  croire  qu'il  eut  gain  de  cause...  La  date  du 
départ  n'est  pas  très  exactement  connue.  Marot,  vers  le  20 
février,  se  trouvait  encore  à  Paris,  car  nous  ?avons  qu'il  assista 
au  banquet  offert  à  Etienne  Dolet  par  quelques-uns  de  ses 
amis.  Dolet,  qui  avait  tué  à  Lyon,  le  31  décembre  1536,  un 
peintre  appelé  Compaing,  s'était  enfui  aussitôt,  avait  imploré 
la  clémence  de  François  I^^*  et  obtenu  (19  février)  des  lettres 
de  rémission.  Il  a  raconté  lui-même,  dans  un  poème  souvent 
cité,  ce  festin  donné  en  son  honneur.  Il  y  avait,  parmi  les  con- 
vives, le  prince  des  humanistes,  Guillaume  Budé,  Nicolas  Bé- 
raud,  Pierre  Danès  et  Jacques  Toussain,  brillantes  colonnes  de 
l'académie  trilingue,  Salmon  Macrin,  Nicolas  Bourbon,  Jean 
Dampierre,  Jean  Visagier,  François  Rabelais.  Quelle  table  ! 
Nul  ne  pensera  sans  émotion  à  une  telle  assemblée,  et  l'on  aime 
à  se  figurer  les  agapes  de  ces  libres  esprits,  constructeurs  et 
vaillants  prophètes  d'un  meilleur  avenir.  Ils  parlaient  de  mille 
choses  graves,  et  louaient,  en  leurs  discours,  les  hommes  qu'ils 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  249 

regardaient  comme  leurs  guides  ou  comme  leurs  émules  :  Éras- 
me, Mélanchthon,  Bembo,  Sadolet  et  Sannazar. 

355.  Peu  de  jours  après  cette  fête,  Marot  s'éloigna,  accompa- 
gnant Marguerite  et  son  mari.  Le  voyage,  qui  fut  rapide,  eut 
lieu,  la  chose  est  sûre,  avant  le  printemps.  Cela  ressort  d'une 
phrase  c^ui  se  lit  dans  la  correspondance  de  la  reine  et  d'un 
vers,  aus.si,  d'une  épigiamme  intitulée  De  M^^  de  La  Fon- 
taine. On  passa  par  Touis  et  Limoges,  et,  de  Limoges,  on  gagna 
Cahors.  Le  poète,  au  moment  de  revoir  sa  ville  natale,  l'invita 
à  se  montrer  «  plus  gave  et  mieulx  vestue  »  pour  recevoir  le 
roi  de  Navarre  et  «  son  espouse  humaine  ».  Supposé,  dit-il,  que 
tu  me  doives,  ô  Cahors,  autant  que  Mantoue  devait  à  Maro, 
je  te  tiens  quitte  de  la  dette  entière  pourvu  que  tu  accueilles 
dignement  «  ces  deux  ».  En  entrant  chez  toi,  ils  t'apportent 
plus  de  gloire  que  moi  par  le  fait  «  d'en  estre  yssu  «...  On  ne 
s'arrêta  guère  à  Cahors.  De  là  on  chevaucha,  par  Toulouse, 
vers  Mont-de-Marsan.  Clément  n'y  resta  point,  et  revint  vite 
à  la  cour  de  France  où  une  urgente  affaire  le  rappelait.  Profi- 
tant de  son  exil,  on  avait  omis,  sur  la  liste  des  officiers  royaux, 
son  nom,  son  titre.  Il  était  donc,  une  fois  encore,  sans  traite- 
ment, et  il  s'agissait  d'ouvrir  une  nouvelle  campagne  afin  de 
reconquérir  les  gages  supprimés. 

356.  Selon  sa  méthode  invariable,  il  s'adressa  au  roi  direc- 
tement, et  nous  connaissons  trois  épigrammes  que,  dans  sa 
détresse,  il  lui  envoya  ou  lui  présenta  vers  cette  époque.  Pour- 
quoi trois  épigrammes  ?  Parce  que  l'écrivain  ne  désiiait  pas 
seulement  être  payé  pour  l'année  en  cours,  mais  qu'il  voulait, 
en  outre,  toucher  le  salaire  qu'on  lui  avait  retenu  tandis  qu'il 
estait  par  chemin,  puis  (et  ceci  legardait  l'avenir)  être  remis 
((  en  Testât  ».  Autant  de  batailles  à  livrer.  Il  dut  recommencer 
à  mendier  avec  des  airs  folâtres,  des  pirouettes  verbales,  un  ton 
fringant  et  dégagé,  ce  peu  d'argent  qui  le  faisait  vivre,  le  pain 
de  ses  Maroteaux.  Et  ce  fut  une  lutte  de  deux  ans.  En  mars 
153S  on  lui  accorda  la  somme  due  pour  1537,  ainsi  que  le  prouve 
l'acte  que  voici  :  «  A  Jean  Carré  [un  pillard  de  marque,  promu 
homme  de  confiance  après  avoir  beaucoup  et  ouvertement  volé] 
240  livres  pour  payer  les  gages  de  Clément  Marot...  qui  n'avoit 
pas  été  inscrit  sur  Testât  desdits  officiers  de  ladite  année  der- 
nière. »  Ensuite,  sous  une  autre  forme,  même  mandement  en 
janvier  1539  :  »  A  Jean  Carré,  960  livres  pour  payer  les  gages 
de  Jeannet  Bouchefort,.,.  des  deux  dernières  années,  et  ceux 
de  Clément  Marot...  et  d'Antoine  Poinsson,  joueur  de  cornet, 
de  Tannée  dernière.  »  Quant  à  l'arriéré,  aucun  document  ne  le 
mentionne,  mais  je  suppose  que,  là  encore,  notre  poète  triom- 


250  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

pha.  Sire,  avait-il  dit  à  François  I^^,  ordonnez  ce  versement 
à  messieurs  vos  trésoriers.  Ce  sera  comme  une  rente  qui  m'ar- 
rivera,  et  la  douceur  d'avoir  des  rentes,  je  l'ai  ignorée  jusqu'à 
ce  jour.  Mes  ennemis  m'auront,  contre  leur  attente,  rendu  un 
fier  service,  et  quelle  gratitude  je  vais  leur  avoir  1  Pensant  me 
ruiner,  ils  m'auront  forcé  a  faire  des  économies...  Le  moyen 
de  rejeter  une  si  jolie  requête  ?  —  A  partir  de  1539,  Clément 
cesse  de  réclamer,  et  son  silence  nous  invite  à  croire  qu'on  l'a- 
vait officiellement  rétabli  en  sa  fonction  de  valet  de  chambre. 

357.  Les  faveurs,  du  reste,  qu'il  recevait,  il  les  avait  méritées 
d'avance,  tant  il  se  montrait  attentif  à  saisir  les  occasions  de 
louer  ses  maîtres  ou  de  badiner  pour  leur  plaisir.  Chaque  évé- 
nement qui  se  produisait  à  la  cour  excitait  sa  verve  aussitôt, 
et  la  moindre  victoire  lui  servaH  de  thème.  On  le  vit  notamment 
lorsque,  au  printemps,  l'armée  enleva  Hesdin.  Arrivé  au  camp 
le  17  mars,  François  I^'"  s'empara  de  la  ville  sans  coup  férir, 
mais  le.  château  offrit  quelque  résistance  et  ne  capitula  que  le 
7  avril.  Ce  n'était  pas  là  un  exploit  reluisant,  et  il  n'y  avait 
pas  de  quoi  pavoiser.  Néanmoins,  le  roi  fut  couvert  de  fleurs 
comme  s'il  avait  gagné  une  seconde  bataille  de  Maiignan.  Les 
princesses  en  chœur,  Catherine,  Anne  et  trois  Marguerite,  lui 
affirmèrent  par  lettre  avoir  senti,  à  la  nouvelle  de  ce  succès, 
une  «  joye  indicible  »,  une  «  merveilleuse  consolacion  ».  Leur 
transport,  à  les  entendre,  était  tel  qu'elles  en  avaient  perdu 
l'esprit,  et  que  la  plume  leur  tombait  de  la  main.  Marot,  lui, 
alluma  un  «  feu  de  joie  >>  ou,  si  vous  préférez,  rima  un  dizain 
remarquable  sinon  par  un  très  vif  enthousiasme,  du  moins  par 
un  double  jeu  de  mots.  Nous  avons  pris  Hesdin  ;  toi,  César, 
prends  patience.  Tu  nous  rends  cette  cité  ;  nous  ne  rendrons 
rien,  nous  autres,  que  grâces  à  Dieu.  Ce  n'était  pas  très  fort, 
et  ces  calembours  brillaient  moins  par  la  finesse  que  par  le  loya- 
lisme. Tels  quels,  leur  auteur  les  jugea  bons,  et  il  les  envoya, 
accompagnés  d'une  épître  pimpante  et  légère  comme  un  pas  de 
danse,  à  deux  amies,  M^e  de  Bazoges  et  Hélène  de  Ha'îton,  dite 
Treza^^ 

358.  Le  10  mai,  François  1^^  quitta  l'armée,  et,  voyageant 
par  petites  étapes,  il  arriva  le  5  juin  à  Fontainebleau.  Vers 
cette  date,  le  roi  et  la  reine  de  Navarre  s'établirent  à  Saint- 
Cloud,  mais  ce  séjour  ne  leur  réussit  guère.  Henri  d'Albret 
tomba  gravement  malade  ;  une  grosse  fièvre  le  saisit  qui  ne 
voulait  pas  céder,  et  il  fallut  changer  d'air,  mener  à  Vanves 
le  prince  souffrant  (25  juin).  Il  reçut,  tandis  qu'il  languissait 
ainsi,  la  visite  de  sa  fille  Jeanne  qu'on  élevait  loin  de  ses  pa- 
rents afin  de  la  soustraire  à  leur  influence.  La  venue  de  cette 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  251 

enfant  fut  saluée  par  un  dizain  de  Marot.  Souvent,  disait  le 
poète,  un  raj^on  de  soleil,  frappant  un  nuage  noir,  l'éclairé  en 
partie,  lui  rend  la  couleur  et  la  gaieté  :  de  même  nos  âmes,  main- 
tenant si  sombres,  s'illuminent  en  te  voyant,  joyau  de  tes  père 
et  mère  et  leur  chef-d'œuvre.  L'un  de  nos  yeux  te  rit  ;  l'autre, 
morne  et  très  «  piteux  )>,  pleure  sur  un  roi  «  mal  sain  »,  voire 
sur  deux. 

359.  Le  deuxième,  c'était  François.  Lui  non  plus,  il  n'allait 
pas  bien,  et  on  le  soignait  à  Meudon.  Le  devoir  des  Muses,  en 
cette  circonstance,  était  nettement  tracé  :  il  fallait  d'abord  prier, 
gémir,  puis,  après  guérison,  entonner  le  Te  Deum.  Clément  pro- 
céda selon  cette  règle,  et  commença  par  adresser  un  Cantique 
à  la  déesse  Santé.  L'aise  et  la  force  qu'elle  dispense,  la  joie  qu'on 
éprouve  à  reprendre,  quand  on  était  blême,  de  belles  joues 
rouges,  l'avantage  qu'il  y  a,  pour  les  vieux,  à  garder  quelque 
vigueur  et,  pour  les  jeunes,  à  être  en  état  de  s'amuser,  tout  cela 
est  développé  en  sept  strophes  que  personne  ne  s'avisera,  je 
crois,  de  juger  paradoxales.  Mais  ce  n'est  qu'un  prélude,  un 
moyen  de  se  concilier,  en  proclamant  ses  charmes,  sa  puissance, 
la  «  doulce  »  déesse,  «  nourrice  des  humains  ».  L'ayant  ama- 
douée de  la  sorte,  l'écrivain  l'envoie  droit  à  Meudon,  et  l'invite 
à  arracher  au  tombeau  le  souverain  si  menacé.  Pourquoi  t' en- 
fuir, Santé,  loin  d'un  corps  orné  de  tant  de  grâce  ?  Quelle  idée 
étrange,  déraisonnable  !  «  Où  peulx  tu  estre  ailleurs  si  bien 
logée  ?  »  Cette  métaphore  rappelle  le  riche  appartement  de  Tris- 
sotin,  et  le  Cantique  entier  ne  vaut  pas  grand'chose.  A  peine 
meilleure  paraît  la  pièce  qui  célèbre  la  convalescence.  L'auteur 
nous  apprend  que  son  maître  a  failU  mourir,  qu'il  avait  déjà 
«  le  pied  dedans  la  fosse  »,  et  qu'un  nouvel  avènement  semblait 
tellement  certain  que  le  ressuscité  a  le  droit  de  dire  qu'il  dure 
plus  que  sa  postérité  et  qu'il  succède  à  son  successeur.  Là-des- 
sus, quelques  avis  pour  un  judicieux  emploi  de  ces  jours  que 
les  Parques  ont  restitués.  Ce  n'est  pas  un  moraliste  qui  parle, 
et  il  ne  s'agit  nullement  ici  du  bon  usage  des  maladies.  C'est 
d'Horace  que  Marot  s'inspire.  «  Vy  donc,  François  !  »  s'écrie-t-il. 
Ressaisis  les  biens  et  les  plaisirs  qui  s'envolaient.  Consacre  à 
te  distraire  chacune  des  heures  qui  te  sont  rendues,  et  attends 
le  «  dernier  poinct  naturel  »  sans  souci  ni  peine,  «  tout  belle- 
ment ».  Jolis,  braves  conseils,  et  fort  bien  suivis. 

360.  M.  Becker  a  montré  d'une  manière  assez  probante  que, 
dans  les  premiers  jours  du  mois  d'octobre  1537,  Clément  se  trou- 
vait à  Tours  auprès  de  la  reine  de  Navarre,  et  que  l'épître  A 
Madame  Marguerite  date,  en  conséquence,  de  ce  moment  et 
non,  comme  le  veut  M.  Guiffrey,  du  mois  de  janvier  1538.  Ma- 


252  CLÉMENT    MAKOT    ET    SON    ÉCOLE 

dame  Marguerite,  c'est  Marguerite  de  France,  née  le  5  juin  1523. 
La  lettre  qui  lui  est  destinée  est  censée  écrite  par  sa  cousine 
Jeanne  d'Albret,  qui  avait  alors  dix  ans.  Le  poète,  qui  lui  prête 
sa  plume,  s'applique  à  reproduire  le  langage  décousu  et  naïf, 
l'ingénuité  de  l'enfance.  Rien  ne  s'imite  plus  malaisément,  et 
il  faut  renoncer,  une  fois  qu'on  les  a  perdues,  à  feindre  l'inno- 
cence et  la  candeur.  Cependant  notre  auteur  se  tire  d'affaire 
en  homme  habile,  et  son  pastiche  a  beaucoup  de  charme.  La 
petite  princesse,  après  avoir  loué  sa  mère  comme  sans  le  savoir 
ni  le  vouloir,  raconte  le  voyage  qu'elle  vient  d'achever.  Nous 
allions,  dit-elle,  par  eau.  Je  n'étais  pas  seule.  J'avais  avec  moi 
un  écureuil,  et,  pareil  à  un  bouquet  de  marjolaine,  mon  beau 
perroquet  habillé  de  vert.  La  Loire  nous  portait  doucement. 
C'est  un  fleuve  magnifique.  Il  se  sentait  si  fier  de  nous  revoir 
qu'il  s'enflait  d'orgueil.  S'il  avait  eu  l'honneur  de  votre  présence, 
non  content  de  grossir,  il  eût  débordé.  A  ces  menus  propos 
s'ajoutent  des  vers  relatifs  à  une  leçon  de  danse,  puis  quelques 
formules  de  politesse,  • —  et  c'est  fini. 

361.  En  ce  même  mois  d'octobre,  le  roi,  très  inquiet  de  ce 
qui  se  passait  dans  le  Piémont  et  ayant  à  cœur  de  délivrer  Turin 
que  del  Guasto  était  sur  le  point  de  prendre,  courut  à  Lyon, 
réunit  en  hâte  de  grandes  troupes,  les  mit  sous  les  ordres  du 
dauphin  et  de  Montmorency,  et  leur  enjoignit  de  franchir  les 
monts.  C'est  à  cette  expédition  que  se  rattache  la  pièce  intitulée 
l'Adieu  envoyé  aux  dames  de  la  court.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  croire 
que  Marot  ait  suivi  l'armée  jusqu'en  Italie,  ni  même  qu'il  ait 
quitté  Tours  pour  se  rendre  au  camp  où  les  forces  royales  se 
concentraient.  Malgré  certains  vers  très  personnels  [85-99]  ^^ 
quoique  le  poète  salue  sa  maîtresse  [v.  98]  comme  s'il  risquait 
de  ne  pas  la  revoir,  l'Adieu,  manifestement,  est  collectif,  et 
ce  sont  les  jeunes  gentilshommes,  en  chœur  et  tant  qu'il  y  en 
a,  qui,  se  séparant  de  leurs  amies,  dépeignent,  plutôt  qu'ils  ne 
les  regrettent,  les  mille  aspects,  les  grâces,  les  joies  de  la  vie 
courtoise  et  passionnée.  Au  demeurant,  ce  genre  littéraire  n'était 
pas  nouveau,  et  l'on  connaît  plusieurs  «  adieux  »  analogues. 

362.  Mais  celui-ci  diftere  des  autres  en  ce  qu'il  est  un  pur 
chef-d'œuv'ïe.  Chef-d'œuvre  aussi,  du  moins  quand  on  pénètre 
(beaucoup  nous  échappent)  les  allusions  qui  y  sont  cachées, 
le  délicieux  recueil  d'Ètrennes  offert,  au  premier  jour  de  l'an- 
née 1538,  à  plus  de  cinquante  personnages.  La  reine,  la  dau- 
phine,  toutes  les  princesses,  la  favorite,  les  femmes  les  mieux 
titrées,  celles  des  grands  officiers  de  la  couronne,  les  filles  d'hon- 
neur, qu'elles  servent  France  ou  bien  Navarre,  reçoivent  une 
perle  de  ce  collier,  un  compliment,  un  sourire,  un  mot  aima- 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  253 

ble  à  pointe  d'or,  une  malice  voilée,  exquise.  L'artiste  donateur 
n'oublie  aucun  de  ceux  qui  lui  sont  chers.  Il  pense  même  aux 
gens  de  province,  et  il  étend,  plein  de  gratitude,  sa  munificence 
aux  bons  Lyonnais,  aux  Lyonnaises,  à  Etienne  Dolet,  à  Jeanne 
Faye,  à  Jeanne  Scève. 

363.  Nous  arrivons,  avec  les  Étrennes,  à  la  fin  de  l'année 
1537,  et  nous  avons  énuméré,  sauf  une,  les  principales  produc- 
tions de  Clément  depuis  son  retour  d'exil.  Mais  il  nous  reste 
encore  beaucoup  à  dire,  car,  en  étudiant  cette  période,  nous 
avons,  nous  réservant  de  le  traiter  à  part  et  en  une  seule  fois, 
laissé  de  côté  l'essentiel,  à  savoir  la  si  célèbre  querelle  de  Marot 
€t  de  Sagon.  Rien  ne  nous  empêche,  maintenant  que  le  terrain 
est  déblayé,  d'aborder  ce  point  d'histoire,  et  nous  allons  com- 
mencer par  présenter  au  lecteur  l'adversaire  du  poète,  l'auteur 
de  l'agression,  la  bête  noire,  le  «  sagouin  ». 

364.  Jean  Sagon  ou  de  Sagon,  le  père  de  notre  François, 
était  «  natif  du  pa3^s  d'Espaigne  ».  Pour  des  motifs  qui  nous 
échappent,  il  vint,  vers  1480,  s'établir  à  Rouen  où  il  s'entremit 
«  de  toutes  manières  de  marchandises,...  espérant  d'y  acquérir 
biens  meubles  et  immeubles  et  y  finer  le  seurplus  de  ses  jours  ». 
Était-il,  ainsi  que  l'en  accuse  Fripelippes  [G.  III,  578],  un  mar- 
rane,  un  juif  converti,  et  avait-il  voulu,  en  s'expatriant,  faire 
peau  neuve,  fuir  la  contrée  où  son  origine  était  notoire  ?  Rien 
ne  le  prouve  ni  ne  l'indique,  et  il  y  a  des  chances  pour  que  ce 
soit  là  une  calomnie.  Après  être  resté  en  France  vingt  ans  «  ou 
environ  »,  ce  métèque,  qui  avait  pris  place  parmi  les  bons  mar- 
chands rouennais,  demanda  et  obtint,  au  mois  de  juillet  1501, 
des  lettres  de  naturalité,  faveur  qu'il  eût  peut-être  briguée  en 
vain  s'il  avait  été  de  mauvaises  vie  et  mœurs.  On  se  sent  donc 
porté  à  croire  qu'il  méritait,  au  moins  en  partie,  les  éloges  dont 
son  fils  l'a  comblé  [G.  III,  723],  et  qu'il  était,  quoique  peu 
«  scient  »,  garni  de  qualités  solides,  exempt  d'envie,  de  haine, 
«  sobre,  modeste  et  patient  »,  «  de  race  claire  »  par-dessus  le 
marché.  Sans  doute  ce  ne  sont  là  que  des  mots  ;  mais  il  y  a, 
en  outre,  un  fait  :  Jean,  ce  déraciné  qui  cherchait  fortune  loin 
de  chez  lui,  avait  épousé  —  quel  honneur  !  —  une  fille  appar- 
tenant à  la  caste  des  Ango,  nom  illustre  aujourd'hui  encore. 
François  avait  bien  raison  d'être  fier  de  descendre,  par  sa  mère, 
de  ces  marins  admirables  qui,  trafiquants  et  soldats,  servaient, 
en  même  temps  que  leurs  intérêts,  la  science  et  la  patrie.  Un 
vrai  titre  de  noblesse,  dont  il  ne  se  montra  que  trop  indigne, 
était  conféré  par  là  au  vil  rimeur  ;  c'était  à  bon  droit  qu'il  tirait 
vanité  de  sa  famille  «  autantique  »,  et  nous  ne  .sommes  pas 
surpris  qu'il  ait  dédié  l'un  de  ses  ouvrages  «  a  vénérable  reli- 


254  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

gieux  Domp  Richard    Ango,  prieur  de  Beaiimont  en  Auge,  son 
oncle  ». 

365.  Ainsi,  parmi  les  Ango,  certains  se  détournaient  de  la 
mer,  et,  n'aspirant  pas  à  mener  une  existence  tumultueuse, 
piéféraient  aux  belles  aventures  le  calme  du  cloître,  un  gras 
et  solide  canonicat.  L'exemple  de  ces  hommes  prudents  fut 
suivi,  quand  arriva  le  moment  de  choisir  une  carrière,  par  le 
jeune  François  Sagon.  Il  aurait  pu  devenir  corsaire,  mais  il 
aima  mieux  imiter  son  oncle  Richard,  faire  des  études,  entrer 
dans  l'Église,  chanter  la  messe  et  couler  (illusion  \)  des  jours 
paisibles.  Ordonné  prêtre,  il  joua,  dans  son  diocèse  de  Rouen, 
un  rôle,  semble-t-il,  assez  actif.  Nous  savons  que,  durant  l'été 
de  1530,  il  prêcha  en  latin  devant  ses  confrères,  et  qu'il  dut, 
après  ce  sermon,  en  débiter  d'autres  encore,  car,  sur  les  regis- 
tres de  l'archevêché,  son  nom  se  lit  plusieurs  fois  accompagné 
«  de  la  mention  de  sommes  variées  qui  représentent  apparem- 
ment les  émoluments  de  ses  discours  ». 

366.  Mais  le  prédicateur  se  croyait  poète,  et  il  ne  manqua 
pas,  ayant  la  chance  d'habiter  Rouen,  de  concourir  au  puy  de 
cette  cité,  de  célébrer,  comme  cent  autres  curés  de  la  région, 
Marie  conçue  sans  péché.  Clément  se  vante  [G.  III,  579]  d'avoir 
«  refaict  )>,  afin  qu'il  rapportât  à  son  auteur  «  quelcque  petite 
somme  »,  un  chant  royal  de  Sagon,  ébauche  très  informe  qui 
«  ne  valoit  pas  un  œuf  ».  Ce  ravaudage  m'étonne.  François  n'a- 
vait pas  besoin  d'aide  pour  se  couvrir  de  gloire  en  ces  concours 
d'àneries,  et  il  n'avait  qu'à  rester  lui-même.  La  preuve,  c'est 
qu'il  triompha  à  diverses  reprises,  et  qu'il  fut  (parlons  sa  lan- 
gue) abondamment  «  premié  )>.  Vainqueur  en  1531,  il  obtint 
ensuite  le  lis,  puis  (1533)  «  l'anneau  ou  signet  >,  puis  encore 
(1535)  la  rose,  juste  récompense  d'une  ballade  sur  le  ((  petit 
ver  qui  luit  de  nuit  ».  Et  ce  n'est  pas  tout.  Il  résolut  d'envahir 
les  académies  similaires,  rafla  (1532)  le  premier  prix  à  Caen, 
et  gagna  à  Dieppe  une  couronne.  Couronné  de  la  sorte,  palmé, 
chargé  de  lauriers,  il  s'écriait  :  Que  de  fleurs  !  Le  lis  a  fleuri  ma 
main  ;  les  palmes  l'ont  décorée,  et  le  bel  anneau  d'or  brille  à 
mon  doigt.  [Bonnefon,  106].  De  tels  succès  l'enivrèrent  ;  il  se 
prit  pour  quelqu'un,  se  flatta  d'être  un  bon  fadeur,  et  commit 
la  sottise  de  publier  les  œuvres  qui  lui  avaient  valu  tant  d'insi- 
gnes et  de  guirlandes.  Il  s'ensuit  que  nous  pouvons  les  lire  et 
que,  les  ayant  lues,  nous  les  estimons  na\Tantes.  Elles  le  sont, 
et  à  fond.  Voyez,  par  exemple,  le  chant  royal  où  sont  expli 
quées  les  causes  de  la  «  prelature  »  de  Marie,  et  comment  Dieu, 
après  avoir  décidé  qu'Adam  serait  toujours  «  au  ver  tributaire  », 
fit  ce  «  tribut  taire  »  en  faveur  de  la  Merge,  si  bien  que  son  corps 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  255 

monta  au  ciel  <;  sans  estre  putrefaict  »,  et  qu'il  échappa,  exem- 
plaire exemption,  aux  outrages  de  «  l'humain  ver  »...  Quel  pa- 
thos !  11  y  a,  dans  les  anthologies  palinodiques,  beaucoup  de 
choses  risibles,  mais  n'y  cherchez  rien  de  plus  sot,  de  plus  gra- 
vement bouffon  que  ceci. 

367.  Des  lis  et  des  roses,  c'était  honorable,  certes,  mais  peu 
nourrissant.  Ni  ses  sermons  ni  ses  pieuses  rimes  ne  donnaient 
de  quoi  vivre  au  chantre  de  Notre-Dame,  et,  puisque  les  hom- 
mages qu'il  adressait  au  ciel  demeuraient  improductifs,  il  lui 
fallut  chercher  des  protecteurs  sur  la  terre.  Il  les  trouva  chez 
les  Brie-Serrant.  Poète  officiel  de  cette  famille,  il  lui  voua  quan- 
tité de  vers,  et  nul  membre  de  la  lignée  n'eut  le  droit  de  quitter 
la  vie  sans  une  épitaphe  de  sa  main.  Il  comptait  qu'à  force  d'o- 
raisons funèbres  il  mériterait  si  bien  la  gratitude  des  héritiers 
qu'ils  se  chargeraient  de  sa  fortune,  lui  donneraient  un  titre, 
une  fonction.  De  fait,  il  devint  secrétaire  de  Félix  de  Brie,  fils 
de  Gilles  de  Brie  et  d'Anne  Giffard,  abbé  de  Saint-Evroult-de- 
Montfort,  au  diocèse  de  Lisieux,  et  grand  doyen  de  l'église  Saint- 
Julien,  au  Mans.  Il  ne  semble  pas,  à  distance,  qu'être  secrétaire 
d'un  abbé  de  Saint-Evroult  ait  constitué  un  emploi  très  envia- 
ble. Mais  ce  n'était  là  qu'un  marchepied.  Sagon  espérait  bien 
gagner,  par  l'entremise  de  son  patron,  un  bénéfice,  une  bonne 
place.  Les  de  Brie  avaient  quelque  influence,  et  Félix  disposait 
de  certaines  charges  ecclésiastiques.  Déjà  promu,  selon  Fripe- 
lippes,  à  la  cure  de  Sotigny  qui  lui  appartenait  sans  conteste 
et  qu'il  était  si  digne  d'occuper,  Sagon  briguait  celle  de  Soli- 
gny  (Orne).  Il  ne  put  l'obtenir.  Son  maître,  estimant  sans  doute 
qu'il  demandait  trop  tôt  la  récompense  de  ses  services,  lui  pré- 
féra un  autre  candidat,  François  Bellenger,  un  pédagogue. 

368.  En  attendant  une  meilleure  chance  qui,  avec  le  temps, 
se  présenta,  notre  homme,  dévoré  d'ambition,  rongeait  son  frein, 
et  cherchait  comment  il  ferait  pailer  de  lui.  On  aurait  tort  de 
croire  que  ceux-là  seuls  aspirent  à  la  renommée  qui  ont  du  génie 
ou  du  talent.  L'amour  de  la  gloire  torture  souvent  les  esprits 
médiocres  autant  que  les  grands  cœurs,  et  cette  passion  impi- 
toyable pousse  des  impuissants,  quand  ils  ne  peuvent  rien  inven- 
ter de  mieux,  à  se  rendre  immortels  par  le  scandale.  Tel  fut  le 
cas  de  Sagon.  Humilié,  au  fond,  de  sa  mince  célébrité  provin- 
ciale, plein  de  rage  parce  qu'il  se  voyait,  lucide  en  cela,  très 
incapable  de  bâtir  une  œuvre  belle  et  solide,  il  rêvait  de  met- 
tre le  feu  à  un  temple.  Et  puis  —  qui  sait  ?  —  le  démon  héré- 
ditaire, le  goût  des  aventures  l'agitaient  peut-être.  Justement, 
l'un  des  Ango,  le  plus  illustre  de  la  dynastie,  Jean  Ango,  «  mar- 
chand de  Rouen  et  vicomte  de  Dieppe  »,  venait  (1531)  d'armer 


256  CLÉ.MENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

à  la  fois  dix-sept  vaisseaux,  et  de  contraindre,  après  avoir  me- 
nacé Lisbonne  et  bloqué  l'embouchure  du  Tage,  le  roi  de  Por- 
tugal à  se  soumettre  et  à  traiter  avec  lui.  Quel  exemple  !  Arbo- 
rer le  pavillon  noir,  jouer  le  rôle  d'un  écrivain  corsaire,  n'était- 
ce  pas  un  mo3'en  de  gagner  vite  et  beaucoup  ?  Mais  qui  fallait-il 
frapper  ?  Le  roi  des  poètes,  évidemment.  Or,  le  roi  des  poètes, 
c'était  Marot,  et  Marot  se  trouvait,  à  ce  moment,  en  disgrâce 
et  en  exil.  Ainsi  il  y  avait  une  place  à  prendre  et  même  deux  : 
l'une  à  la  cour  de  France,  l'autre  auprès  de  la  reine  de  Navarre. 
Sagon  connaissait  un  peu  Marguerite,  ayant,  un  jour  qu'elle 
passait  au  Mans  [Bonnefon,  109],  prêché  en  sa  présence  «  du 
mariage  et  loi  sacramentelle  ».  Il  espérait  que  son  éloquence 
lui  avait  attiré  de  l'estime,  et  que,  pourvu  qu'il  peignît  le  pau- 
vre Clément  sous  des  couleurs  bien  noires  et  lui  fermât  le  che- 
min du  retour,  il  n'aurait  pas  de  peine  à  lui  succéder. 

369.  Que  le  pirate  ait  fait  ce  calcul,  je  n'en  doute,  quant  à 
moi,  nullement.  Mais  toute  âme  humaine  est  complexe,  et  rien 
n'est  plus  rempli  de  m37stère  que  les  raisons  qui  nous  détermi- 
nent. L'intérêt,  la  peur  de  vieillir  inconnu  ne  sauraient  suffire 
à  expliquer  le  Coup  d'essay,  le  coup  d'éclat  de  Sagon.  Sa  con- 
duite hardie  a  d'autres  causes,  et  lui-même  a  pris  soin  d'en 
alléguer  une.  Il  ne  nie  pas  avoir  été,  un  temps,  en  bons  termes 
avec  Marot,  et  va  jusqu'à  prétendre  que,  liés  par  très  «  loyale 
amitié  »  et  «  \Tai  amour  »,  ils  communiquaient  leurs  affaires 
ensemble.  La  brouille,  inattendue  et  subite,  serait  née  d'une 
divergence  d'opinions,  d'une  dispute  qui  aurait  eu  lieu  «  au 
beau  parc  d'Alençon  »,  le  lendemain  des  noces  d'Isabeau  d'Al- 
bret  (16  août  1534).  Les  deux  chers  confrères  devisaient  tran- 
quillement «  dessus  l'herbe  »  après  souper,  lorsque,  de  propos 
en  propos,  leur  discours  tomba  sur  «  la  foi  catholique  ».  Marot 
blâma  âprement  François  de  rester  fidèle  aux  doctrines  romai- 
nes, et  l'engagea  à  sortir  des  ténèbres  qui  l'aveuglaient,  à  n'écou- 
ter que  le  seul  Évangile.  Le  prêtre,  alors,  avec  onction  et  d'une 
voix  douce,  essaya  de  ramener  au  bercail  cette  brebis  égarée. 
Mais  Clément  se  fâcha,  s'emporta,  et  se  mit  à  crier  si  fort  que 
deux  témoins  survinrent,  puis  d'autres  encore  en  grand  nom- 
bre. A  la  fin  ils  étaient  cent.  Le  conflit  continuait,  l'un  rugis- 
sant avec  frénésie,  l'autre  admonestant  d'une  manière  civile. 
Modération  mal  récompensée  !  L'hérétique  tira  soudain  son 
poignard  en  «  étourdi  »,  et  voulut  tuer  l'homme  de  Dieu. 

370.  Que  vaut  ce  récit  ?  Est-il  exact  ?  J'admets  bien  qu'il 
n'est  pas  inventé  de  toutes  pièces,  et  que  la  discussion  s'est 
réellement  produite.  Mais  l'auteur  a  (grosse  malice  normande) 
arrangé  les  choses  à  sa  façon  ;  il  a  vu  et  fait  la  scène  à  faire. 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  257 

et,  sans  dire  un  mot  des  motifs  égoïstes  et  personnels  qui  l'in- 
vitaient à  rompre  avec  Marot,  il  s'est  bravement  représenté 
comme  la  victime  d'un  zèle  dévot,  un  apôtre  outragé  dans  l'exer- 
cice de  son  ministère,  un  champion  du  devoir  et  de  la  foi.  Par 
ce  moyen  il  se  ménageait  une  multitude  de  partisans,  il  mon- 
trait à  la  Sorbonne  que  leurs  causes,  à  lui  et  à  elle,  se  confon- 
daient, et,  ralliant  la  masse  catholique,  il  semblait  dire  :  Atten- 
tion !  C'est  pour  vous  que  je  combats.  La  lutte  à  laquelle  vous 
assistez  n'a  rien  qui  me  soit  particulier.  Ne  vous  figurez  pas 
que  l'ambition,  l'intérêt,  la  gloriole  me  guident.  Je  me  sacrifie 
à  des  vérités  générales,  et  c'est  ici  un  débat  qui  porte  sur  des 
idées. 

371.  Sagon  n'a  fourni,  à  qui  voudrait  comprendre  son  étrange 
conduite,  que  cet  unique  et  trop  habile  éclaircissement.  Mais, 
encore  une  fois,  il  avait,  lorsqu'il  est  parti  en  guerre,  bien  d'au- 
tres raisons  qu'il  nous  a  cachées.  A  celles  que  j'ai  déjà  déduites, 
j'en  ajouterai  une,  conjecturale  mais  plausible,  que  M.  Becker 
a  très  clairement  exposée.  Il  semble  que,  dans  l'un  de  ses  coq- 
à-l'âne,  Marot  s'était  moqué  de  Félix  de  Brie  comme  ayant  sou- 
tenu, et  peut-être  en  pleine  Sorbonne,  que  la  fornicatio  sacer- 
dotis  n'était  pas,  après  tout,  un  cas  pendable.  En  vengeant  son 
patron  ainsi  attaqué,  Sagon  pensait  acquérir  de  nouveaux  droits 
à  devenir  curé  de  Soligny  ou  d'ailleurs,  et  s'il  avait  eu,  au  mo- 
ment de  publier  son  pamphlet,  des  hésitations  ou  quelques 
scrupules,  il  eût  suffi,  pour  le  décider,  de  cette  seule  considé- 
ration. M.  Becker  signale,  en  outre,  un  fait  qui  confirme  et 
justifie  son  hypothèse  :  c'est  que  l'abbé  de  Saint-Evroult,  une 
fois  le  différend  engagé,  s'y  est  trouvé  mêlé  malgré  lui.  Clément 
affirme  que  si  le  secrétaire  lui  a  cherché  noise,  c'était  par  «  ex- 
près commandement  »  de  monsieur  son  maître,  et  il  menace 
celui-ci  de  lui  décocher,  à  moins  qu'il  ne  se  tienne  tranquille,  une 
épître  qui  ne  mettra  point  les  rieurs  de  son  côté...  Et  voilà, 
je  crois,  tout  ce  qu'on  peut  dire  sur  les  origines  de  cette  que- 
relle. Replacez-la  au  centre  de  la  biographie  de  Marot,  étudiez 
ensuite  la  psychologie  de  l'agresseur,  et  vous  conclurez  que  le 
conflit  devait  se  produire  fatalement.  Certains  le  présentent 
comme  un  épisode  singulier,  un  jeu  du  hasard,  une  sorte  de 
«  phénomène  ».  Mais  non  !  Dans  la  vie  de  Clément,  tragi-comé- 
die si  émouvante,  les  fureurs  sagontines  constituent  une  scène 
analogue  aux  autres.  Tout  concorde  et  tout  se  tient.  Puisque 
le  vaillant  poète  avait  dénoncé  et  bravé  la  Sorbonne,  qui  ne 
voit  que  les  rancunes  de  tous  les  papistes,  aussi  bien  de  Rouen 
que  de  Paris,  entraient  dans  la  logique  de  sa  destinée  ?  Puis- 
sants ou  non,  ils  voulaient  sa  perte,  et  l'on  s'étonnerait  qu'un 

(Uéraenl  Marot  et  sou  école  17 


258  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Sagon  ne  l'eût  pas  insulté  durant  ses  épreuves,  et  qu'il  n'eût 
pas  reçu,  peu  après  sa  chute,  le  coup  de  pied  de  cet  âne. 

373.  Le  secrétaire  de  Félix  de  Brie  s'est  efforcé  de  nous  per- 
suader que  son  premier  libelle,  celui  qui  a  mis  le  feu  aux  pou- 
dres, fut  composé  presque  d'un  seul  élan  et  comme  par  un  mi- 
racle de  génération  spontanée.  Inspiré  par  une  noble  colère,  ce 
second  Juvénal  n'eut,  à  l'entendre,  qu'à  enregistrer  les  vers 
que  l'indignation  lui  dictait.  J'étais,  afftrme-t-il,  en  voyage, 
et,  par  ordre  de  «  mon  seigneur  »,  je  suivais  la  cour  «  et  tout  le 
train  roj-al  »  en  route,  à  cette  date,  vers  ^a  Bourgogne.  J'allais 
seul  au  pas  de  mon  cheval  ;  le  chemin  s'étendait,  monotone  et 
long,  et  je  me  sentais  «  ennuyé  de  l'esprit  )>.  Tandis  que  je  rê- 
vais, oisif  et  mélancclique,  deux  t'pîtres  de  toi,  ô  Marot,  l'une 
adressée  de  Ferrare  au  roi  et  l'autre  destinée  à  deux  demoi- 
selles [G.  III,  284,  307],  me  revinrent  en  mémoire.  Je  connais- 
sais, depuis  peu  ces  œuvres  toutes  pleines  d'hérésie  et  d'impos- 
ture ;  on  me  les  avait  lues  à  Paris,  et  je  résolus  d'y  répondre, 
quoique  n'ayant  pas  le  texte  sous  les  yeux.  Tant  pis  si  l'on  re- 
fuse de  me  croire,  mais  je  jure  que,  m'arrêtant  bien  des  fois 
pour  marquer  sur  mes  tablettes  ce  que  j'inventais  à  travers 
champs,  j'eus  terminé  mon  poème  en  trois  jouis.  Voilà  ce  qui 
s'appelle  marcher.  Quand  j'entrai  à  Dijon,  la  morale  était  ven- 
gée, la  foi  aussi...  Il  ne  restait  plus  qu'à  obtenir  du  roi  une  au- 
dience afin  de  lui  offrir  ce  travail  conçu  et  rédigé  toujours  cou- 
rant. Mais,  à  Dijon,  François  I^^  se  trouva  malade  (novembre 
1535) >  et  ce  fut  seulement  à  Lyon  (14  janvier-21  février  1536) 
que  Sagon  put  l'approcher  et  lui  présenter  «  par  vertueuse  au- 
dace »  son  manuscrit.  Le  prince  le  reçut  avec  bienveillance,  et 
((  lâcha  »  au  rimeur  normand  un  gracieux  «  trait  d'œil  ».  C'était 
comme  un  permis  d'imprimer.  Sagon,  en  conséquence,  publia 
son  factum,  et,  empruntant  une  expression  imagée  à  la  pré- 
face de  l'Adolescence  clémentine,  adopta  pour  titre  Coup  d'essay. 

373.  Les  deux  épîtres  gauchement  critiquées  en  cet  ouvrage 
méritaient,  il  faut  le  reconnaître,  qu'on  les  blâmât.  On  se  sou- 
vient, je  pense,  qu'elles  étaient  contradictoires,  et  que,  désirant 
se  concilier  les  bonnes  grâces  de  la  luthérienne  Renée  sans  trop 
déplaire  à  François  I^^"  qui  ménageait  Rome  à  ce  moment,  le  poète 
exilé  avait  envoyé  à  celui-ci,  avec  une  satire  de  la  Sorbonne 
et  des  tribunaux,  une  profession  de  foi  ambiguë,  tandis  qu'il 
adressait  aux  «  chères  sœurs  joinctes  par  charité  »  une  lettre 
nettement  évangéliqiic.  Sagon,  cela  étant,  avait  le  droit  de  crier  : 
trahison  !  duplicité  !  palinodie  et  mensonge  !  Il  pouvait  acca- 
bler son  adversaire  en  le  montrant  beaucoup  moins  attaché  aux 
choses  du  ciel  qu'à  sa  fortune,  et,  vraiment,  une  belle  occasion 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  259 

s'offrait  à  lui  d'ouvrir  les  écluses  de  son  éloquence  et  de  multi- 
plier les  invectives.  Oui,  mais  il  n'avait  aucun  génie,  et  si  le 
fiel  ne  lui  manquait  pas  ni  la  meilleure  de  toutes  les  haines, 
celle  du  dévot,  cela  ne  lui  ôtait  point  sa  tare  originelle  :  la  sot- 
tise. Même  quand  il  a  raison,  le  style,  son  pauvre  style  amor- 
phe, assomme  ou  noie  les  idées.  La  phrase  se  traîne,  décrit  de 
longs  méandres,  se  perd  en  chemin  et  n'aboutit  pas.  Chaque 
proposition,  embarrassée  de  maintes  queues  successives,  lan- 
guit, inarticulée,  et  lorsqu'on  arrive  à  la  fin  d'une  période,  on 
a  oublié  le  début.  De  gros  clous  relient,  vaille  que  vaille,  ces 
membres  qu'on  voudrait  dissocier,  et  c'est  ici  le  triomphe  du 
que,  du  joint  que,  du  qui,  du  lequel.  Comment^donc  vaincre  avec 
une  telle  arme  ?  Il  eût  fallu  une  épée  légère,  et  le  chevalier  très 
catholique  possède  une  si  lourde  massue  qu'on  le  voit  incapa- 
ble de  la  soulever.  La  fatigue  est  pour  lui,  le  péril  de  même,  et 
l'on  devine  que  ce  poids  énorme  lui  retombera  dessus.  En  outre, 
la  science  dont  il  se  vante  d'être  meublé  lui  joue,  comme  à  tant 
d'autres,  un  méchant  tour.  Elle  se  retourne  contre  lui,  et  le 
rend  plus  ridicule  et  plus  niais  qu'il  ne  l'eût  été  naturellement. 
Quand  il  expose  en  vingt  vers  [p.  17]  la  sage  conduite  d'Aris- 
tide banni,  on  a  envie  de  lui  dii-e  :  Passez  au  déluge  !  Il  y  passe, 
en  effet,  ou  peut  s'en  faut.  Je  l'entends  qui  se  compare  à  Phaé- 
ton  et  à  Tantalus  [pp.  4,  6],  puis  qui  raconte  sans  se  presser 
[pp.  9-10]  comment  Abraham  a  creusé  des  citernes  que  les  Phi- 
listins «  estoupèrent  »  plus  tard.  Cela,  au  concours  des  Palinods, 
eût  valu  au  rimeur  un  chapeau  de  roses,  mais  son  pamphlet  ne 
gagne  rien  à  un  tel  étalage  d'érudition. 

374.  Le  Coup  d'essay  commence  par  une  très  copieuse  dédi- 
cace à  François  I^^.  Cette  dédicace,  Jean  Mohnet  ou  Guillaume 
Crétin  l'auraient  signée,  car  on  y  retrouve,  abominablement 
délayé,  un  lieu  commun  cher  à  la  troupe  des  rhétoriqueurs. 
L'auteur  avoue  que  sa  hardiesse  fut  excessive,  et  qu'il  n'aurait 
jamais  dû,  lui  si  nul,  traiter  un  sujet  à  ce  point  difficile.  Il  hé- 
site, maintenant  encore,  à  rendre  public  ce  qu'il  a  griffonné. 
Crainte  lui  livre  un  rude  assaut  ;  Honte  le  ramène  en  arrière, 
et  Danger  serre  à  deux  poings  la  corde  de  son  franc  arbitre. 
Quelle  situation  !  Ma  «  langue  bransle  »,  dit-il,  et  je  n'ose  par- 
ler. Mon  «  esprit  vital  »  se  trouble,  et  je  demeure  «  comme  es- 
bahy  »,  prêt  à  anéantir  mes  inventions  et  à  »  suffocquer  »  l'en- 
fant nouveau-né  [p.  3].  Ce  thème  centenaire,  usé  par  tant  de 
loyaux  services,  est  plaqué  ici  fort  mal  à  propos.  Sagon,  vrai- 
ment, se  moque  du  monde  lorsqu'il  se  prétend  plein  de  modes- 
tie, car  il  espère  que  le  roi  pensera  dès  qu'il  aura  lu  ce  joli  «  pro- 
logue »  :  un  second  Marot  vient  d'apparaître  ;  laissons  le  pre- 


260  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE 

mier  au  delà  des  Alpes...  Le  même  désir  de  supplanter  le  grand 
poète  proscrit  inspire  à  Sagon  la  pensée  d'offrir  à  la  reine  de 
Navarre  quelques  vers  de  son  cru.  Le  Coup  d'essay  est  suivi 
d'une  Épistre  aux  troys  frères  princes  et  enfans  de  France,  et 
c'est  de  cette  épître,  galimatias  métaphysique  où  sont  célébrés 
les  sacro-saints  mystères  du  triangle  et  du  nombre  trois,  que 
Marguerite  reçoit  l'hommage.  Bien  entendu,  l'écrivain  s'excuse 
(et  il  a  raison)  d'oser  faire  un  pareil  cadeau.  Il  ne  cache  pas  qu'il 
a  tracé  d'une  «  main  tremblante  »  ses  fantaisies  triangulaires,  et 
supplie  qu'on  soit  indulgent  poiu-  son  «  lourd  et  gros  esprit  » 

[p-  35]- 

375.  La  partie  essentielle  du  Coup  d'essay  comprend  les  ré- 
ponses aux  épîtres  que  Marot  avait  envoyées  au  roi  et  aux  de- 
moiselles sœurs.  Je  n'ai  rien  à  dire  sur  le  début  de  la  première 
réfutation,  car  elle  commence  par  une  centaine  de  vers  mortel- 
lement ennuyeux  et  comparables  à  un  prône  qui  serait  à  la  fois 
perfide  et  pédant.  Ce  sermon  (c'est  bien  le  moment  !)  exalte 
la  vraie  charité,  la  charité  «  non  faincte  »  [p.  9].  L'auteur,  son 
exorde  fini,  entre  dans  le  vif  du  sujet,  et  parce  que  l'effronté 
Marot  a  calomnié  la  Sorbonne  et  la  magistrature,  il  s'applique, 
lui,  à  les  défendre.  Elles  venaient,  pourtant,  de  triompher  ; 
Marot  avait  dû  prendre  la  fuite,  et  louer  les  puissances  qui 
l'avaient  banni,  c'était  voler  au  secours  de  la  victoire.  Mais 
qu'importe  !  Le  protégé  de  l'abbé  de  Saint-Evroult  n'a  pas  de 
vaines  délicatesses,  et  il  n'hésite  pas  un  seul  instant  à  servir 
la  cause  des  plus  forts.  Les  docteurs  de  Sorbonne,  afïîrme-t-il, 
ne  sont  pas  des  ignorants.  J'admire,  je  vénère  «  leur  grande  ex- 
cellence ».  De  même  que  le  peuple  élu  vivait  de  la  manne,  ils 
«  cueillent  le  fruict  du  texte  evangelique  ».  Le  «  bien  transi- 
toire »  ne  les  touche  pas  ;  ils  ne  pensent  qu'au  ciel,  et  la  grati- 
tude de  ceux  qui  jugent  sainement  leur  est  acquise,  vu  qu'ils 
ont  livré  le  bon  combat  contre  la  philosophie.  Grâce  à  eux,  les 
philosophes  se  taisent,  et  la  théologie  parle,  dominant  les  scep- 
tres «  des  empereurs  et  roys  ».  Dès  que  ces  messieurs  de  la  Fa- 
culté veulent  ouvrir  la  bouche.  Dieu,  en  leur  faveur,  lâche  la 
bride  au  Saint-Esprit  [pp.  14-15]...  Quant  à  la  justice  du  par- 
lement et  du  bailli  Morin,  elle  aussi  «  va  droict  et  d'ung  seul 
pied  ne  cloche  »  ;  elle  n'est  pas  sourde  ;  elle  n'est  pas  aveugle  ; 
du  glaive  qui  flamboie  en  sa  dextre  «  oncques  ne  fut  personne 
a  tort  frappée  »,  et  le  poids  qu'elle  tient  en  sa  main  sénestre 
annonce  qu'elle  rend  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû  [p.  18]. 

376.  S'adressant  ensuite  «  aux  deux  sœurs  de  Clément  »,  Sa- 
gon travaille  à  «  confuter  »  la  lettre  qu'elles  ont  reçue.  Il  les 
connaît  si  peu,  ces  Savoisiennes,  qu'il  les  croit  de  Paris.  Bien 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ECOLE 


261 


mieux,  il  les  y  a  vues  un  jour  qu'il  s'en  allait  à  l'église,  et  il  a 
deviné  que  leurs  maris  étaient  fort  à  plaindre,  attendu  qu'il  y 
avait  en  elles  «  ung  je  ne  sçay  quoy  »  dont  on  pouvait  conclure... 
tout  ce  qu'on  voulait  [p.  21].  Mais  Sagon,  bien  qu'il  les  enrôle 
au  petit  bonheur  parmi  les  impures,  ne  laisse  pas  de  les  caté- 
chiser. Donc,  nouvelle  prédication.  Notre  homme,  ici,  est  à 
son  affaire.  Il  développe,  explique,  commente,  enfle  la  voix. 
Sa  première  phrase  a  vingt-six  vers.  Il  montre  à  ces  Parisiennes 
de  Savoie  que  leur  «  maulvais  fraire  »  a  eu  tort  de  leur  dire  que 
la  foi  seule  justifie  le  chrétien  et  que  les  œuvres  n'importent 
guère.  Qui  admet  cela  sera  damné.  La  foi,  condition  nécessaire 
pour  «  impetrer  »  la  grâce,  ne  saurait,  néanmoins,  suffire.  Il  faut 
des  œuvres,  et,  sans  les  œuvres,  point  de  salut  [p.  29].  S'il  vous 
manque  l'une  de  ces  deux  clefs,  jamais  vous  n'ouvrirez  la  porte 
du  paradis,  et  même  vous  resterez  au  seuil  si,  arrivant  avec  la 
foi  et  les  œuvres,  vous  êtes  dépourvu  de  charité.  Deuxième 
éloge  de  cette  vertu.  Insensible  aux  outrages,  patiente,  con- 
fiante, fuyant  les  actes  d'où  naît  le  remords,  telle  est  la  cha- 
rité qui  «  aulcun  ne  blasme  ».  Là-dessus,  joignant  l'exemple 
au  précepte,  le  prêtre  rimeur  insulte  les  victimes  du  drame  des 
placards,  traîne  dans  la  boue  tous  ces  martyrs,  et,  après  avoir 
une  seconde  fois  marqué  [p.  30]  un  bon  point  aux  chats  four- 
rés, déplore  que  certains  hérétiques  aient  échappé  à  leurs  coups 

[P-  331 

377.  Les  deux  réponses  de  Sagon  se  ressemblent  encore  en 
ceci  que  les  injures  à  l'adresse  de  Marot  y  foisonnent,  basses 
et  violentes.  Le  talent  même  lui  est  dénié,  et  on  le  donne  [p. 
20]  comme  n'étant  «  orateur  ni  poète  ».  Ignare  puisqu'il  ne 
sait  «  ung  seul  mot  de  latin  »  [p.  28],  il  n'a  d'autres  dieux  que 
Tibulle  et  qu'Ovide,  se  nourrit  de  livres  voluptueux,  et  se  mêle 
pourtant,  vrai  serpent  qui  prophétise  sous  l'herbe  [p.  34],  à'ob- 
ténébrer  [p.  9]  la  doctrine  évangéhque  et  d'éloigner  les  simples 
de  l'orthodoxie.  Nul,  à  cet  égard,  n'a  fait  autant  de  mal  que  ce 
mangeur  de  lard  en  carême  ;  principale  cause  du  «  desarroy  » 
de  l'Église,  il  mérite  d'être  regardé  comme  le  «  porte  guydon  » 
des  gens  à  brûler  [p.  14],  et  les  mensonges  de  cet  hypocrite, 
de  ce  Pathelin  doublé  d'un  Villon,  sa  «  langue  injuiieuse  et  vile  » 
[p.  15]  déçoivent  ceux  qui  ne  le  connaissent  pas.  Sa  vie  privée, 
sa  vie  «  infâme  et  orde  »  [p.  16]  ne  vaut  pas  mieux  que  ses  œu- 
\res  publiques,  et  Sagon  lui  crie,  tout  écumant  :  «  O  pauvre 
beste  insensée  »,  tu  as  laissé  tes  enfants  et  ta  femme  à  l'aban- 
don [p.  26]  ;  si  grande,  si  honteuse  est  ta  pauvreté  que  tu  ne 
possédas  «  onc  habit  net  »  en  ton  cabinet.  Tu  les  as  mises  en 
gage,  tes  nippes,  et  celles  qu'on  te  voit  sur  le  dos,  quelqu'un  te 


262  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

les  a  prêtées  [p.  19].  Et  tu  t'imagines,  vaniteux,  que  la  France 
te  regrette  ?  Ah,  la  «  .départie  aggreable  »  !  Elle  réjouit  les  bons 
citoyens,  et  ils  n'ont  qu'un  désir,  c'est  que  la  justice  mette  «  la 
dent  sur  ta  charogne  »  [p.  13].  Cela  viendra.  Ton  crime  est  «  égal 
a  lèze  majesté  »  [p.  12]  ;  tu  n'éviteras  pas  le  supplice,  et  bien- 
tôt, que  tu  te  repentes  ou  non,  tu  mourras  «  en  feu,  en  croix, 
en  roue  ou  potence  »  [p.  34].  Ce  vers  est  le  dernier  du  libelle. 
La  tâche  du  saint  homme  est  achevée,  et  il  n'a  plus  qu'à  écrire 
sa  devise,  par  malheur  identique  à  celle  du  grand  Jean  Par- 
mentier  ;  Velà  de  quoy  ! 

378.  Bien  que  le  Coup  d'essay  fût,  à  tous  égards,  un  répu- 
gnant ouvrage,  il  fit  cependant  beaucoup  de  bruit,  et  suscita, 
dès  son  appaiition,  un  certain  nombre  d'imitateurs.  En  voici 
deux  qui  s'empressèrent  de  suivre  les  traces  de  François  Sa- 
gon  :  le  premier,  Charles  Huet  ou  La  Hueterie,  est  un  person- 
nage autant  dire  inconnu,  et  nous  pouvons,  du  moins  pour  l'ins- 
tant, le  négliger  ;  le  second,  Jean  Leblond,  seigneur  (et  non 
pas  curé)  de  Branville,  a  quelque  valeur,  et  les  divers  livres 
publiés  par  lui  méritent  qu'on  les  examine.  Il  se  dit,  en  l'une 
de  ses  dédicaces,  natif  an  territoire  d'Évreux.  C'est  un  peu  va- 
gue, mais  il  précise  ailleurs  :  «  Barra  [il  s'agit  de  La  Barre-en- 
Ouche]  mihi  patria  est...  quae  bis  |  Millibus  Ebroica  distat  ab 
urbe  novem  ».  Il  fit  ses  études  en  «  Paris  la  docte  »,  et  paraît 
avoir  eu  comme  protecteurs  Claude  d'Annebaut,  amiral  et  ma- 
réchal de  France,  et  les  parents  du  j  eune  et  «  noble  baron  de 
Ferières,  seigneur  de  Chambrays  »,  dont  il  se  proclame  le  a  très 
humble  esclave,  ministre  obeyssant  et  subject  perpétuel  ».  Qu'il 
ait  tâché  de  se  pousser  à  la  cour,  il  n'y  a  pas  lieu  d'en  douter 
puisque  nous  savons  qu'il  a  quitté,  un  temps,  sa  province,  et 
qu'il  a  composé  «  au  domicile  des  gratieuses  et  humaines  Muses 
parisiennes  »  une  partie  du  lecueil  de  vers  imprimé  en  1536. 
De  plus,  on  trouve  une  pièce  de  lui  parmi  celles  qui  déplorent 
le  trespas  de  feu  monseigneur  le  Daulphin,  et  il  a,  sous  le  titre 
de  Niiptiaulx  virelays,  rimé  un  épithalame  de  Madame  Made- 
leine de  France.  Si  vous  ajoutez  que  Leblond  se  désigne  par 
les  mots  d'humble  espérant  et  que  sa  devise  est  Espérant  mietilx, 
vous  admettrez  volontiers  qu'il  ne  devait  pas,  lui  non  plus, 
manquer  d'ambition,  et  qu'il  cherchait  les  moyens  de  percer. 
Franchement,  les  Nuptiaulx  virelays,  tout  encombrés  de  vaine 
et  trop  facile  m>i:hologie,  n'étaient  guère  de  nature  à  lui  ouvrir 
d'un  coup  la  porte  du  roi,  et  il  perdait  son  temps  et  son  encre 
en  dépeignant  la  jalousie  de  Junon,  de  Vénus  et  de  Pallas  qui 
craignent  d'être  avant  peu  éclipsées  par  Madeleine  et  que  «  Jup- 
piter  n'ayt  d'icelle  accointance  ».  Sans  doute,  c'était  flatteur  : 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  263 

mais  Clément  était  capable  de  faire  aussi  bien,  et  on  l'évin- 
cerait  plus  facilement  par  des  calomnies  que  par  des  vers.  Voilà 
ce  que  pensa  le  normand  Branville  comme  l'avait  pensé  le  nor- 
mand Sagon,  et  comme  le  pensait,  à  la  même  date,  La  Hue- 
terie  qui,  lui,  alla  droit  son  chemin,  et,  ayant  le  courage  de  son 
opinion,  demanda  tout  net  à  François  I^^  la  place  du  pauvre 
Marot. 

379.  Le  réquisitoire  dirigé  contre  lui  par  Jean  Leblond  se 
lit  à  la  fin  du  Printemps  de  l'humble  espe'ranf.  Ce  volume,  où 
sont  réunies  les  choses  les  plus  disparates,  nous  présente  d'abord, 
comme  pièce  de  résistance,  un  Temple  de  Diane.  Ceci  nous  ra- 
mène assez  loin  en  arrière,  au  temps  où  Molinet,  Lemaire  et 
Clément  lui-même  s'amusaient  à  construire,  sur  un  plan  inva- 
riable, des  temples  de  Mars,  de  Minerve,  de  Vénus,  de  Cupido. 
La  règle,  on  se  le  rappelle,  voulait  que  l'on  dotât  de  la  liturgie 
romaine  ces  sanctuaires  païens,  et  que  la  peinture  fût  allégo- 
rique. Ici,  il  s'agit  des  plaisirs  et,  en  outre,  des  avantages  mo- 
raux de  la  chasse.  Branville  n'a  pas  cherché  à  paraître  original, 
et  a  suivi  point  par  point  la  méthode  de  ses  devanciers.  Le  tem- 
ple de  Diane,  «  gracieux  umbrage  d'arbres  haultains  »,  repose 
sur  des  colonnes  qui  sont  des  «  lauriers  odorifères  ».  Le  prélat, 
monseigneur  Déduit-royal,  homme  joyeux,  sanguin  et  délibéré, 
officie  entouré  de  chanoines  et  de  chapelains  qui  se  nomment 
Jeunesse,  Santé-de-corps,  Liesse,  Persévérance  et  Appétit.  Les 
chiens  courants  [f.  Bi  v»]  jouent  le  rôle  de  chantres  ;  leurs  cris 
valent  mieux  que  «  flustes  et  hauboys  »,  et  c'est  «  une  droite 
faerye  »  de  les  entendre.  Une  longue  file  de  pèlerins  accourt 
sans  cesse  vers  ce  lieu  sacré,  et  l'on  remarque,  dans  l'assis- 
tance, Enée  et  Didon,  les  pucelles  de  Sparte,  Adonis,  Méléagre, 
Atalante  et  François  I^r.  L'auteur  qui,  dès  les  premiers  vers  du 
poème,  s'était  détourné  avec  horreur  de  la  statue  de  Vénus, 
demande,  en  concluant,  à  être  ordonné  prêtre  de  Diane.  Cette 
requête  est  bien  accueillie,  et,  à  l'instant,  le  nouvel  Hippolyte 
fait  vœu  d'éternelle  chasteté. 

380.  Tournez  la  page  !  Ce  même  Jean  Leblond,  qui  vient 
ainsi  de  renoncer  à  l'Amour,  à  ses  pompes  et  à  ses  œuvres,  lui 
rime  une  supplique  en  qualité  de  «  povre  fouldroyé  »,  c'est-à- 
dire  de  pauvre  avarié.  Le  mal  dont  il  souffre,  il  le  désigne  très 
clairement,  sans  périphrase  ni  euphémisme.  Du  Temple  de  Diane 
à  ce  mal-là,  vraiment,  le  passage  est  un  peu  brusque,  et  une 
petite  transition  n'aurait  pas  semblé  de  trop.  Mais  le  lecteur, 
une  fois  remis  de  sa  surprise,  se  plaît  à  constater  que  l'écrivain 
est  beaucoup  mieux  inspiré  comme  martyr  du  traître  Cupidon 
que  lorsqu'il  chante  la  virginité.  Si  les  plaintes  du  foudroyé 


264  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

sont  grossières,  elles  ont  une  certaine  vigueur,  un  air  cavalier 
et  picaresque.  Je  signale  un  couplet  qui  se  recommande  par 
im  réalisme  digne  de  Villon  :  Branville  déclare  à  l'Amour  que, 
s'il  ne  porte  pas  remède  au  fléau  qu'il  a  déchaîné,  sa  cour,  tel- 
lement brillante  jadis,  va  devenir  une  cour  des  miracles.  Au- 
trefois, dit-il,  c'étaient  les  rois  qui  te  servaient,  te  faisaient 
cortège.  Et  maintenant  !...  Maintenant,  ceux  qui  marchent  der- 
rière ton  char,  ce  sont  des  gens  à  ^  pales  museaulx  »,  plus  blancs 
que  plâtre,  couverts  de  cicatrices,  décharnés,  «  monstrant  leurs 
dens  comme  s'ils  vouloyent  mordre  »,  muets  ou  «  parlant  du 
nez  »,  s'avançant  à  l'aide  de  béquilles,  «  plains  d'oignements  », 
et  dont  la  figure  est  à  ce  point  enrichie  d'emplâtres  qu'on  n'a- 
perçoit plus  que  leurs  «  yeux  mengés  ».  Voilà  tes  ministres,  ô 
Cupidon  !  Ils  n'ont  rien  gagné  à  te  prendre  pour  maître,  et 
com  ien  tu  vas  perdre,  toi,  à  cet  étalage  de  leurs  plaies  !  Cha- 
cunbfuira  tes  autels,  fatigué  d'un  culte  si  onéreux. 

381.  Que  ce  soit  là  de  la  «  poésie  »,  on  peut,  on  doit  même  le 
nier.  Mais  on  ne  refusera  pas  à  ce  tableau  une  certaine  force 
plastique,  qui  se  retrouve,  d'ailleurs,  en  quelques  autres  par- 
ties du  Printemps.  Assez  alerte  et  spirituelle  me  semble  l'Épis- 
tre  à  ung  drapier.  L'auteur  qui  s'excuse  de  n'avoir  pas  encore 
payé  ce  marchand,  et  qui  le  renvoie  au  k  joly  moys  »  de  mai, 
se  défend  d'imiter  maître  Pierre  Pathelin,  le  trompeur  à  1'  «  oaye 
grasse  »,  l'homme  gui  se  gandissait  de  drapperie.  Branville,  lui, 
compte  s'acquitter  :  mais,  dit-il,  «  le  cuir  de  ma  bourse  est  si 
tendre  »  que  l'argent  glisse  et  coule  à  mon  insu.  Donc,  prenez 
patience  !  Endurez  !  Pourquoi  non  ?  Jésus-Christ  endura  beau- 
coup, et  il  est  écrit,  dans  la  patenôtre,  «  qu'il  faut  aux  debteurs 
pardonner  »...  Le  reste  du  livre  ne  vaut  pas  cela,  et  j'indique, 
sans  m'y  arrêter,  la  Déflagration  de  la  ville  de  Chambrays  (30 
juillet  1534),  l'Épisfre  (toujours  Trissotin  !)  à  la  fièvre  quarte 
qui  avoit  prins  ung  évesque  [f.  Dii  r^],  l'Épistre  élégiacque  de 
l'humble  espérant  à  sa  dame,  en  rythme  alexandrine,  un  Chant 
royal  en  l'honneur  de  monsieur  sainct  Jehan-Baptiste  et  des  let- 
tres adressées  à  maistre  Guillaume  Saulnier,  poète  français  et 
latin  et  à  Jehan  Basset,  facteur  et  chantre. 

382.  Nous  arrivons,  cette  énumération  faite,  à  ce  qui  nous 
intéresse  le  plus,  aux  pages  qui  visent  Clément  Marot.  On  ne 
se  douterait  guère,  en  les  lisant,  que  Leblond  devait,  plus  tard, 
composer,  avant  Joachim  Du  Bellay,  un  éloge,  une  défense  de 
notre  langue  vulgaire  et  nationale.  Pour  l'instant,  il  écorche 
horriblement  le  latin,  et  l'on  rencontre  chez  lui  un  grand  nom- 
bre de  ces  termes  que  Pantagruel  jugeait  «  diaboliques  ».  Les 
premiers  vers  sont  un  pur  grimoire,  un  logogriphe  quasi  indé- 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  265 

chiffrable,  et  le  reste  abonde  en  mots  non  moins  sauvages  que 
savants  :  universe,  par  exemple,  ou  sitihond.  A  quoi  vous  ajou- 
terez énucléant,  parisiaque,  traditeur,  augurateur  et  parvipen- 
dant.  Voilà  un  joli  vocabulaire,  à  la  fois  riche  et  très  distingué. 
Pourtant  Branville  ne  méprise  pas,  comme  on  aurait  pu  s'y 
attendre,  le  style  en  apparence  naïf  et  un  peu  nu  de  Marot,  et 
si,  en  un  transport  de  rage,  il  lui  arrive  de  l'appeler  un  «  vray 
barragouin  »,  il  avoue  ailleurs  que  son  ennemi  est  remarquable 
par  sa  «  veine  faconde  )>,  que  nul  ne  l'égale  en  «  beau  parler  », 
qu'il  obtiendrait,  pourvu  qu'il  renonçât  à  l'hérésie,  aussitôt 
«  loz  et  triumphe  »,  et  que  personne  ne  lui  disputerait  le  «  trosne 
d'éloquence  françoise  ». 

383.  Oui,  mais  Clément  a  fait  siennes  les  damnables  erreurs 
de  Luther,  et  il  en  résulte  qu'il  n'est  plus,  malgré  son  génie, 
qu'un  «  presumptueux  veau  »,  qu'un  sanglier  qui  se  roule,  de 
manière  à  le  rendre  boueux  et  noir,  dans  le  «  ruisseau  caba- 
lin  »  [f.  Hi  ro].  Qu'attendre,  en  effet,  d'un  être  assez  inique  pour 
calomnier  ce  qu'il  y  a,  sur  terre,  de  plus  vénérable,  savoir  le 
parlement  et  la  Sorbonne  ?  Les  louanges  que  Sagon  décernait 
tant  aux  magistrats  qu'aux  docteurs  pâlissent  devant  le  pané- 
gyrique enflammé  que  leur  adresse  l'Humble  Espérant.  La  Sor- 
bonne, à  l'en  croire,  est  «  angelique  »  ;  il  la  proclame  «  fille  de 
Dieu  »  ;  les  malveillants  seuls  peuvent  l'accuser  d'ignorance, 
car  ces  langues  hébraïque  et  grecque  dont  elle  interdit  l'étude, 
elle  les  connaît  et  les  possède.  Ceux  qui  la  haïssent  ne  lui  repro- 
chent, au  fond,  qu'une  chose  :  son  zèle  catholique,  sa  ferme  foi. 
Et  qu'il  y  ait,  parmi  ces  hommes  de  bien  et  dans  l'armée  im- 
mense des  moines,  quelques  membres  gangrenés,  quelques  mau- 
vais pasteurs,  des  gens  avides,  oisifs  ou  simoniaques,  on  ne 
songe  pas  à  le  nier.  Mais  cela  neprouve  rien.  Où  donc  le  mal  ne 
se  glisse-t-il  pas  ?  Tous  les  rois  ne  sont  pas  bons  rois  ;  tous  les 
nobles  n'ont  pas  l'âme  noble  ;  tous  les  laboureurs  ne  labourent 
pas  comme  il  faudrait  ;  chaque  mariage  que  le  prêtre  bénit  ne 
forme  pas  un  heureux  ménage,  et  les  juges,  parfois,  se  moquent 
de  la  justice...  Non  pas  ceux,  pourtant,  qui  siègent  au  parle- 
ment de  Paris  !  Ce  royal  sénat,  «  orné  d'esprits  notables  »,  Bran- 
ville  l'appelle  non  seulement  «  le  pilier  et  le  solide  marbre  », 
mais  encore  la  chaire,  «  le  pol  articque  et  céleste  solstice  »  de 
l'équité.  Une  telle  cour,  sainte  et  incorruptible,  quiconque  n'a 
pas  un  cœur  de  galérien  la  salue  et  la  respecte.  Par  contre,  les 
méchants  ne  l'apprécient  guère,  et,  prévoyant  qu'ils  seront  un 
jour  pendus,  ils  insultent  d'avance  le  tribunal.  Ne  vous  en  éton- 
nez pas  !  C'est  la  règle  :  jamais  teigneux  n'a  aimé  le  peigne. 

384.  Inutile  de  dire  que  tout  cela  s'applique  au  pauvre  Clé- 


266  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

ment.  Branville  ne  le  ménage  pas,  et  lui  décoche  mille  invec- 
tives. Tu  es,  lui  crie-t-il,  «  pourri  d'heresie  »  ;  il  serait  plus  facile 
de  blanchir  un  Arabe  que  de  laver  ta  sale  conscience  ;  je  te  dé- 
nonce au  monde  comme  un  galeux  rempli  d'  «  impurité  »,  et 
j'espère,  avec  tous  les  vrais  chrétiens,  que  Dieu  te  châtiera 
quelque  jour  et  nous  délivrera  de  toi,  «  lezardeau,  venimsuse 
lice,  poignante  vipère,  loup  terrien,  basilic  infaict,  tortueux 
serpenteau,  dragon  pestilent  »,  nouvelle  «  hydra  »  [f.  Hi  v^]. 
Il  faut  que  ton  orgueil  soit  démesuré  pour  que  tu  aies,  Marot 
porteur  de  marotte,  osé  prétendre  [G.  III,  304]  que  la  France 
avait  été  «  ingratissime  »  envers  toi.  Pour  qui  donc  te  prends- 
tu  ?  La  France  te  doit-elle  quelque  chose  ?  Es-tu  son  grand- 
père  ?  Est-elle  tenue  à  te  respecter  comme  un  second  Enoch 
ou  un  autre  Élie  ?  Il  serait  plaisant  qu'elle  te  gardât  une  vive 
reconnaissance,  à  toi  dont  elle  n'a  reçu  que  honte  et  poison. 
Tu  proclames  en  vain  l'innocence  de  tes  amis,  de  ces  miséra- 
bles luthériens  qui  ont  eu  «  les  os  pelez  en  ardant  feu  ».  Leur 
supplice  fut  très  mérité,  et  non  moins  juste  sera  ta  mort.  Nous 
te  verrons  avant  peu  sur  le  bûcher.  Tu  le  sais  bien,  et,  à  cette 
pensée,  ton  fro7it  sue  de  -peur.  Parlant  des  monstres  qu'on  a  brû- 
lés pour  crime  de  lèse-eucharistie,  tu  as  avoué  [G.  III,  303] 
qu'ils  valaient  mieux  que  toi.  S'il  en  est  ainsi,  que  vaux-tu  ? 
De  quelles  tortures  n'es-tu  pas  digne,  et  comment  échapperais- 
tu  au  bourreau  ? 

385.  Assailli  de  la  sorte  par  Sagon  et  Branville,  le  poète  exilé 
se  résigna  assez  longtemps  au  silence,  feignit  de  n'avoir  pas 
senti  l'outrage,  et,  attendant  son  heure,  ne  bougea  point.  Pour- 
tant, dès  juillet  1536,  alors  qu'il  languissait  à  Venise,  il  avait 
lu  le  Coup  d'essay  [G,  III,  437,  v.  80]  ou  avait  appris,  tout  au 
moins,  l'existence  de  ce  factum.  Répondre  à  ce  moment  eût 
été  fort  périlleux.  Marot  qui  travaillait  à  son  rappel,  et  que 
ses  adversaires  peignaient  séditieux  et  turbulent,  gagnait  beau- 
coup à  se  taire,  et  n'avait  pas  intérêt,  certes,  à  jeter  de  l'huile 
sur  la  flamme.  D'ailleurs,  quelques  mois  plus  tard,  il  remporta, 
sans  prendre  la  plume,  une  victoire  sur  ses  ennemis.  Son  retour, 
qu'ils  croyaient  impossible,  les  consterna,  et  sa  rentrée  en  grâce 
fut  un  soufflet  pour  eux  qui  n'avaient  cessé  de  prédire  qu'il 
n'éviterait  pas  ou  la  potence  ou  les  fagots.  Content  d'avoir  fait 
mentir  cette  féroce  prophétie,  il  différa  sa  Vengeance,  et  nous 
savons  même  [Lenglet-Dufresnoy,  107-108  ;  Bonnefon,  124-125] 
qu'ayant  rencontré  Sagon  chez  la  reine  de  Navarre,  «  au  pont 
Saint-Cloud,  sur  le  fleuve  de  Seine  »,  il  dissimula  sa  rancune, 
demeura  impassible,  et  ne  prononça  «  paiole  ne  demie  ».  L'au- 
tre, en  cela  mauvais  psychologue,  s'imagina  que  cet  homme 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  267 

prime-sautier  et  fougueux  acceptait  avec  patience  la  brutale  ava- 
nie du  Coup  d'essay,  et  que  sa  calme  attitude  signifiait  qu'il  ne 
riposterait  pas.  Il  fallait  être  Sagon  pour  nourrir  une  pareille 
illusion.  Il  confesse  l'avoir  eue,  et  demande  ingénument  :  D'où 
vient  que  tu  ne  m'as  pas  averti  «  qu'encontre  moy  Fripelippes 
faisais  »  ? 

386.  Mais  tandis  que  Marot,  secrètement  et  à  loisir,  méditait 
son  écrasante  réplique,  trois  de  ses  disciples  ou  de  ses  admira- 
teurs se  levaient  afin  de  le  défendre,  et  l'on  entendit  bientôt, 
lui  rendant  pleine  justice  et  huant  son  détracteur,  les  voix  de 
Bonaventure  des  Périers,  de  Charles  Fontaine,  puis  celle  d'un 
inconnu  qui  se  dérobait  sous  le  pseudonyme  de  Nicole  Glote- 
let.  L'intrépide,  le  si  généreux  Bonaventure,  sans  grand  talent 
mais  cœur  chevaleresque,  rimeur  gauche  mais  champion  hardi, 
toujours  pi  et  à  courir  au  danger,  au  sacrifice,  se  montra  pour 
Clément  le  vrai  ami,  comprenez  l'ami  des  mauvais  jours.  Le 
bien  qu'il  pensait  de  lui,  très  vaillamment  il  le  proclama  au 
temps  de  la  défaveur  et  de  l'exil.  Le  poète  était  à  terre  lorsqu'il 
lui  tendit  la  main,  et  ce  fut  là  un  geste  émouvant.  Des  Périers 
supplie  le  roi  de  rouvrir  la  France  et  la  cour  au  second  Maro. 
Sa  cause,  déclare-t-il  avec  une  sincère  et  touchante  modestie, 
cent  autres  la  plaideraient  mieux  que  moi.  Allons,  qu'ils  parais- 
sent et  me  suivent  !  Pourquoi  me  laissez-vous  seul,  vous  autres 
qui  avez  de  l'esprit  ?  Hâtez -vous  de  secourir  votre  maître,  votre 
grand  confrère.  S'il  a  commis  des  fautes,  elles  sont  légères,  vé- 
nielles, et  le  coupable  qu'il  faut  confondre,  c'est  «  cebestion  », 
ce  vilain  oiseau  à  la  plume  de  harpie  ou  de  chouette  qui  veut 
nuire  au  phénix  sans  pair,  et  trouble  «  la  divine  assemblée  » 
des  Muses...  Bonaventure  pénètre  excellemment  le  dessein  caché 
du  «  maromastix  ».  Ce  qui  l'inspire  et  le  pousse,  c'est  l'envie,  et, 
au  fond,  il  ne  cherche  qu'une  chose  :  se  tirer  de  l'ombre,  du 
néant,  se  faire  un  nom,  «  s'advancer  ». 

387.  Charles  Fontaine  qui  entre  en  lice  avec  (il  avait  alors 
vingt  ans)  l'ardeur  passionnée  et  téméraire  de  la  jeunesse,  assi- 
gne les  mêmes  motifs  à  la  conduite  de  François  Sagon.  Il  a 
voulu,  et  Huet  comme  lui,  supplanter  Clément,  obtenir  ses 
gages  et  son  «  lieu  »  (sa  place),  parvenir,  au  moyen  de  vers  qui 
ne  valent  pas  deux  groseilles,  «  a  honneur  et  a  joie  »,  c'est-à- 
dire  à  mériter  «  quelque  don  ».  Voilà  pourquoi  ce  veau,  ce  Zoïle 
a  calomnié  un  absent.  Fontaine  aurait  dû  insister,  j:raiter  lar- 
gement ce  thème  moral.  Mais  il  l'indique  à  peine,  et  préfère 
critiquer  en  détail  le  .style  misérable  du  Coup  d'essay.  Il  note 
les  rimes  faibles,  les  phrases  obscures,  les  mots  pédants  calqués 
sur  le  latin,  et  conclut  que  c'est  là  une  de  ces  œuvres  qui,  plus 


268  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

sèches  qu'une  tuile,  sont  condamnées  à  mourir.  Fatigue,  indigne, 
le  lecteur  s'écrie  Bren  du  poète  !  et  il  envoie  aussi  l'imprimeur  au 
diable.  En  quels  termes  ?  Consultez  le  texte  (p.  173),  et  vous 
verrez. 

388.  Cette  apologie  de  Marot  semble  puérile  dès  qu'on  la  com- 
pare à  celle,  si  ample  et  par  endroits  si  forte,  que  Nicole  Glo- 
telet  composa.  Il  est  dommage  qu'elle  soit  hérissée  de  m^dhes 
et  de  noms  antiques,  car,  à  ce  vice  près,  elle  est  digne  de  beau- 
coup d'estime,  et  donne  une  haute  idée  aussi  bien  du  caractère 
que  de  l'intelligence  de  l'auteur.  Lui,  il  est  parti  en  guerre  vers 
l'heure  où  Clément  repassait  les  monts,  et  il  commence,  cela 
étant,  par  une  façon  d'églogue  enthousiaste  qui  célèbre  l'arrivée 
du  proscrit.  Toutes  les  divinités  rustiques  et  musiciennes,  le 
chœur  entier  des  chantres  fabuleux,  les  l3Tiques  de  la  Grèce  et 
de  Rome,  les  nymphes  et  les  pâtres  de  A'irgile  sont  priés  de 
ressusciter  au  plus  vite  et  de  se  réjouir  à  cause  de  ce  retour 
désiré.  A  l'instant  ils  approuvent  et  consentent.  Voici  Apollon 
qui  prépare  sa  13^-6  ;  «  Pan  l'arcadique  »  joue  de  la  flûte  ;  Orphée 
«  sj-mphonize  »,  les  doigts  sur  son  luth  ;  Arion,  Musée,  Amphion 
se  mêlent  gentiment  au  concert  ;  Tityre  les  accompagne  «  par 
mesure  et  compas  »  ;  l'autre  Phébus  (c'est  Pindare)  émet  des 
accords  ensorcelants  ;  Triton  frétille,  plein  d'allégresse,  et  fait 
sonner,  entre  deux  gambades,  sa  conque  marine,  «  sa  grant  co- 
quille creuse  et  tortue  »  ;  Alcée  et  Corydon,  coiffés  de  «  chap- 
peaux  de  fleurs  très  redolens  »  et  tenant  chacun  une  déesse  «  par 
soubz  le  bras  »,  forment  des  danses  parmi  les  prairies,  et  mau- 
dissent les  gueux,  les  sots  qui  s'affligent  «  de  veoir  Marot  a  la 
France  rendu  ».  Finalement,  ce  bal  des  immortels  et  ce  bruit 
d'orchestre  dans  le  bois  sacré  aboutissent  à  une  manifestation 
hostile  au  vaniteux  secrétaire  de  l'abbé  de  Saint-Evroult,  et 
c'est  lui  qui  paiera  les  frais  de  la  fête. 

389.  Glotelet  lui  reproche  d'abord  d'avoir  méconnu  les  dons 
surnaturels  de  Marot  et,  pour  montrer  en  quoi  ils  consistent, 
il  s'applique  à  définir  le  \Tai  poète.  Dieu,  affirme-t-il,  est  en 
lui.  Les  accents  qu'il  nous  fait  ouïr,  la  Sagesse  suprême  les  lui 
prête  et  les  lui  souffle  ;  il  écrit  sous  la  dictée  de  l'Éternel,  et 
ressemble  ainsi  à  un  instrument  qu'animerait  l'artiste  infailli- 
ble, le  maître  d'en  haut.  Oui  dit  poète  dit  prophète.  Autant  de 
beaux  vers,  autant  d'oracles,  et  nous  pouvons  comparer  l'œuvre 
d'Homère  à  la  mission  d'Ézéchiel.  Ce  sont  là  des  idées  platoni- 
ciennes, et  une  telle  manière  de  concevoir  le  rôle  et  l'essence  du 
génie  devait,  à  cette  date,  paraître  étonnamment  neuve.  Ron- 
sard eût  signé  avec  plaisir  la  page  que  je  viens  d'anal3'ser.  Reste 
à  savoir,  toutefois,  si  ce  portrait  du  surhomme  inspiré  évoque 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  269 

en  nous  la  figure  de  Clément.  Oui  certes,  répond  Glotelet,  et  les 
cuistres  et  les  jaloux  soutiendront  seuls  le  contraire,  alléguant 
que  Marot  s'est  exprimé  en  vulgaire  langage,  en  simple  français 
bon  pour  la  plèbe.  Objection  risible  !  Pourquoi  ne  pas  blâmer, 
à  ce  compte,  l'hébreu  de  l'hébreu  David,  le  grec  de  l'Homère 
grec  et  le  latin  du  latin  Virgile  ?  La  haine  des  sots  n'épargne 
jamais  les  grands  esprits.  Chaque  Virgile  crée  un  Bavius  ;  cha- 
que Marot  produit  un  Sagon.  Oh,  l'outrecuidant,  le  «  povre 
idiot  )),  r  «  asinin  »  personnage  que  cela  fait  !  Et  quelle  bravoure  ! 
Il  attend  que  son  adversaire  soit  à  trois  cents  lieues  poui  lui 
envoyer  un  boulet  de  canon.  «  Bon  canonnier  »,  ta  pièce  ne 
porte  pas  si  loin,  et  celui  que  tu  n'aurais  pu  abattre  quand  vous 
étiez  nez  à  nez,  tu  ne  l'atteindras  pas  à  Ferrare  en  le  visant 
de  Paris.  La  lutte  n'est  pas  égale  entre  vous  deux,  et  je  te  com- 
pare à  un  manant  qui  défie  un  prince,  à  la  mouche  qui  provoque 
un  éléphant,  au  corbeau  criard  qui  veut  chanter  comme  un 
rossignol,  au  hibou  qui  préfère  sa  queue  à  celle  du  paon,  au 
petit  moineau  «  tout  desplumé  »  qui  ose  attaquer  un  gerfaut 
royal. 

390.  Mille  autres  images  s'offrent  d'elles-mêmes  à  Glotelet  — 
et  quelques-unes  sont  excellentes  —  lorsqu'il  s'agit  dépeindre 
la  lourde  bêtise  de  François  Sagon.  En  lisant,  lui  dit-il,  ton 
Coup  d'essay,  tes  «  carmes  »  agressifs  mais  invalides,  on  croit 
voir  un  bœuf  qui-  danserait,  couvert  d'une  armure,  la  pyrrhi- 
que.  Tes  arguments  décousus  tombent  «  comme  crottes  de  chiè- 
vre  »  ;  rien  n'est  plus  comique,  malheureux  fou,  que  tes  contra- 
dictions, tes  battologies,  et  quand,  renonçant  à  la  satire,  tu  te 
lances  dans  la  métaphysique,  on  aperçoit  à  plein  ton  arrogante 
stupidité.  Ici  se  place,  gaie  et  judicieuse,  une  critique  de  cette 
Épistre  aux  troys  enfans  de  France  où  Sagon,  philosophe  dément, 
a  servi,  sous  la  forme  d'une  horrible  macédoine,  le  peu  de  no- 
tions qu'il  avait  touchant  les  vertus  de  la  triade  et  du  triangle. 
Nicole  Glotelet  regarde  ce  bavardage  mystique  comme  un  rêve 
de  malade,  le  délire  d'un  cabaliste  ou  d'un  thaumaturge  ;  il  rit 
de  ce  triangle  qui  n'a  ni  angle  «  ny  bout  ny  coing  »,  et  demande 
ce  que  les  jeunes  princes  ont  pu  comprendre  à  cette  poésie  chao- 
tique où  tout  se  trouve  confondu,  l'enfer  et  la  terre,  la  terre 
et  le  ciel,  le  bien  et  le  mal,  le  blanc  et  le  noir,  l'homme  et  les 
dieux.  Il  conclut  en  affirmant  :  ton  Coup  d'essay  appelle  des 
coups  de  fouet.  Si  tu  ne  veux  pas  les  recevoir,  amende-toi  ; 
renvoie  le  «  cacodemon  qui  presche  en  toy  »  et  te  rend  mania- 
que, puis,  au  lieu  de  travailler  à  acquérir  le  renom  d'un  sot, 
d'un  veau  et  d'un  âne,  chante  «  par  mélodie  »  (si  tu  peux  !)  le 
jour  qui  nous  ramène  notre  Clément. 


270  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

391.  De  toutes  les  pièces  qui  ont  trait  à  la  fameuse  querelle, 
je  dirais  que  celle-ci  est  la  meilleure  si  Marot  lui-même  n'avait, 
rompant  le  silence,  vengé  en  personne  sa  propre  injure  et  décoché 
à  son  ennemi  la  joyeuse,  l'accablante  épître  de  Fripelippes. 
Devant  cette  œuvre  on  pense  :  voici  le  maître  !  et  il  ne  reste  qu'à 
saluer.  Voltaire  n'a  jamais  fait  mieux,  et  l'esprit  français  triomphe 
ici.  Vraiment,  c'est  par  modestie  et  politesse  que  l'auteur  réclame 
le  secours  de  ses  partisans  [G.  III,  582,  v.  152  sqq],  et  veut 
réunir  sous  sa  bannière  La  Borderie,  Fontaine,  Lyon  Jamet, 
Victor  Brodeau  et  Bonaventure.  Il  les  vaut  tous  à  lui  seul  ;  il 
n'a  pas  besoin  d'eux,  et  sa  réplique  au  «  vieulxresveur  normand  », 
nul  autre  n'aurait  pu  l'écrire.  C'est  une  très  adroite  fiction 
d'avoir  chargé  un  valet  de  répondre  aux  basses  dénonciations 
d'un  grimaud.  Et  Fripelippes  riposte  avec  génie.  Loin  d'imiter 
l'adversaire  qui  s'égare,  avant  d'aborder  son  sujet,  en  de  longs 
circuits  de  paroles,  il  saute  à  pieds  joints  au  cœur  de  la  place. 
Dès  les  premiers  vers  il  saisit  à  la  gorge  le  Sagon,  il  le  secoue,  Iç 
roule  à  terre,  ne  le  lâche  plus.  Chaque  mot  porte,  acéré  et  perçant. 
Quelle  colère  et  que  de  mépris  !  Ces  deux  hommes  —  celui-ci 
filleul  des  fées,  clairvo\-ant  et  invincible  ;  celui-là  toujours 
furieux,  mais  balbutiant  et  noué  —  rappellent  Prospero  et 
Caliban.  Lorsque  le  magicien  n'est  pas  là,  Caliban  médite  de  le 
tuer,  pousse  contre  lui  des  assassins,  et  dit  à  Stephano  :  «  Je  t'en 
prie,  mon  roi,  commets  le  bon  crime,  et  je  te  lécherai  les  pieds.  » 
Vains  projets  sanguinaires  !  Sitôt  que  se  montre  Prospero,  il  lui 
suffît,  pour  que  le  conspirateur  tremble  et  s'effondre,  de  le  regar- 
der en  face  et  de  lui  crier,  dédaigneux  :  Va-t'en  poussière  !  Tais- 
toi,  esclave  !...  Ainsi  Marot  domine  et  dompte  Sagon.  Le  mou- 
vement endiablé  de  la  fin,  les  interjections  Zon  dessus  l'œil! 
Zon  sur  le  groin  !  donnent  l'impression  d'un  châtiment  corporel, 
et  l'effet  d'ensemble  que  produit  rou\Tage  est  figuré  à  merveille 
par  la  vignette  du  titre  :  un  fort  gaillard  qui  bâtonne  un  singe. 

392.  Si  le  domestique  de  Félix  de  Brie  avait  été  fin  et  avisé,  il 
aurait  senti  que  son  procès,  maintenant,  était  perdu,  qu'il  ne  se 
relèverait  jamais  de  V<i  epistre  a  oultrance  »  qu'il  venait  de  rece- 
voir, et  que  rien,  par  conséquent,  n'était  plus  sage  que  de  rester 
coi.  ]^rais  il  n'eut  pas  l'esprit  de  se  résigner,  et  rima  une  inter- 
minable duplique  intitulée  Rabais  du  caquet  de  Fripelippes.., 
par  Matthieu  de  Boutigny,  paige  de  maistre  Françoys  de  Sagon. 
Ainsi,  en  passant  la  plume  au  serviteur  qu'il  a  ou  prétend  avoir, 
l'indigent  artiste  copie  le  poète  qu'il  attaque  et  lui  rend  hommage 
naïvement.  D'ailleurs,  il  l'imite  encore  de  bien  des  manières,  et 
voici  quelques  exemples  de  ses  procédés  :  Clément  l'ayant  changé 
en  sagouin,  il  lui  semble  indispensable  d'opérer  à  son  tour  une 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  271 

pareille  mc'tamorphose.  Il  réfléchit,  le  front  dans  ses  mains,  et 
travaille  à  commettre  un  calembour.  Tout  marche  à  souhait, 
car  il  en  trouve  un,  puis  deux,  puis  trois,  même  quatre.  D'abord, 
Marot  est  converti  en  maraud  ;  ensuite  il  se  transforme,  à  cause 
de  son  rappel,  en  rat  pelé,  après  quoi  il  devient  un  marmot, 
vocable  qui  désigne  un  singe.  Or,  observe  l'auteur  de  ces  gen- 
tillesses, il  y  a  moins  loin  de  Marot  à  marmot  (une  seule  lettre  en 
plus)  que  de  Sagon  à  sagouin  (deux  lettres).  Et  pourquoi  se 
moquer  du  mot  Sagon  ?  N'a-t-il  pas  une  flatteuse  origine,  de 
beaux  états  de  services,  et  oubliez-vous  que  les  Sagontins  (con- 
sultez Tite-Live  !  )  se  sont,  en  219  avant  Jésus-Christ,  ensevelis 
sous  les  ruines  de  leur  ville  plutôt  que  de  trahir  Rome  ?  Ici,  une 
demi-page  qui  exalte  «  la  foy  sagontine  »  et  rattache  Sagon  non 
à  sagouin,  mais  à  Sagonte.  On  le  voit,  ce  qui  était,  chez  Fripelip- 
pes,  une  très  brève  plaisanterie,  un  jeu  portant  sur  une  syllabe, 
s'étale  en  long  et  en  large,  s'enfle  et  déborde  dans  le  Rabais, 
et  c'est  de  cette  façon  que  Boutigny  rabaisse  le  caquet  de  son 
rival.  Il  lui  vole  ses  idées,  mais,  afin  de  paraître  original,  il  les 
amplifie  jusqu'au  dégoût.  Reprenant  l'exclamation  Zon  sur 
l'asne  de  Balaan  !  [G.  III,  589],  il  en  tire  quatre-vingt-quatre 
vers,  raconte  par  le  menu  l'histoire  du  prophète,  et  insiste  sur  ce 
fait  qu'il  montait  non  pas  un  âne,  mais  une  âhesse.  Il  est  difficile 
de  saisir  l'intérêt  d'une  telle  distinction,  et  l'on  ne  devine  pas 
ce  que  Sagon  peut  gagner  à  être  comparé  à  une  ânesse  plutôt 
qu'à  un  âne. 

393.  De  même  que  Clément  appelait  à  la  rescousse  ses  amis, 
il  convoque,  lui,  tous  ses  tenants,  et  ce  lui  est  une  occasion  nou- 
velle de  noircir  beaucoup  de  papier.  Commençant,  en  effet,  par 
implorer  le  secours  des  morts,  il  adj  ure  Alain  Chartier ,  Meschinot, 
Molinet  et  Crétin  de  quitter  la  tombe  pour  voler  au  combat,  et 
c'est  seulement  après  cette  conscription  des  ombres  qu'il  se 
tourne  du  côté  des  vivants  et  s'efforce  d'amener  à  lui  Branville, 
qui  est  déjà  venu,  Germain  Colin,  qui  ne  viendra  guère,  Bouchet 
et  Macé,  qui  ne  viendront  pas...  Boutigny,  en  somme,  n'invente 
rien,  et,  vraiment,  je  ne  puis  mettre  à  son  actif  que  deux  choses  : 
une  assez  grande  variété  rythmique  (il  va  jusqu'à  orner  son 
épître  d'une  petite  ballade  et  d'unrondeau),  puis  un  lot  d'injures 
nouvelles.  Auparavant,  la  personne  physique  de  ]\Iarot  était 
restée  hors  du  débat.  Elle  est,  ici,  dépeinte  comme  un  phénomène 
de  laideur  répugnante.  L'homme  de  Cahors  fait  peur  aux  gens 
à  cause  de  son  regard  «  très  difforme  »  et  de  sa  barbe  plus  noire 
que  la  «  laine  d'ung  noir  mouton  ».  Chacun  sait  qu'il  est  u  infect, 
ladre,  pourry,  fangeux  )>,  et  l'on  n'a  qu'à  l'approcher  pour  cons- 
tater qu'il  ne  sent  pas  bon.  Ce  renseignement,  Sagon  le  tient 


272  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

d'«  aucunes  damoiselles  »  qui  ont  embrassé  le  vilain.  Ses  maro- 
teaux  ne  sont  pas  plus  beaux  que  lui  qui  ressemble  à  un  gorille 
sans  queue,  à  un  rat,  à  un  bouc,  à  une  taupe.  Quand  même  cet 
être  hideux  viendrait  à  disparaître,  ce  ne  serait  pas  grand  dom- 
mage, et  nous  entendons,  en  conséquence,  de  nouveaux  cris 
de  mort.  Le  bourreau  est  invité  [p.  94]  à  mettre  les  mains  sur 
Fripelippes  et  sur  son  maître,  à  brûler  bien  vite  ce  dernier  [p.  89] , 
à  le  transformer  en  a  rosty  pour  la  nopce  ». 

394.  Charles  Huet  ne  parle  pas  autrement.  Il  a  voulu,  lui  aussi, 
répondre  à  la  réponse  de  Clément,  et  n'a  rien  trouvé  be  plus 
charitable  ni  de  plus  subtil  à  dire  que  ceci  :  l'anagramme  de 
Marot  est  A  mort  !  Une  fois  publiée  cette  découverte,  il  se  bat 
les  flancs,  tombe  dans  le  verbiage,  se  répand  en  menaces  peu 
précises,  flagorne  Mellin  de  Saint-Gelays,  et  tâche  (mais  il  n'y 
parviendra  pas)  de  l'attirer  dans  son  camp.  Il  prodigue  à  son 
adversaire,  suivant  le  rite,  les  noms  d'animaux,  et  le  traite 
tantôt  de  corneille  ou  de  chenille,  tantôt  de  lièvre  ou  de  «  crapault 
bote  ».  Après  avoir  reconnu  qu'«  il  escript  bien  aucunes  fois  », 
il  affirme  que  la  plupart  de  ses  vers  «  ne  vallent  pas  une  bille  », 
et  que  ce  vagabond  «  foité  »  à  Ferrare  doit  être  exécré  par  tout 
le  monde,  surtout  par  les  Parisiennes  qu'il  a,  dans  le  temps, 
calomniées.  La  Hueterie,  on  le  voit,  remue  de  vieilles  histoires, 
se  plaît  à  raviver  d'anciennes  rancunes...  Vous  pensez  bien 
qu'il  n'oublie  pas  le  lard,  le  fameux  lard  mangé  en  carême. 

395.  Sans  qu'on  puisse  l'affirmer,  on  a  des  raisons  de  croire  que 
le  factum  intitulé  Généalogie  de  Fripelippes,  et  dont  l'auteur 
se  donne  comme  «  ung  j  eune  poète  champestre  »,  est  aussi 
l'œuvre  de  Charles  Huet.  Nul,  à  moins  de  travailler  à  un  lexique 
de  la  langue  verte,  ne  lira  volontiers  ces  quatre  pages  qui  sou- 
lèvent le  cœur.  C'est  en  pleine  crdure  qu'on  patauge  là,  et,  loin 
d'éveiller  une  idée  «  champestre  »,  de  pareils  vers  sentent  la 
voirie,  le  ruisseau  des  villes.  Et  ils  ne  sont  même  pas  gais  ! 
L'ignoble /)Of/e  attribue  au  «  magnanime  »  Fripelippes  une  longue 
série  d'ancêtres  paillards,  et  veut  qu'il  descende  d'un  tas  de 
vidangeurs,  de  faux  monnayeurs,  de  filles  perdues  qui  auraient 
habité  Cahors  à  l'époque  de  l'hérésie  albigeoise.  Une  épître 
dédiée  au  si  «  gentil  secrétaire  »  de  l'abbé  de  Saint-Evroult  lui 
offre  humblement  cette  immonde  Généalogie,  le  proclame  un 
vrai  «  filz  Crétin  dont  tout  sçavoir  distille  »,  admire  «  sa  plume 
dorée  »,  et  annonce  que  le  valet  de  Clément  sera,  ainsi  que  son 
patron,  promu  avant  peu  évêque  des  champs,  ce  qui  revient  à 
dire  qu'on  le  pendra,  et  qu'il  bénira  de  haut  les  passants  avec  le 
pied. 

396.  Si  je  compte  bien,  voilà  donc  trois  nouveaux  réquisitoires 


CLKMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  273 

contre  notre  Marot.  Mais  l'infatigable  Sagon  estime  que  ce  n'est 
pas  assez  ;  une  fois  de  plus  il  court  à  son  pupitre,  tire  à  lui  son 
écritoire  jamais  vide,  pond  vite  et  mal  encore  un  libelle,  puis 
publie  cette  attaque  en  la  baptisant  Défense.  L'imprimeur,  pour 
le  coup,  s'est  mis  en  frais,  et  la  plaquette  est  illustrée  de  gravures 
qui  expriment  par  de  clairs  symboles  l'invincible  constance  de 
l'auteur,  ou  représentent  ses  ennemis  sous  la  forme  de  chiens  ou 
de  grenouilles.  Bien  que  très  médiocres,  ces  images  valent  mieux 
que  le  texte.  Réduit  maintenant  à  se  répéter,  le  chevalier  de 
dame  Sorbonne  tâche  en  vain  d'éviter  la  monotonie.  C'est  en 
vers  et  en  prose,  en  français  et  en  latin,  (même  en  grec)  qu'il 
insulte  abondamment  ou  fait  insulter  le  clan  adverse  :  mais  les 
dialectes  ont  beau  varier,  les  injures  demeurent  identiques,  et 
elles  ne  nous  semblent  pas  rajeunies  lorsque  nous  les  retrouvons, 
comme  il  arrive  dans  la  Défense,  condensées  en  dizains,  arran- 
gées en  «  conf  Litation  »  ou  se  déguisant  en  élégie. 

397.  Presque  insensible  à  cette  pluie  d'invectives  et  certain 
d'avoir  cause  gagnée,  Marot  ne  sortait  guère  de  sa  tente,  et  con- 
templait la  bataille  d'assez  loin.  Hormis  un  vif  rondeau  qui 
renvoie  aux  champs  le  poète  champêtre  [J.  II,  131],  il  ne  faisait 
pas  à  la  meute  acharnée  l'honneur  de  s'occuper  d'elle,  et  laissait 
à  la  troupe  de  ses  partisans  le  soin  et  la  peine  de  le  venger.  Sa 
confiance  ne  fut  pas  trahie,  et  ceux  de  son  camp  furent  actifs. 
D'abord,  ils  rassemblèrent  en  un  recueil,  qui  n'eut  pas  moins  de 
trois  éditions,  les  pièces  qu'ils  avaient  déjà  écrites,  ensuite  ils 
en  composèrent  beaucoup  d'autres. 

398.  Signalons  au  premier  rang,  dans  cette  mêlée  nouvelle, 
maître  Daluce  Locet,  Pamanchois  (Claude  Colet,  Champenois). 
Claude  Colet  n'a  pas  de  talent.  Ses  vers  pénibles,  chevillés, 
marchant  par  saccades  et  qu'alourdissent  maintes  parenthèses 
nous  forcent  à  regretter  qu'il  n'ait  pas  employé  la  simple  prose, 
et  nous  lui  donnons  raison  quand  il  se  range  parmi  les  apprentis 
de  Marot.  Mais  si  les  qualités  du  poète  et  même  du  polémiste 
lui  manquent,  il  se  montre  honnête  et  sensé.  Il  y  a  deux  choses 
qu'il  saisit  fort  bien  :  le  dessein  réel  de  Sagon,  son  désir  d'((  impe- 
trer  »  la  charge  vacante  de  valet  de  chambre,  puis  l'accès  de 
folie  qui  l'a  poussé,  lui  si  bavard,  si  pauvre  d'esprit,  à  essayer 
de  supplanter  un  grand  homme.  La  place  que  tu  guignais, 
observe  le  Champenois,  cent  autres  en  étaient  plus  dignes,  et 
ton  Coup  d'cssay,  ouvrage  non  moins  inepte  qu'infâme,  ne  pouvait 
servir  ni  toi  ni  ton  libraire.  Lui,  il  a  perdu,  pour  t'avoir  imprimé, 
une  grosse  somme  d'argent,  et  personne  n'ignore  qu'il  «  faict 
maie  trongne  »  et  te  donne  au  diable,  de  tout  son  cœur  ;  toi, 
l'orage  que  tu  as  excité  t'accablera  avant  peu  :  il  n'y  a  fils  de 

Clément  Marot  cl  sua  école  18 


274  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

bonne  mère  qui  n'aille  hurlant  après  tes  chausses,  et  qui  ne  se 
propose  de  défendre  Clément,  de  continuer  «  en  despit  de  ta 
gueule  »  à  l'admirer,  à  le  glorifier. 

399.  Claude  Colet  nous  semble,  en  ces  quelques  pages,  plus 
dévoué  qu'adroit  ou  subtil  :  mais  il  suffira,  pour  qu'il  ne  paraisse 
point  sans  quelque  valeur,  de  le  comparer  à  l'auteur  anonyme 
qui  publia  VEpistre  responsive  au  Rabais  de  Sagon.  Ce  libelle, 
dont  la  morne  platitude  désole  et  consterne  le  lecteur,  n'apporte 
rien  de  nouveau,  et  ne  présente  aucun  point  saillant  auquel 
puisse  s'accrocher  l'analyse.  Les  injures  elles-mêmes  manquent 
des  seules  qualités  qu'on  serait  en  droit  d'attendre  :  l'énergie, 
la  .'aveur,  le  pittoresque.  Le  rimeur,  qui  reproche  durement  à 
Sagon  d'avoir  employé  le  langage  des  harengères  ou  des  mar- 
chandes de  tripes,  a  eu  tort  de  l'imiter  en  cela,  et,  content  de 
l'appeler  un  «  monstre  trop  plus  que  monstrueux  »,  il  n'avait  pas 
besoin  de  le  comparer,  lui  et  son  livre,àunesentine,à  un  «trou 
punais  ».  —  Pareillement,  on  négligerait  bien  volontiers,  si  l'on  ne 
craignait  de  fournir  une  liste  par  trop  incomplète,  i*^  VEpistre 
nouvelle  faicte  par  un  amy  de  Clément  Marot,  2P  le  Frotte-groing 
du  Sagouyn,  30  la  Réplicque  par  les  amy  s  de  V  auctheur . . . ,  40  le 
Rescript  à  François  Sagon  et  au  jeune  poète  champestre.  La  pre- 
mière de  ces  pièces  n'ajoute  pas  grand'chose  au  débat,  mais  se 
recommande,  du  moins,  par  une  certaine  modération  ;  la  seconde 
remplit  la  promesse  de  son  titre,  et  abonde  en  propos  virulents, 
grossiers  ;  la  troisième  ne  nous  arrête  un  instant  que  parce  qu'elle 
égratigne  au  passage,  comme  ayant  pris  le  parti  des  sagoniieaux, 
un  personnage  notable,  Nicolas  Denisot,  que  ce  texte  change  en 
«  Denys  sot  »  ;  la  quatrième  profère  des  menaces  qui  demeurent 
sans  effet,  et  annonce  quantité  d'intentions  dont  aucune  n'abou- 
tit. Celui  qui  s'est  rendu  coupable  de  cette  vaine  philippique  ne 
cesse  de  lever  un  poing  qui  ne  frappe  jamais...  Il  est  à  peine 
utile  de  dire  que  La  Hueterie  paraît  çà  et  là  au  cours  de  ces 
pamphlets.  On  lui  a  même,  tant  s'en  faut  qu'il  soit  resté  dans 
l'oubli,  consacré  une  longue  satire  à  lui  tout  seul.  C'est  la  Res- 
ponce  à  Charles  Hiiet  par  Calvy  de  La  Fontaine,  un  Parisien  qui 
a  traduit  en  français  [Bonnefon,  263]  le  traité  De  la  félicité  de 
Philippe  Béroalde.  Il  vole  au  secours  de  son  cher  Clément  en 
homme  zélé  et  intrépide,  ne  ménage  point  La  Hueterie,  et  fait 
grêler  sur  lui  les  outrages.  Tu  es,  lui  dit-il,  un  «  picquebeuf  », 
un  «  gros  manyeur  de  besche  »,  une  «  teste  sans  cerveau  »,  un 
«  vieux  mastin  »,  un  champignon  né  en  une  nuit.  Tes  vers  ne 
valent  pas  un  navet,  et  j  e  crois  voir,  lorsque  tu  te  mêles  de  poésie, 
une  truie  qui  file  ou  un  ânon  qui  joue  du  rebec.  Tiens-toi  tran- 
quille, ivrogne,  et  va  soigner  la  maladie  que  tu  sais  ! 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  275 

400.  Franchement,  c'est  trop.  Condamné  à  remuer  cette  boue, 
à  respirer  cette  odeur  déplaisante,  à  fréquenter  si  mauvaise 
compagnie,  l'historien  ressent  beaucoup  de  fatigue,  une  sorte  de 
honte,  et  il  quitterait  volontiers,  sans  attendre  la  fin  de  leur 
querelle,  des  gens  tellement  mal  élevés.  La  répugnance  que  cette 
manière  de  pugilat  nous  cause  aujourd'hui,  les  contemporains 
semblent  l'avoir  éprouvée,  et  nous  savons  que  plusieurs  se  lassè- 
rent d'être  les  acteurs  ou  les  témoins  d'une  lutte  brutale  qui 
s'éternisait.  Le  premier  qui  parla  de  la  suspendre,  de  conclure 
un  pacte,  ce  fut  l'agresseur  en  personne,  François  Sagon.  Com- 
ment, assailli  de  toutes  parts  et  submergé  par  la  marée  montante 
des  gros  mots,  n'aurait-il  pas,  pour  grand  que  fût  son  orgueil, 
voulu  dissiper  la  tourmente  qu'il  avait  imprudemment  excitée  ? 
Sa  constance,  à  présent,  était  à  bout,  et  il  ne  tarda  guère,  ren- 
gainant à  moitié  son  poignard,  à  agiter  une  branche  d'olivier. 
Dans  une  épître  qu'il  composa  à  Rennes  au  mois  de  septembre 
et  dont  le  titre  est  assez  bizarre  et  long,  il  glissa,  au  milieu  d'une 
dissertation  théologique  émaillée  de  quelques  perfidies,  un  appel 
à  la  concorde,  un  pacifique  raisonnement  qui  peut  se  résumer 
comme  suit  :  Je  n'ai  pas,  en  écrivant  le  Coup  d'essay,  obéi  le  moins 
du  monde  à  une  «  malice  de  nature  »,  mais  ce  furent.  Clément, 
((  ton  vice  et  forfait  »  qui  m'ont  contraint  à  discourir  contre 
toi.  Donc,  tu  n'as  pas  le  droit  d'être  vexé,  ta  rancune  n'est  pas 
légitim e,  et  si  tu  avais  un  «  cœur  ennobli  »,  jamais  tu  ne  m'eusses 
répondu...  Soit  !  C'est  le  passé  ;  n'y  pensons  plus.  Je  mets 
«  Fripelippes  en  oubliance  »  ;  imite,  toi,  cet  exemple  magnanime, 
et  excuse  le  Coup  d'essay.  Agir  ainsi  nous  sera  utile.  Nous  y 
gagnerons  de  cesser  d'être  le  sujet  de  toutes  les  conversations, 
la  fable  du  peuple,  le  thème  sur  lequel  on  brode  «  en  chacun 
auditoire  ».  Et  puis  notre  sainte  religion  nous  dit  :  Aimez-vous 
les  uns  les  autres  !  Nourrir  une  haine  interminable,  ce  n'est  pas 
se  conduire  en  bon  chrétien,  et  nous  risquons,  à  cause  d'un  tel 
péché,  de  ne  pas  trouver  miséricorde  au  dernier  jour  et  de  rester 
au  seuil  du  paradis...  Impudent,  odieux  Tartuffe  !  Il  se  croit  très 
généreux  lorsqu'il  pardonne  le  mal  qu'il  a  fait  ;  il  se  montre 
indulgent  pour  sa  victime,  s'étonne  un  peu  qu'elle  ait  résisté, 
mais  devient  souple,  se  voyant  vaincu.  Au  moment  de  succomber, 
il  tend  la  main  à  l'homme  qu'il  voulait  perdre,  lui  crie  :  Soyons 
amis  !  et  ose  invoquer  cette  même  loi  de  Jésus  que  lui,  prêtre, 
il  a  violée. 

401 .  Le  seul  que  la  durée  du  conflit  n'aurait  pas  dû  scandaliser, 
c'était  le  provocateur.  Mais  autant  sa  lassitude  nous  paraît 
comique,  autant  l'impatience  des  spectateurs  désintéressés 
mérite  qu'on  l'approuve  et  qu'on  la  partage.  La  valeur  d'un  fait 


276  CLEMENT   MAROT    ET   SON    ECOLE 

divers  réside  en  sa  nouveauté,  et  les  assistants  détournent  les 
j^eux,  eût-elle  été  amusante  à  l'origine,  d'une  scène  qui  ne  change 
point.  Quand  arrive  la  monotonie  et  que  s'endort  la  curiosité,  le 
charme  de  toute  chose  est  rompu,  et  voilà  pourquoi,  au  bout 
d'une  année,  cette  guerre  de  plume  laissait  le  public  indifférent. 
Nul  ne  courait  plus  aux  fenêtres  lorsque  montait  de  la  rue  la 
voix  de  ceux  qui  vendaient,  frais  encore,  le  dernier  factum  pour 
on  contre  Marot,  et  l'on  trouvait  ce  tapage  incommode  et  abusif. 
Cela,  une  lettre  en  vers  adressée  aux  chefs  des  deux  camps  le 
déclare  de  façon  formelle.  L'auteur,  certes,  n'est  pas  impartial  : 
il  admire  Clément  presque  sans  réserve  ;  il  ne  juge  pas  excessif 
qu'on  l'ait  égalé  au  demi-dieu  Virgile  ;  Sagon  lui  semble  un  assez 
pauvre  sire,  et  il  souligne  d'un  trait  dur  les  «  apertes  »  fautes  de 
Charles  Huet.  Mais,  commençant  par  où  je  termine,  cette  épître 
proclame  :  Bas  les  armes  !  Vos  noises,  vos  disputes  sans  mesure 
ni  terme  offensent  la  morale  de  l'Évangile  ;  c'est  une  triste  habi- 
leté que  celle  qui  consiste  à  bien  savoir  s'entre-mordre,  et  vous 
aurez  beau  rompre  les  oreilles  au  monde,  ce  ne  sera  jamais  une 
preuve  de  génie...  Des  conclusions  analogues  découlent  d'une 
froide  et  courte  pièce  intitulée  le  Différent  de  Clément  Marot  et  de 
François  Sagon.  La  balance,  ici,  ne  s'incline  ni  d'un  côté  ni  de 
l'autre,  et  l'on  croirait  lire,  équitable  et  stricte,  la  sentence  d'un 
arbitre.  Après  un  résumé  de  leurs  griefs  réciproques,  les  plaideurs 
sont  renvoyés  dos  à  dos,  et  nous  sommes  invités  à  reconnaître 
que  si  Clément  demeure  sans  pair  en  «  nostre  langue  » ,  son  rival , 
en  revanche,  possède  mieux  le  latin.  Vrai  pavé  de  l'ours  !  Éloge 
tuant  pour  un  poète  français  ! 

402.  Au  nombre  des  gens  de  lettres  qui  voulurent  rester 
neutres  figure  un  homme  de  quelque  talent,  Germain  Colin 
Bûcher,  Angevin.  Que  pensait-il  de  Marot,  et  quels  sentiments 
réels  éprouvait-il  à  son  égard,  voilà  ce  qu'il  est  très  malaisé  de 
définir  et  même  de  comprendre.  D'une  part,  il  se  donne  comme 
un  ami  de  Clément,  et  cette  entière  et  fidèle  sympathie  qu'il 
affirme  lui  avoir  vouée  doit  être  d'autant  moins  révoquée  en 
doute  qu'il  penchant,  lui  aussi,  vers  la  doctrine  de  Luther,  et 
que  le  jour  allait  arriver  où  il  aurait,  à  son  tour,  maille  à  partir 
avec  les  gardiens  de  l'orthodoxie.  Mais  nous  lisons,  d'autre  part, 
en  ses  œuvres  deux  petites  pièces  désobligeantes  pour  l'écrivain 
qu'il  prétend  chérir.  La  première  constate  que  la  vogue  de  ses 
moindres  vers  s'explique  par  la  u  grâce  de  Reine  et  Sire  »,  ce 
qui  signifie  par  la  protection  que  Marguerite  et  François  accordent 
à  leur  serviteur  ;  la  seconde  lui  reproche  de  ne  faire  «  responce  ny 
réplique  »  aux  si  jolies  choses  que  son  confrère  d'Angers  lui 
envoie.  Ce  dernier  texte  n'exprime  qu'un  léger  dépit,  mais  l'autre 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  277 

révèle  un  envieux,  et  jamais  envieux  ne  fut  bon  juge.  Pourtant, 
dans  répitre  «  tendant  à  leur  paix  »  que  Germain  Colin  adresse 
à  Marot  et  à  Sagon,  il  s'efforce  de  ne  laisser  voir  ni  animosité  ni 
prévention.  C'est  au  nom  de  «  Christ,  nostre  seigneur  »,  qu'il 
engage  à  se  réconcilier  ces  trop  furieux  champions.  Il  s'étonne 
qu'ils  osent  dire  leu/  prière  du  soir  et  se  mettre  au  lit  sans  remords 
et  tranquilles,  alors  que  le  soleil  «  a  tant  de  fois  tourné  sa  regar- 
dure  »  sur  leurs  actions  impies  et  pleines  d'ire.  Les  invectives 
qu'ils  se  prodiguent,  il  les  flétrit  surtout  comme  sottes.  Un  mot 
n'est  qu'un  mot.  Personne  ne  devient  singe  parce  qu'on  l'a 
nommé  sagouin  ;  rien  n'est  aussi  flatteur,  pour  un  exilé,  que  son 
rappel,  et  le  piètre  calembour  rat  pelé  ne  rendra  pas  dégradante 
une  faveur  honorable...  Cette  semonce  à  double  tranchant 
s'achève  tout  à  coup  en  idylle.  Descendu  de  sa  chaire,  le  pro- 
fesseur de  morale  affecte  une  soudaine  modestie.  Moi,  avoue-t-il, 
je  n'ai  ni  argent  ni  gloire.  Après  avoir  couru  la  terre  et  les  mers, 
je  me  suis  retiré  sous  mes  <■  petits  chaumes  )>,  et  là,  vieil  enfant 
débonnaire,  transi  encore  et  tout  mouillé  par  une  pluie  de 
malheurs,  je  n'ai  d'autres  joies  que  les  espiègleries  de  mes  filles, 
«  deux  petites  garses  »  qui  me  font  cent  tours,  et  dont  le  babil 
me  déride  chaque  fois  que  je  rentre  au  logis. 

403.  En  prenant  cet  air  d'humilité,  Germain  Colin  espérait, 
je  suppose,  se  ménager  l'indulgence  de  ceux  qu'il  venait  de  cha- 
pitrer. Mais  ni  l'un  ni  l'autre  ne  lui  pardonnèrent  la  sentence 
bilatérale  qu'il  avait  rendue.  Clément  qui  lui  avait  dédiéTune 
épigramme  [Voyez  G.  II,  8]  la  lui  retira  pour  l'offrir  à  Dolet  ; 
quant  à  Sagon,  il  dénonça,  dans  une  épître  à  Bouchet,  l'hypocri- 
sie et  la  noire  trahison  de  l'homme  «  faux  qui  se  nommoit  son 
frère  ».  M.  Bonnefon  [p.  269]  observe  que  «  c'est  là  le  sort  ordi- 
naire de  ceux  qui  veulent  être  impartiaux...  et  que  personne  ne 
leur  sait  gré  de  leur  réserve  et  de  leur  bonne  foi  ».  En  thèse  géné- 
rale, rien  n'est  plus  vrai  que  cette  remarque,  et  il  est  certain  que 
les  modérés,  ceux  qui  se  tiennent  au  juste  milieu,  n'évitent 
jamais  la  haine  ni  les  coups  des  partis  extrêmes.  Mais,  dans 
l'espèce,  il  me  semble  que  cette  règle  s'applique  mal.  Ce  n'était 
pas  ici  une  circonstance  où  l'on  pût,  comme  on  dit,  ménager  la 
chèvre  et  le  chou.  Le  devoir  était  clair,  et  nul  brave  cœur  n'avait 
le  droit  d'hésiter.  Entre  Marot  et  Sagon,  il  fallait,  sans  tant  balan- 
cer, choisir  d'un  seul  élan  et  dire  :  Je  suis  pour  Marot  !  Les  mieux 
doués,  les  meilleurs  l'ont  bien  senti.  Mellin  de  Saint-Gelays, 
indifférent  aux  flagorneries  des  sagonneaux,  jette  lestement 
par-dessus  bord  le  «  sot  busard  »  normand,  et,  dans  une  fable 
écrite  sous  forme  de  ballade,  le  compare  à  un  oiseau  de  proie  qui, 
ayant  attaqué  à  l'improviste  un  chat  endormi,  rencontre  une 


278  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

telle  résistance  qu'il  reste  «  pris  à  la  prise  ».  De  même,  si  Nicolas 
Bourbon  se  borne  à  prêcher  la  concorde,  Charles  Fontaine,  alors 
que  la  querelle  est  finie  depuis  longtemps,  proclame  encore  ses 
sympathies.  Et  n'oublions  pas  Jean  de  Boissonné  !  Il  n'avait 
pas  peur,  celui-là,  d'afficher  le  mépris  que  lui  inspirait  Sagon,  et 
ce  n'était  pas  trop,  à  son  avis,  de  quatre  dizains  pour  châtier 
cette  vilaine  «  chouette  ^,  ce  vaniteux  imbécile,  cet  eunuque 
qui  voulait  «  fa^.re  enfants  ». 

404.  A  présent  nous  touchons  au  but,  et  voici  par  bonheur  le 
dénouement  de  cet  âpre  et  long  conflit.  Ceu.x  qui  vont  dire  le 
dernier  mot,  ce  sont  les  joyeux  «  Couards  )'  de  Rouen.  Seuls 
détenteurs  du  pri\dlège  de  se  déguiser  au  mardi  gras  et  de  vendre 
aux  autres  la  même  licence,  ils  élisaient  un  abbé  dont  les  insignes 
paraissent  avoir  été  une  crosse  et  un  jambon,  formaient  une 
confrérie  où  régnaient  la  gaieté,  l'esprit  satirique,  le  franc  parler, 
et  s'arrogeaient  le  droit  de  rire  de  tout.  La  grande  bataille  des 
poètes  français  ne  trouva  pas  grâce  devant  les  membres  de  cette 
académie  carnavalesque,  et  ils  résolurent  de  décréter  qu'elle 
lassait  le  public  et  avait  assez  duré  !  Là-dessus,  certains  critiques 
croient  pouvoir  conclure  :  la  lutte  de  Sagon  et  de  Marot  a  été 
terminée  par  les  Couards.  Nullement  !  Leur  intervention  marque 
bien  la  fin  de  la  dispute,  mais  elle  n'a  pas  amené,  elle  n'a  pas 
produit  cette  fin.  Les  deux  camps  n'ont  pas  cessé  d'échanger  des 
horions  à  cause  de  la  sentence  des  Conards,  mais  cette  sentence, 
au  contraire,  les  Con9,rds  l'ont  prononcée  parce  qu'ils  savaient 
les  champions  à  bout  de  souffle.  Interprètes  de  l'opinion,  l'abbé 
et  ses  suppôts  ont  pensé  et  dit  ce  que  chacun  disait  et  pensait  ; 
ils  ont  traduit  le  sentiment  général,  et  s'ils  se  sont  mêlés  de  cette 
affaire,  c'est  que,  Sagon  étant  de  Rouen,  elle  avait  un  rapport 
avec  leur  cité. 

405.  La  première  pièce  publiée  par  eux  est  une  manière 
d'arrêt  que  précèdent  plusieurs  considérants.  Bien  entendu, c'est 
monsieur  l'abbé  qui  tient  la  plume  au  nom  des  simples  «  fratres  ». 
Quoiqu'il  l'assaisonne  au  gros  sel  comme  il  convient  à  un  prélat 
qui  porte  dans  ses  armoiries  un  jambon,  la  minute  qu'il  rédige 
nous  semble  raisonnable  et  même  un  peu  fade.  Après  avoir 
retracé  les  principales  lignes  du  litige,  il  arrive  à  cette  conclusion 
que  ceux  qui  ont  ému  un  tel  débat  sont  de  «  glorieux  babouyns  »  ; 
que  les  gens  d'esprit  respectent  la  règle  :  bien  dire  ou  se  taire  ; 
que  maître  Alain  Chartier  n'employa  jamais  le  langage  des 
halles  ;  que  si  on  laisse  faire  ces  fous  enragés,  ils  en  viendront 
«  a  jouer  des  couteaulx  »,  et  qu'il  est  grand  temps,  en  consé- 
quence, que  lui,  le  «  beau  père  abbé,  seul  chef  de  l'ordre,  »  leur 
fasse  inhibition  de  se  mordre  comme  chiens,  sous  peine,  s'ils 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  279 

persistent,  de  recevoir  enfin  la  discipline  avec  un  bon  fouet  tout 
neuf,  à  quinze  pointes. 

406.  Cela,  au  fond,  n'était  pas  méchant,  et  l'on  s'étonne  qu'un 
quidam  ait  cru  nécessaire  de  riposter.  La  brève  réponse  qu'il 
rima  a  été,  au  XVI^  siècle  et  depuis,,  réimprimée  cinq  ou  six  fois, 
et  il  est  difficile  de  deviner  ce  qui  lui  a  valu  tant  d'honneur. 
Est-ce  la  multitude  des  calembours  qui,  partant  de  Conard, 
s'étendent  à  corne,  à  corneur,  à  cornet  puis  à  corps  net  ?  Et  si  ce 
n'est  pas  cela,  qu'est-ce  donc  ?  Enlevez  ces  jeux  de  mots,  rien 
ne  reste.  Vide  absolu.  L'auteur  se  contente  d'affirmer  que  le 
révérend  abbé  de  Conardie  ou  de  Conardière  n'aurait  pas  dû 
se  mêler  de  poésie.  Pourquoi  ?  Parce  qu'il  est  trop  gras.  Un 
ventre,  non  un  cerveau.  Les  perles  et  les  rubis,  il  ne  les  avait  pas 
dans  son  style,  mais  sur  le  nez,  et  nulle  pensée  fine,  délicate  ne 
pouvait  sortir  de  ce  glouton  pesant,  bourgeonnant  et  boursouflé, 
à  la  joue  écarlate,  au  triple  menton...  Là-dessus,  colère  des 
joyeux  Rouennais.  Ils  voulurent  venger  leur  président.  L'un 
d'eux  composa,  à  cet  effet,  une  réplique  aux  vers  que  je  viens 
d'analyser,  tandis  qu'un  autre,  qui  était  ou  se  prétendait  secré- 
taire de  la  corporation,  confirmait  en  quelque  sorte  la  sentence 
qu'elle  avait  rendue,  et  enjoignait  aux  belligérants  de  signer  une 
trêve  au  premier  jour.  Ce  Salomon  normand  se  contente  de  repro- 
duire les  arguments  qui  ont  déjà  servi  à  l'abbé,  mais  il  ajoute 
que  les  cris  de  ceux  qui  vendent  les  pamphlets  troublent,  affolent, 
étourdissent  le  bourgeois,  et  qu'il  néglige  son  livre  d'heures, 
préférant  lire  ces  vilenies.  Ainsi,  à  cause  de  ces  deux  forcenés  qui 
se  gourment  coram  populo,  plusieurs  oublient  ce  qu'ils  doivent 
à  Dieu.  Puisse-t-il  désarmer  les  écrivains  ennemis,  les  conduire 
doucement  à  la  paix  : 

Ad  quam  pacem  perducat  vos  ambos 
Qui  creavit  oves,  vaccas  et  bos  ! 

407.  Cette  fois,  personne  ne  bougea  plus,  et  les  Conards  eurent 
le  dernier  mot.  Alors,  profitant  de  leur  avantage',  ils  voulurent 
enterrer  l'affaire,  prouver  qu'ils  la  regardaient  comme  vidée,  et 
ce  fut  l'un  d'eux,  selon  toute  apparence,  qui  se  chargea  de  com- 
poser, sous  le  titre  de  Banquet  d'Honneur,  la  pièce  destinée  à 
marquer  la  conclusion,  l'épilogue,  la  chute  —  enfin  !  —  du  rideau. 
Banquet  d'Honneur  ! ...  Cela  nous  rappelle  Jean  Lemaire,  Jean 
d'Auton,  tous  les  fervents  de  la  rhétorique.  En  fait,  ici,  Honneur 
est  un  dieu.  Averti  par  Hermès  de  ce  qui  se  passe  en  France,  du 
conflit  qui  divise  les  auteurs,  il  les  invite  à  dîner  sur  le  Parnasse. 
Clément  y  monte  sans  aucune  peine,  d'un  pas  vif,  décidé,   et 


280  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

Fripelippes  ainsi  que  Charles  Fontaine  n'ont  pas  trop  de  mal  à  le 
suivre  :  mais  La  Huetei  ie  manque  de  choir,  mais  le  page  de  Sagon 
sue  sang  et  eau,  mais  Sagon  lui-même,  qui  roule,  se  ramasse  et 
repart  endolori,  grimpe  à  cette  cime  comme  au  calvaire,  n'arrive 
qu'après  les  autres  convives,  s'assied  à  table  en  retard.  On  mange. 
Description  très  détaillée  du  menu.  Au  dessert,  musique  et  dis- 
cours. Marot  ouvre  le  feu,  retrace  clairement  l'agression  dont  il 
a  été  victime,  et  paraphrase  l'adage  populaire  : 

Cet  animal  est  fort  méchant  ; 
Quand  on  l'attaque,  il  se  défend. 

Alors  Sagon  se  lève  ;  il  verse  des  larmes,  ce  crocodile  ;  il  avoue 
qu'il  a  eu  tort  ;  que  l'espoir  de  conquérir  «  bruit  et  renom  »  l'a 
aveuglé  ;  qu'il  n'aurait  pas  dû,  pauvre  petit  singe,  se  mesurer 
avec  un  grand  homme,  mais  qu'il  était  poussé  «  a  crier  haro  »  par 
son  complice,  Charles  Huet,  lourde  bête,  âme  jalouse  et  basse. 
Honneur,  touché  de  ce  repentir,  conseille  la  clémence  à  Clément, 
puis  déclare  que  les  débats  sont  clos,  et  fait  connaître  sa  décision  : 
Vu  et  considéré,  dit-il,  que  rien  ne  vaut  mieux  que  vi^Te  en  paix, 
voulons  et  ordonnons  que  les  deux  poètes  boivent  ensemble  avant 
de  quitter  ce  lieu,  et  leur  enjoignons  de  se  traiter  en  amis  à 
l'avenii,  «  sous  peine  d'être  privés  de  la  cour  de  céans  ». 

408.  L'invention  de  ce  banquet  sjmbolique  ne  révèle  aucun 
génie,  mais  elle  nous  semble,  par  ailleurs,  remarquable  et  digne 
d'estime.  La  conclusion  dernière  qui  se  dégage  de  cette  allégorie, 
je  la  tiens  pour  morale  et  très  équitable.  Les  Couards,  ces  bons 
drilles  qui  riaient  de  tout,  ont  montré  plus  de  cœur,  plus  de  sens 
que  beaucoup  de  gens  sérieux  et  rassis.  On  doit  savoir  gré  à  ces 
Normands  d'avoir  pesé  leur  compatriote  à  son  juste  poids  et 
d'être  loyalement  sortis  d'une  impossible  neutralité.  Ils  ont  bien 
senti  deux  choses  :  d'abord,  la  nullité,  l'ineptie  foncière  de  Sagon 
que  seule  une  crise  d'ambition  aiguë  avait  amené  à  se  croire 
l'émule  d'un  Clément  Marot  ;  ensuite,  la  laideur  de  sa  conduite, 
de  l'action  initiale  commise  par  lui.  Quand  même,  au  cours  de  la 
bataille,  son  adversaire  aurait  été  trop  brutal  et  véhément,  il 
n'en  restait  pas  moins  coupable,  lui,  d'avoir  violé,  pour  établir 
sa  fortune,  les  droits  de  l'absence,  du  talent,  du  malheur.  Cette 
tache  originelle,  rien  n'était,  à  présent,  capable  de  l'effacer,  et  si 
les  péripéties  de  la  lutte  fournissaient  de  loin  en  loin  quelques 
excuses  au  provocateur,  était-il  raisonnable  d'oublier  qu'il  avait, 
aussi  méchant  que  téméraire,  de  parti  pris  attiré  les  coups  ? 
L'opinion,  en  France,  tolère  maintes  faiblesses,  et  regarde  même 
d'un  œil  indulgent  certaines  fautes  qu'il  vaudrait  mieux  flétrir  : 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  281 

mais  toujours  elle  méprise  et  condamne  les  lâches  manœuvres, 
les  trahisons,  les  attaques  faites  par  derrière.  Les  plu?  humbles, 
chez  nous,  conservaient  alors  et  conservent  encore  —  inaltéra- 
bles —  des  goûts,  un  idéal  chevaleresques,  et  si  les  Conards 
avaient  préféré  le  délateur  à  sa  victime,  ils  n'auraient  pas  été 
de  notre  pays. 

409.  Après  le  Banquet  d'Honneur,  Sagon  considéra  son  procès 
comme  perdu,  et  n'essaya  point  de  réagir.  Mais  s'il  renonça  enfin 
à  rimer  de  nouvelles  apologies,  il  continua,  hélas  !  à  écrire,  passa 
à  d'autres  sujets,  et  publia  d'abord  une  savante  machine  allégo- 
rique, le  Regret  d'Honneur  féminin.  Cette  pièce  amusante  quoique 
éplorée  est  consacrée  aux  mânes  de  Françoise  de  Foix  (j  octobre 
1537)  qu'avait  épousée,  pour  ses  péchés,  Jean  de  Laval-Montfort, 
seigneur  de  Châteaubriant.  La  scène  s'ouvre  par  quatre  discours 
laudatifs  que  prononcent  Honneur  et  les  trois  Grâces,  puis  «  l'ac- 
teur »  prend  à  son  tour  la  parole,  et  affirme  que  nul  plus  que  lui 
ne  peut,  ne  doit  célébrer  la  morte,  attendu  qu'elle  l'a  toujours 
protégé,  et  qu'elle  lui  a,  un  mois  avant  son  trépassement  et  en 
présence  de  Mlle  Sépeaux,  donné  «  grant  confort  contre  l'effort 
des  marotins  alarmes  »  [fo  5  r^].  Comment  ne  pas  engager,  cela 
étant,  les  dames  et  les  bourgeoises  à  verser  des  larmes,  soit  au 
temple  soit  à  domicile,  sur  ce  «  cœur  munde  »,  cette  fleur  sans 
pair  ?...  Ici,  l'une  des  Grâces,  «  coupant  propos  »  aurhétoriqueur, 
l'invite  à  glorifier  l'intelligence  de  Françoise  de  Foix.  C'est  bien 
dit  !  répond  le  poète  ;  je  vais  par  d'adroites  similitudes  vous 
peindre  cet  esprit  délicat.  Le  fuseau  de  notre  comtesse  était  une 
«  plume  d'oaye  ou  d'autre  oyseau  »  ;  son  aiguille  était  «  ung 
stille  )),  et  en  guise  de  laine,  de  soie  à  filer,  on  trouvait  chez  elle 
(la  comparaison  cloche)  «  ung  livre  et  ung  pulpitre  »  [fo6ro].Bref, 
elle  fut  l'exemple  et  le  miroir  de  son  sexe.  Le  miroir  !...  Ce  mot 
si  plein  de  sens,  tellement  riche  en  symboles,  arrête  et  frappe 
Sagon.  Il  faut,  annonce-t-il,  expliquer  en  premier  Heu  «  la  matière 
du  miroer  »,  et  il  s'enlize,  parlant  à  la  fois  du  verre,  du  cristal, 
du  corps  humain.  Après  quoi  il  ajoute  :  «  Déchiffrons  »  mainte- 
nant ((  le  miroer  plus  haultement  »...  Si  hautement  que  le  lecteur 
n'y  voit  goutte.  L'auteur  non  plus,  et  il  le  confesse  [fo  9  r»]. 
Quand  on  est  au  bout,  l'impression  qui  reste  est  celle-ci  :  il  y  a 
(qu'on  se  rappelle  le  bâton  dans  l'eau  !)  des  miroirs  trompeurs 
qui  déforment  ou  multiplient  les  images,  et  que  la  «  crassitude  » 
a  ternis  ;  mais  il  existe,  en  revanche,  des  glaces  loyales,  sans 
fard.  Eh  bien.  M™®  de  Châteaubriant  fut  une  glace  de  cette 
espèce,  un  «  miroer  »  exempt  «  de  macule  ou  diffame  »  ;  il  est 
fâcheux  qu'il  soit  cassé,  et  moi,  Sagon,  je  regrette  en  vers 
Ce  miroer  qui  gist  a  l'envers. 


282  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

410.  Quittons,  s'écrie-t-il,  ce  thème  «  haultain  ».  Assez  de 
philosophie  transcendante  !  Je  me  sens  presque  épuisé,  et  je  suis 
d'avis  d'écouter  les  Grâces  qui  se  préparent  à  maudire  Atropos... 
Effectivement  elles  débitent  des  imprécations  sur  un  joyeux 
rj'thme  de  bourrée  [fo  ii  r»],  puis  le  poète  achève  le  panégyrique 
de  Françoise  de  Foix.  Il  la  place  fort  au-dessus  de  Sapho,  attendu 
qu'elle  savait  l'italien  et  l'espagnol  ;  il  la  déclare  aussi  belle  que 
la  belle  Hélène,  et  n'hésite  même  pas  à  la  nommer,  sottise  vrai- 
ment intrépide,  une  seconde  Pénélope,  une  Porcia,  une  Lucrèce, 
une  Cornélie,  une  Catherine  de  Sienne.  Il  aurait  dû  se  modérer 
quelque  peu,  ne  pas  évoquer  tant  d'ombres  chastes  pour  conduire 
au  ciel  une  personne  qui  fut  la  maîtresse  de  François  I^^  et  celle 
aussi,  à  en  croire  les  mauvaises  langues,  de  Bonnivet  et  du  conné- 
table de  Bourbon.  Si  le  pauvre  mari  très  consolable,  et  qu'on 
accusait  d'avoir  hâté  la  fin  de  sa  Lucrèce,  a  lu  cette  hyperbolique 
tirade,  il  y  a  lieu  de  penser  qu'il  est  demeuré  saisi, qu'il  a  ouvert 
des  yeux  tout  ronds,  et  qu'il  s'est  refusé  à  admettre  que  sa  femme 
était  de  son  vivant 

Une  dame  non  endormie 

Au  faict  de  l'amour  conjugal. 

Cette  phrase  ne  signifie  pas  ce  que  vous  pourriez  soupçonner. 
Vous  auriez  tort  d'y  chercher  une  équivoque.  «  L'acteur  »  ne 
plaisante  pas.  Entendez  bonnement  que  la  fidélité  de  l'épouse 
ne  sommeillait  jamais...  Après  avoir  rapproché  [fo  13  v^]  de 
sainte  Catherine  de  Sienne  sainte  Françoise  de  Foix,  Sagon 
avoue  qu'il  est  arrivé  au  bout  de  son  rouleau,  et  qu'il  va  conclure 
parce  qu'il  ne  sait  plus  que  dire 

Smon  que  Mort  par  ung  seul  coup 
A  faict  du  dommage  beaucoup. 

Mais  sa  douleur  est  telle  qu'il  ne  l'a  pas  encore  entièrement 
exhalée.  Aussi  ajoute-t-il  un  «  distichon  »,  puis,  s'adressant  à 
lui-même  [Ejusdem  ad  seipsuni),  six  vers  latins  dont  chaque  mot 
commence  par  la  lettre  /  : 

Felicem  Fortuna  facit,  Francisée,  fidelem 
Franciscam 


Fidelem  !  Il  y  tient,  remarquez -le. 

411.  Passant  à  un  genre  bien  différent,  il  publia,  en  janvier 
1539,  un  recueil  d'Éire^ines.  Ce  titre  éveille  une  idée  agiéable  ; 
on  songe  à  une  date  heureuse,  à  des  fleurs,  à  des  cadeaux,  à  de 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  283 

jolies  choses  qu'on  offre  aux  autres.  Mais  l'an  neuf  n'a  rendu 
Sagon  ni  souriant  ni  libéral.  Il  se  montre  de  mauvaise  hum-îur, 
parle  de  se  cacher  «  en  son  estude  »,  de  se  plonger  au  sein  des 
rêveries  ennuyeuses  et  de  continuer  à  s'affliger  au  souvenir  de  la 
dame  dont  j'ai,  écrit-il,  «  ploré  l'accident  ».  Quant  aux  Étrennes. 
il  n'en  donne  pas,  il  en  demande.  Offre-moi,  dit-il  à  son  maître, 
l'abbé  de  Saint-Evroult,  offre-moi  «  ce  que  de  toy  j'attends  ».  Si 
tu  t'obstines  à  m'oublier,  gare  !  je  renonce  aux  Muses,  et  m'en- 
fonce dan  s  mon  trou,  comme  un  ours!  Se  tournant  ensuite  vers  ses 
compatriotes  et  principalement  vers  les  Couards,  il  leur  envoie, 
en  guise  de  présents,  d'amers  reproches,  et  se  plaint  d'avoir 
été  trahi  par  eux.  Enfin,  il  se  décerne,  confiant  la  plume  au  page 
Matthieu  de  Boutigny,  son  aller  ego,  son  double,  un  certificat  de 
génie,  des  louanges  que  la  postérité,  il  y  compte,  ne  manquera 
pas  de  répéter  ;  après  quoi  il  gratifie  Marot,  puisque  l'on  est  au 
premier  janvier,  de  quelques  injures  complémentaires  et  d'insi- 
nuations déjà  usées.  Ne  sont-ce  pas  là  de  belles  «  étrennes  »  ? 
Elles  ne  restèrent  pas  impunies,  et  M.  Bonnefon  ne  nous  semble 
pas  se  tromper  en  regardant  [p.  284]  comme  une  réponse  à  ce 
factum  l'ironique  Z)g//£'«Cd;  des  escriplz  de  Sagon  par  Louis  Pratin. 
Loin  d'admettre  que  les  écrits  en  question  feront  les  délices  de 
l'âge  futur,  Pradn  annonce  qu'ils  iront  tout  droit  de  l'imprimeur 
chez  les  épiciers. 

412.  Il  parle  d'or,  et  l'on  ne  voit  pas  à  quoi  pourraient  servir, 
à  moins  de  les  rouler  en  cornets,  les  dernières  œuvres  du  fadeur 
normand,  son  Discours,  par  exemple,  de  la  vie  el  mort...  de  noble 
homme  Guy  Morin.  Ce  Guy  Morin,  seigneur  de  Loudon,  avait  été, 
en  son  enfance,  un  piocheur,  un  fort  en  thème,  et  s'était  rangé,  à 
force  de  pratiquer  la  rhétorique,  parmi  l'élite  des  gens  de  lettres. 
Aussi  personne  ne  le  méprisait  bien  qu'il  fût  petit  «  en  corpu- 
lence ».  Mais  qu'importe  !  Une  perle  vaut  mieux  qu'un  tas  de 
neige,  et,  si  vous  mesuriez  son  intelligence,  le  petit  Morin  vous 
semblait  grand.  Après  avoir  longtemps  guerroyé,  il  renonça  aux 
«  martiales  ruses  »,  et  se  confina  dans  sa  maison  «  avec  sa  femme 
et  sa  loyale  espouse  ».  Là,  un  traité  d'Érasme  «  preparatif  a  la 
mort  »  tomba  «  par  accident  »  entre  ses  mains,  et  il  résolut  de  le 
traduire.  Le  jour  était  proche  où  cette  science  de  bien  mourir  lui 
serait  très  nécessaire.  L'auteur  du  Discours  ne  nous  explique  pas 
comment  ce  Morin  que  nous  avons  laissé  tout  à  l'instant  en  com- 
pagnie des  Muses  et  de  sa  femme,  nous  le  retrouvons,  à  minuit, 
sur  un  pont,  «  devant  Gruillac,  ville  près  de  Turin  ».  Évidemment, 
le  goût  des  combats  lui  était  revenu,  et  il  avait,  sentiment  hono- 
rable, préféré  la  gloire  au  repos.  Mais  ce  fut  là  son  ultime  cam- 
pagne -.frappé  (3  août  1536)  d'uncoup  d'arquebuse  tiré  au  hasard. 


284  CLÉMENT   .MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

il  «  chut  ainsi  qu'eperdu  »  sur  ce  maudit  pont.  Il  cria  trois  fois 
le  nom  de  Jésus,  et  rendit  l'âme  en  murmurant  In  niamis... 

413.  Sagon  s'est  imaginé  avoir  reçu  du  ciel  le  don  spécial  de 
l'épitaphe,  et  volontiers  il  louait,  soit  en  prose  soit  en  vers,  ses 
amis  ou  ses  protecteurs  trépassés.  Outre  l'oraison  funèbre  du 
pauvre  amiral  Philippe  Chabot  de  Brion  qui  connut  l'extrême 
faveur,  les  pires  disgrâces,  et  qui  succomba  (i^r  juin  1543)  à 
l'heure  où  la  fortune  lui  riait  de  nouveau,  nous  pouvons  citer 
encore  une  élégie  collective  à  la  mémoire  de  trois  gentilshommes 
«  occis  et  morts  »  à  la  bataille  de  Cérisoles.  L'auteur  a  varié 
de  son  mieux  un  sujet  fatalement  uniforme.  D'abord,  nous  enten- 
dons une  «  complaincte  »  du  seigneur  d'Acyer,  grand  écuj-er  de 
France,  qui  pleure  son  fils  unique  «  fauché  en  fleur  de  j  eunesse  »  ; 
ensuite  le  poète  jette  quelques  lauriers  sur  la  tombe  de  M.  de 
Chemens,  neveu  du  garde  des  sceaux,  à  qui  cette  partie  de  l'ou- 
vrage est  dédiée  ;  enfin  [f.  Ciii  v^]  nous  apparaît,  disert  et  pro- 
lixe, le  fantôme  de  la  troisième  victime,  le  seigneur  deBarbezieux, 
fils  de  Gilbert  de  La  Rochefoucauld,  grand  sénéchal  de  Guyenne. 
Onaimeraitàs'en  tenir  là.  Mais  non  !  Voici  [f.  Eiii  v^]  un  colloque 
composé  «  a  la  requeste  d'une  dame  de  la  court  ».  C'est  un  long 
dialogue  à  deux  personnages,  Rien-du-Mondc  qui  se  désole  et 
Toiit-le-Monde  qui  le  console...  Il  restait  un  peu  de  papier  blanc. 
Sagon  en  a  profité  pour  donner  au  lecteur  le  «  dixain  d'une  courte 
joye  ».  Cette  courte  joie,  c'est  M™^  de  Serrant  qui  l'a  eue  «  pour 
la  naissance  d'un  sien  enfant  nommé  Claude  de  Brie  »  qu'elle 
perdit  aussitôt...  Et  je  ne  vois  plus  rien  à  notei  en  ce  volume, 
sinon  la  marque  du  libraire  :  un  gros  bouquet  de  chardons. 

414.  L'opuscule  dont  nous  avons  à  présent  à  nous  occuper 
nous  prouve,  tout  comme  le  précédent,  que  Sagon  a  essayé  de 
se  glisser  parmi  les  gens  en  place  et  de  jouer  un  rôle  officiel.  Les 
vers  intitulés  Apologye...  pour  le  Roy  révèlent  clairement  cette 
intention,  mais  il  faudrait,  pour  la  pleine  intelligence  de  ce  texte, 
un  commentaire  historique  étendu.  Bornons-nous  à  rappeler  ici 
que  François  P^,  soumis  en  cela  à  ses  fluctuations  coutumières, 
avait  compris  les  avantages  d'une  alliance  avec  les  Ottomans, 
sans  avoir  l'énergie  ni  la  constance  de  suivre  jusqu'au  bout  une 
politique  si  neuve  et  si  hardie.  Aussi  le  voyons-nous  tour  à  tour 
signer  (février  1536)  un  traité  avec  Soliman  II  le  Magnifique  ; 
lui  manquer  de  parole  au  moment  d'agir  ;  garder,  lors  de  l'expé- 
dition de  1  empereur  Charles  contre  Alger  (octobre  1541),  une 
neutralité  fallacieuse  ;  envoyer  derechef  un  émissaire  à  «l'Excel- 
se  Porte  »  ;  s'emparer  de  Nice  (août  1543)  grâce  à  la  flotte  du 
vieux  Barberousse  qui  traînait  après  lui  quinze  mille  hommes, 
puis  payer  cher  cette  armée  musulmane  pour  qu'elle  s'en  retourne 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  285 

en  son  pays.  A  distance,  une  conduite  tellement  hésitante  et 
versatile  paraît  difficile  à  excuser  :  mais  on  l'estimera  beaucoup 
moins  coupable  si  l'on  se  rend  compte  de  l'effet  désastreux  qu'un 
pacte  conclu  avec  les  Turcs  produisait  alors  sur  l'opinion.  La 
croix  unie  au  croissant,  quel  scandale  et  quelle  douleur  !  Com- 
ment le  roi  très  chrétien  osait-il,  oubliant  plusieurs  siècles  de 
haine  épique,  rechercher  l'amitié  des  infidèles  ?  Ceux  qui  l'en- 
touraient—  sa  femme,  ses  maîtresses,  ses  favoris,  sonTournon  — 
versaient  de  pieuses  larmes,  et  il  n'avait  pas  la  consolation  de 
sentir  son  peuple  derrière  lui.  Au  dehors,  la  catholique  Espagne 
criait  à  l'apostasie,  et  le  pape  jetait  feu  et  flamme.  Il  fallait 
donc  ou  renoncer  à  l'appui  de  Soliman  ou  amener  la  foule  à  se 
résigner.  Une  campagne  de  presse,  comme  nous  dirions  aujour- 
d'hui, devenait  fort  nécessaire.  Bien  des  gens  s'en  chargèrent 
ou  en  furent  chargés.  Nos  ambassadeurs  débitèrent,  notamment 
à  Venise,  d'adroits  plaidoyers  ;  Jean  Du  Bellay  répandit  en 
Allemagne  un  probant  et  solide  discours  latin  ;  certains  poètes 
travaillèrent  aussi,  spontanément  ou  par  ordre,  à  défendre 
l'alliance  avec  le  sultan,  et  parmi  eux  se  trouve,  qu'on  l'ait  payé 
ou  non,  le  secrétaire  de  Félix  de  Brie. 

415.  Le  titre  de  son  Apologye  annonce  qu'elle  est  «  fondée  sur 
texte  d'Évangile  »,  et  c'est  vrai.  S'emparant  de  l'histoire  du 
Bon  Samaritain  [Luc,  X,  30-37],  Sagon  la  commente  d'une 
manière  très  inattendue.  Le  voyageur  que  les  brigands  ont 
blessé  et  dépouillé  figure  François  I^^  ;  la  bande  des  larrons  nous 
représente  les  ministres  de  Charles-Quint,  enfants  «  de  la  noire 
nuict  )),  «  toujours  garnis  d'astuce  et  de  falace  »  ;  le  sacrificateur 
et  le  lévite  qui  passent  leur  chemin  sans  secourir  l'homme  à  demi 
mort,  on  peut  les  comparer  aux  cardinaux  et  au  pape  ;  quant  au 
Bon  Samaritain,  idolâtre  mais  compatissant,  qui  bande  les  plaies 
du  malheureux,  les  lave  avec  du  vin  et  de  l'huile,  qui  donc  serait- 
ce,  sinon  le  Turc  ?  Et  pourquoi  pas,  je  vous  le  demande  ?  La 
«  françoise  cicatrice  »>,  le  Turc  seul  avait  tenté  de  la  fermer,  et 
tandis  que  le  saint-père  restait  indifférent  aux  maux  de  son 
fils  «  languissant  tout  nud  »,  le  remède,  la  «  forte  médecine  ». 
le  réconfort  étaient  venus  de  Byzance,  Ajoutez  que  l'empereur 
Charles,  si  prompt  à  s'indigner  lorsque  son  rival  liait  partie  avec 
le  Grand  Seigneur,  n'a  pas  hésité,  après  entente  diplomatique, 
à  pousser,  contre  ce  même  souverain  «  hors  la  loy  »,  le  Sofi  de 
Perse  et  son  armée.  D'ailleurs,  rien  ne  prouve  qu'on  ait  raison 
d'appeler.  Dieu  n'a3^ant  d'autre  ennemi  que  le  péché,  «  ennemis 
de  Dieu  »  les  Musulmans.  Et  puis  qui  sait  s'ils  ne  vont  pas,  main- 
tenant qu'ils  luttent  à  nos  côtés,  se  convertir,  renier  Mahomet 
et  se  résoudre  au  baptême   ?...  Cette  espérance  est  par  trop 


286  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

naïve  :  mais  l'ensemble  de  l'argumentation  n'est  pas  dénué  de 
valeur,  et  ces  quelques  pages  sont,  il  me  semble,  ce  que  Sagon  a 
produit  de  plus  sensé. 

416.  Il  nous  dit  lui-même  qu'au  moment  où  il  rimait  cette 
pièce  —  il  était  alors  curé  de  Sérigny  (Orne)  —  il  souffrait  (mai 
1544)  d'une  maladie  grave.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  ne  s'en 
releva  point,  car,  selon  M.  Bouquet,  il  mourut  avant  le  19  août 
de  cet  e  année-là.  Ainsi  VApologye  serait  l'adieu  de  ce  cygne, 
et  je  n'aurais  plus  rien  à  citer  de  lui,  si  je  n'avais,  ne  sachant  où 
la  placer  faute  de  connaître  sa  date  exacte,  négligé  jusqu'ici 
une  poésie  qui  s'intitule  le  Chant  de  la  paix.  Mais  de  quell 
paix  ?  Le  texte  ne  nous  l'apprend  pas,  et  plusieurs  hypothèses 
seraient  de  mise.  Certains,  du  reste,  prétendent  que  cette  œuvre 
n'est  pas  de  notre  Normand,  et  l'attribuent  à  Gilles  Corrozet. 
Je  le  veux  bien,  si  l'on  réussit  à  m'expliquer  la  phrase  du  début  : 

Chacun  orra  la  muse  sagonline 
Chanter  de  paix 


Au  demeurant  et  quel  que  soit  l'auteur  de  ces  vers,  ils  ne  méritent 
pas  de  nous  arrêter  longtemps,  vu  qu'ils  se  bornent  à  retracer, 
suivant  un  rite  plus  que  séculaire,  la  «  congratulation  »  des  trois 
états.  Eglise,  d'abord,  maudit  la  guerre  qui  l'a  chargée  d'impôts. 
Puis,  complaisamment,  Noblesse  dénombre  les  avantages  dont 
elle  va  jouir  en  ses  f 03' ers  :  tous  les  enfants  de  bonne  famille 
seront  nourris  «  en  lettres));  le  vieillard  dormira  tranquille  dans 
son  lit  «  mollet  »  ;  la  beauté  des  «  damoiselles  ))  croîtra  si  promp- 
tement  qu'elles  auront  «  presque  a  demy  aage  ))  le  bien  de  se 
marier,  moyennant  quoi  il  y  aura  des  chances  pour  qu'elles 
gardent  la  «  mundicité  ))  et  vivent  honorablement.  Enfin  Labeur 
entre  en  scène,  de  beaucoup  le  plus  bavard  et  même  (chose 
curieuse)  le  plus  savant  du  t  io.  Il  convie  Pomone,  Flora,  Cérès 
et  Diane  à  célébrer  ensemble  le  retour  de  Bon-temps,  à  cueillir 
puis  à  répandre  des  fleurs  et  des  fruits,  pendant  que  les  manants, 
les  «  simples  bergers  )>  et  leurs  bergères,  heureux  de  n'avoir  plus 
à  redouter  les  pillards  ni  les  «  aventuriers  passans  )),  soi.neront 
les  cloches  à  toute  volée,  remerciant  Dieu  qui  a  fait  taire  clairons 
et  tambourins  :  car  la  paix  vient  du  ciel  et  non  des  hommes,  ainsi 
que  nous  l'enseigne  un  dizain  qui  sert  d'épilogue  à  cette  poésie. 

417.  Ici  nous  quittons  enfin  —  et  sans  regret  —  François 
Sagon.  Mais  puisque  nous  l'avons  mené  jusqu'au  terme  de  sa 
carrière,  pourquoi  traiterions-nous  autrement  son  principal 
complice,  le  seigneur  de  Bran  ville,  Jean  Leblond  ?...  Branville 
semble,  après  son  Printemps,  avoir  presque  renoncé  aux  vers, 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  287 

et  il  s'est  borné  à  quelques  très  brèves  pièces  liminaires  qu'on  lit 
en  tête  de  ses  traductions.  En  effet,  c'est  au  métier  de  translateur 
qu'il  a  consacré  son  été,  son  automne,  et  il  nous  apprend  non 
sans  orgueil  qu'il  a  tourné  cinq  volumes  en  français.  On  trouvera 
aux  références  l'indication  de  ces  divers  travaux.  Un  seul  nous 
intéresse,  le  premier,  dont  le  succès  fut  vif  et  assez  durable.  Un 
auteur  connu,  Gilles  d'Aurigny,  «  advocat  en  la  court  de  parle- 
ment »,  avait  publié  des  extraits  d'une  immense  compilation 
due  à  l'évêque  de  Gaéte,  Francesco  Patrizzi.  Il  faut  croire  que 
cette  réduction  d'une  œuvre  vraiment  énorme  ne  passa  point 
inaperçue,  car  Branville  mit  en  langue  vulgaire  l'abrégé  qu'avait 
fait  Gilles  d'Aurigny,  l'intitula  Livre  de  police  humaine,  et  le 
confia  (1544)  au  libraire  Charles  L'Angelier.  Si  jamais  il  exista 
un  sujet  vaste,  c'est  assurément  l'humaine  police,  car  elle  com- 
prend, outre  la  fondation  des  cités  et  la  constitution  de  la  famille, 
une  éthique  générale  ;  un  tableau  des  arts  et  métiers  ;  un  exposé 
des  devoirs  qui  incombent  aux  prêtres,  aux  capitaines  ;  des 
réflexions  touchant  la  guerre  et  la  paix  ;  un  chapitre  relatif  au 
commerce  ;  plusieurs  pages  sur  la  meilleure  manière  de  construire 
les  églises,  les  remparts,  la  bibliothèque  [p.  85  r»]  d'une  ville  ;  des 
conseils  à  qui  veut  acheter  et  vendre  ;  une  encyclopédie  domes- 
tique et  agricole  ;  un  catéchisme  du  bon  père  et  du  bon  mari  ; 
un  manuel  du  parfait  magistrat  ;  un  discours  sur  les  monnaies... 
que  sais-je  ?  Toutes  ces  questions  et  vingt  autres,  Jean  Leblond, 
c'est-à-dire  Gilles  d'Aurigny  résumant  Patrizzi,  les  examine, 
les  résout.  Et,  certes,  cela  aurait  pu  suffire  au  lecteur,  et  le 
champ  ouvert  à  ses  méditations  n'était  déjà  que  trop  étendu. 
Pourtant,  dès  la  deuxième  édition  (1546),  le  nombre  des  feuilles 
s'accroît,  la  matière  s'enfle,  s'élargit  ;  deux  choses  viennent 
s'adjoindre  à  la  police  humaine  :  «  l'éducation  duPrince  »  (d'après 
Erasme),  puis,  servant  de  préface  au  tome  II,  une  apologie  de  la 
langue  française. 

418.  Combien  cette  partie  de  l'œuvre  était  curieuse  et  nouvelle, 
M.  G.  Charlier  l'a  fort  bien  montré.  L'auteur  du  Printemps, 
un  rhétoriqueur  attardé,  nous  cause  ici  la  plus  vive  surprise,  car 
qui  donc  aurait  pu  s'attendre  à  rencontrer  en  lui  un  précurseur 
de  Joachim  Du  Bellay  ?  Il  l'annonce,  néanmoins  ;  il  semble  lui 
frayer  la  route,  et  soutient  souvent  les  mêmes  idées  que  ce  grand 
poète  soutiendra.  Lorsque  Branville  déplore  la  manie  des  ecor- 
cheurs  de  latin  ;  lorsque,  continuant  le  rêve  de  Jean  Lemaire,  il 
affirme  que  notre  idiome  remonte  jusqu'aux  Gaulois,  jusqu'aux 
Troyensetmêmejusqu'àNoé;quandil  compare  notre»  vulgaire» 
à  une  belle  et  vivace  plante  qui  n'aurait  besoin,  pour  <(  reverdir 
et  refleurir  »,  que  d'être  soignée  avec  amour  ;  quand  enfin  il 


238  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

invite  les  riches,  les  puissants  à  imiter  l'exemple  de  Mécène,  à 
combler  de  leurs  faveurs  ceux  qui  veulent  rendre  le  français  aussi 
élégant  et  copieux  que  le  latin  et  le  grec,  il  formule  précisément 
ce  que  le  manifeste  de  la  Pléiade  exprimera  mieux  et  plus  au 
long,  A  supposer  donc  que  Joachim  ait  lu  ce  plaidoyer  antérieur 
au  sien,  il  aurait  dû,  plein  de  sympathie  et  de  gratitude,  nommer, 
saluer  son  devancier,  parler  de  lui  en  termes  flatteurs.  Mais  il 
s'en  faut  bien  !  Il  n'a  cité  Leblond  que  pour  le  ranger  parmi  les 
rimeurs  aux  «  enrouées  cornemuses  »,  et  il  a  signalé  comme 
risibles  le  titre  de  Printemps  appliqué  aux  essais  d'un  jouvenceau 
et  les  mots  symboliques  :  humble  espérant.  Cette  raillerie,  ces 
malices,  de  quelle  manière  les  expliquer  ?  Dirons-nous  que  Du 
Bellay  ignorait  les  traductions  de  Branville,  et  ne  le  connaissait 
que  par  ses  vers  ?  Ce  serait  l'hypothèse  la  plus  indulgente,  et  il 
se  peut  qu'elle  soit  fondée.  Mais  il  se  peut  aussi  qu'elle  soit  fausse, 
et  nous  aurions  alors  le  droit  de  croire  que  Leblond  déplaisait 
à  Joachim  justement  parce  qu'il  avait  eu  avant  lui  les  mêmes 
idées  que  lui.  Tel  est,  en  effet,  l'état  d'esprit  des  novateurs  : 
ils  estiment,  ils  louent  quiconque  les  suit  et  les  écoute,  mais  celui 
qui  a  sur  eux  l'avantage  de  la  priorité,  ils  ont  de  la  peine  à  ne 
pas  le  haïr,  et  lui  reprochent  tout  bas  d'avoir  eu  trop  tôt  des 
opinions  dont  ils  se  réservaient  le  monopole. 


BIBLIOGRAPHIE   ET   REFERENCES 

354.  EstrenncauRoy,^.  II,  211.  —  Chant  miptial,  Ibid.,  96.  —  Ibid.,  lU,  57,  Epigr. 
CXL.  —  Doleti  Carmina  (1538),  II,  i.  —  Copley  Christie,  Etienne Dolet,  293-299. 

355.  NmiveUes  lettres  de  la  reine  de  Navarre,  II,  146.  —  J.  III,  28,  Épigr.  LXVI  : 
«  En  grand  travail,  plein  d'amour,  j*ay  passé  |  Les  montz  très  froidz  an  partir  d'Aqui- 
taine... »  [  Sur  la  date  du  voyage  dont  il  est  question  en  ce  §,  cf.  Becker,  Zeitsch.  jut 
fr.  Sp.  und  Litt.,  XL  1 1, 142-3.  M.  Becker  place  cette  course  dans  le  Midi  avant  le  banquet 
de  Dolet  :  mais  je  ne  vois  pas  le  moyen,  pour  brève  qu'on  suppose  son  absence,  de  rame- 
ner Marot  à  Paris  vers  le  19  février.  Le  texte  de  Marguerite  et  l'épigramme  mentionnée 
ci-dessus  ne  s'appliquent  pas  mal  au  mois  de  mars,  époque  où,  certes,  les  monts  sont 
t.  très  froidz  ..  1  —  J.  111,58,  Épigr.  CXl^lW. 

356.  J.  III,  61,  Épigr.  CXLIX  ;  73,  Épigr.  CLXXXI  ;  ibid.,  IV,  181,  Épigr.  CGC.  — 
G.  1,330,  le  texte  et  la  note  i. — Becker,  145-7. 

357.  G.  I,  332-333-  —  Becker,  148,  le  texte  et  la  note  1S6.  —  G.  III,  593,  n.  i.  — 
Ibid.,  592-5- 

358.  Becker,  148-9-  —  J.  HI,  49,  Épigr.  CXVI. 

359.  J.  II,  100  ;  III,  74,  Épigr.  CLXXXIII. 
361».  Becker,  149-150.  —  G.  III,  608-613. 

361.  G.  111,602-605. 

362.  J.  II,  19--211. 

364.  On  trouvera  au  t.  VI  des  Œuvres  de  Marot  publiées  par  Lenglet-Dufresnoy  (La 
Haye,  1731)  la  plupart  des  pièces  relatives  à  la  fameuse  querelle.  Mais  ce  recueil  ne 
saurait  suffire,  car  trois  ou  quatre  textes  fort  importants  n'y  figurent  pas.  —  La  lutte 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ECOLE  289 

des  deux  écrivains  et  de  leurs  tenants  a  été  racontée  au  moins  quatre  fois  :  i"  [Pour 
jnémoire,  vu  que  ce  travail  est  d'une  parfaite  inanité]  Voizard,  De  disputalione  inter 
Maroium  et  Sagontum,  Thèse  de  Paris,  1885  ;  3°  le  savant  et  pénétrant  a.-ticle  de  Pau! 
Bonne^ov,  Revue  d'hist.  litt.  de  la  Fr.,  i8g4,  pp.  loyizS  et  25g-2S5  ;  3°  G.  I,  eh.  XVI; 
40  Recker,  156-165.  —  Pour  la  dédicace  du  Triumphe  de  grâce  à  Richard  Ange,  cf. 
Bonnefon,  107,  n.  3. 

365.  Bonnefon,  106. 

366.  Le  Triumphe  de  grâce  et  prérogative  d'innocence  originelle,  sur  la  conception  et 
trespas  de  la  vierge  esleue  mère  de  Dieu,  composé  par  Sagon...  On  les  vend  a  Paris  en  la 
grand  salle  du  palais,  au  premier  pillier,  par  Jehan  André,  libraire  juré  de  l'université 
de  Paris  ;  1544-  In-8ode  53  ff.  non  chiffr..  (Bibl.  de  l'Arsenal,  n"  8083,  BL.)  —  Léchant 
royal  qui  montre  comment  la  Vierge  a  vaincu  «  Mort  et  Nature  »  se  lit  eu  un  splendide 
manuscrit  (B.  N.  fr.  379,  i°  33  ro)  où  sont  rassemblées  quantité  de  pièces  couronnées  aux 
Palinods.  Le  parchemin,  l'écriture,  les  vignettes  du  volume  en  question  réjouissent  les 
3'eux,  et  tout  est  beau  en  ce  recueil  de  poèmes,  hormis  les  vers. 

367.  G.  III,590,letexteetlan.  I.  — Lenglet-Dufresnoy,  113-113. 
369.  Bonnefon,  io8-iog. 

371.  Becker,  156-9.  —  Sur  Marot  et  Félix  de  Brie,  cf.  G.  111,362,431,  589-590,  v. 
336-334. 

372-377.  Bonnefon,  iio-iii.  —  Becker,  159-160.  —  Sur  les  mots  «  Coup  d'essay  » 
que  Marot  revendique  comme  siens,  cf.  G.  II,  14,  1.  16  ;  III,  580-581,  v.  1 15-134  et  la 
n.  I  de  la  p.  581.  —  Le  coup  des-  |  say  de  Françoys  de  [  Sagon  Secrétaire  de  labbe  de  | 
sainct  Ebvroul. Contenant  |  la  responce  a  deux  |  epistres  de  |  Clément  Marot  retire  a 
Ferrare.  |  L'une  adressante  au  Roy  treschresticn.  |  L'autre  a  deux  damoysellesseurs.  | 
Vêla  de  quoy.  j  Avec  ime  Responce  a  celuy  qui  a  escript  |  que  limprimenr  de  ce  présent 
livre  I  avoit  beaucoup  perdu  à  l'impres-  |  sion  diceluy.  |  Les  semblables  sont  à  vendre  | 
à  Paris  à  V enseigne  du  pot  |  cassé.  1 1  [Au  v"  du  f .  37]  :  Imprime  de  rechief  le  XX IV.  Jour  j 
de  Septembre  mil  cinq  cens  |  trente  sept.  In- S"  de  28  ff.  non  chiffr...  Il  ressort  d'une 
phrase  qui  se  lit  au  f.  38  r"  que  cette  édition  du  Coup  d'essay  serait  la  troisième.  [Les 
chiffres  entre  crochets  dans  mon  texte  renvoient  au  recueil  de  Lenglet-Dufresnoy. J 

378.  C'est  dans  le  titre  du  Livre  de  police  humaine  que  Jean  Leblond  est  qualifié 
«  curé  de  Branville  »,  mais  l'une  des  pièces  liminaires  de  ce  volume  le  nomme  «  seigneur  » 
et  non  «  curé  ».  Les  mots  «  seigneur  de  Branville  »  se  lisent  en  toutes  lettres  au  titre  du 
Printemps,  et  l'on  notera  aussi  que  les  Nuptiaulxvirelays  portent  la  mention  «  par  Bran- 
ville ».  Or,  si  un  gentilhomme  prend  le  nom  de  sa  terre  ou  de  son  manoir,  le  nom  d'une 
paroisse  ne  passe  pas  au  desservant.  —  Les  renseignements  que  j'ai  donnés  sur  Jean 
Leblond  sont  tirés  de  l'article  de  Gustave  Charliér  (voir  plus  bas)  et  des  dédicaces  des 
deux  ouvrages  dont  il  vient  d'être  question  ci-dessus.  —  Nuptiaulx  virelays  du  mariage 
du  roy  d'Escosse  et  de  Madame  Magdaleine,  première  fille  de  France,  ensemble  une 
ballade  de  l'apparition  des  troys  déesses,  avec  le  blason  de  la  cosse  en  laquelle  a  tous- 
jours  germiné  la  belle  fleur  de  lys,  faict  par  Branville.  Cum  privilegio.  On  les  vend  au 
Palays  au  premier  pillier  en  la  boutique  de  Arnoul  et  Charles  Langelier.  Paris,  (1536)  ; 
car.  goth.  ;  in-S»  de  4  ff.  non  chiffrés.  (B.  N.  Rés.  Y»  3620.)  Cf.  Montaiglon,  Rec,  II, 
25  sqq.  [On  observera  que  Charles  Hiiet,  dans  un  petit  poème  intitulé  Concile  des  dieux 
(1536)  et  dédié  à  Mellin  de  Saint-Gelays,  avait,  lui  aussi,  chanté  le  mariage  de  Jacques 
Stuart  et  de  la  fille  de  François  1'=''.]  — ■  Sur  Charles  Huet  candidat  à  la  place  de  Marot, 
cf.  G.  III,  572-3,  V.  47-52  et  Lenglet-Dufresnoy,  73. 

379-384.  Le  Prin-  |  temps  de  Ihumble  espe-  j  rant  aultrement  dict|  lehan  Leblond 
Seigneur  de  Branville  1  oi'  sont  compris  plusieurs  petitz  |  œuvres  semez  de  fleurs, 
fruict  I  et  verdure  qu'il  a  composez  |  en  son  ieune  aage  fort  recréa-  |  tifz  comme  on 
pourra  1  veoir  a  la  table.  1 1  On  les  vent  a  la  grant  salle  du  Pâlies  au  premier  |  pillier  en 
la  boutique  de  Arnoul  Langelier.  1 1  M.  D.  XXXVI.  1 1  Cum  privilegio.  In-S»  de  62  fï.  non 
chiffrés.  (B.  N.  Rés.  Y^  1652.)  —  Le  pamphlet  contre  Marot  se  compose  de  deux  pièces 
dont  voici  les  titres  :  Epistre  du  gênerai  Chambor  responsive  a  lepistre  de  Clément  Marot 
Clément  Marot  et  son  école  10 


290  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

qu'il  envo^'a  au  Roy  treschrestien  Ftançoys  [f.  Fiiii  V]  ;  Epistre  a  Clément  Marot  respon- 
sive  de  celle  parguoy  il  se  pensait  purger  dheresie  lutheriane. 

386.  Pour  Marot  absent  contre  Sagon  par  Bonaventiire,  valet  de  chambre  de  la  Royne 
de.  Navarre  (Lenglet-Dufresnoy,  165).  Cette  pièce  est  suivie  (p.  170)  de  huit  vers  latins 
intitulés  Ejusdem  Bonaventurae  de  eodem  epigramma. 

387.  Epistre  à  Sagon  et  â  La  Hueterie  par  Charles  Toiitaine  (Lenglet-Dufresnoy, 
171-177)- 

388-390.  Apologie  de  maistre  Nicole  Glotelet  de  Victry  en  Partoys  [Vitry-en-Perthois, 
arrondissement  de  Sainte-Menehould,  Marne]  pour  Clément  Marot  (Lenglet-Dufresnoy, 
149-165). 

391.  Le  valet  1  de  Marot  contre  1  Sagon.  [  Cum  Commento.  |  On  les  vend  a  Paris 
en  la  Rue  sainct  lacques  |  près  sainct  Benoist,  en  la  boutique  de  |  lehan  Morin,  près 
lestroys  Couronnesl  d'argent.  |  1 1537. 1 1  In-S"  de  8  ff.  non  chiffrés.  —  Lenglet-Dufresnoy, 
51-59  ;  G.  m,  565-592.  —  Le  bois  qui  représente  Fripelippes  frappant  à  tour  de  bras 
le  sagouin  a  été  reproduit  plus  d'une  fois,  ^■'oyez,  notamment,  G.  I,  352  et  III,  564. 

392-393.  Le  rabais  du  ]  caquet  de  Fripelippes  et  de  Marot  dict  |  Rat  pelé  adictionné 
avec  le  commentaire.  1  Faict  par  Matthieu  de  Boutigny  pai-  |  ge  de  maistre  Françoys  de 
Sagon  secre-  j  taire  de  Labbé  de  Saint  Ebvroult.  ||  S.  /.  n.  d.  (Paris,  1537)-  Ii^-8°  de 
20  ff.  (Lenglet-Dufresnoy,  85-117.) 

394.  Responce  à  [Marot,  dict  Fripe-  |  lippes  et  à  son  maistre  Clément.  1 1  On  les  vend 
à  Paris  en  la  rue  sainct  Jac-|ques,  devant  l'escu  de  Basle,  par  |  Jehan  Luquet.  (Lenglet- 
Dufresnoy,  71-79.)  La  vignette  du  titre,  qui  figure  un  rat,  un  matou,  im  morceau  de  lard, 
a  comme  légende  les  deux  vers  :  «  Mus  cavet  ire  au  lard  |  Quando  videt  Mitouart.  »  Le 
chat  Mitouart  symbolise  le  bailli  Morin. 

395.  La  gran-  j  de  généalogie  de  Frip-  |  pelippes,  composée  par  ung  jeune  |  poète 
champestre.  Avecques  un  Epistre  |  adressant  le  tout  a  Fran-  |  çoys  Sagon.  1 1  On  les 
vend  au  mont  sainct  Hylaire,  près  le  |  collège  de  Reims,  au  Phœnix.  In-S"  de  8  ff. (Len- 
glet-Dufresnoy, 61-70.) 

396.  Defiense  de  Sagon  |  contre  |  Clément  Marot.  1 1  On  la  vend  au  mont  Sainct 
Hylaire,  devant  |  le  Collège  de  Reims.  In-S"  de  36  ff.  non  chiffrés.  (Bibl.  de  l'Arsenal 
6427,  BL.) 

397.  Les  disciples!  et  amys  de  Marot  con-  |  tre  Sagon,  la  Hueterie  et  leurs  adhérents.  |  | 
On  les  vend  a  Paris,  près  le  collège  de  Reims,  |  a  lenseigne  du  Phœnix.  In-8°  de  30  a. 
non  chiffrés. 

398.  Remonstrance  [  a  Sagon,  a  la  Hu-  |  terie  [sic]  et  au  Poe- 1  te  Campestre,  |  par 
maistre  Da-  lluce  Locet,  Pa-  |  manchoys.  ||  On  la  vend  au  mont  sainct  |  Hylaire, 
devant  le  col-  liège  de  Reims.  In-80  de  8  ff.  non  chiffrés.  (Lenglet-Dufresnoy,  124-134.) 

399.  Epistre  respon-  ]  sive  au  rabais  |  de  Sagon.  |  Ensemble  une  |  aultre  Epistre 
faicte  par  |  deux  amyz  de  Clément  |  Marot.  [  |  On  les  vend  a  Paris  au  mont  |  sainct 
Hilaire,  devant  le  Collège  |  de  Reims.  In-8°  de  8  ff .  non  chiffrés.  (Lenglet-Dufresnoy, 
1 18-123.)  —  Contre  Sagon]  et  les  siens,  Epi-  |  stre  nouvelle  |  faicte  par  ung  [  amy  de 
Cle-  I  ment  Ma-  |  rot.  1 1  On  la  vend  Devant  le  Collège  de  Reims.  (1537).  In-S"  de  7  ff. 
non  chiffrés.  —  Le  frotte-  [groing  du  Sagouyn.  [Avec  scholies  exposantz  lartifice...  |  | 
On  le  vend  a  Paris  en  la  rue  S.  Jacques  |  a  lenseigne  des  trois  Brochetz.  |  1537.  In-S" 
de  4  ff.  non  chiffrés.  —  Replicque  par  1  les  Amys  de  l'auctheur  de  la  Remonstrance  | 
faicte  a  Sagon,  contre  celuy  qui  ce  (sic)  dict  |  amy  de  l'imprimeur  du  Coup  |  d'essay.  \ 
Ensemble  responce  a  Nicolas  Denisot  |  qui  blasma  Marot  en  vers  enragez  a  la  fin 
du  Rabais.  In-80  de  7  ff.  non  chiffrés.  S.  /.  n.  d.  —  Rescript  A  |  Françoys  Sagon  et  au 
jeune  poète  1  Champestre  facteur  de  la  ge-  |  nealogie  de  Frippelippes.  |  Avecques 
ung  Ron-  |  deau  faict  par  |  Clément  |  Marot  j  dudict  jeune  poète.  |  1537.  In-80  de 
4  ff.  non  chiffrés.  (Lenglet-Dufresnoy,  80-84.)  —  Responce  a  Charles  Huet  dict  Hueterie 
gui  feit  Mitouart  le  Gm  par  C[alvy]  de  La  Fontaine.  Cette  pièce  se  trouve  dans  le  recueil 
des  Disciples  et  amys  de  Marot.  (Cf.  Lenglet-Dufresnoy,  178-187.) 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  291 

400.  Epistre  a  I  Marot  par  Fran- 1  çois  de  Sagon  pour  lui  monstrer  que  [Fripelippes 
avoit  faict  sotte  comparaison  |  des  quatre  raisons  dudit  Sagon  a  quatre  |  Oysons.  |  | 
Au  Palais  par  Gilles  Corrozet  |  et  Jehan  André.  1537.  In-8<»  de  16  ff.  non  chiffrés.  (Cf. 
Bonnefon,  265-269.) 

401.  Epistre  |  a  Marot,  a  Sa-  |  gon  et  a  la  |  Huterie.  1 1  On  la  vend  au  mont  Sainct  | 
Hylaire,  Devant  le  Colle-  |  ge  de  1  Reims.  In-8°  de  8  £f.  non  chiffrés.  (Lenglet-Dufresnoy, 
135-145.)  Sagon  (ou  quelqu'un  des  siens)  a  estimé  utile  de  riposter.  Insipide  et  indigente 
réplique  !  On  la  trouvera  chez  Lenglet-Dufresnoy  (231-234),  sous  un  titre  d'assez  longue 
haleine  :  Responce  d'ungqu  i  ne  se  nom  me  pointa  V  epistre  de  celluy  qui  ne  s'est  point  nommé, 
adressée  à  Marot,  à  Sagon  et  Hueterie,  etc..  —  Pour  le  Différent  de  Clément  Marot  et  de 
François  Sagon,  cf.  ibid.,  227-230. 

402.  Poésies  de  Germain  Colin  Bûcher  [édition  J.  Denais,  1890],  pp.  183,  n"  CLXXV 
et  218,  n°  CCXXI.  —  Epistre  [  envoyée  a  Clément  |  Marot  et  Françoys  Sagon  !  ten- 
dant a  leur  paix.  I  j  On  la  vend  en  la  rue  sainct  |  Jaques  près  le  mortier  d'or.  In-S»  de 
4  ff.  non  chiffrés.  A  la  fin  :  »  Voustre  bon  frère,  serviteur  et  amy,  Germain  Colin.  »  Cette 
pièce  a  été  publiée  (Paris,  Techener,  1890)  par  Emile  Picot,  et  Bormcfon  (270-27?)  en 
a  donné  de  longs  extraits. 

403.  Jean  Bouchet  a  inséré  la  lettre  en  vers  de  Sagon  dans  ses  Epistres  morales  et 
familières  du  Traverseur,  3«  partie,  i°  73.  —  Œuvres  de  Mellin  de  Saiiit-Gelays  [Blanche- 
main],  II,  1-3.  —  Nicolaï  Borhonii...  Nugarum  libri  octo,  p.  465,  n"  81.  —  Ruisseaux 
de  Fontaine  (1555),  pp.  230-231.  —  Poésies  françaises  de  Jean  de  Boissonné  (Bibl.  mun. 
de  Toulouse,  ms.  836),  Première  centurie  de  dizains,  i"'  25  v»,  31  v°,  32  r"  et  \°. 

405.  Appologie  1  faicte  par  le  grant  |  abbé  des  Conards  |  sur  les  invectives  Sagon, 
Marot,  la  Hu-  |  terie,  pages,  valets,  braquetz,  etc.  S.  l.  «.  d.  [1537].  In-80  de  4  ff.  non 
chiffrés.   (Lenglet-Dufresno}',  202-207.) 

406.  Responce  a  Lab-  I  bédés  Gon ar s  de  |  Rouen.  ||  On  les  vend  en  la  rue  sainct 
Jacques,  par  |  Jehan  Morin.  |  M.  D.  XXXVII.  In-S»  de  4  ff.  non  chiffrés.  (Lenglet- 
Dufresnoy,  224-227.)  —  La  première  leçon  des  matines  ordinsdres  du  grand  abbé  des 
Conardz  de  Rouen,  souverain  monarcque  de  l'ordre,  contre  la  response  faicte  par  ung 
corneur  a  l'apologie  du  dict  abbé.  S.  /.  n.  d.  [Rouen,  1537.]  —  De  Marot  j  et  Sagon  les 
trêves  |  Dormez  jusqu'à  la  fleur  des  febves.  |  Par  l'auctorité  de  Labbé  des  Conards. 
S.  l.  n.  d.  [Paris,  1537.]  In-80  de  7  ff.  non  chiffrés.  (Lenglet-Dufresnoy,  215-221.) 

407.  Le  bancquet  1  Dhonneur  sur  la  Paix  faicte  entre  Clément  |  Marot,  Françoys 
Sagon,  Fripelippes,  |  Hueterie  et  aultres  de  leurs  ligues  ]  Nouvellement  imprimé.  1 1 
1537- 1 1  De  guerre  paix.  S.  l..  In-S»  de  8  fif.  non  chiffrés.  (Cf.Boimefon,  277-280.) 

409-410.  Le  regret  d'honneur  fceminin  et  des  troys  grâces  sur  le  trespas  de  noble 
dame  Françoyse  de  Chasteaubriant  et  mirouerde  noblesse  fœminine.  Par  Françoys 
de  Sagon  Secrétaire  de  labbé  de  sainct  Ebvroul.  B.  N.  fr.  2373.  (C'est  à  ce  texte  que  je 
renvoie.)  Le  Regret  d'Honneur  a  été  publié  par  F.  Bouquet,  Soc.  des  bibliophiles  normands, 
Rouen,  1880,  in-4°. 

411.  Recueil  des  |  estrenes  de  Françoys  |  de  Sagon  pour  l'an  présent.  |  1538.  [| 
A  la  fin  :  Imprimé  a  Paris  le  seiziesme  jour  de  jan-  |  vier  1538  (v.  s.).  In-8°  de  28  ff. 
non  chiffrés.  —  Deffence  |  des  escriptz  de  Sagon  a  |  luy  envoyée  pour  |  estreines  de  | 
parloyspratin.  ||  S. /.  n.  (i.  In-S»  goth.  de  8  ff.  nonchiffrés. 

412.  Le  dis-  1  cours  de  la  vie  et  |  mort  accidentel-  |  le  de  noble  homme  Guy  |  Morin, 
traducteur  1  de  ce  présent  Preparatif  a  |  la  mort,  par  Françoys  |  de  Sagon,  secre-  |  taire, 
son  vray  1  amy.  1  1539.  1 1  he  Discours  se  lit  aux  fif.  100-127  de  :  Le  Preparatif  à  la  mort 
traduict  du  latin  d'Erasme  par  Guy  Morin  dict  de  Loudon  ;  Paris,  Vincent  Sertenas, 
1539- 

413.  La  complainte  I  de  troys  gentilz-  |  hommes  Françoys,  occis  et  morts  au  voyage 
deCar-  1  rignan,  bataille  et  journée  de  Ci-  |  rizolles,  par  Françoys  de  Sagon.  1 1 1544. 1 1 
De  l'imprimerie  de  Denys  Janot,  imprimeur  |  du  Roy  en  langue  Françoise  et  libraire  | 
juré  de  l'Université  de  Paris.  1 1  Ala  fin  :  Et  fut  achevé  d'imprimer  ce  dit  livre  le  XXIIIe 
jour  de  may,  mil  cinq  cent  quarante  et  quatre.  In-S»  de  44  fif.  non  chiffrés. 


292  CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

414-415.  Apologye  en  |  défense  |  pourle  Roy,  |  fondée  sur  texte  d'évangile,  con-  |  tre 
ses  enneinys  et  caluniniateurs  |  par  Françoys  de  Sagon.  |  Avec  privilège  du  Roy.  1 1 
1544.  Il  De  l'imprimerie  de  Denys  Janot,  imprimeur  |  du  Roy  en  langue  Françoyse, 
et  libraire  juré  |  de  l'Université  de  Paris.  In-S"  de  24  ff.  non  chiffrés.  (Au  f.  Aii  r», 
dédicace  à  la  reine  de  Navarre.)  —  Cf.  J.  Mathorez,  Un  apologiste  de  l'alliance  franco- 
turque  au  XVI"  siècle  dans  le  Bull,  du  bibliophile  et  du  bibliothécaire,  1913,  pp.  105-120. 

416.  Le  Chant  de  la  paix  de  France  et  d'Angleterre  chanté  parles  trois  Estats,  com- 
posé par  l'Indigent  de  sapience.  Publié  a  Paris  le  samedi  vingt-neuvième  jour  de  Mars 
mil  cinq  cents  quarante  neuf  avant  Pasques  [1548].  In-8°  de  24  ff.  non  chiffrés. 

417.  I.  Le  livre  de  Po-  j  lice  humaine,  conte-  |  nant  briefve  description  de  plusieurs 
choses  dignes  |  de  mémoire...  Le-  |  quel  a  esté  extraict  des  grandz  et  amples  volumes 
de  I  François  Patrice,  natif  de  Senes  en  Italie,  Evesque  |  de  Gaieté,  par  maistre  Gilles 
d'Aurigny,  advocat  |  en  la  court  de  parlement  :  et  nouvellement  traduict  j  de  Latin  en 
François  par  maistre  lehan  Le  Blond,  eu-  |  ré  de  Branville...  |  j  Reveu  et  corrigé  avec 
grand'diligence  j  parledict  Translateur.  [  Avec  privilège,  j  1546.  j  On  les  vend  a  Paris 
par  Charles  l'Angelié,  tenant  |  sa  boutique  au  premier  pillier  du  Palais.  Le  privilège  est 
du  mardi,  8  avril  1543,  v.  s.  A  la  fin  de  la  dédicace,  on  lit  la  devise  Espérant  mieulx  et 
quelques  vers  de  Branville  [«  a  tous  nobles  Lecteurs  amoureux  de  la  Langue  françoise  »] 
et  de  ses  amis. 

Les  mots  «  reveu  et  corrige  »  prouvent  qu'il  s'agit  ici  d'une  seconde  édition  ;  je  rappelle 
que  la  première  est  de  1544. 

Voici  l'ouvrage  dont  maître  Gilles  d'Aurigny  a  tiré  les  extraits  que  Jean  Leblond  a 
traduits  :  Francisai  Patricii  senensis,  pontifiais  aaietani,  de  institutione  reipuhlicae  libri 
novem,  historiarum  sententiarumque  referti,  hactenus  nunquam  impressi,  cum  lohannis 
Savignei  annotationibus  margineis...  Vénales  prostant  in  aedihus  Galioti  a  Prato  ; 
1518.  In-folio. 

Il  existe  une  version  antérieure  à  celle  de  Jean  Leblond  :  Livre  très  fructueux  et  utile 
a  toute  personne  de  l'institution  et  administration  de  la  chose  publique,  composé  en  latin 
par  Fr.  Patrice  de  Senes  et  translaté  en  françois...  Imprimé  a  Paris  le  dernier  jour 
d'avril  mil  cinq  cens  et  vingt  par  maistre  Pierre  Vidoue  pour  Galiot  Du  Pré,  marchand 
Libraire. 

Brunet  cite  une  traduction  italienne,  Venise,  1545. 

II.  Abrégé  des  «  histoires,  dictz  et  sentences  de  Valère  Maxime  »  (1548  ?). 

III.  Ensuite,  Branville  a  tourné  enlangue  vulgaire  le  livre  que  voici  :Cayio>n's  [lohan- 
nis] Chronicon  ab  exordio  mundi  ad  Carolum  V  imperatorem.  Jean  Carion  (f  1538)  avait 
publié  cette  Chronique  en  allemand  (Wittemberg,  1532).  Hermann  Bonn  la  mit  quelques 
années  plus  tard  en  latin  (Halle,  1537),  et  ce  fut  ce  texte  latin  que  Leblond  traduisit 
(Lyon,  J.  de  Tournes  et  G.  Gazeau,  1549  ;  in-i6  de  30  ff.  prél.  et  750  p?ges.) 

IV.  La  description  de  l'isle  d'Utopie  ou  est  comprins  le  miroer  des  republicques  du 
monde  et  l'exemplaire  de  vie  heureuse,  rédigé  par  escript  en  stille  très  élégant,  de  grand' 
haultesse  et  maiesté  par  illustre  Thomas  Morus...  avec  lepistre  liminaire  composée 
par  M.  Budé.  Paris,  Charles  l'Angelier,  1550.  —  Voici  le  titre  de  l'original  :  Libellus 
vere  aureus  nec  minus  salutaris  quam  festivus  de  optimo  reipublicae  statu,  deque  nova 
insula  Utopia,  authore  clarissimo  viroThoma  Moro.  Louvain,  1516. 

V.  Parmi  ses  translations,  Branville  cite  un  traité  de  «  Vincent  de  Lyfy  contre  les 
hérésies  renouvelées  ».  Il  s'agit,  d'après  M.  G.  Charlier,  de  Vincent  de  Lérins  et  de  son 
Commonitorium  pro  aatholicae  fidei  antiquifate.  Brunet  ne  mentionne  pas  cette  version, 
et  elle  paraît  être  demeurée  manuscrite. 

—  Telles  sont  les  cinq  traductions  dont  l'Humble  Espérant  lui-même  se  déclare 
l'auteur.  Mais  son  œuvre  ne  se  borne  pas  à  cela,  et  il  a  laissé,  aussi,  une  chronique  inti- 
tulée :  «  La  fondation  du  royaume  de  Neustrie  |  maintenant  Normandie,  en  la  Gaulle  | 
Celtique  parles  François  Allemans:  |  et  du  discours  des  princes  qui  y  ont  régné:  j  ensem- 
ble de  leurs  gestes  et  glorieux  j  faictz.  »  C'est,  il  nous  le  dit,  son  «  dernier  labeur  ».  Il 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  293 

resta  inédit,  et  se  trouve  maintenant  à  la  B.  N.  (ms.  fr.  i8  931).  Ce  volume  est  dédié 
'<  A  Monseigneur  Monsieur  Robert  de  Quenel,  abbé  de  la  Noe  et  de  Conches  ».  Comme 
ces  deux  abbayes  furent  données  à  Robert  de  Quesnel  en  1558,  la  dédicace  ne  saurait 
être  antérieure  à  cette  année,  et  c'est  ici,  écrit  M.  Charlier,  «  la  dernière  date  assurée 
dans  la  biographie  de  Jean  Leblond  ». 

418.  Gustave  Charlier,  Jean  Leblond  et  son  apologie  de  la  langue  française,  (Revue 
de   'instruction  publique  en  Belgique).  —  J.  Du  Bellay,  £>^/.  <;< /i/.  [Chamard],  310-313. 


VI 

LES  DERNIÈRES  ÂNNEE^> 

419.  Vers  adressés  à  Montmorency  créé  connétable.  — •  420.  Dolet 
éditeur  de  Marot.  —  421.  Marot  à  Lyon.  —  422-423.  //  célèbre 
l'entrevue  du  roi  et  de  l'ejnpereur  à  Nice,  fuis  la  venue  en  France 
de  Marie  d'Autriche.  —  424-425.  La  maison  du  cheval  de 
bronze.  —  426.  François  i^r  tonibe  malade  ;  poème  écrit  à  cette 
occasion.  —  427-429.  Charles-Quint  traverse  la  France.  — 
430.  Editiondes  (.iTrente  pseaulmes)). — 431.  Mariage  de  Jeanne 
d'Albret.  —  432.  Voyage  à  Lyon.  —  433-434.  Par  des  publica- 
tions audacieuses,  Clément,  de  nouveau,  provoque  ses  ennemis  ; 
il  s'enfuit  à  Genève.  —  435.  Fausses  raisons  qu'on  a  données 
de  ce  départ.  —  436-437.  Les  vraies  raisons.  —  438.  Oit  se  trou- 
vait le  poète  lorsqu'il  a  cru  devoir  s'exiler  ?  —  439.  Date  de  son 
arrivée  à  Genève.  — 440-443.  Mathieu  Malingre  et  son  Épître 
à  Marot. — 444.  Réponse  de  celui-ci.  —  445-447.  Eustorg  de 
Beaulieu  :  la  seconde  partie  de  son  histoire.  —  448.  Son  Épître 
à  Clément.  —  449.  L'exilé  continue  à  jouer  le  rôle  d'écrivain 
officiel.  —  450.  Il  travaille  à  la  translation  du  Psautier.  —  451. 
Le  Conseil  de  Genève  lui  refuse  une  subvention.  —  452.  Qu'il 
était  impossible  à  Marot  de  vivre  longtemps  à  Genève.  —  453. 
Une  partie  de  trictrac.  —  454-455.  François  Bonivard.  ■ — • 
456.  Clément  s'achemine  vers  la  Savoie.  —  457.  Calomnies  des 
huguenots  et  des  catholiques  à  propos  de  ce  voyage.  —  458. 
Épître  à  Raymond  Pellisson.  —  459.  .'Eglogue  sur  la  naissance 
du  filz  de  Mgr  le  Dauphin.  —  460-462.  Amis  savoisiens  du 
poète.  —  463.  Bataille  de  Cérisoles  ;  Épître  à  François  de  Bour- 
bon, comte  d'Engliien.  —  464.  Marot  se  rend  à  Turin,  et  c'est 
là  qu'il  meurt.  —  465-466.  Divers  poèmes  à  sa  louange.  —  467- 
468.  Sa  famille  :  sa  fille  ;  son  fils  Michel.  — •  469-471.  Carac- 
tère de  Clément  Marot. 

419.  Le  dimanche.  lo  février  153S.  Anne  de  ^Montmorency  fut 
élevé  à  la  dignité  de  connétable.  La  cour  se  trouvait  alors  à 
Moulins,  et  ce  fut  en  cette  ville  que  se  déroula,  avec  beaucoup  de 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  295 

solennité,  l'imposante  cérémonie.  Plusieurs  poètes  la  célébrè- 
rent, et  prédirent  qu'une  ère  de  paix  ou  de  victoires  allait  naître, 
puisque  l'épée  de  la  France  était  confiée  à  de  si  martiales  mains. 
Clément  Marot  n'osa  garder  le  silence,  et  il  souhaita,  dans  une 
épigramme,  que  celui  qu'on  venait  de  mettre  au-dessus  de  tous 
les  Français  plaçât  à  son  tour,  «  par  prouesse  et  bonheur  »,  le 
roi  au-dessus  de  la  terre  entière.  L'écrivain  courtisan  flattait 
d'autant  plus  l'impérieux  et  rude  Montmorency  qu'il  le  crai- 
gnait davantage.  Il  le  savait  hostile  à  ses  idées,  à  ses  audaces, 
peut-être  à  sa  personne,  et,  hors  d'état  de  se  passer  de  lui,  il 
s'efforçait  de  l'amadouer.  Non  content  de  cette  épigramme  qu'il 
lui  avait  adressée  (mince  cadeau,  car  ces  dix  vers  ne  valaient  pas 
grand'chose),  il  lui  offrit,  au  mois  de  mars  de  cette  même  année, 
un  recueil  de  ses  «  dernières  oeuvres...  non  imprimées  ».  Il  aurait 
dû,  pour  compléter  ce  titre,  ajouter  :  et  soigneusement  revues... 

420.  La  cour  résida  quelque  temps  à  Moulins,  et  ce  fut  là  que 
François  i^r  octroya  à  Etienne  Dolet  (6  mars  1538)  les  lettres 
patentes  qui  l'autorisaient  à  «  imprimer  ou  faire  imprimer  touts 
livres  par  luy  composés  et  traduictz  et  touts  aultres  œuvres  des 
autheurs  modernes  et  antiques...  »  Marot,  à  qui,  peut-être,  était 
due  l'obtention  de  cet  ample  privilège  où  se  devinent  une  bien- 
veillance particulière  et  un  désir  d'obliger,  résolut  de  profiter 
pour  lui-même  des  presses  que  son  vaillant  ami  était  en  train 
d'établir.  Les  éditions  de  ses  écrits  que  l'on  avait  données  jus- 
qu'alors lui  déplaisaient  à  cause  de  «  mille  sortes  de  faultes 
infinies  »  qui  les  déparaient,  et,  aussi,  parce  que  des  libraires  peu 
scrupuleux  lui  avaient  faussement  attribué  certaines  pièces  ou 
froides  et  rimées  «  de  maulvaise  grâce  »,  ou  «  pleines  de  scandale 
et  sédition  ».  Au  contraire,  il  assurait  l'intégrité,  la  loyauté  de 
son  texte  en  le  confiant  à  un  homme  docte,  respectueux  du 
labeur  d'autrui,  et  qui  aurait,  à  coup  sûr,  une  admirable  cons- 
cience professionnelle.  Et  puis  Marot  comptait  surveiller  lui- 
même  l'exécution  du  recueil.  Justement,  François  i^r,  si  instable 
et  remuant  sans  être  actif,  se  préparait  déjà  à  quitter  Moulins 
pour  Lyon.  Il  y  arriva  à  la  fin  de  mars,  et  son  poète  avec  lui. 

42L  A  Lyon,  Dolet  et  Clément,  son  frère  d'armes,  travaillè- 
rent ensemble  au  beau  volume,  aujourd'hui  si  précieux.  Un  mois 
et  demi  plus  tard,  l'auteur  n'avait  pas  achevé  sa  révision,  ses 
corrections,  puisque  la  dédicace  à  Messire  Nicolas  de  Neufville 
qu'il  plaça  en  tête  de  son  vieux  Temple  de  Cupido porte  la  date 
du  15  mai.  Au  reste,  la  mise  au  point  de  son  livre  ne  l'absorbait 
pas  complètement,  et  il  trouvait  encore  assez  de  loisir  pour  pro- 
duire quelques  vers  rapides  qu'il  éparpillait  de-ci,  de-là.  Ce  fut 
bien  durant  ce  séjour  à  Lyon,  et  non  pas  en  1529  (M.  Becker  l'a 


296  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

clairement  démontré)  qu'il  composa  l'épigramme  intitulée 
Pour  le  may  planté  par  les  imprimeurs  de  Lyon  devant  le  logis  du 
Seigneur  Triviilse.  L'erreur  s'explique  par  ce  fait  que  les  gou- 
verneurs de  Lyon  sont  issus,  durant  plus  de  trente  années,  de 
la  même  d3-nastie.  On  a  cru,  cela  étant,  que  le  Trivulse  à  qui  les 
imprimeurs  avaient  apporté  le  mai  devait  être  TeodoroTrivulzio 
(f  1532),  tandis  qu'il  s'agit  de  son  neveu,  Pomponio.  11  suffira, 
pour  s'en  convaincre,  de  lire  les  vers  latins  que  Dolet  lui  dédie 
[u  Ad  Pomponium  Trivulsium,  Lugduni  rectorem...  »]  précisé- 
ment à  l'occasion  de  ce  mai  qui  lui  était  offert,  viridem  tihi 
pinum  consecratam.  Quant  à  l'épigramme  de  Marot,  elle  est 
remarquable  pour  deux  raisons  :  en  premier  lieu,  on  y  rencontre 
ces  mots  : 

La  liberté,  des  trésors  le  plus  digne, 

ensuite,  cette  petite  pièce  qui  vous  paraissait  d'abord  négli- 
geable, examinez-la  bien,  c'est  un  sonnet,  et,  à  cet  égard,  elle 
fixe  une  date. 

422.  Combien  de  temps  Marot  demeura-t-il  à  Lyon  ?  On 
l'ignore.  Nous  avons  vu  qu'il  y  était  encore  le  15  mai,  et  rien  ne 
nous  oblige  ni  même  ne  nous  invite  à  penser  qu'il  ait  suivi  le  roi 
qui  s'acheminait  vers  la  Provence,  et  s'en  allait  lentement  à 
Nice  où  l'attendaient  le  Pape  Paul  III  et  Charles-Quint.  Les 
peuples  comptaient  que  la  paix,  chère  et  belle  espérance  toujours 
déçue,  sortirait  enfin  de  cette  conférence,  et  ils  saluaient  ce  nou- 
veau mirage.  Maître  Clément  s'y  laissa  prendre  comme  les  autres, 
et  composa,  pour  célébrer  ce  ((  voyage  de  Nice  )>,  un  Cantique  de 
la  Chrestienté.  On  devine  ce  que  Chrestienté  coT\sei\\e,  chante  et 
prêche  aux  deux  princes  ennemis  :  ayez,  dit-elle,  pitié  de  mes 
enfants  !  Si  la  destinée  calamiteuse  des  humbles  soldats  sans 
nom,  victimes  innombrables  de  vos  guerres,  ne  vous  touche  pas, 
songez,  du  moins,  à  cette  fleur  de  chevalerie  qui  va  s'épuisant,  à 
ce  sang  noble  qui  coule  à  flots.  Si  votre  haine  persiste,  le  monde 
chrétien  aura  le  sort  de  Troie  :  beaucoup  de  gloire,  puis  ruine 
et  cendre.  Donnez-nous  l'occasion  de  faire  des  «  feuz  de  liesse  ", 
et  que  la  Paix  descende  au  milieu  de  nous,  riante  et  ((  claire 
comme  le  jour  »  ! 

423.  L'entrevue  de  Nice  s'était  terminée  le  18  juin  sans  pro- 
duire aucun  résultat  décisif.  I\Iais  l'empereur  et  François  i^^ 
se  rencontrèrent  peu  après,  et  comme  par  hasard,  à  Aigues- 
Mortes.  Là,  mille  embrassements,  mille  pohtesses,  mille  protes- 
tations d'amitié,  sans  parler  des  diamants  ni  des  chaînes  d'or, 
furent  échangés  entre  les  deux  bons  frères,  à  bord  de  la  galère 
impériale  (14  juillet).  La  reine  Éléonore  pleurait  de  joie,  et  ce 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  297 

fut  une  espèce  d'idylle  marine.  En  jouant,  et  non  pour  la  der- 
nière fois,  cette  comédie  chevaleresque,  François  i«i"  était  en 
partie  sincère.  Vraiment,  il  souhaitait  un  répit,  et  il  le  prouva  en 
s'efforçant  de  gagner  à  sa  cause  la  sœur  de  Charles,  Marie  d'Au- 
triche, reine  de  Hongrie  et  gouvernante  des  Pays-Bas.  Femme  de 
tête,  intelligence  vaste  et  lucide,  c'était,  en  outre,  une  sorte 
d'amazone  que  n'effrayaient  ni  la  vie  des  camps,  ni  la  pluie  du 
ciel,  ni  le  malheur.  Comme  elle  avait  sur  son  frère  beaucoup 
d'ascendant,  il  importait  de  la  ménager  et  de  lui  faire  approuver 
les  conventions  de  Nice  et  d'Aigues-Mortes.  Elle  fut,  dans  ce 
dessein,  invitée  à  venir  en  France  ;  le  roi  et  la  cour  allèrent  au- 
devant  d'elle,  et  la  rencontre  eut  lieu  dans  la  seconde  moitié  du 
mois  d'octobre  1538.  Marot,  «  ce  gentil  salueur  »  [G.  III,  102], 
qui  avait  déjà  chanté  tant  d'illustres  arrivées,  célébra  celle  de 
Marie  d'Autriche.  Il  la  compare  d'abord  à  l'arc-en-ciel  qui 
annonce  la  fin  des  tempêtes,  puis,  après  avoir  montré  combien 
elle  diffère  de  Penthésilée  qui  ne  voyageait  que  pour  combattre, 
il  admire  en  elle,  prenant  le  Pirée  pour  un  nom  de  femme,  une 
nouvelle  reine  Saha  qui  vient,  «  prudente  et  meure  »,  visiter  le 
Salomon  de  France. 

424.  Ainsi,  depuis  son  retour  de  Venise,  le  poète  n'avait  négligé 
aucune  occasion  de  jouer  son  rôle  officiel,  et  cela  méritait  une 
récompense.  Il  l'obtint  au  mois  de  juillet  1539,  car  le  roi  lui  fit 
alors  cadeau,  «  pour  luy,  ses  hoirs,  successeurs  et  ayans  cause  », 
d'une  «  maison,  grange  et  jardin,  le  tout  encloz  de  murailles  et 
situé  et  assis  es  fauxbourgs  St  Germain  des  prés  lès  Paris,  en 
la  rue  du  clos  Bruneau  »,  sur  l'emplacement  actuel  des  rues  de 
Condé  et  de  Tournon.  Cette  maison  avait  une  histoire,  que  l'acte 
de  donation  raconte  en  partie.  Elle  appartenait  à  un  prêtre 
nommé  Jean  Vimont,  et  François  i^r,  en  1531,  l'avait  acquise 
par  l'intermédiaire  d'un  certain  Pierre  Espine.  Acheté  500  livres 
tournois,  puis  augmenté  aussitôt  d'un  bâtiment  qui  coûta  220 
livres,  ce  logis  fut  livré  à  un  sculpteur  florentin,  Giovanni  Fran- 
cesco  Rustici.  Le  roi  lui  avait  commandé  de  fondre  u  un  grand 
cheval  de  cuivre  »  et  un  cavalier  de  même  métal.  L'artiste  s'éta- 
blit au  clos  Bruneau,  lui  «  et  son  train  »  ;  il  semble  que  le  cheval 
finit  par  sortir  du  moule,  mais  il  demeura  sans  cavalier.  L'œuvre, 
à  moitié  exécutée,  ne  s'acheva  point  ;  avant  d'être  accomplie, 
elle  avait  cessé  de  plaire  à  ce  prince  aux  prompts  et  courts  désirs, 
qui  a  commencé  avec  passion  puis  négligé  tant  de  choses.  De 
cette  entreprise  il  ne  resta  qu'un  nom,  le  Heu  où  avait  été  l'atelier 
continuant  à  s'appeler  maison  du  cheval  de  bronze.  Le  cheval 
sans  cavalier  s'en  était  allé  je  ne  sais  où  ;  le  sculpteur  avait  cédé 
la  place,  et  le  poète  s'y  installa. 


298  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

425.  Hoc  erat  in  votis...  Justement  parce  que  la  fatalité  le 
traînait,  depuis  déjà  longtemps,  le  long  des  chemins  de  France 
et  d'Italie,  valet  de  chambre  trottant  derrière  son  maître  ou 
bien  rhapsode  exilé,  Clément  ne  souhaitait  rien  tant  que  d'avoir 
un  petit  coin  de  terre  où  s'arrêter,  un  toit  à  l'abri  duquel  il  lui 
fût  permis  de  s'asseoir.  Ce  rêve  (car  c'était  un  rêve) ,  il  l'a  exprimé 
plus  d'une  fois.  Tantôt  il  le  traduit  en  langage  bucolique,  soit 
qu'il  demande  à  Pierre  Duchâtel,  lecteur  du  roi  puis  évêque  de 
Tulle  (1539),  de  lui  obtenir,  par  son  influence,  un  domaine  pareil 
à  celui  «  que  Mecenas  a  Maro  feit  avoir  »,  soit  que,  s'adressant 
au  dieu  Pan,  c'est-à-dire  à  François  i^^,  il  le  supplie  de  lui  accor- 
der non  pas  mille  bœufs  de  race  auvergnate,  ni  «  deux  mille 
arpentz  de  pastiz  en  Touraine  »,  mais  simplem^ent  une  hutte 
pour  le  garantir  des  loups  et  du  froid,  maintenant  que  s'appro- 
che l'hiver  de  sa  vie.  Tantôt,  renonçant  aux  symboles,  il  formule 
son  désir  en  termes  clairs  et  directs.  Lisez  l'épître  qu'il  avait 
envo37ée  de  Venise  au  roi,  et  vous  y  trouverez  cette  phrase  : 
un  mois  avant  ma  disgrâce,  je  me  proposais 

De  te  prier,  Sire,  sçais  tu  de  quoy  ? 
De  me  donner  un  lieu  plaisant  et  003- 
Ou  a  repos  peust  ma  muse  habiter, 
Et  la  tes  taictz  et  tes  vertuz  dicter... 

La  maison  de  la  rue  du  clos  Bruneau,  bien  qu'elle  ne  rappelât 
guère,  par  sa  situation,  une  cabane  de  pastoureau,  fut  néanmoins, 
pour  l'écrivain  vo3'ageur,  ce  fo3/er  qu'il  avait  longtemps  attendu. 
Sans  doute  il  s'imagina,  en  y  entrant,  qu'il  y  resterait  jusqu'à 
la  mort,  et  que  toutes  les  œuvres  qu'il  produirait  dorénavant 
seraient  fabriquées  à  l'enseigne  du  cheval  de  bronze,  sous  les 
ombrages  de  ce  jardin  qu'on  lui  avait  «  octroyé,  cédé,  quitté, 
transporté  et  délaissé...  a  tousjours  ». 

426.  Marot  avait  promis  de  passer  son  temps,  aussitôt  qu'il 
aurait  un  abri  tranquille  et  sûr,  à  dicter  les  vertus  de  son  bien- 
faiteur. L'occasion  de  tenir  cet  engagement  ne  tarda  pas  à  se 
présenter,  car,  au  mois  de  septembre  1539,  le  roi  tomba  grave- 
ment malade  à  Compiègne.  Sa  maladie,  à  vrai  dire,  n'avait  rien 
à  voir  avec  ses  vertus,  et  s'il  se  sentait  pcssimo  ulcère  venenatus. 
c'était  par  un  juste  retour  des  choses  d'ici-bas.  Pendant  quel- 
ques jours  on  le  crut  perdu,  et  tous  ceux  qui  l'aimaient  furent 
en  émoi.  On  retrouve  la  trace  de  cette  angoisse  dans  de  trop 
longues  strophes  de  Marot  intitulées  Cantique  de  la  Royne. 
C'est  Eléonore,  en  effet,  que  le  poète  met  en  scène,  afin  qu'elle 
exprime,  outre  sa  douleur  propre,  celle  du  pauvre  «  peuple 
gémissant  ».  D'abord,  elle  se  livre  au  désespoir,  et  ne  prétend 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  299 

plus  à  rien,  sinon  à  passer,  avec  son  mari,  le  «  mortel  fleuve  »  ; 
puis  la  voilà  pleine  de  confiance,  elle  compte  sur  une  guérison 
que  la  justice  et  la  bonté  de  Dieu  ne  sauraient  refuser  à  tant  de 
gens  qui  s'arrachent  les  cheveux  et  la  barbe.  Pour  conclure,  la 
reine  invite  les  Muses,  qui  eussent  été  bien  confuses  et  même 
«  camuses  »  si  Atropos  avait  emporté  le  père  des  arts,  à  inspirer 
aux  faiseurs  de  vers  quantité  de  pièces  où  soit  dépeinte  la  joie 
qu'éprouvent  Mars  et  Pallas  à  la  nouvelle  de  la  convalescence 
du  roi. 

427.  Il  se  rétablit  assez  vite,  et  la  santé  lui  était  revenue  au 
moment  où  il  lui  fallut  recevoir  Charles-Quint  traversant  la 
France  pour  marcher  contre  les  Gantois  révoltés.  Ces  Flamands 
si  difficiles  à  soumettre,  tellement  actifs,  industrieux,  c'étaient 
les  amis,  les  aUiés  naturels  de  François  i^^.  Tout  récemment 
ils  lui  avaient  proposé,  pourvu  qu'il  leur  accordât  la  protection 
qu'il  leur  devait  en  «  souverain  seigneur  »,  de  se  regarder  commi- 
ses hommes,  de  se  donner  à  lui  désormais.  Ils  le  connaissaient 
mal,  et  ils  furent,  eux  aussi,  trahis  et  sacrifiés.  François  négligea 
son  intérêt,  repoussa  les  mains  tendues  vers  lui,  et  consentit  à 
la  ruine  de  cette  noble  cité  riche  en  biens  et  riche  en  âmes,  parce 
qu'il  s'imaginait  gagner,  au  prix  de  cette  action  noire,  le  Mila- 
nais, l'Italie.  Funeste  obsession,  rêve  et  chimère  ! 

428.  Donc,  cet  aveugle  prince,  se  détournant  des  braves  cœurs 
qui  s'offraient  à  lui,  résolut  d'accueillir  d'une  manière  cordiale 
et  avec  un  luxe  prodigieux  son  ennemi  de  toujours.  Charles,  la 
bouche  remplie  de  promesses  qu'il  s'était  juré  de  ne  pas  tenir, 
franchit  la  Bidassoa  vers  le  20  novembre  1539.  Dans  chaque  ville 
où  il  s'arrêtait,  les  gentilshommes  et  les  bourgeois  étalaient  une 
magnificence  inouïe  ;  à  Bayonne, -à  Bordeaux,  à  Poitiers,  on 
rivaUsa  de  zèle,  et  ce  fut,  le  long  des  routes,  une  pompe  triom- 
phale. Paris,  où  ce  fastueux  cortège  entra  le  1^^  janvier  i540,se 
distingua  hautement.  J'ai  déjà  dit  un  mot  [I,  §  455]  des  céré- 
monies qui  eurent  lieu.  A  quoi  bon  insister  ?  Les  fêtes  publiques 
tournent  en  un  cercle  étroit,  et  il  me  suffit  qu'on  sache  que  la 
momerie  d'Aigues-Mortes  recommença  ici  de  plus  belle.  On  pro- 
digua les  serments  et  les  présents  ;  on  lutta  de  finesse  et  de 
générosité  ;  on  courut  de  la  messe  au  festin,  et  les  embrassades 
ne  se  comptèrent  point.  Là-dessus,  l'empereur  s'en  alla  ravi,  et, 
un  mois  plus  tard  (6  lévrier),  les  Gantois  le  virent  arriver,  ter- 
rible. La  ville  fut  déchue  de  ses  privilèges  et  condamnée  à  une 
amende  accablante  ;  la  cloche  du  beffroi  fut  détiuite  ;  une  cita- 
delle s'éleva  bientôt  là  où  avait  été  la  vénérable  abbaye  de  Saint- 
Bavon  ;  les  principaux  auteurs  de  la  révolte  eurent  la  tête  tran- 
chée sur  la  place  du  marché  au  poisson,  et  le  bon  citoyen  qui 


300  CLÉMENT   .MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

avait  écrit  au  roi  François  pour  implorer  son  secours  fut  au  nom- 
bre des  victimes...  Quant  au  duché  de  Milan,  César  ne  songeait 
guère  à  le  rendre,  et  niait  même  avoir  jamais  parlé  de  cette  res- 
titution. Que  faire,  sinon  éteindre  les  feux  de  joie  et  prendre 
les  armes  une  fois  de  plus  ? 

429.  Pour  célébrer  le  passage  de  l'empereur,  Marot  n'a  pas 
composé  moins  de  quatre  petits  poèmes  :  il  lui  souhaite  la  bien- 
venue aussitôt  qu'il  paraît  à  la  frontière  ;  il  le  salue  lorsqu'il  arrive 
à  Paris  ;  il  lui  envoie  encore,  outre  une  épigramme  et  un  rondeau 
qui  semblent  avoir  été  rimes  dans  les  premiers  jours  de  janvier, 
un  compliment  pour  le  remercier  d'avoir,  en  subjuguant  la  Gaule 
entière  à  force  de  confiance  et  de  droiture,  assuré  la  paix  du 
monde.  J'aimerais  à  savoir  si  notre  Clément  qui  s'est  montré 
ailleurs  peu  crédule,  nullement  gobe-mouches,  a  pu  être  dupe  de 
ces  parades  des  rois,  ou  bien  s'il  en  a  connu  le  mensonge,  la  vani- 
té. Mais  qu'il  fût  ou  non  sceptique  et  sagace,  il  s'est  résigné  sans 
efforts  à  jouer  son  rôle  dans  cet  auguste  batelage,  à  gagner  ses 
gages  en  conscience.  Une  lettre  écrite,  le  26  août  1559,  par  Ville- 
mandon  à  Catherine  de  Médicis  nous  apprend  que  François  I^^^" 
commanda  à  Marot  de  présenter  à  Charles-Quint  le  recueil  des 
trente  psaumes  qu'il  avait  déjà  «  translatez  »,  et  que  l'empe- 
reur «receut  benignement  »  cet  ouvrage,  et  récompensa  l'auteur 
par  un  cadeau  de  deux  cents  doublons.  Les  largesses  de  ce  genre 
étaient  prévues  par  le  protocole  qui  réglait  les  entrées  des  souve- 
rains dans  les  bonnes  villes  étrangères,  et  l'on  se  tromperait  beau- 
coup, en  concluant  des  deux  cents  doublons,  que  Sa  Majesté 
Très  Catholique  approuvait  qu'on  traduisît  la  Bible  en  langue 
vulgaire.  Le  même  homme  qui  couvrait  d'or  à  Paris  l'interprète 
français  de  David  jugera  convenable  un  peu  plus  tard  que  ceux 
et  celles  qui  chanteront  en  Flandre  les  vers  sacrés  du  poète  soient 
les  uns  brûlés  à  petit  feu  et  les  autres  enterrées  vives. 

430.  La  lettre  de  Villemandon  atteste  qu'à  la  fin  de  1539  la 
version  de  trente  psaumes  était  déjà  terminée.  Il  y  avait  alors 
sept  ans  que  Marot  travaillait  à  cette  œuvre,  puisque  nous  pou- 
vons lire  en  appendice,  dans  une  édition  du  Miroir  de  l'ame 
pécheresse,  livre  courageux  mais  peu  sensé  de  la  reine  de  Navarre, 
le  <(  VI^  pseaulme  de  David  translaté...  selon  l'hebrieu  par  Clé- 
ment Marot  ».  Cette  sorte  d'annexé  du  Miroir,  qui  contient  aussi, 
paginées  à  part,  diverses  prières  versifiées,  porte  la  date  du  mois 
de  décembre  1533.  Depuis  cette  époque,  le  traducteur  de  ces 
prières  et  de  ce  6^  psaume  n'a  jamais  perdu  de  vue  son  dessein 
de  mettre  en  français  tout  le  psautier,  et,  comme  l'a  bien  montré 
"SI.  Becker.  on  relève,  en  trois  épîtres  rimées  entre  1533  et  1539, 
des  passages  qui  marquent  la  continuité  de  cet  audacieux  et 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  301 

vaste  labeur.  C'est  ainsi  que  le  poète,  durant  son  exil,  rappelle 
à  Marguerite  les  jours  heureux  où,  «  en  sa  chambre  parée  »,  il 
chantait  pour  elle  des  «  psalmes  divins  >'  ;  c'est  ainsi  que,  s'adres- 
sant  à  la  duchesse  Renée,  il  s'engage  à  «  remémorer  »  bientôt  et  à 
publier  «  en  pseaulmes  et  cantiques  »  les  dons  et  les  grâces  du 
Seigneur  ;  et  n'oublions  pas  non  plus  que  Fripelippes  lui-même, 
de  qui  on  attendait  guère  une  cita.tion  de  cette  espèce,  jette  une 
phrase  de  David  [IX,  v.  i6]  à  la  tête  du  lâche  Sagon,  révélant 
ainsi  le  genre  d'études  que  son  maître  faisait  à  ce  moment.  Les 
trente  psaumes  dont  Villemandon  parlait  à  Catherine  de  Médicis 
furent  le  résultat  de  ces  années  de  préparation.  Ils  parurent 
chez  Etienne  Rofïet  le  30  novembre  1541  (date  du  privilège), 
avec  une  belle  «  certification  »  de  trois  docteurs  en  théologie  qui 
avaient  «  veu  et  visité  »  ce  recueil,  et  déclaraient  n'y  «  avoir  rien 
trouvé  contraire  a  la  foy ,  aux  Sainctes  Escriptures  ne  ordonnances 
de  l'Eglise  )>. 

431.  Donc,  tout  semblait  sburire  à  la  tentative  de  Marot. 
François  I^r,  Charles-Ouint,  la  cour,  la  Sorbonne  même  applau- 
dissaient. Mais  ce  n'était  là  qu'une  apparence  ;  cette  feinte 
faveur  n'allait  durer  que  bien  peu  de  temps  ;  le  poète,  une  fois 
de  plus,  attirait  sur  lui  des  haines  qui  ne  tarderaient  pas  à  éclater, 
et,  en  s'obstinant  à  rendre  français  le  roi  David,  il  s'acheminait 
vers  une  catastrophe  qu'il  aurait  dû  prévoir.  Son  caractère,  à 
vrai  dire,  ne  le  portait  pas  à  se  tourmenter  des  orages  lointains, 
et,  de  fait,  il  avait  encore  au  moins  deux  années  paisibles  devant 
lui.  Nous  perdons  sa  trace  pour  quinze  mois  après  ses  adieux  à 
l'empereur,  et  il  nous  faut  attendre,  pour  qu'il  nous  redonne 
signe  de  vie,  jusqu'au  mois  de  juin  1541.  A  cette  date  eut  lieu 
le  mariage  [cf.  §§  52-3]  de  Jeanne  d'Albret  et  de  Guillaume  de 
La  Mark,  duc  de  Clèves.  A  cette  occasion,  Clément  composa, 
peut-être  sans  beaucoup  d'entrain,  plusieurs  petites  pièces  desti- 
nées, suivant  une  tradition  romanesque,  à  être  affichées  sur  les 
K  perrons  «  des  princes  et  grands  seigneurs  qui  illustrèrent  par 
un  tournoi  les  si  tristes  noces  de  la  petite  Jeanne,  et  qui,  étant 
hommes  d'épée,  laissaient  à  un  pauvre  homme  de  plume  le  soin 
de  rédiger  leurs  défis  ou  d'interpréter  leurs  devises. 

432.  Après  cette  cérémonie  plutôt  fastueuse  que  joyeuse,  le  roi 
s'éloigna  de  Châtellerault  où  elle  avait  eu  lieu,  se  rendit  d'abord 
à  Châteauroux,  puis,  par  Moulins,  Mâcon  et  Bourg,  il  se  dirigea 
lentement  vers  Lyon  où  il  arriva  à  la  fin  de  septembre.  Marot  l'y 
accompagna  ou  bien  l'y  rejoignit.  Le  bref  avis  aux  lecteurs  qu'il 
a  placé  en  tête  de  son  Histoire  de  Leander  et  Hero  est  daté  u  de 
Lyon,  ce  20^  jour  d'octobre  1541  ».  Irrité  contre  un  «  babouin 
de  parisien  »,  homme  dénué  de  conscience  et  trop  ((  avare  libraire». 


302  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

qui  s'était  jeté  sur  cette  traduction  du  joli  poème  de  Musée 
'<  tout  ainsi  qu'un  loup  affamé  emporte  une  brebiz  )),  et  avait 
édité  cet  ouvrage  tout  de  travers,  Clément  s'était  adressé  à 
«  maistre  Sebastien  Griphius,  excellent...  en  l'art  de  l'imprime- 
rie »,  et  l'avait  prié  de  donner  un  texte  «  bien  correct  »,  établi 
^>  sur  la  copie  de  l'autheur  ».  Ce  qui  fut  fait.  Et  c'est,  il  me  semble, 
l'unique  trace  qui  reste  de  ce  nouveau  passage  de  Marot  à  L\-on. 
Pourtant  il  a  dû  voir  Etienne  Dolet  :  ils  avaient  tant  de  choses  à  se 
dire  ! 

433.  La  cour,  par  Bourg  et  Dijon,  alla  prendre  ses  quartiers 
d'hiver  à  Fontainebleau.  Clément,  sans  doute,  retourna  à  Paris, 
et,  parce  que  cinq  ans  de  sécurité  lui  avaient  enlevé  toute  pru- 
dence, il  publia  audacieusement  et  coup  sur  coup  trois  oeuvres 
dont  la  moindre  aurait  suffi  à  réveiller  les  colères  qui  grondaient 
sourdement  autour  de  lui.  D'abord,  il  mit  au  jour  les  Trente 
pseaulmes  dont  il  a  été  question  un  peu  plus  haut  ;  ensuite  il  fit 
ou  laissa  paraître  une  sorte  d'homélie  satirique  intitulée  Scnnon 
du  bon  et  du  maulvais  pasteur.  On  devine  sans  peine  que,  dans 
cette  pièce  où  je  ne  sais  combien  de  versets  des  deux  Testaments 
se  trouvent  soit  cités  soit  paraphrasés,  le  mauvais  berger,  celui 
qui  tond  la  laine  sur  le  dos  des  ouailles,  et  nourrit  son  troupeau 
«  d'ergo,  à'utnwi,  de  quare  »,  appartient  à  l'Église  catholique, 
tandis  que  le  ministre  qu'il  faut  écouter  et  suivre,  inspiré  par 
Charitable  Amour  et  véritable  enfant  de  Christ,  garde  «  son  petit 
nombre  »  d'agneaux  à  l'ombre  de  l'Évangile,  et  prêche  les  doc- 
trines de  la  Réforme.  Il  enseigne  que  la  foi  seule  est  active,  et 
qu'elle  est  la  source,  la  condition  première  et  dernière  du  salut  ; 
que  les  oeuvres  n'ont  aucun  prix  ni  rien  d'efficace  ;  que,  Jésus 
ayant  dit  lui-même  Je  suis  la  voie  et  la  vie,  on  ne  peut  sans  crime 
chercher  une  autre  route  ;  qu'on  prouve  sa  démence  en  s'imagi- 
nant  conquérir  le  ciel  à  force  de  brûler  des  cierges,  et  qu'on  doit 
se  persuader  que  Dieu  ne  reconnaît  pour  son  temple  ni  les  cha- 
pelles ni  les  cathédrales,  mais  le  cœur  de  l'homme  pur.  Celui 
qui  s'écarte  de  ces  principes,  tenez-le  pour  un  hypocrite,  un  mar- 
chand de  songes  et  de  mensonges,  un  loup  déguisé,  un  charlatan 
à  l'esprit  u  séditieux  »  :  il  vous  tend,  à  la  place  du  pain  impérissa- 
ble, un  pain  qu'il  a  pétri  de  ses  mains,  et  qui  va  pourrir  à  l'ins- 
tant. 

434.  C'était  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  déchaîner  la  Sorbonne 
et  l'armée  entière  des  cordeliers.  Néanmoins,  le  poète,  comme  s'il 
avait  eu  peur  de  manquer  d'ennemis,  jugea  bon  d'attiser  aussi 
la  vieille  rancune  de  messieurs  les  magistrats  en  s'entendant  avec 
Etienne  Dolet  pour  qu'il  publiât  son  admirable  Enfer,  qui  n'avait 
pas  encore  été  édité  en  France.  Le  vaillant  petit  livre  vit  le  jour 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  303 

avec  une  lettre-préface  de  l'imprimeur  à  Lyon  Jamet  datée  «  de 
Lyon,  ce  i^r  jour  de  l'an  de  grâce  1542  ».  Ainsi  Marot  n'avait  rien 
négligé  de  ce  qui  pouvait  le  perdre,  et  il  ne  lui  restait  plus  qu'à 
attendre  les  résultats  de  cette  conduite  non  moins  courageuse 
qu'étourdie.  Ils  mirent  assez  longtemps  à  se  produire,  et  l'année 
1542  paraît  (mais  que  de  détails  nous  échappent  à  la  distance 
où  nous  sommes  !)  n'avoir  pas,  jusqu'à  l'entrée  de  l'hiver,  apporté 
à  l'écrivain  trop  hardi  le  malheur  qu'il  aurait  eu  raison  de  crain- 
dre. Puis,  sans  être  annoncée  par  aucun  présage,  du  moins  que 
nous  connaissions,  la  catastrophe  tomba  soudain  sur  lui.  Force 
lui  fut  de  s'enfuir  vite  à  Genève,  de  reprendre  le  chemin  de  l'exil, 
et,  cette  fois,  pour  toujours. 

435.  On  ne  comprend  pas  bien  les  motifs  qui  poussent  certains 
biographes  à  vouloir  expliquer  une  disgrâce  tellement  naturelle 
par  des  causes  imprévues  et,  si  je  puis  dire,  extérieures.  Après 
Colletet,  le  premier  coupable,  plusieurs  se  plaisent  à  penser  que 
si  Clément  a  quitté  la  France,  c'était  pour  avoir  commis  une  ma- 
nière de  calembour  très  offensant  pour  la  duchesse  d'Etampes. 
Partant  de  ce  fait  que  le  sable  d'Etampes  servait,  dans  les  ména- 
ges, à  frotter  le  cuivre  ou  l'étain,  Marot  se  serait  moqué  du  roi 
toujours  épris,  malgré  son  âge,  et  aurait  observé  en  public  : 
((  qu'il  n'y  avoit  rien  de  tel  que  le  sablon  d'Etampes  pour  faire 
reluire  les  vieux  pots  ».  Le  mot  est  joli,  quoique  gras.  Reste  à 
prouver  qu'il  a  été  dit,  et  dit  par  celui  à  qui  on  le  prête.  Alors 
M.  Georges  Guiffrey  exhume  d'abord  un  très  ignoble  coq-à-l'âne 
intitulé /é;  G;-îf/),  où  la  favorite  de  François  pr,  sans  être,  d'ailleurs, 
explicitement  désignée,  est  vouée  au  diable  en  seize  vers  obs- 
cènes, puis  il  n'hésite  pas,  sur  la  foi  d'un  manuscrit,  à  attribuer 
ce  pam^phlet  à  Marot.  De  la  sorte,  aux  yeux  de  cet  érudit,  tout 
se  tient,  et  la  démonstration  est  complète.  Mais  je  la  crois,  au 
contraire,  fragile,  ruineuse.  Appuyer  sur  le  Grup  un  témoignage 
de  Colletet,  c'est  étayer  une  affirmation  gratuite  sur  un  texte  sans 
authenticité.  La  phrase  relative  au  sablon  d'Etampes  a  dû  passer 
mille  fois  de  bouche  en  bouche,  et  bien  fin  qui  en  découvrira 
l'auteur  !  D'autre  part,  où  en  serions-nous  s'il  fallait  rendre 
Marot  responsable  de  toutes  les  pièces  que  les  contemporains 
mirent  à  son  compte  ?  Lui-même  protestait  là  contre,  et  il  n'a 
pas,  que  je  sache,  réclamé  le  Grup. 

436.  Laissons  donc  là  cette  légende.  Les  vraies  raisons  de  la 
fuite  du  poète  sont  celles  que  j'ai  indiquées  plus  haut,  et  s'il  a  été 
contraint  à  s'exiler,  ce  fut  pour  avoir  mis  en  lumière  presque 
coup  sur  coup  trois  œuvres  qu'on  estima  téméraires,  subversives. 
Ajoutez  qu'il  avait  très  mal  choisi  son  moment,  car,  tandis  qu'il 
bravait  de  la  sorte  les  catholiques,  la  girouette  royale  était  en 


304  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

train  de  tourner.  Le  30  août  1542,  François  I"  avait  envoyé, 
donnant  ainsi  de  nouveaux  gages  à  Rome  et  à  la  Sorbonne,  des 
lettres  patentes  qui  enjoignaient  aux  parlements  de  rechercher 
avec  diligence  les  luthériens  et  de  lescondamnersans  faiblesse.  Le 
texte  de  ce  document  justifiait  d'avance  la  cruauté,  le  fanatisme 
des  tribunaux,  et  pourquoi  auraient-ils  fait  preuve  de  modéra- 
tion, puisqu'on  les  poussait,  en  leur  montrant  le  progrès  des 
doctrines  hérétiques,  à  «  les  destruire  et  abolir  sans  y  perdre 
heure  ni  temps,  jusques  a  ce  que  le  fonds  et  la  racine  de  cette 
peste  soient  exterminez  et  aboliz  »  ?  Ces  prescriptions  très  chré- 
tiennes, Marot  ne  les  a  certainement  pas  ignorées,  et  comment 
aurait-il  pu,  les  connaissant,  ne  pas  aussitôt  comprendre  qu'il 
serait  de  la  première  charrette  ?  S'il  avait  gardé  la  moindre  illu- 
sion à  ce  sujet,  il  en  aurait  bien  vu  la  folie,  lorsque  la  Faculté  de 
Théologie  condamna  (entre  le  25  décembre  1542  et  le  mois  de 
mars  1543)  la  translation  des  Trente  psaumes  ainsi  que  le  Sermon 
du  bon  et  du  maulvais  pasteur. 

437.  D'ailleurs,  quand  il  s'agit  de  savoir  pourquoi  Clément 
a  cru  nécessaire  de  quitter  la  France,  le  mieux  serait  d'aller  droit 
à  un  texte  essentiel  (une  lettre  de  Jean  Calvin  à  Pierre  Viret) 
qui  rend  oiseuse,  il  me  semble,  toute  discussion.  Calvin  explique, 
en  effet,  le  si  brusque  départ  de  Marot  en  affirmant  qu'il  s'atten- 
dait, ayant  été  dûment  averti,  à  être  arrêté  au  premier  jour  par 
ordre  du  parlement,  [«.  Haec  causa  adventus,  quod...  audierit 
decretum  fuisse  a  curia  parisiensi,  ut  captus  illuc  quamprimum 
adduceretur  )^).  Remarquez,  dans  les  trois  mots  Haec  causa 
adventus,  l'accent  de  la  certitude.  Calvin  est  sûr  de  ce  qu'il 
avance  ;  le  poète  lui  a  dit  ou  bien  lui  a  fait  dire  les  raisons  de  sa 
fuite  ;  il  n'aurait  pu  entrer  dans  la  nouvelle  Sion  sans  mettre  le 
consistoire  au  courant  de  sa  récente  aventure,  et  c'est  lui-même 
qui  nous  renseigne,  en  somme,  par  la  plume  du  grand  réformateur. 

438.  La  lettre  à  Viret  nous  fournit  encore  une  indication  qui 
a  son  prix  :  Marot  était  en  vo3^age,  et  se  rendait  de  la  cour  à  sa 
maison  {i^cum  ex  aula  domum  se  conferret  »),  lorsqu'on  lui  con- 
seilla de  prendre  le  large  parce  qu'il  allait  être  incarcéré.  Certains 
veulent,  se  fondant  encore  sur  un  vers  du  Grup,  que  Clément  ait 
reçu  à  Orléans  la  nouvelle  qui  le  décida  bientôt  à  s'exiler.  En  fait, 
comme  nous  ignorons  d'où  il  venait,  nous  ne  savons  pas  non  plus 
en  quel  endroit  l'ont  rencontré  l'homme  ou  le  message  dont  il 
s'agit.  La  cour,  au  mois  d'octobre,  se  promenait  de  Montpellier 
à  Béziers,  de  Béziers  à  Toulouse,  de  Toulouse  à  Nérac,  puis, 
au  commencement  de  novembre,  de  Xérac  à  Angoulême.  Clément 
a  pu  partir  d'une  quelconque  de  ces  diverses  villes  pour  retourner 
chez  lui.  Chez  lui,  très  évidemment,  ce  n'était  pas  Cahors,  hypo- 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  305 

thèse  téméraire  d'Herminjard,  de  Guiffrey  ou  de  son  continua- 
teur. Le  mot  <(  domum  »  est  clair  ;  il  ne  laisse  aucune  place  au 
doute.  La  famille  Marot,  depuis  près  de  quarante  ans,  n'avait 
plus  de  maison,  plus  de  foyer  à  Cahors.  Chez  lui,  «  domum  », 
c'était  à  Paris,  c'était  au  clos  Bruneau.  L'écrivain  courait  donc 
vers  son  toit,  vers  ses  entants.  Mais,  instruit  du  péril  qui  le  mena- 
çait, il  renonça  à  revoir  ce  logis  du  cheval  de  bronze  où  il  avait 
compté  finir  ses  jours,  et,  tournant  bride  sans  hésiter  («  flexit 
iter  alio  )>),  il  alla  droit  vers  Genève  («  hue  recta  concessit  »),  et 
s'y  établit  avec  l'intention  de  n'en  plus  bouger,  hic  manere... 
Toujours  la  même  espérance,  toujours  le  même  besoin  de  repos  ! 
Hélas,  le  chanteur  errant  n'était  pas  encore  au  terme  de  son 
odyssée,  et  ce  n'était  pas  en  ce  coin  de  terre  où  régnait  Calvin 
qu'il  devait  solidement  planter  sa  tente,  achever  sa  carrière  de 
pèlerin. 

439.  Tout  nous  invite  à  croire  qu'il  arriva  à  Genève  vers  la 
fin  du  mois  de  novembre  1542.  Il  y  était  déjà  depuis  quelques 
jours  à  la  date  (voisine  du  8  décembre)  de  la  lettre  à  Viret,  et  il 
faut  se  souvenir  que  l'épître  en  vers,  à  lui  adressée  a  a  Genève  » 
par  Mathieu  3Ialingre,  se  termine  comme  suit  : 

Escrit  a  Yverdon, 

L'an  mil  cinq  cens  avec  quarante  et  deux, 
Le  second  jour  de  decemb'e  froideux. 

440.  Ce  Mathieu  Malingre,  qui  saluait  de  loin  le  poète  entrant 
dans  la  cité  sainte,  et  lui  envoyait  un  mélange  de  flatteries  et 
de  trop  onctueuses  exhortations,  appartenait  à  une  assez  noble 
race.  Fils  de  Jean,  seigneur  de  Morvillers-Saint-Satumin,  et  né, 
par  suite,  sur  les  confins  de  cette  Picardie  qui  a  donné  tant 
d'apôtres  à  la  Réforme,  il  commença  par  se  faire  moine,  brilla 
au  tout  premier  rang  parmi  les  jacobins  de  Blois,  et  prêcha  dans 
cette  ville  avec  beaucoup  de  succès,  mais  d'une  manière  qui  sem- 
blait déjà  séditieuse.  Ayant  jeté  bientôt  le  froc  aux  orties,  il 
publia  en  1533,  sous  l'anagramme  Y  me  vint  mal  à  gré,  une  Mora- 
lité de  la  maladie  de  chrestienneté  ainsi  que  deux  recueils  de  chan- 
sons nettement  luthériennes,  dont  nous  parlerons  le  moment 
venu.  Puis,  comme  il  était  fort  savant,  il  travailla  à  Lyon  chez 
l'imprimeur  Pierre  de  Vingle,  et  rédigea  l'une  des  deux  tables  de 
la  Bible  de  Pierre  Robert  dit  Olivetan.  Chassé  de  Lyon  sur  ces 
entrefaites,  Pierre  de  Vingle  se  réfugia  à  Neuchâtel,  et  Malingre 
partit  avec  lui. 

441.  Aussi  est-ce  à  Neuchâtel  que  nous  le  retrouvons  en  1535. 
Il  n'est  plus  prote  ni  correcteur  :  il  est  pasteur.  Et  quel  pasteur 
encombrant,  aigre  et  bourru  !  L'année  suivante,  il  est  expédié 

Clément  Marot  ot  son  .''oole  20 


306  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

à  Yverdon,  et  il  ne  tarde  guère  à  se  distinguer,  comme  en  fait 
foi  une  plainte  adressée,  le  30  avril,  au  Conseil  de  Fribourg  par 
les  catholiques  du  village  de  Peney.  Ils  racontent,  sur  un  ton  et 
avec  une  orthographe  lamentables,  que,  profitant  de  l'autorisa- 
tion qu'on  leur  avait  accordée  de  célébrer  la  messe,  ils  s'étaient 
rendus  à  l'église  le  deuxième  dimanche  après  Pâques,  et  qu'ils 
attendaient  le  divin  sacrifice,  tandis  que  le  curé  mettait  sa 
chasuble.  Mais  voici  qu'arrive  d' Yverdon,  escorté  d'un  grand 
nombre  de  ses  ouailles,  Mathieu  Malingre,  tout  furieux.  Lui  et 
les  siens  accablent  le  pauvre  prêtre  de  railleries,  l'entraînent  avec 
eux  violemment,  puis  lui  plaquent,  «  en  dérision  de  Dieu  »,  droit 
sur  la  tonsure  «  une  fiunte  de  vache  ».  On  ne  sait  ce  que  le  Conseil 
de  Fribourg  répondit  aux  gens  de  Peney  ni  comment  il  les  con- 
sola. Le  prédicant  ne  fut  pas  inquiété,  car  sa  réputation  se  trou- 
vait encore  entière,  et  son  éloquence  avait  mis  en  fuite,  le  1 7  mars, 
tout  le  clergé  catholique  de  Berne  invité  à  argumenter  contre 
Jean  Lecomte  et  contre  lui.  Mais  le  temps  n'était  pas  loin  où  il 
allait  se  rendre  insupportable  même  à  ceux  de  son  bord.  Au  mé- 
pris des  règles  établies  par  les  synodes  et  de  son  autorité  privée, 
il  présente  aux  «  messieurs  de  Berne  »  quatre  candidats  au  saint 
ministère,  et  les  fait  agréer  sans  examen  et  au  pied  levé,  ainsi 
que  nous  l'apprend  Jacques  Le  Coq  dans  une  lettre  à  Guillaume 
Farel  du  19  juillet  1537.  Pendant  que  Calvin,  banni  de  Genève, 
attendait  à  Strasbourg  l'heure  où  il  devait  revenir  en  triomphe. 
Malingre,  au  témoignage  du  même  Farel  (21  octobre  1539),  cons- 
pirait avec  Pierre  Caroli  et  Jean  Lecomte  contre  l'absent.  Celui- 
ci  ne  se  troubla  nullement,  et  répondit  (27  octobre)  qu'il  ne  crai- 
gnait pointu  ces  petites  bêtes  »,  et  qu'il  les  écrasait  de  son  dédain. 
Il  sem.ble  qu'à  son  retour  il  ne  songea  pas  à  se  venger.  Malingre, 
qu'on  avait  pensé  à  transférer  à  Orbe  en  remplacement  d'Andri 
Zébédée  (juin-juillet  1542),  finit  par  rester  à  Yverdon,  et  peut- 
être  s'y  montra-t-il  plus  calme,  le  Conseil  de  Berne  lui  ayant 
enjoint,  le  29  mai,  d'avoir  dorénavant  à  ne  se  mêler  que  de  ses 
affaires. 

442.  Tel  était  l'homme.  —  Ami  de  Dieu  mais  rude  au  prochain, 
toujours  séraphique  dans  ses  propos  mais  turbulent  dans  ses 
actes,  semant  la  zizanie  sur  la  terre  mais  aspirant  au  royaume  du 
ciel,  il  recommandait  volontiers  aux  autres  d'être  discrets  et 
pacifiques.  L'épître  envoyée  par  lui  à  Marot  révèle  ce  côté  de  son 
caractère.  En  effet,  une  partie  de  cette  pièce  est  un  pur  sermon, 
et  qui  semblerait  quelconque,  n'étaient  les  rimes  équivoquées. 
L'auteur  se  demande  pourquoi  Cle'ment  a  quitté  la  France,  et, 
mettant  loi  rdement  le  doigt  sur  la  plaie,  il  s'écrie  :  Que  cherches- 
tu  en  ce  pays  où  tu  ne  possèdes  (  nul  revenu  »,  où  tu  'c  n'as  rien  », 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  307 

OÙ  il  te  faudra  vivre  (il  est  prophète,  le  prédicant  !)  «  en  grande 
povreté  »  ?  Peut-être  as-tu  été  forcé  de  t'enfuir  pour  avoir  com- 
posé quelque  satire  contre  les  mœurs  lubriques  des  prélats,  ou 
pour  avoir  dit  Facilité  ^.u  lieu  de  Faculté,  ou  inqiiinatcur  au  lieu 
d'inquisiteur,  ou  corne  de  bélier  (admirez  l'ancien  jacobin  !)  à  la 
place  de  cordelier  ?...  Mais  non,  ce  n'est  pas  cela.  Si  tu  as  rejoint, 
en  ce  triste  «  désert  »,  notre  petite  troupe  d'élus,  c'est  parce  que 
tu  renonçais  aux  pompes  de  Satan,  et  que  tu  étais  résolu  à 
«  mourir  aux  vices  »,  à  «  délaisser  erreur  »...  Sois  confiant  ! 
Mieux  vaut  souffrir  avec  Christ  qu'abonder  en  délices  parmi 
les  méchants.  Celui  à  qui  Dieu  reste  n'a  rien  perdu.  Glorifie-le, 
ce  Dieu  qui  t'a  conduit  dans  nos  montagnes,  et  achève  à  sa 
louange  «  le  psaultier  davidique  »  :  par  là,  tu  sentiras  allégresse 
et  réconfort  ;  tu  soutiendras  les  cœurs  de  tes  frères,  et  ton  nom 
sera  redit  par  les  fidèles  aussi  longtemps  que  restera  debout  la 
maison  du  Père. 

443.  Perspective  agréable,  mais  à  longue  échéance.  Malingre 
le  sent  bien,  et  c'est  pourquoi  il  tâche  de  démontrer  à  Marot 
qu'il  va  jouir,  dans  la  Suisse  romande,  d'un  avantage  plus  immé- 
diat, et  que,  s'il  a  quitté  courtisans  et  courtisanes,  il  trouvera 
une  très  douce  compensation  dans  la  société  d'un  tas  de  pasteurs, 
tous  rempHs  de  vertu  et  de  gravité.  Suivent  les  noms  de  ces  per- 
sonnages avec  qui  il  fait  si  bon  vivre,  et  c'est  une  vraie  liste  de 
l'émigration.  Ah,  déclare  Malingre,  tu  n'auras  que  l'embarras 
du  choix  !  Et  il  cite,  avec  beaucoup  d'éloges  et  de  calembours, 
Laurent  Meigret,  qui  mérite  toujours  son  surnom  de  Magnifique  ; 
Jean  Morand,  mourant  pour  Christ  ;  Vincent  Pennant,  peinant 
pour  l'Évangile  ;  Pierre  Monder,  «  nourry  au  mont  cler  de  Par- 
nasus  »  ;  Balbus,  qui  n'est  pas  «  bègue  à  parler  »  ;  Etienne  La  Fon- 
taine, fontaine  de  douceur  ;  Jean  Lecomte,  prédicant  de  Gran- 
son  ;  Antoine  de  Marcourt  ;  Gabriel  de  Senarpont  ;  Antoine  de 
la  Marlière  ;  Arnoul  Clérembault,  natif  de  Blois  ;  Jean  Ménard, 
enfant  de  Tours  ;  Claude  Véron  ;  maître  Etienne  Le  Vert  et 
Louis  Treppereaa,  né  au  diocèse  de  Tbérouanne,  à  Saint-Vincent. 
Celui-là,  dit  Malingre  à  Clément,  tu  le  connais  bien  :  c'est  même 
«  ton  amy  singuHer  ».  On  remarquera  que,  dans  ce  passage  qui 
rappelle  les  énumérations  homériques,  Calvin  n'est  pas  oubUé. 
Bien  mieux,  il  nous  est  donné  comme  «  prescheur  très  amiable  ». 
Amiable  !  Qui  donc  le  croira  ?  Le  poète  huguenot  aurait,  je 
pense,  fait  l'économie  de  ce  gros  mensonge  s'il  avait  appris  par 
une  bonne  âme  que,  dans  l'intimité,  Calvin  l'appelait  «  bestiola  ». 

444.  Marot  dut  sentir  un  léger  frisson  à  l'idée  de  rester  j  usqu'à 
sa  mort  le  compagnon  de  tous  ces  ministres,  et  je  m'imagine 
que  l'épître  venue  d'Yverdon  lui  causa  un  plaisir  bien  modéré. 


308  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Néa:.imoins,  il  répondit  non  pas  une  seule  fois,  mais  deux.  Il  se 
borna  d'abord  à  déclarer  (6  janvier  1543)  que  le  loisir  lui  man- 
quait pour  écrire,  attendu  qu'il  travaillait,  selon  le  désir  exprimé 
par  Malingre,  à  la  traduction  des  psaumes  ;  puis,  le  5  mai,  il  rima 
un  dizain  qui  évoquait  les  années  de  Blois,  l'époque  où  le  frère 
Mathieu,  jacobin  dans  cette  ville,  amenait  à  Jésus,  par  ses 
homélies  et  sa  «  vie  angelique  >>,  une  multitude  d'âmes,  en  sorte 
que  chacun  le  comparait,  en  l'écoutant,  plus  à  saint  Paul  qu'à 
saint  Dominique. 

445.  A  une  date  qu'on  ne  peut  exactement  établir,  mais, 
semble-t-il,  tout  à  la  fin  de  l'automne,  en  cette  même  année  1542, 
Clément  Marot,  peu  de  jours  après  son  arrivée  à  Genève,  reçut 
encore  une  lettre  en  vers.  Elle  lui  était  adressée  par  Eustorg  de 
Beaulieu,  et  je  n'ai  pas  à  présenter  aux  lecteurs  cet  écrivain 
puisque  j'ai  déjà  raconté  la  première  partie  de  sa  vie.  On  se 
rappelle  que  nous  l'avons  laissé  à  Lyon  où  il  gagnait  son  pain 
en  donnant  des  leçons  de  musique.  Mais  il  ne  se  bornait  pas  à  une 
occupation  si  innocente,  et  se  livrait,  remuant  et  hardi  comme 
devant ,  à  des  travaux  littéraires  de  nature  à  le  rendre  fort  suspect. 
Il  traduisait  l'un  des  ouvrages  de  Mélanchthon,  chantait  haute- 
ment les  louanges  d'Erasme,  et  célébrait  les  mérites  de  la  reine 
de  Navarre.  Il  paraissait  donc  ne  rien  négliger  pour  qu'on  l'accu- 
sât d'être  hérétique,  et  il  poussa  même  la  témérité,  à  propos  d'un 
vol  d'hosties  commis  au  couvent  des  jacobins,  jusqu'à  se  moquer 
de  ces  malheureux  moines  lyonnais  qui  avaient  perdu,  égaré 
leur  Dieu,  et  promettaient  récompense  honnête  à  qui  le  rappor- 
terait. Cette  fois,  la  mesure  était  comble,  et  il  fallut  prendre  le 
large.  Eustorg  déménagea  vivement,  et  s'en  alla  à  Genève. 

446.  Un  Dieu-gard  dédié  aux  habitants  de  cette  ville  nous  ap- 
prend qu'il  y  entra  le  i^"^  mai  1537.  Mais  il  n'y  resta  guère,  et, 
résolu  à  devenir  prédicant,  il  se  rendit  probablement  à  Lausanne 
où  il  s'initia,  lui  qui  connaissait  déjà  la  théologie  -papistique, 
à  la  théologie  réformée.  «  Le  10  mai  1540,  il  se  présenta,  écrit 
Herminjard,  devant  le  consistoire  de  Berne,  et,  sur  le  préavis 
favorable  de  ce  corps,  il  fut  élu,  le  12,  pasteur  de  Thierrens.  » 
Il  a  parlé  au  moins  deux  fois  de  cet  agréable  et  joli  village,  situé 
près  de  Moudon,  dans  l'un  des  plis  si  verts  du  Jura.  C'était  une 
douce,  une  paisible  retraite,  et  Eustorg  l'a  dépeinte  avec  com- 
plaisance dans  son  épître  à  Marot  et  dans  celle,  aussi,  qu'il  rima 
pour  M^i^  Marguerite  de  Saint-Simon,  «jadis  son  escollière  ». 
Le  sacerdoce  lui  laissait  des  loisirs,  et,  quand  il  avait  édifié  les 
âmes  des  gens  de  Thierrens,  rien  ne  l'empêchait  de  courtiser, 
fidèle  à  son  ancienne  passion,  les  deux  muses  qu'il  préférait. 
Dès  cette  époque  il  se  proposait  —  noble  ambition  et  très  natu- 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  309 

relie  —  de  fournir  des  hymnes  à  sa  nouvelle  Église,  et  s'il  y  a  lieu 
de  douter  qu'il  soit  l'auteur  d'une  translation  des  psaumes 
publiée  en  1539,  il  demeure  certain  qu'il  approuvait  ouverte- 
ment les  œuvres  de  cette  espèce,  et  qu'il  allait  compter  avant 
«  peu  parmi  les  interprètes  du  roi  David.  En  effet,  au  mois  d'août 
1540,  il  se  déclarait  en  état  délivrer  au  libraire  MathiasAppiarius 
«  des  psalmes  a  imprimer,  tous  corrigés  ». 

447.  La  lettre  d'où  l'on  tire  ce  renseignement  nous  intéresse 
encore  pour  un  autre  motif  :  nous  y  voyons,  en  effet,  que  le  minis- 
tre de  Thierrens  (mais  nous  ignorons  à  quelle  date)  s'était  marié. 
Au  suj  et  d'un  certain  mandement  qu'il  doit  rece\  oir  des  pasteurs 
de  Berne,  il  rappelle  à  son  correspondant  [Pierre  Giron  ?]  que 
la  forme  authentique  et  correcte  de  son  nom  est  Eustorgius  vel 
Hector  de  Belloloco  ;  après  quoi  il  ajoute  :  k  Et  le  nom  de  ma... 
femme  est  Rolleta,  mais  elle  n'a  point  de  surnom  [de  nom  de 
famille]  pour  ce  que  c'est  une  champisse  qui  fut  trouvée  à  Genève, 
qui  ne  sçait  qui  fut  son  père  ne  sa  mère.  »  Quel  détachement  des 
biens  du  monde  !  Ce  n'était  pas  une  héritière  qu'avait  recherchée 
l'homme  de  Dieu,  et  l'on  a  de  la  peine  à  concevoir  que,  plus  tard, 
il  soit  tombé  dans  l'avarice,  ainsi  que  nous  le  verrons.  S'il  a  cru, 
en  épousant  cette  champisse,  cette  enfant  trouvée,  honorer  la 
vertu  toute  nue  et  associer  à  sa  vie  une  compagne  que  la  grati- 
tude lierait  à  lui  pour  jamais,  son  erreur,  son  illusion  n'ont  pas 
été  médiocres.  Force  lui  fut,  dès  cette  même  année  1540,  le 
3  septembre,  de  faire  citer  par  le  consistoire  sa  femme  qui, 
depuis  six  semaines,  l'avait  quitté  sans  lui  dire  adieu.  Ni  la 
musique  de  son  mari,  ni  la  gentille  maison  entourée  «  d'arbres, 
feuille  et  ramage  »  n'avaient  réussi  à  la  retenir.  Combien  cette 
absence  dura-t-elle  ?  Toujours,  peut-être.  Eustorg,  en  terminant 
sa  lettre  à  Marot,  lui  offre  une  chambrette  en  son  logis  où,  certes, 
la  place  ne  manquait  pas,  car  «  je  suis  seul  )>,  explique-t-il,  et 
il  n'y  a  chez  moi,  outre  un  valet  qui  soigne  mon  cheval,  qu'une 
servante,  «  une  vieille  servante  »  d'âge  canonique.  Ainsi  Rolleta 
n'était  pas  revenue  ou  bien  elle  était  repartie. 

448.  L'épître  de  de  Beaulieu  à  Clément  vaut  mieux,  à  mon 
sens,  que  celle  du  prêcheur  Malingre.  Sans  doute  elle  s'ouvre, 
elle  aussi,  par  l'air  de  bravoure,  le  couplet  inévitable  sur  les 
délices  de  Chanaan  et  la  joie  qu'on  éprouve  à  quitter  «  la  cuisine 
immunde  »  du  diable  et  des  catholiques  pour  courir  là  où  sont 
assemblés  les  saints  :  mais  l'auteur  n'insiste  pas,  et,  une  fois 
qu'il  a  doublé  ce  cap,  il  laisse,  sans  prétendre  à  l'éloquence, 
couler  doucement  ses  vers  prosaïques,  étonnamment  unis  et 
limpides.  Si  je  m'adresse  à  toi,  déclare-t-il  à  Marot,  c'est  parce 
que  nous  sommes  pays.  Il  n'y  a  que  huit  lieues  de  mon  BeauUeu 


310  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

à  ton  Cahors,  et  j 'espère  que,  lorsque  tu  écriras  là-bas,  chez  nous, 
tu  seras  assez  clément  pour  donner  de  mes  nouvelles  à  ma  famille. 
Tâche  de  faire  savoir  à  mes  parents  que  je  les  invite  à  me  rejoin- 
dre, à  se  convertir  ainsi  que  moi,  et  dis  leur  qu'ils  n'aillent  pas 
s'imaginer  que  je  sois  à  plaindre  dans  ce  petit  trou  de  Savoie. > 
Nullement,  et  au  contraire  !  Il  est  vrai  que,  du  matin  jusqu'au 
soir,  je  n'entends  que  les  voix  des  bœufs,  des  veaux,  des  brebis  : 
mais  le  rude  concert  de  ces  braves  bêtes  qui  beuglent  et  qui 
bêlent,  je  ne  le  changerais  pas  contre  «  toute  la  chantrerie  »  de 
l'oiseau  unique,  l'oiseau  de  Rome,  le  Papegai.  J'avoue  aussi  que 
la  nourriture  n'est  pas  de  premier  choix  à  Thierrens.  C'est  de  la 
moelle  des  Évangiles  que  je  me  repais.  Il  n'y  a  rien  de  plus  subs- 
tantiel, et  combien  je  préfère,  comme  régime,  manger  du  pain 
sec  en  Jésus-Christ  que  du  faisan  avec  Satan  !  Bref,  mon  «  abj  ect  )> 
village  me  semble  un  Paris  ;  je  ne  regrette  pas  les  cours  (et  pour 
cause).  Et  puis,  n'ai-je  pas  mon  manichordion  ?  Parfois  j'en 
joue  puisque  Dieu,  dans  sa  bonté,  m'a  créé  musicien,  ou  bien, 
saisissant  ma  harpe  qui  pend  à  un  croc,  j'en  tire  des  accords  qui 
accompagnent  les  beaux  psaumes  que  tu  as  «  confictz  ».  Voilà, 
frère,  de  quelle  façon  mes  jours  se  passent.  Si  le  cœur  t'en  dit, 
si  ce  genre  d'existence  te  plaît,  arrive  !  Je  partagerai  avec  toi. 
Tu  n'as  qu'à  parler...  Ici  se  termine  la  lettre,  mais  le  rimeur 
ajoute  encore  un  septain  pour  prier  Marot,  au  cas  où  il  rencon- 
trerait à  Genève  le  seigneur  Pierre  Gurin  et  Laurent  le  Magni- 
fique, de  les  saluer  en  son  nom,  car  il  ne  les  a  pas  vus  depuis  trois 
ans. 

449.  Clément  ne  paraît  pas  avoir  répondu  à  cette  épître,  ou 
bien, s'il  a  répondu,  sa  réponse  n'a  pas  été  conservée. Il  était  si 
prodigue  des  hommages  ou  des  aumônes  de  ce  genre  qu'on  s'éton- 
ne qu'il  n'ait  pas  envoyé  au  prédicant  de  Thierrens  le  moindre 
petit  dizain.  Le  temps,  peut-être,  lui  a  manqué,  car  nous  savons 
qu'il  eut  beaucoup  de  besogne  entre  les  mois  de  janvier  et  d'août 
de  l'année  1543.  Les  yeux  toujours  tournés  vers  la  cour  où  lui 
restaient  encore  quelques  amis  (Claude  Chappuys,par  exemple), 
il  joue,  comme  s'il  n'était  pas  en  exil,  son  rôle  d'écrivain  officiel. 
C'est  ainsi  qu'il  compose  l'épitaphe  de  Guillaume  Du  Bella}', 
seigneur  de Langey, mort  le  9 janvier  1543 près  deSaint-Sympho- 
rien-en-Laye,  non  loin  de  Tarare.  Très  brève  est  cette  pièce 
funèbre,  mais  il  me  semble  qu'elle  dit  ce  qu'il  fallait  dire,  et 
qu'elle  est  fort  digne  de  ce  grand  homme,  vaillant  capitaine, 
diplomate  avisé,  historien  moins  courtisan  que  ne  prétend  Mon- 
taigne [Essais,  II,  x],  vigilant  patriote,  ouvert  aux  idées  nou- 
velles, lié  avec  Lazare  deBaïf,  Sadolet  et  Jacques  Colin,  patron 
de  Jean  de  Boissonné,  de  Salmon  Macrin,  de  François  Rabelais. 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  311 

Je  conviens  que  ce  peu  de  vers,  non  plus  que  l'épitaphe  ni  l'ample 
complainte  consacrées  au  Général  des  finances,  Guillaume  Preud- 
homme  ^  ne  suffiraient  pas  à  prouver  que  Clément,  à  Genève 
comme  à  Ferrare,  s'accrochait  avec  force  à  son  titre  de  poète 
royal  :  mais,  d'un  côté,  nous  rencontrerons  plus  loin  d'autres 
œuvres  analogues  à  celles  dont  il  vient  d'être  question,  et  en 
voici  une,  d'autre  part,  tellement  significative  qu'on  doit  la 
tenir  pour  concluante.  C'est  une  épigramme,  datée  du  15  mars 
1543,  que  le  banni,  alors  occupé  à  poursuivre  la  translation  des 
psaumes,  adresse  à  François  I^*".  C'est  vous,  lui  dit-il,  qui  m'en- 
joignez d'achever  ce  travail  ;  c'est  à  vos  ordres  que  j'obéis,  et 
donc,  s'il  y  a  des  gens  (ceci  vise  la  Sorbonne)  que  cette  traduction 
irrite,  tant  mieux  !  Il  me  plaît,  en  vous  plaisant,  de  leur  déplaire. 
450.  On  demeure  ébahi  devant  ce  huitain.  Comment,  en  effet, 
croire  que  l'auteur  ait  inventé  ce  commandement,  cette  appro- 
bation de  son  maître  ?  Et,  s'il  ne  les  a  pas  inventés,  que  nous 
faudra-t-il  donc  penser  de  ce  roi  Chrysale  qui,  après  avoir  con- 
senti à  ce  que  son  valet  de  chambre  fût  chassé,  l'invite  sous  main 
à  persévérer  dans  la  conduite  qui  a  motivé  son  expulsion  ?  A 
quoi  bon,  alors,  être  un  dieu  sur  terre  ?  On  hésite  à  admettre 
une  telle  incohérence.  Pourtant,  si  la  chose  est  énorme,  elle  n'est 
pas  impossible...  Quoi  qu'il  en  fût,  Marot  ne  mentait  pas  en  se 
déclarant  absorbé  par  la  version  des  psaumes.  Tous,  et  Calvin 
surtout  qui  voyait  très  nettement  l'importance  de  cette  entre- 
prise, le  poussaient  à  la  mener  à  bien.  Et  lui,  il  jurait  d'aller 
jusqu'au  bout,  sentant  que  nulle  œuvre  n'agréerait  davantage 
aux  gros  bonnets  de  Genève,  et  méditant  (car  de  quoi  vivait-il  ? 
on  n'en  sait  rien)  d'implorer,  à  ce  titre  de  translateur  de  David, 
une  pension,  un  subside.  On  le  voit,  presque  coup  sur  coup, 
pubHer  trois  volumes.  Le  11  juillet  1543,  le  Conseil  l'autorise, 
dans  son  style  sauvage  qu'aggrave  la  plus  hérissée  et  la  plus 
baroque  des  orthographes,  à  faire  imprimer  son  Enfer.  Moins 
d'un  mois  plus  tard,  le  i^r  août,  il  termine  une  Épître  aux  Dames 

I.  Les  poèmes  funèbres  relatifs  à  ce  personnage  [J.  II,  23661268-273]  doivent 
être  postérieurs  de  plusieurs  mois  à  l'épitaphe  de  G.  Du  Bellay-Langey.  Je  ne 
sais  où  les  placer  exactement.  Guillaume  Preudhomme  était  encore  vivant  le 
23  août  1543,  car,  à  cette  date,  il  est  cité  dans  un  document  [Catalogne  des 
actes  de  François  I^^,  t.  IV,  p.  486,  n°  13.283)  sous  son  titre  de  sieur  de  Fontenay- 
Trésigny.  Mais  il  est  mort  avant  le  12  mars  1544,  vu  que  des  lettres  données  îi 
Paris  (sans  indication  de  jour,  mais  la  cour  n'était  plus  là  à  partir  du  13)  le 
mentionnent  alors  comme  défunt  [Ibid.,  t.  VI,  p.  745,  n»  22.785).  Dès  le  mois 
d'avril  1544,  son  fîls  Louis  occupe  sa  place  (Ibid.,  t.  IV,  p.  598,  n°  13.793)-  Je 
dois  ces  renseignements  à  l'obligeance  de  M.  V.-L.  Bourrilly.  — Notez  que,  dans 
la  Complainte  de  Guillaume  Preudhomme,  Marot  a  fait  derechef  [pp.  271-272] 
l'éloge  de  Guillaume  Du  Bellay. 


312  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

de  France  [J.  IV,  64-66]  destinée  à  servir  de  préface  au  livre 
intitulé  Cinquante  fseaulmes  en  françoys  ;  puis  il  donne  aussi, 
vers  cette  même  époque  et  chez  Etienne  Dolet,  une  nouvelle 
édition  de  ses  œuvres.  Ce  recueil  fut  préparé  en  des  circonstances 
si  défavorables  qu'on  s'étonne  qu'il  ait  vu  le  jour.  D'une  part, 
se  fondant  sur  l'Épigramme  CCXXV  et  —  témérairement  et 
sans  grande  preuve--  sur  la  pièce  qui  a  pour  titre  Co;z^;'e  l'inique 
[J.  III,  79],  certains  biographes  affirment  que  Marot  et  Dolet 
étaient  brouillés  à  ce  moment  ;  d'un  autre  côté,  nous  savons  que 
l'imprimeur  Connais,  jeté  en  prison  à  la  fin  de  juillet  ou  au  com- 
mencement du  mois  d'août  1542,  n'avait  obtenu  sa  délivrance 
que  le  13  octobre  1543,  et  l'on  ne  devine  pas,  cela  étant,  comment 
il  a  pu,  le  malheureux,  diriger  son  atelier. 

451 .  L'espérance  que  Marot  avait  conçue  de  tirer  un  peu  d'ar- 
gent des  conseillers  genevois  se  trouva  très  vaine  à  l'heure  où, 
soutenu  par  Calvin,  il  essaya  de  la  réaliser.  Calvin  lit  loyalement 
tout  son  possible  pour  aboutir,  et  présenta  lui-même  aux  séna- 
teurs la  requête  du  poète  ;  mais  les  registres  de  l'assemblée,  à 
la  date  du  15  octobre  1543,  attestent  qu'il  échoua,  et  qu'on  lui 
répondit  nous  verrons  plus  tard.  Le  texte  vaut  la  peine  d'être 
cité  :  «  Le  sieur  Calvin  a  exposé  pour  et  au  nom  de  Clément  Marot 
requérant  luy  faire  quelque  bien  et  ilz  se  perforcera  de  emplir 
les  seaulmes  de  David.  —  Ordonné  de  hiy  dire  que  peregnent 
passiance  pour  le  presentz.  »  Prendre  patience  !  c'était  là  un 
conseil  moins  facile  à  suivre  qu'à  donner.  L'exilé,  de  nature, 
n'était  guère  patient,  et  ce  renvoi  aux  calendes  grecques  dut 
le  mettre  de  mauvaise  humeur  et  l'irriter,  je  pense,  contre  des 
gens  si  peu  sensibles  aux  beaux  vers  et  tellement  économes. 

452.  Première  raison,  peut-être,  de  songer  à  s'en  aller.  Mais  le 
principal  motif,  le  plus  grave  et  le  plus  évident  aussi,  n'est  pas 
là.  En  vérité.  Clément  était  incapable  de  se  plier  à  l'horrible 
discipline  de  Genève.  On  le  comprendra  sans  peine  si  l'on  se 
figure  cette  république  sacerdotale  où  les  citoyens  étaient  écrasés 
par  la  plus  abominable  tyrannie  qui  ait  jamais  pesé  sur  des 
hommes.  Il  fallait  vivre  saintement,  ou  bien  aller  en  prison,  être 
réduit  au  pain  et  à  l'eau.  Mais  qu'est-ce  donc  que  vivre  sainte- 
ment ?  à  quoi  se  mesure  la  sainteté  ?  à  quoi  se  voit-elle  ?  com- 
ment sonder  les  cœurs  ?  comment  y  descendre  pour  savoir 
s'ils  restent  purs  ?  Hors  d'état  de  les  contraindre  à  ne  battre  que 
pour  Jésus-Christ,  désespérant  d'atteindre  le  fond  inviolable 
des  âmes  afin  d'y  planter  leurs  dogmes,  leur  morale  inhumaine, 
Calvin  et  son  cénacle  exigèrent  avec  férocité  les  gestes,  les  rites, 
les  formes,  l'aspect  extérieur  de  la  religion.  Dès  lors,  ce  fut  un 
crime  de  manquer  l'office,  le    catéchisme  ou  le  sermon,  de  se 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  313 

servir  d'un  outil,  le  dimanche,  ou  de  balayer  le  seuil  de  sa  porte, 
d'entrer  dans  une  auberge,  de  j  ouer  aux  dés,  aux  cartes.  Le  résul- 
tat de  ce  système  fut  double  :  d'abord,  cette  oligarchie  de  prêtres 
exerça  sur  les  consciences  le  plus  intolérable,  le  pire  des  despo- 
tismes,  un  despotisme  quasi  monacal,  de  chaque  minute,  installé 
au  foyer,  régnant  dans  la  rue  et  sur  le  marché,  invitant  à  la 
délation  le  valet  et  la  voisine,  et  changeant  chaque  père  de  famille 
en  petit  frère  convers.  Ensuite,  cette  nécessité  d'avoir  l'air  dévot 
et  rempli  d'onction,  de  ne  jamais  sortir  de  chez  soi  avant  d'avoir 
mis  son  masque  d'élu,  sa  robe  d'innocence,  risquait  d'instituer, 
contre  l'intention  du  fondateur,  une  métropole  de  l'hypocrisie, 
un  peuple  de  pharisiens...  Maintenant,  dans  un  pareil  milieu, 
parmi  tous  ces  vrais  ou  faux  lévites,  imaginez  notre  Marot  qui 
arrive  droit  de  Babylone,  c'est-à-dire  d'une  cour  brillante, 
effrénée,  et  qui  ne  vit  guère  que  pour  les  plaisirs.  Lui-même,  il 
partage  jusqu'à  un  certain  point  ces  goûts  déréglés.  Ce  n'est  pas 
un  ascète.  Il  se  mortifie  le  moins  possible.  La  beauté  des  femmes 
le  ravit  ;  il  boit  quelquefois  sans  avoir  soif  [J.  III,  54,  Épigr 
CXXXII]  ;  volontiers  il  joue  aux  cartes  [G.  III,  261,  313],  et 
paye  avec  des  épîtres.  Que  voulez-vous  qu'il  devienne  dans  cette 
morne  Genève  ?  11  regrette  Paris,  il  s'ennuie,  il  bâille.  Je  prévois 
qu'il  va  rompre  ses  vœux,  et  qu'il  cherchera  une  taverne  et  un 
bon  compagnon  pour  se  distraire. 

453.  Justement,  il  y  avait,  derrière  la  tour  de  l'école,  au 
quartier  de  Rive,  près  du  lac,  une  auberge  et  rôtisserie  que 
tenaient  maître  Hugoneri  (ou  Hugonin)  et  sa  femme.  Cette 
maison  suspecte,  où  quelques  joueurs  se  rassemblaient,  fut  signa- 
lée à  la  vigilance  des  pasteurs,  et,  le  18  décembre  1543,  l'un  des 
coupables  fut  appelé  devant  le  Consistoire.  C'était  un  pauvre 
«  tissotier  »  du  nom  de  Tyvent  Mathé,  et  il  semblait  très  indigne 
d'indulgence,  car  non  seulement  il  aimait  les  dés,  mais  encore 
il  avait  déclaré  devant  témoins  que  certains  prédicants  les 
aimaient  autant  que  lui.  Par  ailleurs,  il  n'assistait  guère  aux 
offices.  Dûment  interrogé  par  le  tribunal,  Tyvent  Mathé,  ce 
mauvais  drôle,  essaya  de  s'excuser  en  disant  à  ses  juges  que  s'il 
n'allait  au  temple  que  le  dimanche,  et  non  pendant  la  semaine, 
c'était  parce  qu'il  lui  fallait  «  gagner  la  vie  de  deux  bessons  et 
de  deux  aultres  petis  enfans  »  qu'il  avait.  Mais  il  s'entêtait  à 
soutenir  qu'il  connaissait  des  ministres  qu'on  aurait  pu  pour- 
suivre aussi  bien  que  lui,  et,  par  exemple,  celui  d'Orbans  qui 
avait  j  oué,  à  cinq  souslapartie,  avec  M.  deSaint-Victeur,  François 
Bonivard.  L'affaire  devenait  grave,  et  il  fallait  tirer  cela  au  clair. 
Deux  jours  après,  le  20  décembre,  le  Consistoire  convoqua 
M.  de  Saint-Victeur,  qui  répondit  d'un  air  dégagé,  et  le  ménage 


314  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Hugoneri.  D'une  seule  voix  le  mari  et  la  femme  jurèrent  que 
jamais  pasteur  «  ni  de  la  ville  ni  de  dehors  »  n'avait  «  joyé  » 
chez  eux,  et  qu'ils  ne  recevaient  que  «  gens  de  bien  »  ;  puis,  se 
décidant  à  des  demi-aveux,  ils  confessèrent  qu'une  fois  «  Mon- 
sieur de  Saint- Victeur  joya  »,  et  «  qu'il  y  a  quelque  temps  mais- 
tre  Clément  Marot  il  joya,  et  n'ont  point  joyé  que  au  trictrac  ». 
C'est  ainsi  que  s'exprime  «  messire  Jehan  Hugoneri  ».  Marie 
Hugoneri,  un  peu  plus  bavarde,  parle  d'un»  supper  »qui((  n'estoit 
pas  prest  »,  et  ajoute  :  il  n'y  avait  que  deux  personnes,  «  le  sei- 
gneur Curtel  et  Clément  Marot  ».  Tout  cela  demeure  assez  obs- 
cur ;  on  ne  voit  pas  nettement  quels  sont  ceux  qui  ont  joué 
ensemble  :  mais  il  demeure  manifeste  que  le  poète  «  joya  ». 

454.  Et  combien  l'on  aimerait  que  ce  fût  avec  François  Boni- 
vard  qu'il  eût  joué  !  Ce  serait,  pour  un  dramaturge,  la  scène  à 
faire,  et  la  partie  de  trictrac  de  ces  deux  hommes  n'offrirait  pas 
un  tableau  banal.  On  connaît  Clément  et  ses  aventures.  Bonivard 
était  de  même  trempe,  et  sa  vie  agitée  et  décousue  fournirait  la 
matière  d'un  roman.  Devenu,  en  15 14,  prieur  de  Saint-Victor 
(Victeur),  il  se  trouva  aussitôt,  parce  que  son  abbaye  était 
comme  l'un  des  boulevards  de  la  ville,  sollicité  par  les  deux 
partis  :  les  bourgeois  de  Genève,  le  duc  de  Savoie.  Celui-ci,  en 
1519,  le  fit  enlever,  puis,  l'ayant  relâché  pour  quelque  temps,  de 
nouveau  il  s'empara  de  lui  (1530),  et  l'enferma,  cette  fois,  dans 
ce  château  de  Chillon  qui  doit  à  Byron  d'être  éternel.  Il  y  resta 
six  longues  années,  d'abord  dans  une  chambre,  ensuite  au  fond 
d'un  souterrain,  les  pieds  sur  la  roche  nue,  où,  dit-il,  «  je  emprei- 
gnis un  chemyn  »,  à  force  de  me  promener,  «  comme  si  on  l'eust 
faict  avec  un  martel  ».  Par  bonheur,  les  Bernois  conquirent  cette 
forteresse  ;  ils  délivrèrent  le  captif,  qui  fut,  le  i"  avril  1536, 
ramené  en  grand  triomphe  à  Genève.  Là,  on  lui  donna  une 
maison  qu'il  ne  garda  pas  longtemps,  une  pension  de  cent  qua- 
rante écus  d'or  (18  février  1538),  et  on  le  nomma  (31  octobre 
1542)  historiographe  de  la  république.  Il  aurait  pu  vieillir  douce- 
ment, mais  sa  nature  ardente  s'y  opposait. 

455.  Que  de  dettes  !  Que  de  billets  signés  au  premier  venu  ! 
L'étonnante  succession  de  procès  !  Jamais  personne  n'a  changé 
plus  facilement  de  logis  ni  ne  s'est  marié  aussi  souvent.  Tantôt 
il  épouse  (1544)  une  femme  antique,  mère  d'un  ancien  syndic  et 
déjà  veuve  de  deux  maris  ;  tantôt  il  conduit  au  temple  (21  sep- 
tembre 1562)  une  nonne  défroquée  qui  a  pénétré  dans  le  cabinet 
où((  il  escripvoit  et  composoit  ses  vers  »,  et  qui  se  vante  d'avoir 
reçu  de  lui  «  ung  huictain  ou  soyt  neufvain  ».  Tout  cela  ne  sem- 
blait pas  édifiant.  Mais  le  pire,  c'était  que  M.  de  Saint-Victeur 
se  montrait  un  fort  tiède  chrétien,  et  qu'il  bravait  les  pasteurs. 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  315 

Le  26  mars  1554,  le  Consistoire  l'admoneste  parce  qu'il  «  se 
abstient  »  de  fréquenter  la  cène  ;  en  1562,  il  lui  est  enjoint  de 
se  faire  porter  «  tous  les  dimanches  et  les  mercredis  au  presche  »  ; 
le  25  mai  1563,  on  lui  reproche  de  s'y  rendre  sans  «  grande  con- 
trition de  cueur  »,  attendu  qu'il  y  va  avec  «  un  boquet  sur  l'au- 
reille  )',  chose  bien  choquante  chez  un  vieillard.  Des  personnes 
très  dignes  de  foi  l'ont  entendu  jurer  «  par  la  mort  Dieu  ou  par 
la  vertu  Dieu  »,  et  enfin,  le  29  août  1564,  il  est  excommunié  pour 
avoir  rimé  ou,  du  moins,  signé  une  chanson  jugée  offensante 
pour  les  prédicants.  Il  mourut  en  1570  ;  sa  femme,  l'ancienne 
religieuse,  avait  été  (1565)  accusée  d'adultère  et  noyée. 

456.  Puisqu'il  fut  chroniqueur  et  poète,  François  Bonivard 
appartient  à  l'histoire  littéraire  :  mais  ce  qui  nous  intéresse  prin- 
cipalement, c'est  son  caractère.  Il  prouve  que  l'air  de  Genève 
était  irrespirable,  et,  dès  lors,  on  comprendra  que  Marot  ait 
voulu  se  soustraire  à  une  si  cruelle  oppression.  Les  Genevois 
l'excédaient,  et  lui,  il  fatiguait  les  Genevois.  C'étaient  des 
humeurs  incompatibles,  et  une  séparation  s'imposait.  Elle  eut 
lieu  en  décembre  1543,  un  peu  avant  ou  un  peu  après  (mais  plu- 
tôt avant)  l'interrogatoire  des  époux  Hugoneri.  Clément  se  diri- 
gea vers  la  Savoie.  Depuis  la  rapide  et  facile  campagne  de  1536, 
ce  duché  était  une  province  française,  en  sorte  que  s'établir  en 
ce  pays  annexé  depuis  peu,  c'était  en  quelque  façon  rentrer  dans 
la  patrie,  regagner  les  domaines  du  roi.  Clément  lui-même,  dans 
une  épigramme  [J.  III,  75]  qui  doit  dater  des  tout  derniers 
jours  de  1543,  note  soigneusement  cette  idée  d'un  acheminement 
vers  son  foyer,  d'une  étape  sur  la  route  du  retour.  Celui,  écrit-il, 
que  la  peur  talonne  irait  jusqu'en  enfer  (à  vous,  Jean  Calvin  !) 
chercher  le  salut  ;  puis  le  fugitif  a  ailleurs  s'en  va  »,  dès  que 
diminue  sacrainte.  «  Sire,  j 'ay  faict  ainsi  »,  et  je  vous  demande  de 
me  permettre  de  rester  ici  «  a  seureté  »  et  de  m'y  employer  à 
votre  service. 

457.  Bien  que  les  pasteurs  de  Genève  eussent  désiré  le  départ 
de  Marot,  ils  sentirent  qu'on  leur  reprocherait  de  n'avoir  pas  su 
retenir  cet  homme  éminent,  et  que  l'on  attribuerait  sa  retraite  à 
l'atmosphère  si  étouffante  de  la  cité.  En  conséquence, il  impor- 
tait, afindejustifiercelle-ci,  d'établir  que  Clément  s'était  éloigné 
parce  qu'il  n'avait  ni  assez  de  religion  ni  assez  de  vertu  pour  se 
plaire  parmi  les  purs.  Voilà  ce  que  Théodore  de  Bèze  a  pieuse- 
ment insinué  non  pas  une  fois,  mais  deux.  Marot,  dit-il  avec  un 
soupir,  «  ayant  esté  tousjours  nourri  en  très  mauvaise  escole,  et 
ne  pouvant  assujectir  sa  vie  a  la  reformation  de  l'Évangile,... 
s'en  alla  passer  le  reste  de  ses  j  ours  en  Piedmont . . .  »  Et  il  demeura 
jusqu'à  sa  dernière  heure  trop  frivole  et  mondain,  bref,  incorri- 


316  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

gible.  «...  Mores  parum  christianos  ne  in  extrema  quidem  aetate 
emendavit.  »  Soit  !  Il  y  a  encore,  en  ces  accusations  du  grand 
prêtre  huguenot,  une  part  de  vérité  et  quelque  discrétion.  Mais 
les  historiens  catholiques  ne  connaissent  pas  de  frein,  et  calom- 
nient sans  nulle  mesure  comme  sans  aucun  discernement. 
Florimond  de  Rémond,  qui  prétend  avoir  lu  cette  anecdote  dans 
une  page  de  Victor  Ca3^et  que  M.  Guiffrey  a  recherchée  en  vain, 
raconte  que  Marot  fut,  à  Genève,  atteint  et  convaincu  d'adultère 
pour  avoir  séduit  la  femme  de  son  hôte,  qu'on  le  condamna  à 
être  pendu,  mais  que  «  Calvin  fut  d'avis  qu'il  eust  seulement  le 
fouet  »  par  les  rues  et  carrefours  de  la  ville.  C'est  un  conte,  un 
grossier  mensonge.  Néanmoins,  Victor  Cayet  ou  Florimond  de 
Rémond  n'avaient  pas  perdu  leur  temps  ;  l'imposture,  ainsi  qu'il 
fallait  s'y  attendre,  eut  la  vie  dure,  fit  son  chemin,  et  le  jésuite 
Maimbourg,  celui-là  même  dont  La  Bruyère  raille  [I,  66]  «  le 
style  vain  et  puéril  »,  s'empara  avec  joie  de  cette  légende,  et 
affirma  que  le  poète,  «  menant  à  son  ordinaire  une  vie  très  licen- 
cieuse »,  avait  bel  et  bien  déhanché  son  hôtesse,  crime  qui  le 
força  à  s'enfuir,  à  s'aller  a  cacher  au  delà  des  Alpes,  dans  le 
Piémont  ». 

4:58.  Non...  De  ce  côté-ci  des  Alpes,  dans  la  Savoie,  d'abord... 
Et  ce  fut  à  Chambéry  qu'il  se  fixa  pour  un  temps.  Il  avait  là 
d'anciens  amis,  et  comptait,  je  crois,  sur  le  patronage  de  Ray- 
mond Pellisson,  qui,  marchant  à  pas  très  rapides  vers  les  hon- 
neurs, avait  été  nommé  en  1538  président  du  Conseil  de  Savoie, 
poste  de  choix  et  que  pouvait  à  peine  espérer  un  homme  qui 
était,  en  1535,  simple  «  esleu  au  pays  d'Auvergne  >.  Il  est  vrai 
que,  dans  l'intervalle  (1536),  on  l'avait  chargé  d'une  mission 
en  Portugal.  C'était  un  magistrat  éclairé  ;  il  se  plaisait  dans  la 
compagnie  des  gens  de  lettres,  et  il  s'était  entouré  d'humanistes 
qu'il  avait  fait  venir  de  diverses  villes  et,  surtout,  de  Lyon.  Les 
deux  Scève  et  Jean  de  Boissonné  se  trouvaient  auprès  de  lui, 
et  le  poussaient  peut-être  à  bien  accueillir,  à  protéger  le  pauvre 
Clément.  Celui-ci  lui  envoya  une  épître  qui  est,  par  malheur, 
difficile  à  dater  et  même  à  comprendre.  Ce  fut  seulement  en 
1549  qu'on  jugea  à  propos  de  l'imprimer,  et  puisque  l'auteur  ne 
l'avait  pas  publiée  lui-même,  on  doit  en  conclure  qu'il  l'estimait 
indigne  d'être  conservée.  Il  voyait  juste,  et  n'avait  que  trop 
raison.  De  toutes  les  pièces  de  ce  genre  composées  par  lui,  celle-ci, 
comme  le  remarque  M.  Becker,  est  la  plus  faible,  la  moins  adroite, 
la  plus  confuse.  S'il  faut  la  tenir  pour  authentique,  elle  nous  for- 
cera à  admettre  que  Marot  est  allé  à  Chambéry  non  pas  une  fois, 
mais  deux  ;  que  son  premier  voyage  se  place  (mais  comment 
arranger  cela  ?)  trois  mois  après  son  départ  <>  de  France  »,  e 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  317 

que  ce  fut  lors  de  ce  premier  voyage  en  Savoie  qu'il  écrivit  à 
Pellisson...  Dans  quel  but  ?  Pour  lui  demander  quoi  ?  Cette 
œuvre  si  énigmatique  nous  renseigne  fort  mal  là-dessus.  Il  n'y 
a  qu'une  chose  claire  :  le  panégyrique  du  président,  un  Cicéron 
quant  à  l'éloquence,  un  Salomon  dans  son  tribunal,  «  un  vray 
Cresus  »,  ce  qui  ne  gâte  rien.  En  continuant,  on  devine  ou  l'on 
croit  deviner  que  ces  hyperboles  tendent  à  obtenir  je  ne  sais 
quel  poste,  je  ne  sais  quelle  fonction.  Le  mot  pourvoir  joue  ici 
un  rôle  capital.  En  prononçant  les  quatre  syllabes  «  pourveu 
tu  es  »,  Pellisson  comblera  le  rimeur  nomade,  et  le  tirera,  doc- 
teur sans  rival,  d'entre  les  morts.  Mais  quel  était  le  sens  de  cette 
formule  magique  ?  A  quoi  s'appliquait-ellé  ?  A-t-elle  été,  ou 
non,  proférée  ?  Et,  si  oui,  à  quel  moment  ?  Voilà  autant  de  pro- 
blèmes dont  la  clef  s'est  perdue,  et  que,  pour  ma  part,  je  renonce 
à  résoudre. 

459.  Clément,  si  sa  requête  est  bien  accueillie,  promet,  d'abord, 
de  dédier  «  quelcques  livres  »  à  Pellisson  [v.  28],  puis  de  fabri- 
quer à  sa  louange  et  gloire  une  foule  de  «  quatrains,  dixains, 
rondeaux,  ballades  »  [v.  59].  Mais  soit  qu'il  ait  subi  un  refus, 
soit  qu'il  ait  montré  de  l'ingratitude,  il  n'a  pas  rempli  cet  enga- 
gement, et  ce  fut  encore  pour  la  cour  de  France  qu'il  composa 
de  beaux  vers  flatteurs.  Le  19  janvier  1544  était  né  un  enfant 
longtemps  désiré,  François  de  Valois,  fils  du  dauphin  et  de 
Catherine  de  Médicis.  Imitant  non  sans  bonheur  un  chef-d'œuvre 
de  Virgile,  Marot  écrivit,  à  cette  occasion,  une  tendre,  émou- 
vante et  délicieuse  .Eglogue.  On  ne  peut  regretter  qu'une  chose, 
c'est  que  la  consolante  et  sublime  prophétie  qu'elle  contient 
s'applique  à  un  prince  qui  a  si  peu  vécu,  et  dont  la  brève  exis- 
tence a  été  tellement  effacée  et  même  nulle.  Eh  non,  ce  n'était 
pas  François  II  qui  allait  ramener  le  siècle  d'or  en  ce  bas  monde, 
et  l'on  conçoit  mal  que  les  bonnes  fées,  la  sibylle  de  Cumes  et 
une  Muse  charmante  se  soient  dérangées  pour  ce  baptême. 
L'oracle  a  menti,  mais  comme  il  parlait  admirablement  !  Il 
faut  croire  que  ce  poème  était  accompli  puisqu'il  a  trouvé  grâce 
devant  Du  Bellay.  D'autres  contemporains  ont  aussi  goûté 
cette  ro^^ale  idylle,  et  Marc-Claude  de  Buttet  se  fonde  sur  ce  peu 
de  pages,  beau  chant  du  cygne  qui  va  mourir,  pour  établir  que 
les  monts  de  la  Savoie  ont  une  influence  heureuse,  qu'ils  soulè- 
vent, qu'ils  inspirent  le  génie,  et  ne  valent  guère  moins  que  le 
Parnasse  ou  le  Pinde. 

460.  Né  vers  1530,  Marc-Claude  de  Buttet  n'a  pas  dû,  puis- 
qu'il était  encore  enfant  en  1544,  compter  parmi  les  compagnons 
de  Marot.  Mais  nous  savons  que  celui-ci  eut,  soit  à  Chambéry, 
soit  dans  les  environs,  un  grand  nombre  d'admirateurs  et  d'amis. 


313  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

Lui-même,  à  la  manière  homérique,  il  a  cité  leurs  noms  dans  une 
épître  tantôt  souriante  et  tantôt  si  grave  qu'elle  semble  dictée 
par  un  noir  pressentiment...  Mais  je  me  trompe  :  avec  la  mort 
s'approche  l'immortalité.  Si  le  poète  prévoit  la  fin  de  sa  vie,  il 
ne  voit  nul  terme  à  sa  gloire,  et  c'est  ce  qu'il  annonce,  rempli  de 
confiance  et  d'orgueil,  à  l'un  des  Savoisiens  qui  se  sont  groupés 
autour  de  lui.  Il  s'appelait,  celui-là.  Angelot  de  Bellegarde,  fils 
de  Louis  de  Bellegarde,  seigneur  de  Montagny-en-Genevois,  et 
il  était  alors  ou  bien  devait  devenir  plus  tard  protonotaire  et 
doyen  de  Notre-Dame-de-Liesse,  à  Annecy.  Il  avait  un  frère 
aîné,  Claude,  que  Clément  a  fréquenté  aussi,  et  qu'il  regardait 
[v.  40]  comme  destiné  à  produire  de  jolis  ouvrages  dans  la  langue 
du  cru.  De  fait,  Buttet  nous  parle  de  ses  vers  qu'il  trouve  à  la 
fois  sérieux  et  «  plaisans  ».  Ainsi  que  la  plupart  des  personnages 
que  notre  épître  mentionne,  Claude  de  Bellegarde,  seigneur  de 
Montagny,  était  un  jeune  homme  en  1544.  Tout  ce  que  nous 
savons  de  lui  se  place  après  cette  date.  Fidèle  au  parti  du  duc, 
il  fut  emprisonné  (1552)  avec  bon  nombre  de  ses  complices.  Mais 
cette  épreuve  lui  fut  utile,  et,  le  10  décembre  1559,  il  reçut,  en 
récompense  de  son  loyalisme,  la  charge  de  chevalier  du  Sénat. 
Lorsqu'il  mourut  (1566),  il  était,  depuis  le  i^^  mars  1563,  lieute- 
nant du  gouvernement  de  Savoie.  Boissonné  connut  sans  doute 
les  deux  frères.  L'un  de  ses  dizains  s'adresse  à  Angelot,  et  nous 
montre  le  dieu  ailé  Mercure  volant  droit  vers  lui  et  i<  luy  baillant 
l'art  de  rhétorique  en  garde  >. 

46L  Sur  plusieurs  ce  ceux  avec  lesquels  Marot  s'est  lié  à  Cham- 
bér}',  nous  avons  peu  de  renseignements,  et  il  faut  donc  se  borner 
à  une  nomenclature  sans  long  commentaire.  La  liste  de  ces  amis 
qui  n'ont  presque  pas  laissé  de  traces  comprend  :  Le  Boys,  infa- 
tigable conteur  d'historiettes  ;  Genton,  «  propre  et  loyal  amant  »; 
de  Marcossey,  seigneur  du  Faucigny,  un  gaillard  très  rouge  et 
blond  que  vous  auriez  cru  de  race  allemande  ;  Bordeaux  ;  Grufîy  ; 
Saint-Cassin  ;  Parvaus  (?)  ;  Candie  ;  Regart,  de  Clermont-en- 
Genevois,  qui  fut  évêque  (ou  l'un  de  ses  frères)  ;  Pierre  Maillard, 
seigneur  du  Bouchet,  un  gros  homme  affable,  «  rond  de  cueur  et 
de  corps  »  ;  de  la  Forest  (Philibert  ?),  remarquable  par  sa  pres- 
tance ;  Rougemont,  «  qui  d'or  la  barbe  porte  »,  et  Lampignan, 
qui  la  porte  grise.  Il  mourut,  celui-là,  avant  juin  1547.  Jean  de 
Boissonné  le  cite  dans  la  deuxième  centurie  de  ses  épigrammes, 
et  lui  reproche  d'estimer  trop  les  choses  qu'il  écrit,  lui,  Bois- 
sonné. 

462.  Mais  voici  quelques  Savoisiens  qui  ne  sont  pas  entière- 
ment oubliés.  L'Aiguebelette,  que  Clément  admirait  surtout  à 
cause  de  ses  goûts  sportifs  et  comme  alpiniste  [v.  42],  c'est 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  319 

François  de  Seyssel,  sieur  d'Aiguebelette,  peu  riche,  puisqu'il 
est  condamné  (1560)  à  payer  une  ancienne  dette,  mais  fringant 
et  robuste  soldat  au  témoignage  de  Buttet.  Il  vivait  encore  en 
1567,  et  était  capitaine  du  château  de  Pont-d'Ain.  —  Celui  que 
notre  épître  [v.  31]  appelle  Chables  était  vraisemblablement 
Louis  de  Challes  de  Belletruche,  fils  de  Hugues  de  Challes  et  de 
Marguerite  de  Cusinens.  La  première  partie  de  sa  vie  fut  très 
orageuse.  Il  fut  mêlé,  dit  M.  Mugnier,  à  «  toutes  les  affaires 
d'excès  et  d'assemblées  illicites  ».  Des  «  violences  et  batteries  », 
dont  lui  et  ses  camarades  se  rendirent  coupables  la  veille  de  la 
Fête-Dieu  (1549),  ^^  forcèrent  à  s'enfuir,  de  sorte  que  ce  fut  par 
défaut  qu'on  lui  infligea  l'amende  honorable  (15  février  1550). 
Deux  ans  plus  tard,  incartade  nouvelle  et  arrêt  nouveau.  Là- 
dessus,  empruntant  dix  écus  pour  le  voyage,  il  rejoignit  en 
Flandre  Emmanuel-Philibert,  et  passa  le  temps  à  guerroyer. 
Les  années  vinrent  ;  il  se  rangea.  Doublement  !  D'abord,  il 
épousa  (avril  1560)  une  demoiselle  de  Marcossey  ;  ensuite,  il 
demanda  une  bonne  place,  et  fut,  le  15  janvier  1561,  nommé 
gouverneur  de  Bourg.  —  Quant  au  «  Ramasse  «que Clément  a 
logé  dans  le  même  vers  que  l'aventureux  Challes,  c'était  un  gen- 
tilhomme bressan,  Jean  de  la  Balme,  sieur  de  Ramasse,  fils  ce 
Sibuet  de  la  Balme.  Et  son  existence,  à  lui  aussi,  fut  grandement 
tourmentée.  L'épître  à  Angelot  nous  dépeint,  en  ce  Ramasse,  un 
adolescent  chez  qui  la  vertu  croît  et  (pour  la  rime)  s'amasse. 
Mais,  en  dépit  de  cette  vertu,  il  eut  besoin  de  lettres  de  rémission 
(avril  1550)  pour  voies  de  fait  contre  Amé  de  Piochet.  Hostile, 
au  fond,  à  la  France,  suspect  aux  gens  du  roi  et  accusé  de  com- 
plot, il  protesta  bien  fort  de  son  innocence,  puis,  dès  que  la  for- 
tune eut  changé  (traité  de  Cateau-Cambrésis,  1559),  il  réclama 
le  prix  de  sa  résistance,  fut  officier  de  bouche  à  la  cour  ducale 
(avant  1562),  et  obtint,  le  3  décembre  1572,  droit  de  haute  et 
basse  justice  sur  la  paroisse  de  Puygros,  son  fief.  M.  Mugnier 
observe  que  les  compagnons  de  Marot  en  Savoie  «  étaient  d'assez 
méchants  garçons  ».  Il  se  peut.  Mais  ils  aimaient  les  vers  et  la 
musique.  Jean  de  la  Balme,  sieur  de  Ramasse,  était  admis  au 
cénacle  de  Buttet,  et  il  n'était  pas  le  seul  de  sa  famille  à  bien 
accueillir  le  poète  errant.  Je  n'en  veux  pour  preuve  que  le  si 
délicat  huitain  adressé  A  Madame  de  la  Barmc  {sic),  près  de 
Necy  [Annecy]  en  Genevois. 

463.  Ainsi  nous  avons  l'impression  que  Clément,  dans  cette 
lointaine  Savoie,  ne  traînait  pas  des  jours  pleins  d'ennui,  et 
lorsque,  formant  le  vœu  de  ne  plus  j  amais  quitter  cette  province, 
il  énumère  les  choses  à  quoi  il  s'occuperait  —  le  chien,  l'oiseau, 
l'épinette.  le  deviser,  le  masquer,  l'amour  [G.  III,  632],  —  on 


320  CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE 

devine  que  Chambéry  lui  a  déjà  offert  ces  distractions,  et  qu'il 
se  plairait  à  les  prendre  longtemps.  Plaisirs  non  méprisables, 
quoique  légers.  Mais  une  haute  j  oie,  une  de  ces  j  oies  qui  inondent 
le  cœur  entier,  était  réservée  par  le  sort  à  cette  vie  déclinante. 
Le  lundi  de  Pâques,  14  avril  1544,  ^^t  lieu  la  bataille  de  Céri- 
soles,  et  c'était  là  une  journée  dont  semblait  dépendre  l'avenir 
de  la  patrie.  Cette  fois,  on  ne  pouvait  jeter  les  dés  sans  frémir. 
C'était  la  dernière  armée  de  la  France  qui  allait  attaquer  les 
Impériaux,  et,  pour  savoir  s'il  fallait  jouer  cette  partie,  le  roi, 
ôtant  son  bonnet  de  sa  tête,  avait  imploré  un  conseil  divin,  con- 
sulté pieusement  la  voix  du  ciel.  Lisez  le  fameux  récit  de  Monluc. 
François  i^""  eut  raison  de  suivre  l'inspiration  reçue.  Sous  les 
ordres  de  François  de  Bourbon,  comte  d'Enghien,  tout  jeune 
capitaine  (il  était  né  le  23  décembre  1519),  mais  énergique  et 
clairvo3'ant,  nos  troupes  remportèrent  une  complète,  une  écla- 
tante victoire.  Ce  fut,  chez  nous,  une  allégresse  unanime,  et  je 
ne  sais  rien  de  plus  honorable  pour  Marot  banni  que  ses  actions 
de  grâces  tellement  sincères  et  l'effusion  de  son  enthousiasme. 
Il  a  chanté  deux  fois  le  comte  d'Enghien  et  ses  soldats  :  d'abord, 
dans  une  épigramme  dont  on  ne  peut  pas  dire  si  elle  fut  écrite 
avant  ou  après  la  date  glorieuse  ;  ensuite,  dans  une  épître  au 
général  triomphant.  Que  cette  pièce  est  donc  vigoureuse,  émue, 
aimable,  et  comme  il  serait  juste  qu'elle  fût  pour  l'auteur,  autant 
que  ses  œuvres  les  plus  populaires,  un  titre  devant  la  postérité  ! 
Ces  vers  devraient  avoir  leur  place  dans  les  anthologies.  Le  sen- 
timent qu'ils  expriment  est  magnifique  et  moral  ;  il  remue  nos 
âmes  profondément.  Personne  ne  verra  de  sang-froid  «  le  vieil 
marquis  »  del  Vasto  s'enfuir  «  devant  la  jeune  face  »  du  héros, 
que  le  poète  couronne  «  de  verd  laurier  ».  Et,  venant  après  tant 
d'épreuves,  vingt  ans  de  misères,  ce  retour  de  fortune  paraît 
plus  doux,  plus  consolant  ;  nous  en  comprenons  le  prix  comme 
nos  pères  le  comprenaient,  et  nous  découvrons  une  signification 
historique,  symbolique  à  cette  phrase  si  brève  et  si  simple  : 

Couraige,  enfants,  car  la  chance  est  tournée  ! 

464.  Peu  de  temps  après  la  victoire  de  Cérisoles,  Clément 
quitta  la  Savoie  pour  le  Piémont,  et  s'en  alla  à  Turin.  Nous  ne 
savons  pas  exactement  ce  qui  l'attirait  dans  cette  ville.  Il  y 
avait  des  amis,  sans  doute,  car  des  milliers  de  Français  rési- 
daient là,  beaucoup  de  gens  de  guerre  et  de  commis,  des  magis- 
trats et  des  diplomates,  une  foule  de  seigneurs  venus  en  poste 
pour  prendre  part  à  la  bataille.  Il  se  peut  aussi  que  Marot  ait 
voulu  offrir  lui-même  son  épître   à  François  d'Enghien.  Mais  il 


I 


CLÉMENT    MAROT    ET   SON    ÉCOLE  321 

est  sûr  qu'il  ne  songeait  pas  à  quitter  définitivement  Chambéry: 
ily  avait  laissé,  au  témoignage  de  son  fils  Michel  [G.  III,  321,  n.], 
son  mince  bagage  et  ses  papiers,  et  nous  ne  devons  pas  oublier 
qu'il  avait  formé  le  vœu  [Ihid.,  631,  v.  21-22]  de  terminer  sa 
carrière  au  milieu  de  ses  compagnons  savoyards.  Donc,  il  ne 
s'agissait,  dans  son  esprit,  que  d'un  court  voyage,  d'une  excur- 
sion... Mais  c'était  le  suprême,  le  grand  voyage,  et  il  ne  revint 
jamais.  Il  mourut  à  Turin,  vers  le  10  septembre  1544,  et  fut 
enseveli  dans  la  chapelle  de  l'hôpital  Saint- Jean-Baptiste.  Ce 
renseignement  nous  est  fourni  par  l'épitaphe  que  composa 
Lyon  Jamet.  Le  marbre  du  tombeau  portait  la  date  du  12  sep- 
tembre, mais  nous  ignorons  si  elle  indique  le  jour  du  décès  ou 
celui  des  obsèques. 

465.  Il  faut  croire  que  la  nouvelle  de  cette  mort  se  répandit 
très  vite  puisqu'un  écrivain  qui  ne  se  nomme  pas,  mais  dont  la 
devise  était  Non  qu'à  un  seul,  obtint  à  Paris,  dès  le  i^'"  octobre, 
un  privilège  pour  l'impression  d'une  sorte  d'oraison  funèbre. 
Elle  est  en  vers,  et  s'intitule  Déploration  de  France.  Les  senti- 
ments, certes,  méritent  d'être  loués,  mais  c'est  un  rhétoriqueur, 
hélas,  qui  les  exprime.  La  pièce  commence  par  les  plaintes  de 
France  :  elle  adresse  les  plus  amers  reproches  à  l'aveugle,  à 
«  l'ineffugible  »  Atropos,  et  lui  demande  pourquoi  elle  a  réduit  à 
néant  «  le  decoreur  des  Muses  »,  tandis  qu'il  lui  aurait  été  si 
facile  de  «  choisir  en  quelque  coin  »  d'autres  victimes  sans  con- 
séquence et  dont  la  suppression  n'aurait  affligé  personne.  Suit 
une  invitation  aux  larmes  :  «  Pleure  avec  moy,  o  N^-mphe  caor- 
sine  !  »  Et  non  pas  toi  seulement,  mais  Jupiter,  Apollon,  Vénus, 
les  Sylvains,  les  Faunes,  les  Néréides,  bref,  tout  l'Olympe... 
Là-dessus,  prenant  soudain  la  parole,  notre  mère  commune,  la 
Terre,  dit  à  la  France  des  choses  fort  sensées  :  A  quoi  bon  ces 
cris  ?  Mieux  eût  valu  ne  pas  proscrire  ton  fils  lorsqu'il  était  en 
vie  que  l'appeler  «  ton  enfant  chéri  »  à  présent  qu'il  n'est  plus. 
D'ailleurs,  tout  passe,  tout  meurt  ;  nous  mourrons  tous.  «  Le 
Supernel  »  a  réglé  ce  point.  Clément,  du  moins,  ne  disparaît  pas 
entièrement  ;  ses  œuvres  demeurent,  et  lui,  «  avec  les  anciens  », 
les  «gens  de  sçavoir  »,  il  habite  les  «  champs  elisiens  »...  En 
terminant,  l'auteur  harangue  les  amis  du  défunt,  et  les  invite  à 
honorer  sa  mémoire. 

466.  De  fait,  Marot  ne  fut  pas  oublié,  et  les  épitaphes  ne  lui 
manquèrent  pas.  Évidemment,  je  ne  les  connais  pas  toutes, 
mais  je  puis  en  signaler  quelques-unes.  La  meilleure,  la  plus  sin- 
cère et  la  plus  touchante,  c'est  la  première  en  date,  celle  du  frère 
d'armes,  de  Lyon  Jamet.  Il  y  a  une  vraie  émotion  et  une  pensée 
très  riche  et  qui  va  loin  en  cette  phrase  :  «  Cy  gist  celuy  que  peu 

Clément  .Marot  et  son  école  21 


322  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

de  terre  cœuvre  ».  Les  vers  qui  annoncent  que  ce  mort  restera 
vif  «  tant  que  la  France  en  françois  parlera  »  auraient  charmé 
celui  qu'ils  célèbrent,  car,  en  termes  différents,  il  a  dit  la  même 
chose  [G.  III,  638,  V.  83-84].  —  Ne  les  ayant  pas  lues,  je  me 
borne  à  mentionner,  sur  la  foi  de  MM.  Douen  et  Guiffre}-,  les 
épitaphes  que  firent  Gilles  d'Aurigny,  Saint-Romard,  Du  ^'al, 
évêque  de  Séez,  et  ce  sera  assez  de  rappeler  sans  commentaire 
celles  qu'ont  rédigées  François  Habert  et  je  ne  sais  quel  rimeur 
(il  signe  M.  G.)  qui  ne  s'est  pas  montré  original.  —  Au  contraire, 
le  prédicant  Malingre,  qui  a  traité,  en  deux  épigrammes  funé- 
raires, ce  sujet  tellement  beau  et  tentant,  a  recherché  la  variété  : 
l'un  de  ses  dizains,  qui  devrait  s'intituler  Apothéose,  affirme  que 
les  dieux,  séduits  par  le  «  doulx  parler  »  de  Clément  l'ont  amené 
à  eux  par  une  sorte  d'assomption  ;  l'autre  (chrétien  et  moral) 
observe  que  nous  mourrons  tous,  et  fonde  cette  déclaration  sur 
l'exemple  de  Marot  qui,  après  avoir  couru  «  en  maintz  lieux  », 
jouit  maintenant  du  repos,  «  la  sus  au  ciel  ».  —  Atroposl'a  donc 
vaincu  ?  Charles  Fontaine  assure  que  non.  Si  vous  jugiez  d'après 
l'apparence,  vous  croiriez  que  la  Parque  a  triomphé  du  poète, 
mais,  à  force  de  génie,  c'est  lui  qui  a  surmonté  la  Parque.  —  Et 
c'est  pourquoi,  remarque  de  son  côté  Etienne  Forcadel,  la  vio- 
lette et  le  romarin  ne  poussent  pas  seuls  auprès  du  tombeau. 
Admirez  ce  laurier  cher  à  Phébus  !  Là  viennent  pleurer  les  Muses, 
mais  celui  pour  qui  elles  versent  des  larmes  est  deux  fois  vivant  : 
ici-bas  par  la  gloire,  là-haut  par  la  grâce.  —  11  est  agréable  d 'avoir 
à  constater  que,  parmi  les  membres  de  la  Pléiade,  il  s'en  est 
rencontré  deux  qui,  malgré  le  mépris  dont  leur  clan  avait  accablé 
Marot,  l'ont  pourtant  honoré  d'une  épitaphe.  Celle  d'Etienne 
Jodelle,  taillée  sur  un  modèle  qui  avait  servi  pour  ^'irgile,  est 
courte,  compliquée,  sj-métrique.  Le  dizain  de  Joachim  Du 
Bellay  n'offre  aucun  élément  nouveau.  On  croirait  lire  Habert 
ou  Fontaine.  Le  fatal,  l'inévitable  calembour  (Marot-Maro)  n'a 
pas  été  oublié  ici.  Mais  c'est  l'intention  qu'il  faut  peser.  Bons  ou 
mauvais,  ces  quelques  vers  nous  plaisent  par  leur  caractère 
expiatoire. 

467.  Clément  ne  nous  a  donné  sur  sa  famille  aucun  renseigne- 
ment bien  précis.  Elle  ne  paraît  guère  que  trois  fois  dans  ses 
œuvres,  et  il  nous  la  présente  en  termes  si  vagues  et  avec  tant 
de  discrétion  qu'une  seule  chose  demeure  évidente,  à  savoir  qu'il 
avait  plusieurs  enfants.  On  aimerait  à  les  suivre  dans  la  vie, 
mais  deux  seulement  ont  laissé  une  trace.  Le  livre  où  Jean  de 
Frotté,  secrétaire  de  la  reine  de  Navarre,  a  consigné  les  dépenses 
de  cette  princesse,  porte  cette  mention  :  -  La  fille  de  Marot,  reli- 
gieuse à  Essai,  XXV  livres.  »  Essai,  à  l'origine,  abritait  vingt 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE  323 

nonnes  qu'on  avait  tirtes  d'une  maison  de  Repenties  fondée,  à 
Paris,  sous  l'invocation  de  sainte  Madeleine.  ^Mais  n'allons  pas 
confondre  les  pénitentes  avec  les  pieuses  femmes  qui  les  gar- 
daient !  Comme  on  le  voit,  dans  ce  monastère  qu'elle  avait 
créé  (1533),  c'était  Marguerite  qui  payait  la  pension  de  la  fille 
de  Clément.  Fille  naturelle,  affirment  certains,  mais  O.  Douen 
se  refuse  à  l'admettre. 

468.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  Marot  a  eu  plus  d'un  fils  :  mais  seul 
le  mélancolique  Michel  n'est  pas  mort  jeune.  Un  billet  que 
l'ancien  ami  de  son  père,  Antoine  Couillard,  seigneur  du  Pavil- 
lon, lui  envoie  à  la  fin  de  1544  offre  une  adresse  ainsi  libellée  : 
«  A...  maistre  Michel...,  fils  unique  du  prince  des  poètes  fran- 
çois  ressuscité.  »  Le  mot  «  unique  »  est  intéressant,  et,  davantage 
encore,  le  titre  de  «  maistre  ».  Celui  à  qui  on  le  décernait  ne  devait 
plus  être  ni  un  écolier  ni  un  page  [G.  III,  324,  v.  43-46],  et  l'on 
devine  qu'il  se  mêlait  d'écrire.  Effectivement,  nous  avons  de 
lui  quelques  vers  :  d'abord,  la  faible  épître  tendancieuse  qu'il 
prétend  avoir  découverte  dans  les  papiers  de  son  père,  à  Cham- 
béry,  puis,  pour  ne  dire  que  l'essentiel,  une  Ode  à  la  royne  de 
Navarre.  Le  titre  de  Complainte  ou  bien  de  Lamentation  aurait 
mieux  convenu.  L'auteur,  qui  ne  demande  pas  «  grosses  rentes  », 
mais  une  toute  petite  place,  de  modestes  gages,  juste  de  quoi 
ne  pas  mourir  de  faim,  chante,  sur  un  rythme  de  barcarolle,  les 
misères  dont  il  est  accablé.  Il  déclare  que  le  sort  l'importune 
«  par  plus  de  cent  mille  maux  »,  qu'il  se  débat  «  dans  le  gouffre 
d'une  extresme  extrémité  »,  et  que,  si  on  ne  se  hâte  pas  de  le 
secourir,  de  lui  accorder  un  humble  emploi,  sans  se  laisser  arrêter 
par  la  considération  de  son  peu  de  talent,  bientôt  «  la  mer  de 
calamité  »  va  l'engloutir.  Il  ne  semble  pas  que  cette  requête  ait 
été  entendue,  et  Michel  fut  abandonné  de  tous.  Seul,  Antoine 
Couillard  s'occupa  de  lui,  et  publia  son  œuvre  si  mince.  Mais  ce 
patronage  ne  put  suffire  à  arracher  l'enfant  du  grand  homme  à 
sa  détresse,  et  c'est  le  moment  de  rappeler  ce  bref  et  très  émou- 
vant article  qui  figure  (mois  d'août  1574)  dans  les  comptes  de 
Renée  de  France  :  «  A  ung  pauvre  gentilhomme  passant,  soy 
disant  filz  de  Clément  Marot,  50  livres  16  sols.  )>  Vraiment,  cette 
phrase  serre  le  cœur.  Oui  était  donc  ce  «  pauvre  gentilhomme 
passant  »  ?  Un  imposteur  qui  voulait  se  concilier  la  bienveil- 
lance ?  Michel  en  personne  ?  Si  c'était  lui-même  qui  passait, 
recevant  ainsi  l'aumône,  cette  circonstance  nous  permet  de 
mieux  comprendre  sa  devise  :  Triste  et  pensif. 

469.  Eh  bien,  il  ne  ressemblait  pas  à  son  père  !  On  aura  beau 
scruter  le  caractère  de  celui-ci,  on  n'y  rencontrera  jamais  ces 
deux  traits,  parmi  tant  d'autres  si  contradictoires.  Clément  ne  se 


324  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

laisse  pas  définir  aisément  ;  il  nous  déroute,  et  il  nous  échappe  ; 
il  abonde  en  fortes  antinomies,  et  nous  voyons  en  lui  plusieurs 
hommes.  D'abord,  il  nous  présente  le  cas  sans  exemple  d'un 
courtisan  qui  appartient  à  l'opposition.  Et  les  deux  choses  — 
la  cour,  l'opposition  —  l'inspirent  très  heureusement,  et  lui  sont 
aussi  chères  l'une  que  l'autre.  De  là,  son  inaptitude  à  respecter, 
pendant  qu'il  vit  auprès  du  souverain,  les  fondements,  les 
dogmes,  les  institutions  de  l'État,  et  à  se  résigner,  durant  l'exil, 
à  vivre  loin  de  ce  milieu  brillant,  spirituel.  Braver  la  cour,  lors- 
qu'on l'y  admet,  puis  la  regretter  dès  qu'on  l'en  bannit,  voilà, 
assurément,  l'un  des  rythmes  de  cette  existence  illogique,  pleine 
de  véhémence,  de  passion,  et  Marot  se  révèle  aussi  téméraire  aux 
jours  de  faveur  que  pusillanime  aux  heures  de  disgrâce...  En 
second  lieu,  il  aboutit  moins  encore  à  décider  s'il  sera  catholique 
ou  protestant.  Sa  foi,  purement  cérébrale,  ne  le  domine  pas. 
Ce  qu'il  approuve  et  goûte  en  la  Réforme,  c'est  principalement 
le  noir  chagrin  qu'elle  cause  à  la  Sorbonne,  la  tentation  qu'elle 
donne  au  parlement  d'étaler  son  iniquité,  sa  bêtise.  Mais,  pour 
le  poète,  comme  je  l'ai  déjà  remarqué  ailleurs,  que  de  ménage- 
ments à  garder  !  S'il  ne  professe  pas  le  pur  Évangile,  que  pense- 
ront Marguerite  de  Navarre,  Renée  de  France  ?  S'il  attaque  les 
papistes  ouvertement,  que  diront  Anne  de  Montmorency  et 
ce  roi  incertain,  énigmatique,  qui  change  de  credo  chaque  année  ? 
Par  ailleurs,  Clément  ne  tiendrait  pas  à  être  «  rosti  »  ;  les  fagots 
lui  déplaisent,  et  il  le  proclame.  Martyr,  non  ;  soldat,  oui.  Et 
quel  étrange  soldat  !  Tantôt,  loin  d'imiter  ceux  qu'on  avait 
baptisés  ((  nicodémites  »,  les  sages  selon  le  siècle  qui  tâchent  de 
concilier  les  ordres  de  la  conscience  avec  les  intérêts  temporels, 
il  se  lance  à  corps  perdu  au  milieu  de  la  mêlée,  et  ne  compte 
pour  rien  son  repos,  la  place  qu'il  occupe,  son  foyer  dévasté  une 
fois  de  plus,  ni  «  l'enfer  »  même,  le  Châtelet  ;  tantôt,  au  contraire, 
il  montre  une  tardive  circonspection,  plus  périlleuse  que  sa  tur- 
bulence. Sa  main  gauche  retire  doucement  ce  qu'avait  donné  sa 
main  droite.  Ses  discours  hésitent,  se  démentent,  éludent,  et 
il  en  résulte,  en  définitive,  qu'il  s'aliène  les  deux  camps.  C'est 
un  hérétique  !  crie  l'Église  romaine,  et  Calvin  murmure  :  il  n'est 
pas  des  nôtres  ;  c'est  un  mondain. 

470.  Et  il  a  raison.  Mondain  avant  tout,  à  fond  et  excellem- 
ment. S'il  diffère  de  l'homme  du  nionde,  c'est  seulement  par  la 
qualité  exquise  de  son  intelligence  et  par  une  âme  incoercible, 
tournant  au  souffle  de  la  fantaisie,  rebelle  au  moindre  joug, 
prime-sautière,  indisciplinée.  Il  n'a  ni  l'esprit  de  suite  ni  le  goût 
de  suivre.  Aussi  voyez-le  à  Genève.  Son  désir  serait  de  s'arrêter 
là,  d'y  mener  une  vie  calme  sous  une  tente  bénie  du  Seigneur, 


CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE  325 

comme  au  temps  d'Abraham  et  de  Jacob.  Mais  que  fera-t-il 
parmi  les  pasteurs  ?  Il  aime  la  société,  lui  ;  il  aime  la  joie,  il 
l'estime  bonne.  La  nature,  mère  du  péché  et  source  de  la  concu- 
piscence, il  ne  la  maudit,  il  ne  la  redoute  nullement.  Elle  lui 
apparaît  déhcieuse,  et  il  s'aperçoit  que,  dans  la  pratique,  cette 
sagesse  des  calvinistes,  qui  semblait  acceptable  de  loin,  s'avère 
intolérable  pour  lui,  et  le  réduit  à  la  fuite.  Alors  il  court  à  Cham- 
béry,  vers  un  groupe  de  joyeux  garçons...  Mais  ne  nous  figurons 
pas  enfermer  un  personnage  si  multiple  dans  le  cercle  de  ce 
terme  :  «  un  mondain  ».  Il  appartient,  et  ses  œuvres  le  prouvent, 
à  plus  d'un  monde.  Admis  parfois  dans  la  chambre  parée  et 
nattée  des  reines  [M.  241],  il  chante,  pour  elles,  sur  la  tendre 
musette  d'Alain  Chartier  ;  on  croirait,  à  l'entendre,  que  l'amour 
est,  à  ses  yeux,  un  principe  spirituel,  une  union  métaphysique, 
une  occasion  d'atteindre,  avec  les  deux  blanches  ailes  du  philo- 
sophe et  du  poète,  la  sphère  des  idées  en  soi.  Et  voilà  un  thème 
élégiaque  ;  et  voilà,  en  perspective,  des  dizains  raffinés,  délicats, 
et  des  ballades  ou  des  rondeaux  qui  exprimeront  des  sentiments 
capables,  par  leur  subtihté  et  par  leur  chaste  douceur,  de  char- 
mer un  public  aristocratique.  Mais  l'auteur  de  ces  jolies  choses 
passe  soudain  du  Louvre  à  la  taverne  ;  il  se  souvient,  alors,  qu'il 
a  édité  Villon  ;  il  abonde  en  plaisanteries  grosses  et  grasses  ; 
son  platonisme  se  métamorphose  en  franche  sensualité,  et  il 
désigne  par  le  mot  propre  (si  l'on  peut  dire)  tout  ce  qu'on  évite 
de  nommer.  Et  c'est  le  même  homme  pourtant.  Après  avoir 
rimé  une  pièce  que  Maurice  Scève  aurait  signée,  il  conte  une 
bien  sale  anecdote,  puis,  tournant  la  page,  il  écrit  un  psaume. 

471.  Il  faut  le  prendre  comme  il  est..  La  postérité  n'a  connu 
qu'un  Marot  ;  il  y  en  a  plusieurs.  Évidemment,  on  ne  saurait 
prétendre  que  tous  les  aspects  de  ce  caractère  et  de  ce  talent 
méritent  la  même  sympathie  ;  mais  il  existe,  pour  le  moins,  un 
trait  qu'on  doit  admirer  sans  réserve,  et  qui  nous  rend  très  cher 
notre  Marot  :  personne  ne  fut  plus  français,  et,  à  certains  égards  , 
il  incarne  l'âme  de  chez  nous.  Laissons  de  côté,  pour  l'instant, 
son  style  tellement  clair,  direct,  sincère,  loyal,  et  jetons  sur  sa 
vie  encore  un  coup  d'œil.  Oui  ne  voit  que,  par  sa  façon  de  sup- 
porter l'infortune,  ce  poète,  persécuté  mais  joyeux,  représente 
mieux  que  nul  autre  l'un  des  dons,  l'une  des  vertus  de  la  race  ? 
Au  fond  de  son  cœur  vraiment  indomptable  le  mot  Espérance  ! 
était  gravé  comme  sur  la  monnaie  gauloise.  On  pouvait  le  plier, 
non  le  briser.  Frêle  arbrisseau,  tant  de  fois  battu  par  le  vent, 
les  orages,  il  se  relevait  pimpant,  couvert  de  fleurs.  Ses  chagrins 
s'épanouissaient  en  fusées  d'ironie,  ea  éclats  de  rire,  et  chaque 
noire  aventure  finissait  en  chanson.  A  qui  lui  eût  demandé  : 


326  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

«  Oui  t'a  donné  une  philosophie  aussi  gaie  ?  »  il  aurait,  je  pense, 
répondu,  lui  aussi  :  «  L'habitude  du  malheur.  »  Rien  n'est  plus 
émouvant  que  de  le  voir,  malgré  les  catastrophes,  tellement 
confiant,  allègre  —  et  fidèle.  Que  sa  patrie  soit  «  ingratissime  », 
il  ne  l'ignore  point,  et  il  ne  le  sent  que  trop.  Pourtant,  loin  de 
lui  garder  rancune,  il  la  vénère,  il  la  célèbre,  il  l'adore.  Rejeté 
par  elle,  il  lui  tend  les  bras,  et  il  voudrait  mourir  dans  son  sein. 
Quoique  cette  douceur  lui  eût  été  refusée,  il  aima  son  pays  jus- 
qu'à la  tombe.  Fort  peu  de  mois  avant  de  mourir,  comme  il 
salue  le  camp  de  Cérisoles,  l'armée  royale,  les  lis,  la  victoire  ! 
Avec  quel  transport  il  contemple  cette  glorieuse  terre,  ce  «  nom- 
bre infiny  de  Germains  »  tués,  fouldroyés  [G.  III,  642]  !...  Et 
sa  carrière  se  termine  ici  ;  la  plume  échappe  à  sa  main.  S'il  n'a 
pas  revu  la  France,  du  moins  c'est  à  elle  que  sont  allés  —  haute 
consolation  et  sort  enviable  —  ses  derniers  vœux  et  ses  der- 
niers vers. 

BIBLIOGRAPHIE   ET  RÉFÉRENCES 

419.  G.l,423-6.—BeckeT,Zeitsc)!riftfurfr.Spr.undLit.,XLU,  i66.  — J.  III,  52, 
Épigr.CXXy.  —  M.  158-9. 

420.  G.1,426-430.— Becker,  166.  — J.  IV,  194-5. 

421.  G.  1,430.— Becker,  168.— J.  1,7;  III,  59,  Épigr.  CXLIV.  —  StephaniDoleti... 
Carminum  libri  quatuor,  II,  61.  —  Copley  Christie,  Etienne Dolet,  228. 

422.  G.  I,  431-434.  — Becker,  169.  — J.  II,  105-107. 

423.  G.  I,  437-438.  —Becker,  170-171.  —  J.  II,  107. 

424.  G.  I,  449-452.  —  Becker,  171-172. 

425.  G.  I,  446-448  et  451.  —  Becker,  172-173.  —  J.  III,  65,  Épigr.  CLIX  ; 
I,  45-46.  —  M.  236. 

426.  G.  I,  461-463.  —Becker,  174.  —  J.  II,  112-117. 

429.  G.  I,  463-472.  —  Becker,  174-175.  —  Voici,  dans  leur  ordre  probable,  les  pièces 
de  Marot  à  l'empereur  :  J.  II,  118  ;  m  ;  no  ;  III,  68,  Épigr.  CLXVI  ;  II,  166,  R. 
LXVIII. 

430.  Becker,  176-177.  —  Pour  les  diverses  prières  traduites  par  Marot  en  vers  français 
puis  imprimées  dans  le  Miroir  de  l'ame  pécheresse,  cf.  J.  IV,  54-58.  —  M.  166,  241.  — 
G.  III,  571,  V.  29-34.  —  On  trouvera  ci-dessus  (aux  pp.  95-97  de  la  Bibliographie  de 
Clément  Marot)  de  plus  amples  détails  sur  le  volume  du  Miroir  (1533)  et  sur  l'édition 
des  Trente  pseaulmes. 

431.  G.  I,  482-486.  —  Becker,  181.  —  J.  III,  66,  Épigr.  CLXII  ;  106-107,  Épigr. 
CCLXII-CCLXV.  Peut-être  faudrait-il  ajouter  à  cette  liste  VEpigr,  XCIX,  Pour  une 
mommerie  de  deux  hermites  (pp.  42-43).  —  On  trouvera  chez  Alphonse  de  Ruble,  Mariage 
de  Jeanne  d'Albret,  pp.  1 10-127,  une  description  très  complète  des  fêtes  données  à 
Châtellerault. 

432.  G.I,4S6-488.— Becker,  182.  — J.  III,   247. 

433.  Becker,  184.  —  J.  I,  74-86. 

434.  G.  I,  494-497. — Becker,  184-185. — G.  II,  155-158.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  93, 
n»  VI. 

435.  G.  I,  498-503  ;  II,  439-478.  Voyez,  surtout,  pp.  452-454,  les  v.  74-89  et  les  notes, 
puis,  p.  444,  les  V.  22-23  :  «  A  tous  les  diables  la  mastine  !  |  Elle  m'a  chassé  de  la  court.  » 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  327 

436.  G.  I,  500.  —  Becker,  187.  —  O.  Douen,  Clément  Marot  et  le  Psautier  huguenot, 
I>  358-359.  —  Du  Plessis  d'Argentré,  Collectio  judiciorum  de  novis  erroribus,  II,  134. 

437.  Heiminjard,  VIII,  218. 

438.  G.  I,  499  et  501  ;  II,  478,  V.  260  :  «  Escript  a  Orléans  sur  Loyre.  «  —  Herminjard, 
VIII,  219,  note. 

439.  Herminjard,  VIII,  208. 

440.  O.  Douen,  I,  392.  —  Bordier,  Chansonnier  huguenot,  pp.  XXV-XXVII.  — 
Herminjard,  VIII,  202,  note.  —  Moralité  de  la  maladie  de  chrestienneté,  a  treize  person- 
nages, en  laquelle  sont  monstrez  plusieurs  abuz  advenuz  au  monde  pour  la  poison  de 
péché  et  l'hypocrisie  des  hérétiques.  Y  me  vint  mal  a  gré.  Nouvellement  imprimé 
a  Paris  par  Pierre  de  Vignolle  [Neuchâtel,  Pierre  de  Vingle].  1533.  Plaquette  ia-24  ; 
goth.  —  La  Bible,  qui  est  toute  la  S"^  Escriture  en  laquelle  sont  contenus  le  vieil  et  le 
nouveau  Testament  translatez  en  françois,  le  vieil  de  l'ebrieu,  et  le  nouveau  du  grec.  — 
Aussi  deux  amples  tables  pour  l'interprétation  des  propres  noms  et  mots  ebrieux, 
chaldeens,  grecs  et  latins  (par  H.  Rosa  et  lo.  Eutychus  Deperius)  ;  l'autre  en  forme 
d'Indice  pour  trouver  plusieurs  sentences  et  matières  (par  Math.  Gramelinus).  Achevé 
d'imprimer  en  la  ville  et  comté  de  Neufchastel  par  Pierre  de  Wingle,  dict  Pirot  Picard, 
l'an  1535,  le  4e  jourde  juing. 

441.  Herminjard,  III,  257  ;  —  IV,  45,  n"  554  ;  262,  n»  643  ;  —  V,  153,  note  ;  —  VI, 
82,  no83o;  no,  n<»832  ;  — VIII,  49,  n«  ii28et68,  n»  11 36. 

442-443.  L'Epistre  de  M.  Malingre  enuoyée  a  Clément  Marot  :  en  laquelle  est  demandée 
a  cause  de  son  département  de  France.  Auec  la  Res ponce  dudict  Marot.  Icy  trouuerez 
vne  louange  de  France  et  des  Bernoys,  auec  vn  noble  rolle  d'aucuns  Francoys  habitans 
en  Sauoye,  et  deux  Epitaphes  de  Clément  Marot.  Nouuellement  imprimé  a  Basle,  par 
laq.  Estange,  le  20  d'octobre  1546.  Réimpression  à  90  exemplaires,  Harlem,  1868.  D'a- 
bondants extraits  de  cette  épître  ont  été  donnés  par  O.  Douen  (I,  392-394)  et  par  Her- 
minjard (VIII,  202-208).  —  Sur  Louis  Treppereau,  élu  diacre  à  Genève  en  1542,  cf. 
Herminjard,  VIII,  79,  n.  5  ;  83,  n.  1-2  ;  106.  Dans  ce  dernier  passage,  Calvin,  parlant 
de  Treppereau,  écrit  à  Pierre  Viret,  le  19  août  1542  :  «  Ludovicus,  quod  semper  verebar, 
plus  levitatis  et  incontinentiae  habet  in  verbis  et  actione  [on  comprend  alors  que  Marot 
l'ait  aimé  !]  quam  ministermm  nostrum  deceat.  » 

444.  O.  Douen,  I,  392,  394  ;  Herminjard,  VIII,  208-209. 

445.  France  protestante,  2"  édition,  II,  col.  35-36. — Becker,  190,  n.  268.  — Le  Mémo- 
rial de  la  perte  du  Dieu  des  frères  Jacoppins  de  Lyon,  le  22  juillet  1326  [1536  ?]  se  lit  dans 
la  seconde  partie  de  la  Chrestienne  resjouyssance. 

446.  Herminjard,  VI,  286,  n°  886,  le  texte  et  les  notes.  —  C'est  dans  la  Chrestienne 
resjouyssance  que  se  lisent  i°le  Dieu  gard  de  Vautheur  a  la  ville  et  aux  citoyens  de  Genève, 
la  première  fois  qu'il  y  vint  ;  2°  l'Epistre  a  noble  et  chrestienne  damoyselle  Marguerite 
de  S.  Simon  en  Xainctonge,  jadis  son  escollière.  —  Les  Psalmes  de  David  translatez  d'ebrieu 
en  langue  françoyse  ;  1539  ;  sans  lieu  ni  nom  d'auteur.  A  la  fin  une  «  Exhortation  au 
lecteur  fidèle  »  signée  H[ector]  D[e]  B[eaulieu]. 

447.  Herminjard,  VI,  286-287. 

448.  'L'Epistre  a  Clément  Marot,  poëte  du  Roy,  pour  lors  résidant  à  Genève  a  été  insérée 
par  Eustorg  de  Beaulieu  dans  sa  Chrestienne  resjouyssance.  Cette  curieuse  pièce,  depuis, 
a  été  imprimée  par  Herminjard,  VIII,  400-403,  et  par  Guiffrey,  III,  746-751.  —  Sur 
Pierre  Gurin  [ne  serait-ce  pas  le  même  que  le  Pierre  Giron  du  §  447  ?],  cf.  Herminjard, 
VI,  240,  n.  36  ;  VIII,  87,  n.  6  et  403,  n.  10. 

449.  G.  I,  529.  Claude  Chappuys  parle  de  Marot,  et  lui  fait  dire  :  «  ...O  roy  sur  tous 
clément,  |  Ne  soyez  point  rigoureux  a  Clément  !  «  —  J.  II,  237.  De  Mgr  de  Langey, 
Guillaume  Du  Bellay.  Cf.  V.-L.  Bourrilly,  Guillaume  Du  Bellay,  seigneur  de  Langey  ; 
thèse  de  Paris,  1904.  On  trouvera  à  la  p.  401  l'épitaphe  rimée  par  Marot  et  sa  traduction 
en  latin  élégant  par  SalmonMacrin.  —  J.  IV,  64.  Au  Roy  encores. 

450.  Sur  l'autorisation  donnée  le  11  juillet  1543  par  le  Conseil  de  Genève,  voyez 
E.  Doumergue,  Jean  Calvin,  III,  169,  n.  i.  On  observera  que  cette  édition  genevoise 


328  CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

de  l'Enfer  semble  n'avoir  laissé  aucune  trace.  —  En  ce  qui  concerne  les  Cinquante 
pseaidmes  en  françoys  et  le  recueil  de  1543  imprimé  par  Dolet,  cf.  notre  bibliographie, 
pp.  91,98.  —  LetitreContreriniquelÉpigr. CXCYJ]estsmvide]ameixtion«  aAntoine 
Du  Moulin,  masconnois,  et  Claude  Galland  ». 

451.  Becker,  192. 

453.  O.Douen,  1,413-414.  —  G.  1,534-535.  — Becker,  195. 

454-455.  E.  Doumergue,  Jean  Calvin,  III,  167-172.  —  Cf.  J.-J.  Chaponnière,  Xolice 
sur  François  Bonivard,  prieur  de  Saint-Victor,  et  sur  ses  écrits.  {Mémoires  et  documents 
publiés  par  la  Soc.  d'hist.  et  d'archéologie  de  Genève,  IV,  (1845),  pp.  137-304.)  —  Voici 
(mais  j'abrège  leurs  titres)  les  principales  œuvres  de  Bonivard  :  de  VA  ncienne  et  nouvelle 
police  de  Genève,  et  source  d'icelles,  iGenève,  Jullien,  1847)  ;  Advis  et  devis  de  l'ancienne 
et  nouvelle  police  de  Genève,  suivis  des  avis  et  devis  de  noblesse  et  de  ses  offices...  Genève, 
I856)  ;  Advis  et  devis  de  la  source  de  l'Idolâtrie  et  tyrannie  papale...  (Genève, 
1856)  ;  Chroniques  de  Genève  publiées  par  Gustave  Revilliod,  vGenève,  Cherbuliez, 
1868,  2  vol.  in-8°.) 

457.  G.  1,5  36-540.  —  Becker,  194,1e  texte  et  la  n.  280. 

458.  G.  I,  543  ;  III,  625-629,  le  texte  et  les  notes.  —  Bourrilly,  Guillaume  Du  Bellay, 
320.  —  Fr.  !\Iugnier,  la  Vie  et  les  poésies  de  Jean  de  Boissonné.  pp.  64-66  et  passim.  — 
Becker,  196-198. 

ADDITION  AU  §  45S.  —  J'aurais  aimé  à  insister  davantage  sur  la  vie  de  Raymond 
Pellisson,  car  elle  intéresse  à  la  fois  l'histoire  des  mœurs  et  l'histoire  littéraire.  En  cette 
ville  de  Chambéry  —  une  bourgade,  à  cette  époque  —  les  esprits  étaient  profondément 
divisés,  les  uns  inclinant  vers  le  roi  de  France,  les  autres  demeurant  ûdèles  aux  ducs  de 
Savoie.  Perpétuelle  cause  de  haine,  de  conflits.  Le  parlement,  déjà  agité  et  plein  de 
querelles  pour  ce  motif,  se  trouvait,  en  outre,  cruellement  déchiré  par  un  homme  à 
l'âme  noire  et  fougueuse,  qui  réussit,  durant  de  longues  années,  à  persécuter  les  braves 
gens,  à  leur  attirer  mille  déboires.  Ce  mauvais  génie  s'appelait  Julien  Tabouet,  un 
manceau  qui,  après  de  fortes  études  faites  à  Paris,  était  devenu  procureur  général  au 
parlemeut  de  Savoie. 

Les  procès,  interminables  et  si  divers,  que  cet  enragé  magistrat  a  intentés  à  ses  collè- 
gues ont  été  racontés  par  M.  F.  Mugnier.  Je  renvoie  à  son  texte  ceux  qui  seront  curieux 
de  connaître  les  tentatives  que  fit  Tabouet  pour  perdre  le  conseiller  Benoît  Crassus  que 
Marot  paraît  avoir  connu  [J.  III,  72,  n°  CLXXX]. 

Mais  la  belle  bataille  épique,  ce  fut  entre  le  procureur  général  et  le  président  Ra\-mond 
Pellisson  qu'elle  se  livra.  Ce  dernier  n'était  pas  seul  de  son  bord,  et  les  accusations  qui 
pesaient  sur  lui  s'étendaient  à  Crassus  déjà  nommé,  peut-être  à  Guillaume  Scève  et, 
sûrement,  à  Jean  de  Boissonné  qui,  en  quittant  Toulouse  pour  Chambéry,  était  tombé 
de  la  poêle  dans  le  feu. 

Les  péripéties  de  cette  lutte  déconcertent  l'historien.  Il  paraît  certain  —  l'un  des 
partis  étant  protégé  par  le  duc  de  Guise  et  l'autre  par  Montmorency  [Mugnier,  op. 
cit.l  —  que  chacun  triompha  ou  succomba  à  tour  de  rôle,  suivant  que  brillait  ou  pâlis- 
sait l'étoile  de  son  patron. 

D'abord,  ce  fut  Julien  Tabouet  qui  obtint  gain  de  cause.  Ajourné  devant  le  parlement 
de  Dijon,  Pellisson  fut  condamné  (27  juillet  1551)  à  perdre  son  office,  à  payer  dix  mille 
livres  au  roi,  deux  mille  à  sa  partie  ;  à  quoi  s'ajoutaient  la  confiscation  de  ses  biens, 
l'amende  honorable.  Le  vieux  président  —  malade,  brisé  —  dut  se  mettre  à  genoux 
pour  avouer  des  crimes  qu'il  n'avait  pas  commis  ;  il  lui  fallut  ouïr  une  homélie  outra- 
geante de  son  ennemi  sur  le  texte  Haec  est  dies  quam  fecit  Dominus,  après  quoi  on  le 
remit  en  prison.  Boissonné  partagea  ce  même  sort. 

Complète  victoire  pour  Julien  Tabouet...  Oui,  mais,  cinq  ans  plus  tard,  voici  que  tout 
change.  Le  parlement  de  Paris  a  évoqué  l'affaire,  et,  après  une  procédure  riche  en 
incidents,  dont  M.  Mugnier  a  donné  le  détail,  le  jugement  de  Dijon  est  annulé  le  15  octo- 
bre 1556.  Pellisson  et  Boissonné  rede\-iennent  blancs  comme  neige  ;  les  amendes  pleuvent 


CLÉMENT   MAROT    ET   SON    ÉCOLE  329 

sur  Tabouet,  et  c'est  à  lui,  maintenant,  à  se  mettre  à  genoux  devant  la  table  de  marbre, 
à  proclamer  ses  torts,  «  nuds  piedz  et  teste,...  en  chemise,  la  corde  au  col,  tenant  en  ses 
mains  une  torche  de  cire  ardente  du  poids  de  deux  livres  ».  Cette  exposition  aurait  pu 
suffire.  Pourtant  on  alla  plus  loin,  et  le  malheureux  fut  «  prins  en  une  charrette  et  conduit 
au  pillori  des  Halles...  pour  y  estre  tourné  trois  tours  ».  Enfin,  on  le  ramena  au  château 
de  Chambéry  où  il  fut  incarcéré. 

Raymond  Pellisson  ne  survécut  pas  longtemps  à  cette  réhabilitation,  et  il  mourut  le 
II  juillet  1558,  laissant  plusieurs  enfants.  C'est  de  sa  famille  qu'allait  descendrel'histo- 
rien  de  le  Académie  française,  Paul  Pellisson- Fontanier. 

Quant  à  Tabouet,  il  publia,  à  la  fin  de  sa  vie,  divers  ouvrages  tant  en  latin  qu'en 
langue  vulgaire.  Je  n'ai  rien  à  dire  de  sa  Principum  Sabaudiae  genealogia  (Lyon,  i56o)ni 
de  son  traité  des  Magistratures  à  partir  du  Déluge  :  mais  je  note  qu'il  a  produit  des  vers 
français.  Ils  sont  à  la  fois  rocailleux  et  plats.  L'auteur,  il  est  vrai,  les  composait  en  prison 
et  pour  charmer  ses  loisirs  forcés.  Libre,  il  se  fût  occupé  autrement,mais  non  pas  mieux, 
je  le  crains. 

459.  G.  II,  479-484,  le  texte  et  les  notes.  —  J.  Du  Bellay,  Déf.  et  III.  [Chamard], 
pp.  227-228.  —  Marc-Claude  de  Buttet,  Apologie  pour  la  Savoie  [Mugnier],  p.  120. 

460.  G.  III,  630-639.  —  Fr.  Mugnier,  Marc-Claude  de  Buttet,  Poète  savoisien  (Paris, 
Champion,  1896),  pp.  121,  179,  184-186.  —  Poésies  fr.  de  Jean  de  Boissonné,  (Bibl. 
mun.  de  Toulouse,  ms.  836),  i°  122  v». 

461.  Mugnier,  op.  cit.,  166-167,  le  texte  et  les  notes.  —  Boissonné,  op.  cit.,  i°  92  r". 

462.  Mugnier,  op.  cit.,  pp.  167,  n.,  171,  189-190,  209,  213-214.  —  J.  III,  81,  Épigr. 
CCII.  —  Becker,  201. 

463.  Monluc,  Commentaires  [De  Ruble],  I,  241  sqq.  — J.  III,  76,  Épigr.  CLXXXVIII. 
—  G.  III,  639-646. 

464.  Becker,  204-205. 

465.  Déploration  de  France  sur  la  mort  de  Clément  Marot,  son  souverain  Poète.  Une 
plaquette  de  12  ff.  non  ch...  Après  le  titreet  tout  àla  fin  la  devise:  «  Non  qu'a  un  seul  » 
Le  privilège,  signé  Séguier,  est  concédé  «  a  Jean  André,  libraire  juré  de  l'université 
de  Paris  ».  (Cf.  Lenglet-Dufresnoy,  V,  383-392.) 

466.  Lyon  Jamet  :  G.  I,  560  ;  Becker,  205.  —  Gilles  d'\urigny,  Saint-Romard,  Du 
Val  :  G.  I,  563.  [Pierre  Du  Val,  fils  de  Denis,  docteur  en  théologie  et  chanoine  de  Rouen, 
fut  désigné  par  le  roi  lui-même  comme  évêque  de  Séez,  et  sa  consécration  eut  lieu  le 
9  août  1545.  Il  joua  un  rôle  assez  brillant  au  Colloque  de  Poissy.  Il  mourut  à  Vincennes 
en  1564.  (  Gai.  christ.,  XI,  col.  702-703.)  Ce  personnage  appartient  à  l'histoire  de  l'huma- 
nisme et  à  celle,  aussi,  de  la  poésie  française.  Voici  les  principaux  ouvrages  qu'il  a 
publiés  :  Cri  ton  ou  ce  que  l'on  doit  faire,  trad.  du  grec  en  françois,  parle  commandement 
du  Roy,  par  Pierre  Du  Val,  evesque  de  Sées,  Paris,  Michel  Vascosan,  1547,  in-4°  ;  De 
la  grandeur  de  Dieu  et  de  la  cognoissance  qu'on  peut  avoir  de  luy  par  ses  œuvres,  Paris, 
Vascosan,  1553  (c'est  un  poème  en  quatrains)  ;  De  la  puissance,  sapience  et  bonté  de 
Dieu,  Paris,  Vascosan,  1558  (autre  recueil  de  quatrains).  Les  deux  poèmes  de  1553  et 
1558  ont  été  édités  ensemble,  Paris,  Morel,  1569,  in-S».]  —  Fr.  Habert,  le  Temple  de 
Chasteté  (1549).  —  La  pièce  signée  M.  G.  a  été  publiée  par  M.  Denais  avec  les  Poésies  de 
Germain  Colin  Bûcher,  p.  264.  —  Malingre  :  O.  Douen,  I,  444-445.  —  Ch.  Fontaine, 
la  Fontaine  d'Amour  (1546)  ;  livre  I  des  Épigr.  :  De  la  Mort  et  de  Marot.  —  Poésie  d'Es- 
tienne  Forcadel  (1551),  p.  180.  —  Jodelle  [Marty-Laveaux],  II,  338.  —  J.  Du  Bellay 
[Marty-Laveaux],  I,  207. 

467.  Famille  de  Marot  :  G.  III,  394,  v.  26  ;  M.  238  ;  J.  I,  100.  —  H.  de  La  Ferrière- 
Percy,  Marguerite  d'Angouh'me.  Son  livre  de  dépenses,  p.  31,  n.  i.  —  O.  Douen,  I,  445- 
446.  —  Becker,  206. 

468.  O.  Douen,  I,  446.  —  Becker,  205-206.  —  Les  quelques  pages  qui  nous  restent 
de  Michel  Marot  [Lenglet-Dufresnoy,  V,  343-35i]  ont  été  imprimées  avec  l'ouvrags 
suivant  :  Contredictz  aux  faulses  et  abbusifues  prophéties  de  Nostradamus  et  autres 


330  CLÉMENT   MAROT    ET    SON    ÉCOLE 

astrologues  :  adiouste  quelques  œuures  de  Mich.  Marot.  Paris,  UAngelier,  1560.  Petit 
in-8<>.  Le  seigneur  du  Pavillon,  auteur  de  ces  «  Contredictz  »,  jouait  volontiers  le  rôle 
d'augure,  et,  sans  doute,  il  jugeait  bien  meilleurs  que  ceux  de  Nostradamus  les  oracles 
qu'il  avait  personnellement  rendus  (Rouen,  1556).  Son  érudition  scrutait  la  terre,  et 
envahissait  le  ciel,  car  il  faut  être  un  savant  de  la  première  volée  pour  mettre  au  jour 
un  livre  qui  ait  l'envergure  de  celui-ci  :  Les  Antiquitez  et  singularitez  du  monde,  aus- 
quelles  est  traicté  de  la  Science  divine  et  des  choses  admirables,  tant  célestes  que  ter- 
restres, par  le  Seigneur  du  Pavillon  près  Lorriz.  Lyon,  Ben.  Rigaud,  1578.  In-i6. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES 


(Les  numéros  indiqués  sont  ceux  des  paragraphes  ;  les  chiffres  qui  sont  suivis 
de  la  lettre  b  renvoient  à  la  bibliographie  ;  ceux  qui  sont  entre  crochets  se  réfèrent 
aux  pages  89-106.) 


Agrippa  (Cornélius),  104. 
AiGUEBELETTE  (François  de  Seyssel,  sei- 
gneur d'),  462. 
Akakia  (Martin),  260,  261. 
Alamanni  (Battista),  32. 

—         (Luigi),  27,  32, 104. 
Alciat  (André),  6,  80. 
Alençon   (Anne  d'),   245-255. 

—  (Marguerite  d'),  dame  de  Cany- 
Canyel,  248,  252. 

Allègre  (François  d'),  seigneur  de  Prccy, 

175- 
Alphonse  I",  duc  de  Ferrare,  227. 
Amboise  (Charles  J),  301. 

—  (Georges  d'),  26. 

—  (Michel  d'),  301. 
Amomo  [Jean  de  Maumont  ?],  28. 
Amyot  (Jacques),  29. 
Anacréon,  12. 

Ango  (Jean),  368. 

—     (Richard),  364. 
Anne  de  Bretagne.  130,  131,  212,  227, 

330. 
Anne  de  Clèves,  reine  d'Angleterre,  96 
Annebaut  (Claude  d'),  378. 
Appiarius  (Mathias),  446. 
Arande  (Michel  d'),  188. 
Armagnac  (Georges  d'),  335-337- 
Arnoul  (Nicole), seigneur  de  Saint-Simon, 

309,310. 
Aubigné  (Agrippa  d'),  [104]. 
Aurigny  (G  lies  d'),  [99],  417,  466. 
AuTON  (Jean  d'),  407. 

Baïf  (Lazare  de),  29,  104,  449. 

Baili.ehache,  169. 

Balbus,  prédicant,  443. 

Balme  (Jean  de  la),  sieur  de  Ramasse,  462. 

—  (Sibuet  de  la),  462. 
Balue  (Germaine  de),   248,   254. 
Barberousse  [Khair-ed-Din],  414. 


Basselin  (Olivier),  341. 

Basset    (Jean),    381. 

Bayle  (Pierre),  [100]. 

Bazoges  (M'"''  de),  357. 

Beaulieu  (Eustorg  ou  Hector  de),  [94, 

note],   306-316,    350,   445-448. 
Beaulieu  (Jean  de),  309. 
Beauregard  (Anne  de),  [106],  29.S. 
Becquet  (Robert),  169. 
Béda  (Noël),  39.  43,  108,  115,  188,  280, 

341. 
Bellay  (Guillaume  Du),  seigneur  de  Laa- 

gey,  107,  449. 
Bellay  (cardinal  Jean  Du),  35,  107-116, 

295,  329,  348,  414. 
Bellay  (Joachim  Du),  27,  60,  109,  114, 

169,  337,  342,  344,  382,  418,  459,  466. 
Bellay  (Louis  Du),  seigneur  de  Langey, 

449  note. 
Bellegarde  (Angelot  de),  460,  462. 

—         (Claude  de),  seigneur  de  Mon- 

tagny,  460. 
Bellegarde  (Louis  de),  seigneur  de  Mon- 

tagny,  460. 
Bellenger  (François),  367. 
Bembo  (Pierre),  354. 
Béraud  (Nicolas),  354. 
Bernay  (Nicolas  de),  254. 
Bernuy,  271. 
Béroalde  (Philippe),  399. 
Berouin  (Louis  de),  36-40,  57,  rSS,  237- 

243. 
Bertrand  (Jean),  évcque  de  Comminges, 

276  b. 
Bertrand  (Nicolas),  273  b. 
Bessarion  (le  cardinal  Jean),  42. 
Bèze  (Théodore  de),  60,  [99],  [100],  [loi 

noie  3],  [103],  191,  295,  457. 
Blet  (Antoine  du),  188. 
Bochetel  (Guillaume),  306. 
Boileau-Despreaux,  [92]. 


332 


CLEMENT  MAROT  ET  SON  ECOLE 


BoiLEAU  (Louis),  seigneur  de  Centimai- 

son,  233-237,  243,  244. 
BoissoNNÉ  (Jean  de),  132,  135,  271,  274, 

403,  449,  458  [et  AdcLt  on  p.  328],  460, 

461. 
BoisY  (Hélène  de),  27. 
BoNiVARD  (François),  453-456. 
Bonn  (Hermann),  417  b. 
BoNNivET  (amiral),  410. 
Bordeaux-,  gentilhomme   savoisien,  461. 
BoRGiA  (Lucrèce),  227. 
BosREDON  (Jeanne  de),  307. 
BoucHART  (Nicolas),  192-193. 
BoucHEFORT  (Jean  de),  286,  334,  335,  356. 
BoucHET  (Jean),  393,  403. 
BouLLAY  (Edmond  du),  roi    d'armes  de 

Lorraine,  101-106Ô. 
Bourbon  (Antoine  de),  duc  de  Vendôme, 

275. 
Bourbon  (le  connétable  Charles  II,  duc 

de),  '5,  160,  164,  256,  410. 
Bourbon  (François  de),  comte  d'Enghien, 

463.  464- 
Bourbon  (Nicolas),  76,  105,  115,  354,  403. 
Bourg  (Anne  du),  81,  86. 

—  (Antoine  du),  348. 

—  (Jean  du),  283. 

—  (Jeanne  du),  230. 
Bourgeois  (Louis),  [loi],  [102]. 
Boursault  (Gillonne  de),  93. 
Braillon  (Louis),  260,  261. 
Brantôme,  28,  102,  103,  292,  293,  340. 
Brice  (Germain),  121. 

Briçonnet   (Guillaume),    35,    188. 
Brie  (Claude  de),  413. 

—  (Félix  de),  abbé  de  Saint-Ebvroult, 
341,  367,  371,  411- 

Brie  (Gilles  de),  367. 

Brion  (Philippe  Chabot  de),  413. 

Brodeau  (Victor),  301,  391. 

Bruccioli  (Antonio),  336. 

Bûcher  (Germain  Colin),  215,  393,  402, 

403. 
Bucyron  (Françoise  de),  295. 
BuDÉ  (Guillaume),  39,  43,  45,  96,   121, 

238,  354- 
BuLLANT  (Jean),  91. 
Bullinger  (Henri),  339. 
BuLLiouD  (Antoine),  26. 
BuTTET  (Marc-Claude  de),  459,  460,  462. 
Byron   (lord),   454. 

Calcagnini  (Celio),  292. 

Calvin  (Jean),  35,  36,  37,  60,  [96],  [97], 
[99],  [102],  [104],  112,  195,  295,  339, 
340,  437,  438,  443,  450,  451,  452,  456, 
469. 

Calvy  de  La  Fontaine,  399. 

Camillo  (Giul  o),  27. 

Candie,  461. 


Cano  (Sébastien  del),  7. 

Carion  (Jean),  417&. 

Carle  (Lancelot  de),  90,  303. 

Caroli  (Pierre),  188,  192,  286,  441. 

Carpi  (Girolamo  da),  294. 

Carré  (Jean),  356. 

Castiglione  (Baltha?ar),  27,  123. 

Catherine  d'Aragon,  108. 

Catherine  de  Médicis  ,115,  [103],  312, 
357,  429,  430.  459- 

Cayet  ^Victor),  457. 

Cavret  (G.  de),  276  b. 

Cèdre  (Pierre  du),  274. 

Cellini  (Benvenuto),  25,  31,  104. 

Certon  (Pierre),  [100]. 

César,  77,  98. 

Chalcidius,  104. 

Challes  de  Belletruche  (Hugues)  462. 
—  (Louis),  462. 

Champier  (Symphorien),  104. 

Chaperon  (Jean),  353Ô. 

Chappuys  (Claude),  6x,  93,  112,  121,  306, 
449- 

Charles  VIII,  roi  de  France,  213. 

Charles  IX,  roi  de  France,  60. 

Charles  IV,  duc  d'Alençon,  50,  159,  i5o, 
161, 162, 164,  172,  248. 

Charles,  bâtard  d'Alençon,  248,  252 

Charles  III,  duc  de  Savoie,  117. 

Charles-Quint,  empereur,  52,  83,  [96], 
108,  109,  118,  119,  256,  258,  329,  345, 
414,  415,  422,  423,  427-429,  431- 

Chartier  (Alain),  143,  250,  317,  393,  405, 
470. 

Chastellain  (Georges),  317. 

Chateaubriant  (Françoise  de  Foix, 
femme  de  Jean  de  Laval-Montfort,  sei- 
gneur de),  57,  409-410. 

Chatillon  (Gaspard  i^'  de  Coligny,  mare 
chai  de),  164. 

Chissav  (de),  153. 

CicÉRON,  95,  104. 

Claude  de  France,  femme  de  Fran- 
çois \",  144,  172. 

Claudien,  [94]. 

Clavier  (Etienne),  202,  266-267. 

Clément  VII,  Pape,  39,  40, 108,  187,  188, 
269. 

Clérembault  (Arnoul),  443. 

Clouet  (François),  24. 
—     (Jean),  24,  [97]- 

CocT  (Anemond  de),  186. 

CoLET  (Claude),  398-399. 

Colin  (Jacques),  28-29,  3-2,  43,  115-127, 
133,  262,  321,449- 

Collerve  (Roger  de),  263. 

Conrart  (Valentin,)  [100]. 

CoppiN  (Florent),  169. 

Cornes  (Pierre  de),  256. 

CoRNiLLAU  (Jean),  334-335- 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 


333 


CoRROZET  (Gilles),  315,  416. 

CossART  (Thomas),  169. 

CosTE  (Léonard),  169. 

CouiLLART  (Antoine),  seigneur  du  Pavil 

ion,  279,  468. 
CouppEL  (Jean),  169. 
Cousin  (Jean),  91. 
CousTURiER  (Pierre),  188. 
Crassus  (Benoît),  add  t  on  a  458,  p.  328, 
Crespin  (Jacques),  169. 
Crétin  (Guillaume),  141,  152,    156,  166, 

175,  208,  374,  393,  395. 
Cruche,  prôtre,  54 
CujAS  (Jacques),  6. 
CuRiONE  (Celio  Secondo),  339. 
Cusinens  (Marguerite  de),  462  . 

Dampierre  (Jean),  354. 

Danès  (Pierre),  45,  354. 

Dante,  63. 

Darles  (I.-N.),  301. 

Deleau  (Méry),  183. 

Demont  (Jeanne),  237. 

Denisot  (Nicolas),  399. 

Des    Périers    (Bonaventure),    106,    120, 

317,  350,  386,  391,  440&. 
Diane  de  Poitiers,  59,  89,  92,  178 
Diane,  fille  naturelle  de  Henri  II,  87. 
D1ODORE  DE  Sicile,  122  . 
Disome  (Jacques),  54. 
Dolet   (Etienne),    5,   6,    14,    29,    36,    57, 

[89].    [90],    [91],    105,    III,    1236,    195, 

350,  354,  302,  403,  420-421,  432,   434, 

430. 
Doria  (André),  118. 
Drusac  (Grat  an  Dupont,  se  gneur  de), 

264,  274,  3IÏ- 
Duchatel  (Pierre),  104,  114,  119,  425. 
Dufour  (Jean),  169. 
DupRAT    (cardinal    Antoine),    chancelier 

de  France,  188,  208,  209,  213,  214,  217, 

270, 348. 
Du  Val  (Pierre),  évêque  de  Séez,  466. 

Eléonore    d'Autriche,    258-259,    269, 

284,  306,  362,  414,  423,  426. 
Emmanuel-Philibert,    duc    de    Savoie, 

462. 
Erasme,  37-38,  43,  45,  182,  239-240,  313, 

354,  412,  417,  445. 
Espine  (Pierre),  424. 
EsTAiNG  (Charles  d'),  312. 
EsTiENNE  (Henri),  12,  191. 

—         (Robert),  5. 
EsTissAC  (Geoffroy  d'),  112. 
EsTOUTEviLLE  (Charlotte  d'),  94. 
ÉTAMPES  (Anne  de  Pisseleu,  duchesse  d'), 

25,  31,  435- 
Euripide,  306. 
EusFBE,  évêque  de  Césarée,  122. 


Fabri  (Guillaume),  [102]. 

Farce  de  Pathelin,  381. 

Farel  (Guillaume),  x85,  188,  441. 

pARNÈSElHoratio),  duc  de  Castro,  87, 113. 

Faur  (du),  86. 

Faye  (Jeanne),  362. 

Férières  (Baron  de),  seigneur  de  Cham- 
brays,  378. 

Fernel  (Jean),  6. 

Ferrier  (Arnoul  du),  6. 

Fichard  (Jean),  295. 

Filholi,  capitoul  de  Toulouse,  270. 

Finet  (Oronce),  45. 

Foix  (Françoise  de),  voyez  Chateaubriant. 

Fonsèques  (René  de),  seigneur  de  Sur- 
gères, 294. 

Fontaine  (Charles),  106,  194,  215,  261, 
293,  317,  386,  387,  391,  403,  407,  466. 

FoNTAUCiER  (Pierre  de),  276  b. 

Forcadel  (Etienne),  466. 

Franc  (Guillaume),  [loi],  [102]. 

François  \",  roi  de  France,  20-74,  75, 
78-9,  83-4,  96-98,  [96],  [97],  [98].  102, 
109,  115-116,  118-123,  134,  139,  142, 
144,  132,  154,  156-7,  159,  164-5,  188, 
190,  199,  200,  203-5,  207-213,  218,  220, 
222-3,  236,  238,  254,  256-8,  262,  266, 
269,  270,  277-8,  281-2,  284,  287,  297, 
306,  318,  321,  323-4,  326-329,  333-335, 
342-3,  348-9,  353-4,  356-9,  361,  372-4, 
378-9,  402,  410,  414,  415,  420,  422-7, 
429,  431-2,  436,  449,  463,  469- 

François  de  France,  fils  aîné  de  Fran- 
çois I*-',  153,  269,  270,  344-6,  361,  378. 

François  II,  roi  de  France,  459. 

François  de  Paule,  77. 

Frotté  (Jean  de),  71,  467. 

FucHis  (Robert  de),  195. 

Galien,26i. 

Galland  (Claude),  450  b. 
Gaudin  (Nicole),  169. 
Genton,  461. 
GiFFARD  (Anne),  367. 
Gilles  (Pierre),  121. 
Giraldi  (Cinthio),  295. 

—       (Lilio  Gregorio),  294-295. 
Giustiniani  (Agostino),  43,  104. 
Glotelet  (Nicole  de),  132  b,  386,  388-390. 
GoNDi  (Antoine  de)  sieur  du  Perron,  312. 

—     (Hélène  de),  312. 
Gontier,  lieutenant  de  Bourges,  264-265. 
GouDiMEL  (Claude),  [loi],  [102],  [103]. 
Goujon  (Jean),  22,  26,  92. 
Gringore  (Pierre),  [104],  259. 
Griphius  (Sébastien),  [qi],  432. 
Grisson  (Jean),  135,  138,  145. 
Gruffy,  461. 
Guasto  [ou  FasYo],  (Alphonse  dWvalos, 

marquis  de),  361,  463. 


334 


CLEMENT   iMAROT    ET    SON    ECOLE 


GuiDACERius  (Agathias),  45. 

GuiLLARD   (Louis),   évêquc  de  Chartres, 

197. 
GuRiN  (Pierre),  448. 
GuNTHER  d'Andernach  (Jean),  121. 

Habert  (François),  16,  466. 

Halluie     (Jeanne    d'),    demoiselle     de 

Pienne,  87-88. 
Hamel  (Jean  du),  169. 
Haston  (Hélène  de),  dite  Trezay,  357. 
Hennequin  (Nicole),  266. 
Henri  II,  roi  de  France,  26,  27,  59,  60, 

84,  87,  88,  89,  92,  [qg],  306,  339. 
Henri  III,  roi  de  France,  60. 
Henri  II,  roi  de  Navarre,  49,  52,  53,  57, 

211,  2746,  354,  355,  358. 
Henri   VIII,    roi   d'Angleterre,    77,    96, 

108,  109,  159. 
Hercule  II  d'Esté,  duc  de  Ferrare,  195, 

227,  292,  294,  296,  297,  329,  330,  332- 

335,  339- 
Héroet  (Antoine),  76,  [io6],  301,  353  b. 
HiscA  (Charlotte  d'),  28. 
H0HENLOHE  (Sigismond  de),  35. 
Homère,  [97],  346,  389. 
HoMMETS  (Raoul  des),  169. 
Horace,  [97],  [loi,  note  7],  359. 
HosPiTAL  (Michel  de  1'),  m. 
Hubert  (Guillaume),  188. 
HuET  (Charles)  ou  La  Hueterie,  378,  387, 

394,  395,  399,  401,  407. 
HuET  (Michel),  106. 
HuGONERi  (Jean  et  .Marie),  453,  456. 

Idriard  (Guillaume),  276  b. 

ISABEAU  DE  NaVARRE,  2/8;  369. 

Jamet  (Lyon),   [91],   112,   193-197,  201, 
286,290,295,318,341-2,391,434,464, 
466. 

Janneouin  (Clément),  [103],  310. 

Jeanne  d'Albret,  50,  52,  55,  115,  358, 
360,  431. 

JoDELLE  (Etienne),  466. 

JOIN  VILLE,  180. 

JossE  (Jean),  54. 
Jules  III,  Pape,  339. 
Jure  (Alexis),  317-318. 

La  Barre  (Jean  de),  190,  191. 
La  Borderie  (Bertrand  de),  391. 
La  Bruyère,  457. 
La  Fayette  (Aimée  de),  53. 
La  Fontaine  (Etienne),  443. 
La  Fontaine  (Jean  de),  [92]. 
La  Forest  (Philibert  ?  de),  461. 
La  Forge  (Etienne  de),  284. 
LAHET(Bernard  de),  310. 


La  Mark  (Antoine  de),  abbé  de  Beaulieu, 

228-9. 
La  Mark  (Guillaume  de),  duc  de  Clèves, 

52-53,  55,  115,  431. 
La  Mark  (Robert  II),  sieur  de  Sedan,  228. 
La  Marlière  (Antoine  de),  443. 
Lambesc  (François  de),  259. 
Lambin  (Denis),  80. 
Lampignan,  461. 
Lamy,  médecin,  260. 
Langeac  (Jean  de),  112,  329. 
L'Angelier  (Charles),  417. 
Langlois  (Pierre),  169. 
La  Palisse  (Jacques  de  Chabannes,  sei- 
gneur de),  164. 
La  Perrière  (Guillaume  de),  271-277. 
Larcher  (Benoît),  222. 
La  Rochefoucauld  (Gilbert  de),  413. 
La  Rozière  (Clériadus  de),  222. 
Lascaris  'Jean),  43. 

Lassus  (Roland  de),  [loi,  note  6],  [103]. 
La  Tour  (François  de),  vicomte  de  Tu- 
renne,  312. 
Lautrec  (Odet  de  Foix,  vicomte  de),  40, 

116. 
Laval  (Jean  de),  sire  de  Chateaubriant, 

90,  409. 
Leblond   (Jean),   seigneur  de  Bran\'ille, 

378-385,  393,  417-8. 
Le  Bovs,46i. 
Leclerc  (Jean), 188. 
Lecomte  (Jean),  441,  443. 
Lecoo  (Guillaume),  260-261. 
Le  Coo,  conseiller  au  parlement  de  Paris, 

54- 
Le  Coq  (Jacques^  441. 
Lect  (Jacques  de),  132,  135. 
Lefèvre  (Guillebert),  166. 
Lefèvre  d'Étaples  (Jacques),  35-37,  45, 

93,188. 
Le  Jeune  (Claude),  [103]. 
Le  Lieur  (Isabelle),  [105]. 

—  (Roger),  seigneur  de  Bois-Bes- 
nard,  [105]. 

Lemaire  de  BELGESÎJean),  So,  133-4, 143, 

330,  379,  407,  418. 
Le  Masson  (Barthélémy),  45, 104. 
LÉON  X,  Pape,  42,  44. 
Le  Picart  (François),  280. 
Leroy  .André),  183. 

—       (Nicolas),    112.. 
Le  Roy  (Pierre),  169. 
Lescot  (Pierre),  26. 
Le  Vert  (Etienne),  443. 
Li.MOUSiN  (Léonard),  92. 
Lizet  (Pierre),  120,  188,  191. 
LoNGUEiL  (Christophe  de),  172. 
Lorraine  (Antoine,  duc  de),  10,5,  259. 

—  (Claude  de),  duc  de  Guise,  89 
102,   105,   ro6,  22S. 


CLEMENT    MAROT    ET    SON    ECOLE 


335 


Lorraine  (François  de),  duc  de  Guise,  59, 

340. 
Lorraine  (le  cardinal  Jean  de),    25,  27, 

28,  101-106,  108,  lie,  115,  210. 
Lorraine     (René,     duc     de),      ici. 
Louis  XII,  roi  de  France,  97,  160,  213, 

227. 
Louis  d'Orléans,  fils  de  Henri  II,  113. 
Louise  de  Savoie,  38,  48-9,  71,  73,75-80, 

116,  187,  212,  213,  214,  256,  265. 
LouvEL  (Richard),  169. 
Lucien,  139,  226. 
Lucrezia    d'Esté,    fille    d'Hercule    II, 

323. 
Luther  (Martin),  182. 
Luxembourg    (Charles    de),    comte    de 

Brienne,  94. 
Luxembourg  (Jean  de),  94-99. 

Macault  (Antoine),  104,  328. 

Macé  (René),  99,  393. 

Madeleine  de  France,  354,  378. 

Madeleine  de  Savoie,  97. 

Magellan,  7. 

Magny  (Olivier  de),  337. 

Maillard  (Pierre),  seigneur  du  Bouchet, 
461. 

Maillart  (Guillaume  ou  Gilles),  191,  214, 
216. 

Maimbourg  (Louis),  457. 

Malingre  (Jean),  440. 

—       (Mathieu),  439-444,  466. 

Manardi,  112. 

Mangin  (Nicolas),  188. 

Marcossey  (de),  seigneur  du  Faucigny, 
461. 

Marcourt  'Antoine),  282,  287,  443. 

Marguerite  d'Angouléme,  duchesse 
d'Alençon,  reine  de  Navarre,  14,  16, 
22,  24,  35,  38,  43,  45,  48-53.  55,  57, 
60-61,  66,  71,  73,  75,  77-79.  81,  84,  95, 
[96],  154-161,  165,  172,  174,  186,  188, 
210,  211,  248,  252,  254,  256,  266-7, 
280,  287,  289,  290,  296,  313,  324,  330, 
332-335,  346-348,  353-355,  357-358, 
360,  368,  374,  385,  402,  414-415Ô,  430, 
44s,  468-469. 

Marguerite  d'Autriche,  256. 

Marguerite  d'Écosse,  250. 

Marguerite  de  France,  337,  360. 

Marguerite  de  Savoie,  94. 

Marie  d'Autriche,  reine  de  Hongrie, 
423- 

Marmitta  (GelliusBemardinus),  226. 

Marot  (Clément),  13,  14,  16,  27,  29,  31, 

.  36,  41,  44,  45,  56,  57,  61,  76,  80,  93, 
106, 112,  I2I-I24, 127,  [89-106],  128-471. 

Marot  (Jean),  130,  133,  141,  153,  160, 
166,  203,  205,  207,  224,  268,  330. 

Marot  (Michel),  [92],  289,  464,  468. 


MARTELLifNircolo),  27. 
Martial,  202. 
Martin  (Jean),  22. 
I    Masures  (Louis  des),  106,  m 
Maumont  (Charlotte  de),  312,  313. 
Meigret  (Aimé),  182,  186. 

—  (Antoine),  184. 

—  (Jean),  184. 

—  (Lambert),  184. 

—  (Laurent),  183,185,443,  448. 

—  (Louis),  183,  184. 
MÉLANCHTHON  (Philippe),  35,  81,  318, 

354,  445. 

Ménard  (Jean),  443. 

Meschinot  (Jean),  393. 

Michel-Ange,  91,  [97]. 

Michelet  (Jules),  9,  17. 

MiNFANT  (Jacques  et  Joachim),  169. 

Minut  (Jacques  de),  214. 

Molière,  150,  359. 

MoLiNET  (Jean),  154,  374,  379,  393. 

Mollinet  (  René  et  Robert  du),  [103]. 

MoLLON  (Barthélémy),  283. 

Monceau  (Lancelot  du),  seigneur  de  Ti 
gnonville,  248. 

Moncler  (Pierre),  443. 

MoNLUc  (Biaise  de),  463. 

Montaigne,  7,  449. 

Montchenu  (de),  sénéchal  de  Limousin, 

308. 
MoNTECUcuLi  (Sebastiano  de),  345. 
Montgommery  (Jacques  de),  162. 
Montmorency  (le  connétable  Anne  de) 
57,  59,  84-94,  96,  97-100,  109,  118,  204, 
210,  214,  257,  269,  270,  335,  337-3386, 
352,  361,  419,  469. 
Montmorency  (François  de),  87-88. 
Morand  (Jean),  443. 
Morel  (François  de),  339. 
MoRiN  (Guy),  seigneur  de  Loudon,  412. 
Morin  (Jean),  191,  286,  287,  375. 
MoRUS  (Thomas),  417Ô. 
MoscHUS,  226. 

Moulin  (Antoine  du),  [92],  313,  4506. 
Moulin  (François),  188. 
MouY  (Charles  de),  162. 
Museau  (Morelet  du),  134. 
Musée,  432. 
Musset  (Alfred  de),  150,  253,  268. 

Nalot  (Bernard),  270. 
Nassau  (comte  de),  164. 
Nepveu  (Pierre),  21. 
Neufville  (Nicolas  II  de),  134. 

—  (Nicolas  III  de),  seigneur  de 
Villeroy,  134,  135,  138,  142,  421. 

NovES  (Laure  de),  277. 

Oggione  (Marco  d'),  92. 

Olivetan  (Pierre  Robert  dit),  [104],  440. 


336 


CLÉMENT    MAROT    ET    SON    ÉCOLE 


Oppède  (Jean  Meinicr,  baron  d'),  58,  81, 

Orfèvre  (Jeanne  1'),  230. 

Orme  (Philibert  de  1'),  22,  26,  iio. 

Orri,  inquisiteur  à  Lyon,  8i. 

OsMONT  (Louis),  169. 

Ovide,  123,  141,  203,  259,  348,  377- 

Paget  (William),  96. 

Palestrina    (Giovanni     Pierluigi,     dit), 

[loi]. 
Palingenio  Stellato,  292. 
Palissy  (Bernard),  91. 
Paradis  (Paul),  45. 
Paris  (Nicole),  96. 
Parmentier  (Jean),  171,  377. 
Parthenav  (Anne  de),   dame  de  Pons, 

294,  322,  329. 
Parthenay  (Charlotte  de),  294. 

—         (Renée  de),  294,  329,  331. 
Parvaus  (?),  461. 

Pasquier  (Etienne),  [95],  [104],  132. 
Patrizzi  (Francesco),  417. 
Paul  III,  Pape,  26,  31,  422. 
Paul  IV,  Pape,  82,  336. 
Pavanne  (Jacques),  188. 
Peletier  (Jacques),  29,  303. 
PELLissoN-Fontanier   (Paul),    addition   à 

458,  p.  328. 
Pellisson  (Raymond),  458  (et  addition 

p.  328),  459. 
Pennant  (Vincent),  443. 
Petit  (Guillaume),  43. 
Pétrarque,  143,  227. 
Peyrat  (Jean  du),  312. 
Picard  (Martin),  169. 
P1ERREVIVE  (Marie-Catherine  de),  femme 

d'Antoine  de  Gondi,  312. 
Pii.LART  (Laurent),  105. 

PiNDARE,    388. 

Pins  (Jean  de),  269. 
Piochet  (Amé  de),  462. 
Platon,  96,  104. 

POEY  DE  Luc  (Bernard  de),  276Ô. 
PoiNssoN  (Antoine),  356. 
Poitevin  (Jean),  [100]. 
P0LIGNAC  (Anthonye  de),  312. 
Politien  (Ange),  226. 
Poncher  (Etienne),  43, 
—       (Jean  de),  318. 
Pons  (Antoine  de),  comte  de  Marennes, 

294. 
PoRART  (Antoine),  seigneur  de  Foignon, 

[103]. 
Postel  (Guillaume),  45,  104. 
Pratin  (Louis),  411. 
Preudhomme  (Guillaume),  209,  449. 
Prévost  (Jean),  188. 
Primatice  (Francesco),  23, 

Quatre-Livres  (Marie),  fio6]. 


QuESNEL  (Robert  de),  4176. 

Rabelais  (François),   6,   8,    14,    15,   iio, 

112-114,  120,  131,  182,   195,  221,  231, 

295,  311,  354,  382,  449- 
Racine  (Jean),  221. 
Raffin  (Antoine),  dit  Pothon,  157. 

—      (Jean),  dit  Pothon,  157. 
Ramasse,  voir Balme  (Jean  delà). 
Raphaël  Sanzio,  92. 
Refuge  (Charles  de),  162. 
Regart,  461. 

RÉMOND  (Florimond  de),  [104],  457. 
Renan  (Ernest),  15. 
René,  duc  d'Alençon,  2^18. 
Renée  de  France,  duchesse  de  Ferrare, 

194-5,   227,   291-297,   304,   321,   323-5, 

328-330,  332-333,  334-7,  339-340,  346, 

348,  373,  430,  468,  469. 
RoBERTET  (Claude),  209. 

—         (Florimond),  88,  223-225,  430. 
RoFFET  (Pierre),  26S. 
RoHAN  (René  de),  comte  de  Penhoët,  278. 
RoLETTA,  femme  d'Eustorg  de  Beaulieu, 

447- 
Romain  (Jules),  23. 
Roman  de  la  Rose,  [95],  99,  143. 
Rondelet  (Guillaume),  80. 
Ronsard  (Pierre  de),  24,  60,  996,  389 
Rosso  (le),  dit  maître  Roux,  23,  92. 
rougemont,  461. 
Rousseau  (J.-J.),  13. 
Roussel  (Gérard),  35-6,  188,  280. 
RoYERs  (Raymond  de),  baron  de  Four- 

quevaux,  270. 
RusTici  (Giovanni  Francesco),  424 
RuzÉ  (Isabelle)  [106]. 

—  (Jean),  [105]. 

—  (Louis),  [106]. 

Sadolet  (cardinal  Jacques),  104,  354, 449. 
Sagon  (François),    130&,   132,   183,    186, 

191,  278,  286,  298,  303,  341,  363-417, 

430. 
Sagon  (Jean),  364. 
Saint-Cassin,  461. 

Sainte-Marthe  (Charles  de),  121,  264. 
Saint-Gelays  (Mellin  de),  27,  28,  76,  [94], 

121,  123b,  234,  264,  304,  3786,  394,  430. 
Saint-Gelays  (Octovien  de),  136. 
Saint-Paul,  seigneur  de  Brassac,  274. 
Saint-Romard,  466. 
Saint-Simon  (Marguerite  de),  310,  446. 
Saint-Victeur,  voir  Bonivard. 
Sala,  83. 

Salel  (Hugues),   28-29. 
Salmon  (Jean),  dit  Maigret  (Macrinus), 

93,  105,  114,  115,  121,  244,  354,  449. 
Salviati,  légat  du  pape,  39-40. 
Sannazar  (Jacques),  354. 
Sarto  (Andréa  del),  24. 


CLEMENT    MAROT    ET    SON    ECOLE 


337 


Saubonne  (Michelle  de),  femme  de  Jean 
de  Partheiiay-Larchevêque,  baron  de 
Soubise,    130,    294,    329-330,    334- 

Saulnier  ((iuillaume),  381. 

Savalle  fjean),   169. 

Sber  (Guillaume),  166. 

ScARRON   (Paul),   341. 

ScÈVE  (Guillaume),  350  b,  458  et  addition, 
p.  328. 

ScÈVE  (Jeanne),  362. 

—      (Maurice),     [100],     277,    302-304, 
350,  470. 

Selve  (Georges  de),  334. 

Senarpont  (Gabriel  de),  443. 

Shakespeare,  391. 

Semblançay  (Jacques  de  Beauue,  sei- 
gneur de),  76,  212-218. 

Senneton   (Catherine),   [103]- 

Senynghen  (Guillaume  de),  169. 

Serlio    (Sébastien),    22. 

Sermisy  (Claude  de),  150. 

Sermonetta  (le  cardinal),  90. 

Servet    (Michel),    81. 

Seyssel  (Claude  de),  29,  122. 

S1ME0NI  (Gabriello),  27. 

Soliman   II,  le  Magnifique,   414. 

Strozzi  (Robert),  113. 

Stuart  (Jacques  V,  roi  d'Ecosse),  354. 

Tabouet  (Julien),  addition  à  458,  p.  328. 
Tagliacarne    (Benedetto,    dit    Theocre- 

nusj,  27,  121,  124. 
Tebaldi  (Giacomo),  296-297. 
Thibault  (Jacques),   313. 
Thou   (Jacques- Auguste   de),    [loi],    102. 
Thucydide,  122. 
TiBULLE,  377. 
TiLLET  (Louis  du),  295. 
Tiraqueau  (André),  6. 
TiTE-LivE,    392. 

Tournon  (cardinal  François  de),  58,  80- 
83,  100,  113,  335,  349,  352,  414 
Toussaint  (Jacques),  45,  m,  354. 


Trémoïlle  (Louis,  sire  de  La),  iGa.. 
Treppereau  (Louis),  443. 
Trivulce  (cardinal),  335. 

—  (Pomponio),  312,  421. 

—  (Théodore),  n8,  421. 
Tronsson  (Jean),  266. 
Tyvent  Mathé,  451. 

Urbin  (François- Marie  de  la  Kov^re,  duc 

d').  323- 
UïENiiovE  (Charles),  239. 

Valère  Maxime,  4.17b. 
Vatable  (François),  45,  [104],  irr. 
Vaudemont  (Louis  de),  259. 
Vauzelles  (Jean  de),  301,  316. 
Vergerio  (Paolo),  évêque  d'Istria,   336. 
Veron  (Claude),  443. 
I    Versoris  (Nicolas),  215. 
VÉSALE  (André),  6. 
ViGNALS  (Etienne  ?),  264. 
ViLLARS,  toulousain,  271. 

ViLLEMANDON,   429-430. 

Villeneuve  (Martin  de),  i8^. 

Villon  (François),  [94-95],  131,  155,  2176, 

278,  380,  470. 
ViMONT  (Jean),  424. 
Vincent  de  Lérins,  4176. 
Vinci  (Léonard  de),  24,  31,  92. 
Vingle  (Pierre  de),  440. 
Virex  (Pierre),  [99  note],  437,  J39. 
Virgile,  12,  63,  106,  138,  323,  389,  401, 

459,      466. 
Visagier  Ijaan,  dit  Vulteii(^),  105,  m. 

121,  348,  350,  351,  354. 
ViTRUVE,  22. 
VouLTÉ,  voir  Vimgier. 
VuyarO  (PieiTe),  2'J4. 

XlMENrs  de  Cisneros    le  cardinal   l'ran- 
çois),  42,  44. 

Zébi'.dée  (André\  Jii. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


LIVRE  QUATRIEME 

Principaux  caractères  de  la  Renaissance. 
Le  roi  François  1er.  —  La  cour;  les  Mécènes. 

I.  - —  Principaux  caractères  de  la  Renaissance 7 

IL  —  Le  Roi  François  1er 18 

IIL  ^ — La  cour     et     les  Mécènes      51 

LIVRE  CINQUIÈME 
La  vie  de  Clément  Marot. 

Bibliographie  de  Clément  Marot 89 

L  —  Les  années  d'apprentissage 107 

IL  —  Les  prisons  du  poète  et  son  entrée  au  service  du  l^oi        . . .  133 

III.  —  Du  mois  d'août  1528  au  mois  d'octobre  1534 166 

IV.  —  L'exil  à  Ferrare  et  à  Venise 199 

V.  —  L'année  1537.  —  La  querelle  de  Marot  et  de  Sagon.       . . .  247 

VI.  —  Les  dernières  années 294 

Index  des  noms  propres 331 


%  3t 


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